les six minutes du débat consacrées à l'éducation
Six minutes...
Six petites minutes sur l’éducation dans le débat du
mercredi 3 mai. Trois pour chacun des candidats à l’issue de deux heures d’un
« débat » éprouvant. Je me disais en le regardant que, comme beaucoup
de mes collègues, j’allais devoir ramer ensuite pour expliquer à mes élèves
qu’un “vrai” débat, ce n’est pas ça...
Évidemment, ce n’est pas de votre faute. Je suis même
admiratif de votre calme face à quelqu’un qui cherchait à vous déstabiliser et
à vous faire perdre patience. En tant que prof’ confronté à des classes et des
élèves difficiles, je sais apprécier la performance.
Venons en à l’éducation...
Si je m’adresse à vous à l’issue de ce débat, c’est d’abord
parce que je n’ai rien à dire à Marine Le Pen. Sur ce sujet, elle a déroulé ce
qui est proprement un programme réactionnaire et de remise en question
d’avancées démocratiques majeures comme le collège unique que j’ai déjà dénoncé.
No pasaran...
No pasaran...
Mais si je m’adresse à vous c’est surtout parce que les
propositions que vous avez déroulées sur l’éducation dans ce débat et dans toute cette campagne m’ont déçu et me laissent interrogatif voire inquiet. Et 3 minutes, c'est bien court...
Bien sûr, je partage les grands principes énoncés. Il faut
lutter contre les inégalités et pour cela « mettre le paquet » sur le
primaire. Mais le diable est dans les détails.
Des maîtres ou des classes en plus ?
Vous avez rappelé mercredi soir, votre mesure phare :
limiter à 12 élèves les classes de CE1/CP dans les REP et REP+. Il y a
plusieurs questions soulevées par ce dispositif.
Suffit-il de baisser les effectifs pour que la réussite et
les apprentissages s’améliorent ? Les études sur ce sujet montrent qu’il
faut en effet une baisse sensible de ces effectifs mais qu’il est également
nécessaire d’avoir un changement de pédagogie et donc de la formation continue.
On peut continuer à avoir la même pédagogie avec des élèves en moins... L’enjeu
de la formation des enseignants est essentiel. La réponse ne peut pas être
uniquement quantitative et ce chiffre “magique” de 12 élèves n’est pas la panacée.
L’autre question est très pratique : c’est celle des
locaux. Où mettre ces élèves ? Si, dans certains endroits, des classes
sont effectivement vacantes, dans d’autres il y a pénurie. Il faudrait donc
construire ou plutôt aider les communes à construire.
Pourquoi n’avoir pas annoncé plutôt “un enseignant pour douze élèves” ? Cette formulation aurait
permis de privilégier la piste de la co-intervention qui est plus prometteuse
mais aussi plus réaliste. Le fait d’avoir deux enseignants permet non seulement
de mieux différencier et d’apporter des réponses aux difficultés propres à
chacun mais oblige aussi ces mêmes enseignants à échanger et à co-élaborer
leurs séquences de travail. Alors que ce métier est souvent trop solitaire et
peu propice au changement, ce dispositif est un moyen de faire évoluer la
conception du métier et de créer les conditions d’un développement
professionnel (je vous conseille la
lecture d’un rapport où ce sujet est abordé...! )
La co-intervention est à la base du dispositif « Plus de
maîtres que de classes » (PDMQDC).
Or on apprend, au détour de certaines
interviews que la mesure que vous proposez se ferait en dépouillant ce
dispositif qui n’a que trois ans d’existence. Comme le rappelle une
note récente de l’institut Alain Savary, une fois de plus, le politique
mettra-t-il fin à une « innovation » avant même qu’on puisse comprendre ce
qu’elle génère ?
Les ÉPI sont fauchés ?
C’est d’ailleurs la même logique qui est à l’œuvre dans
l’autre annonce que vous avez rappelée mercredi soir. Vous avez en effet évoqué
la « réintroduction » des classes bilangues et du latin. On a pu lire
aussi que vous prévoyez comme forme d’autonomie des établissements la
possibilité de ne plus appliquer les EPI si le conseil d’administration de l’établissement le
décide.
Je vois bien, et je la déplore, la stratégie de concession sur des sujets qui ont pu braquer une partie des enseignants et des parents en collège.
Mais, on peut surtout voir le risque d’une reconstruction de
classes de niveaux dans les collèges et donc un sérieux coup de canif à la
question de l’hétérogénéité scolaire (à distinguer de la mixité sociale) qui est essentielle pour la lutte
contre les inégalités. On ne trouve d’ailleurs pas de réelle réflexion sur la
question centrale de la mixité sociale et scolaire dans ce que vous avez publié.
On ne vous a pas entendu davantage
sur le rôle que pourrait jouer l'enseignement privé dans la mixité sociale.
Donner du temps au temps…
On retrouve, tout comme pour les PDMQDC, un défaut propre à
toute question éducative où on défait ce qui est mis en place avant de laisser
le temps à une réforme de s’installer. Quand comprendra t-on que l’éducation
nationale a besoin de continuité et de temps pour laisser s’installer les
changements plutôt que de remplacer un dispositif par un autre
dispositif ?
C’est cette succession d’annonces qui épuise les enseignants
et les conduit à une forme de cynisme désabusé.
Et surtout on laisse croire aux plus conservateurs que toute
réforme est impossible et aux plus investis que leurs efforts sont vains...
Quelle autonomie ?
Quel management ? Comment gouverner l’éducation
nationale ? On lit peu de choses sur ce sujet dans votre projet. Hormis
l’affirmation qu’il faut donner plus d’autonomie aux établissements. Mais un
grand flou subsiste.
J’ai participé à un débat sur l’éducation organisé par un
groupe local de En Marche et j’ai pu constater que les avis étaient partagés
sur cette question au sein de vos soutiens. Certains semblent considérer que le
pilotage et l’initiative passent forcément par un leader, un
« manager » qui tient les rênes et évolue dans une logique
d’émulation voire de compétition . D’autres voient plutôt l’autonomie comme
étant collective et surtout celle des équipes enseignantes et éducatives dotées
d’un pouvoir d’agir et d’auto-évaluation. C'est sur cette position que je me situe.
Vous devrez clarifier vos positions. Car ces questions sont
centrales et conditionnent non seulement la vie des enseignants et la
reconnaissance de leur expertise et initiative mais aussi l’efficacité du
système et sa capacité à se transformer. L’autonomie ne doit pas être vue sous
un angle technocratique mais dans une logique pédagogique et au service de valeurs partagées et
définies dans un cadre national.
Si vous avez affirmé aussi dans vos discours que vous
vouliez “refonder” l’école (tiens c’est curieux j’ai déjà entendu cela... ) on
a l’impression que vous tenez pour négligeable ce qui a été fait durant ce
quinquennat qui s’achève. C'est dommage.
Et, pour autant, on n’a pas eu le sentiment que l’éducation est un sujet qui vous intéresse vraiment. On a plus l’impression d’un catalogue de mesures un peu disparates qu’un « projet » fédérateur.
Et, pour autant, on n’a pas eu le sentiment que l’éducation est un sujet qui vous intéresse vraiment. On a plus l’impression d’un catalogue de mesures un peu disparates qu’un « projet » fédérateur.
Or, le chantier est immense, on a besoin d’un souffle et d’une
réelle énergie pour continuer à construire une école plus juste, qui lutte
vraiment contre les inégalités et la fracture sociale. Une école publique qui soit aussi plus efficace,
à la fois plus agile et mieux pilotée et au service de la réussite de tous.
Ph. Watrelot
« Les alternances politiques empêchent la gouvernance de
l’Education nationale d’être constante, cohérente dans le temps. […]. Nous
avons un vrai problème de gouvernance : la continuité n’est pas assurée, or
elle est absolument nécessaire dans l’Education nationale.»
Antoine Prost Historien, Propos recueillis par Véronique
Soulé — Libération le 25 septembre 2013
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