J’ai quitté mes fonctions de président du CRAP-Cahiers
Pédagogiques le 19 octobre 2015. Lors de la petite fête qui a terminé la
journée, j’ai fait un discours où je faisais des listes (« les huit choses que j’ai apprises au
CRAP », « les huit phrases
qui ont du casser les pieds des adhérents », « les huit objets qui symbolisent ces
années ») Pourquoi huit ? Parce que je suis resté huit ans
président de cette belle association.
« Y en a un peu
plus, je vous le mets quand même ? » dirait mon boucher... Voici donc
une nouvelle liste de huit. Une liste inédite, que je n’ai pas proposée dans
mon discours de fin de mandat, mais qui peut résumer aussi ces huit années et
surtout les deux dernières où les réseaux sociaux se sont emballés...
1 « Hu, Hu, Hu, vous savez ce que ça veut dire CRAP en anglais… ? »
Ben non, évidemment on
est complètement ignares et on ne connait pas l’anglais...
Plus sérieusement l’association qui a pour nom complet
“Cercle de Recherche et d’Actions Pédagogiques” est née en 1963 pour
accompagner la revue “Cahiers Pédagogiques” née quant à elle en décembre 1945.
A cette époque, on se contrefichait de savoir ce qu’un sigle pouvait bien dire
dans une autre langue. Et c’était très bien comme ça !
Nous sommes fiers de cet héritage et à vrai dire le côté
“happy few” (tiens c’est de l’anglais...) et la “connivence culturelle” de ceux
qui font cette sempiternelle remarque nous fait sourire plus qu’elle nous
agace. Elle est tellement symptomatique de ce que peuvent être certains
profs...
On aurait pu changer le nom et par exemple inverser
“Recherche” et “Action” mais nous ne sommes pas muets… comme des CARP !
2 « De toutes façons vous n’enseignez pas, vous
ne connaissez pas le terrain »
En fait, on n’est pas
même pas humain, on vient de la planète Mars...
C’est la grande rengaine... Comme si une pensée différente
devait forcément être renvoyée à une forme d’étrangeté. Il y a une vraie
difficulté à concevoir qu’on puisse partager les mêmes conditions de travail et
avoir des jugements et des opinions dissemblables.
Il y a aussi l’idée qu’un représentant d’association est
forcément une sorte de notable assis et éloigné du sacro-saint “terrain”. Ça en
dit long sur l’image des corps intermédiaires. Quand on est président
d’association, on ne fonde pas son analyse uniquement sur sa propre expérience
mais aussi sur la réflexion collective qui se fait au sein du mouvement avec des
enseignants du primaire, du collège, du lycée, de l’université. etc.
Et au passage, il faut rappeler que pour ma part je suis
prof en lycée (de banlieue) depuis 33 ans où j’enseigne les SES et que la
nouvelle présidente du CRAP-Cahiers Pédagogiques enseigne, quant à elle, les
SVT dans deux collèges.
3 « vous êtes naïfs, vous ne voyez pas les
intentions cachées et où tout cela nous mène ? »
Autre version :
on ne vient pas de la planète Mars, les pédagos sont des illuminati, on fait
partie du complot...
Après le refrain sur le “terrain”, le couplet sur le
complot... Il est toujours plus confortable de combattre des ennemis qu'on s'invente.
A tout prendre, en tout cas, je préfère la naïveté au cynisme de ceux qui sont revenus de tout sans jamais y être allé. Paradoxalement, alors qu’ils en ont dénoncé la présence chez certains de nos élèves après Charlie, une forme de complotisme est très à la mode aussi chez les enseignants : l’OCDE aurait pour objectif de décérébrer les élèves pour les préparer à devenir des salariés employables et exécutants.
A tout prendre, en tout cas, je préfère la naïveté au cynisme de ceux qui sont revenus de tout sans jamais y être allé. Paradoxalement, alors qu’ils en ont dénoncé la présence chez certains de nos élèves après Charlie, une forme de complotisme est très à la mode aussi chez les enseignants : l’OCDE aurait pour objectif de décérébrer les élèves pour les préparer à devenir des salariés employables et exécutants.
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Philippulus le Prophète |
On a eu droit récemment à une autre version avec la réforme
du collège dont le but ultime était de détruire la culture française et même la
civilisation occidentale ! Mais on va m’accuser de faire ce que je déplore
c’est-à-dire caricaturer. Je préfère terminer ce point en rappelant que l’avenir
est d’abord ce que l’on en fait. Et qu’avant de crier à un hypothétique complot,
il faut croire en l’action collective et militante.
4 « Ca se dit démocrate et ça pratique la censure
sur Twitter/Facebook ? »
La chasse aux trolls
est ouverte et en vérité je suis le fils caché de Kim Jong Un...
Oui, j’ai “bloqué” un certain nombre de personnes sur ces
deux réseaux sociaux et je continuerai à le faire.
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“Bien faire et laisser braire” |
L’essentiel de ce que je fais sur les réseaux sociaux peut
être assimilé à de la “veille” (et c’est pas demain que je vais arrêter de
faire de la veille...) : je diffuse des liens vers ce que disent la presse
et différentes sources sur l’actualité de l’éducation. J’ai quelquefois l’impression
que quelques personnes font de la veille sur ma veille... au point de me
reprocher la diffusion de tel ou tel article. Dans d’autres cas récents,
c’était sur ce que j’écris moi même. Je ne suis pas ennemi du débat mais je ne
pense pas que l’on puisse “débattre” en 140 caractères. Et bien souvent cela s’apparente plus à
du harcèlement voire à de l’agression ou de l’insulte. Alors, oui, il m’arrive
de “bloquer”, cela veut dire simplement que je n’ai pas envie d’interagir avec
la personne. Comme cela peut arriver dans la vraie vie...
5 « je trouve que ce que vous dites sur les
enseignants est méprisant, je me sens insulté »
Bien sûr, une bonne
partie de mes copains sont enseignants, je le suis moi même mais au fond je les
méprise tous...
Se sent méprisé, se sent insulté, qui veut bien l’être...
Je ne suis pas responsable de la manière dont mes propos
sont reçus même si je fais attention à la manière dont je m’exprime. J’ai de
toutes façons l’impression que dans le contexte actuel, je posterai même des
photos de petits chats que certains pourraient trouver cela insultant ou
méprisant ! En tout cas, je suis certain que le billet que vous êtes en
train de lire aura cet effet !
Dans un contexte de morosité générale et de “déclassement”
des enseignants, je crois que la difficulté tient au fait que la nécessaire
critique du système éducatif est ressentie par quelques uns comme une attaque
personnelle contre chaque enseignant . Or, je continue à le dire, on peut faire
son métier du mieux que l’on peut dans un système qui dysfonctionne...
6 « Vous êtes des donneurs de leçons qui savez tout mieux que tout le monde »
Donner des leçons
c’est une maladie professionnelle... C’est pas un peu ce que font tous les
enseignants ?Et puis ce qui est curieux c'est que ce reproche est fait par ceux qui savent déjà à quoi vont mener les réformes...
C’est la suite logique du point précédent. La moindre parole peut aussi être interprétée comme un point de vue surplombant. Le « pédago » est vu alors comme quelqu’un qui dérange et qui remet en question les manières de faire de son interlocuteur (et donc l’agresse). On a aussi la version “hard” de ce ressenti avec l’accusation de “secte” que certains n’hésitent pas à employer pour qualifier le CRAP.
C’est la suite logique du point précédent. La moindre parole peut aussi être interprétée comme un point de vue surplombant. Le « pédago » est vu alors comme quelqu’un qui dérange et qui remet en question les manières de faire de son interlocuteur (et donc l’agresse). On a aussi la version “hard” de ce ressenti avec l’accusation de “secte” que certains n’hésitent pas à employer pour qualifier le CRAP.
![](https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgCiRTwS3LGZXM5xvyvTO5k7wJ7amDyVOnA_8K4t3HaUP3JPs9IwKU47vFosFR4AEH-s72LuwSn1vonxEuIy1QC1v-2f2cALXfKwHKuylq-hAG4EiNXSOn9yw3Iorw_frGyROsPww/s200/Capture+d%25E2%2580%2599e%25CC%2581cran+2014-08-29+a%25CC%2580+20.36.24.jpg)
7 « De toutes façons vous êtes des soutiens
inconditionnels du gouvernement vous et tous les syndicats “jaunes” »
et je prends mes
instructions directement auprès de la ministre...
Il y a une vieille culture anti-hiérarchique dans
l’Éducation Nationale : on y aime pas les chefs... Et on a tendance à les
voir comme une sorte de “patronat” qui s’attaque à nos conditions de travail.
C’est quelquefois vrai. Mais la comparaison trouve ses limites. Car il peut y
avoir aussi en partage le sens du service public.
“Réformiste” n’est ni un gros mot, ni une insulte. On peut
aussi considérer que toutes les
réformes ne sont pas a priori néfastes. Et faire ainsi la part des choses entre
celles qu’on peut combattre et celles dont on pense qu’elles peuvent aller dans
le bon sens sous certaines conditions. On peut aussi appeler cela du “soutien
critique”.
Il est malheureusement plus facile d’appliquer des grilles
de lecture partisanes et un rejet global du gouvernement au risque d’avoir la
mémoire courte...
8 « vous êtes des bisounours qui ne voyez pas
les difficultés»
mais non on est des
extraterrestres... ! ou alors des bisounours teigneux...
![]() |
Bisounours teigneux... |
Le procès en “bisounoursitude”
est devenu un grand classique des reproches faits à ceux qui essaient d’avoir
une vision positive de l’École. Le nécessaire esprit critique s’est mué
aujourd’hui en un cynisme stérile qui condamne toute initiative, tout
changement, en accumulant les conditions et les effets pervers. On se trouve
face à une combinaison de procrastination collective et de prophétie
auto-réalisatrice qui n’est pas propre au monde de l’éducation et qui constitue
une bonne partie du “malheur français”.
Il ne s’agit pas de nier les difficultés mais de les
affronter. Mon espoir c’est celui
de tout militant qui est de voir aboutir ce pourquoi il se bat. Antonio Gramsci
parlait « du pessimisme de la raison et
de l’optimisme de l’action ». J’ai l’espoir que nous parvenions à une école
plus juste qui permet de lutter vraiment contre les inégalités sociales et qui
soit plus efficace en faisant plus confiance aux enseignants.
Et je sais que les enseignants ont la capacité de se saisir de ces marges de manœuvre pour agir, innover, faire réussir tous les élèves et construire l’école de demain. Le pessimisme est presque une faute professionnelle ! Etre optimiste et croire dans les effets de son action, c’est finalement ce qui devrait caractériser tout enseignant...
Et je sais que les enseignants ont la capacité de se saisir de ces marges de manœuvre pour agir, innover, faire réussir tous les élèves et construire l’école de demain. Le pessimisme est presque une faute professionnelle ! Etre optimiste et croire dans les effets de son action, c’est finalement ce qui devrait caractériser tout enseignant...
Philippe Watrelot
ex-président du CRAP-Cahiers Pédagogiques
Le 24 octobre 2015
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3 commentaires:
Point n°7 : dans l'Education Nationale, un "jaune" est quelqu'un qui se déclare satisfait de voir les idées pour lesquelles il milite depuis longtemps reprises dans un projet gouvernemental. Un "bon militant" est celui qui, par posture, combat ses propres idées, ses propres valeurs une fois qu'elles sont proposées par la hiérarchie
Excellent billet Philippe, même si au fond je sais que tu es un Illuminati infiltré depuis la planète Mars où vous êtes tous des genres de Bisounours de couleur jaune ayant juste changé de forme pour embobiner la population.
M... ! Que fait David Vincent ? Où est-il passé ?
je ne connais pas la teneur des autres bouquets de 8, mais bravo pour celui-ci !
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