lundi, août 16, 2010

Qu'est-ce qu'un bon prof ?

.


C’est au début du mois de juillet 2010, qu’une journaliste (du Pèlerin magazine) me contacte pour réaliser une interview. Sans jouer les blasés, c’est quelque chose d’assez fréquent et auquel je me plie bien volontiers bien que, à chaque fois, j’ai l’impression de ne pas avoir grand chose d’original à dire. Le sujet ? “Qu’est-ce qu’un bon prof ?”.
Même si, comme tous les enseignants, j’ai été amené déjà à réfléchir à cette question (depuis 30 ans…) et que mes fonctions de formateur m’ont fait approfondir le sujet, cette question là n’est pas facile. Car, finalement, elle vous oblige à vous dévoiler et à parler beaucoup de soi et des raisons pour lesquelles on est devenu prof. Et sans forcément considérer qu’on est soi-même (toujours ? tout le temps ?) un “bon prof” (je ne l'ai jamais prétendu !), cela vous conduit à définir un idéal et à poser quelques repères et valeurs. Ce sont en tout cas, les réflexions que je me suis faites après un entretien téléphonique de plus d’une heure où la journaliste a su me pousser à préciser ma pensée et même me faire avancer dans ma réflexion sur ce sujet. C’est ce que je voudrais retranscrire ici en pensant que ces quelques remarques peuvent engager la réflexion de chacun en cette veille de rentrée marquée, en plus, par une évolution néfaste de la formation des jeunes enseignants.
J’essaierai donc d’abord de donner quelques idées qui me tiennent à cœur même si elles ne prétendent pas faire le tour de la question. J’évoquerai aussi la définition que donnent les élèves de mon lycée de ce que doit être un bon professeur, avant de poser la question de la formation à ce métier d’enseignant. Un métier “impossible” et passionnant.


Etre cohérent 
Dire ce qu’on va faire et faire ce qu’on a dit”, cette maxime résume assez bien ce que devrait être la posture de tout éducateur (il n’y a pas que les enseignants, mais aussi les animateurs et au final, tous les adultes…). Ce qu’attendent finalement les élèves, c’est que le prof soit prévisible. C’est-à-dire qu’il donne (explicitement ou implicitement) des repères, des règles, des valeurs et qu’il s’y tienne. Cela je l’ai appris bien avant d’être enseignant lorsque j’ai été animateur de centre de vacances. Et cela demande lorsqu’on est jeune, un travail sur soi puisqu’il faut accepter de basculer dans le monde des adultes. Ne pas être leur “grand frère” et encore moins leur “copain” mais un adulte qui assume ce rôle et fait respecter des règles. C’est aussi une forme de respect à l’égard de mes élèves.
Cela veut dire aussi qu’il ne faut pas annoncer et promettre des choses qu’on ne peut pas tenir. C’est donc pour cela que s’il est souhaitable que ces règles et ces valeurs soient formulées explicitement, il peut être dangereux de s’enfermer dans un ensemble de contraintes trop important comme des « règlements de classe » interminables. La cohérence, elle se voit surtout dans les actes et dans les valeurs qui les sous-tendent.
Etre “prévisible”, cela peut aussi se traduire simplement dans la conduite du cours par une pédagogie la plus explicite possible. Annoncer simplement les objectifs du cours, le plan, les critères d’évaluation (et les dates des contrôles !), les éventuelles sanctions… ce sont des éléments importants de cette prévisibilité. Quand on demande, (comme je l’ai fait) aux élèves de définir un bon prof, ils en viennent assez vite à définir aussi ce qu’est pour eux un “bon cours” et c’est alors la qualité de la structure du cours qui est mise en avant. 

Dans  les éléments qui définissent un “bon cours”, il faut aussi prendre en compte la diversité. Une maxime nous rappelle que “l’ennui nait de l’uniformité”. Certes, on a tous en mémoire de rares enseignants qui parvenaient à nous captiver par leur parole. Mais, on se souvient aussi de longs monologues où l’attention décroche assez vite. Ménager des pauses, varier les activités, sont aujourd’hui des règles d’or de la construction d’une séance de cours. Il ne faut pas le déplorer en s’insurgeant contre le “zapping” et le défaut de concentration des jeunes générations. Le discours de déploration sur la jeunesse est vieux comme le monde. Et l’ennui existait dans l’école (mythifiée) d’hier même s’il ne se manifestait pas sous les mêmes formes.
Cette nécessité du rythme et de la variété des dispositifs est au contraire la prise en compte de la diversité des profils d’apprentissage des élèves. On apprend pas tous de la même manière et il faut que le cours en tienne compte. Et on apprend mieux aussi lorsqu’on est actif et acteur plutôt que lorsqu’on est spectateur du cours.


Etre bienveillant
Parmi les valeurs qui doivent transparaître dans les actes de l’enseignant il en est une qui est, selon moi, essentielle. C’est ce que j’appellerais la bienveillance. Cela ne se réduit pas à “aimer les élèves”, ce n’est d’ailleurs pas l’essentiel. Ce n’est pas non plus la “gentillesse”, il est quelquefois nécessaire de ne pas être gentil et encore moins naïf. Il s’agit plutôt de croire en leurs capacités et de tenter de créer les conditions de l’apprentissage et donc aussi de la motivation en connaissant les limites de son action. En tout cas, le contraire de la bienveillance, en matière de pédagogie, serait le cynisme qui, chez certains enseignants n’est pas loin du mépris…

Philippe Meirieu parle du “postulat d’éducabilité” et cite souvent cette phrase du philosophe Alain « l’on ne peut instruire sans supposer toute l’intelligence possible dans un marmot ». Célestin Freinet, quant à lui,  finissait sa liste des invariants pédagogiques par celui qui justifie toute notre action “l'optimiste espoir en la vie”. La bienveillance suppose l’optimisme et la croyance, à la fois modeste et ambitieuse, que notre action peut avoir un effet et faire progresser les élèves. Mais c’est un optimisme tempéré car cela ne peut se faire sans l’adhésion des élèves et en luttant contre un très grand nombre de contraintes. Mais comment peut-on faire ce métier si l’on pense que ce que l’on fait ne sert à rien et n’a aucun effet ?

La bienveillance c’est aussi un devoir d’empathie. L’ expert ne doit pas oublier qu’il est un “ex-pair”. L’enseignant doit être capable, pour agir sur les erreurs (et pas les “fautes”…) de ses élèves de comprendre ce qui peut les provoquer. Rien de pire qu’un enseignant « qui ne peut pas comprendre qu’on ne peut pas comprendre ». (Bachelard). Le problème, si l’on peut dire, c’est que bien souvent, l’enseignant est un ex bon élève… Alors qu’il est utile pour exercer ce métier de se rappeler les expériences  où l’on a été soi-même en situation d’échec.
Au delà de l’aspect didactique, la bienveillance doit être aussi dans l’acte éducatif lui même. Donner des repères, jouer son rôle d’adulte n’empêche pas de relativiser. J’entends souvent des collègues s’étonner que les élèves qu’ils ont en face d’eux tiennent des discours contradictoires et irrationnels alors que l’adolescence se caractérise justement par la contradiction et la confusion ! Une autre citation, d’un éducateur, résume bien mon propos : « Avant de t’indigner, rappelle toi de quoi tu étais capable lorsque tu avais leur âge » (Fernand Deligny Graine de crapule Ed. du Scarabée 1960)
Pour finir ce chapitre sur la bienveillance, il faut dire qu’elle est aussi un préalable. Enseigner est d’abord une relation : ce n’est évidemment pas que cela, mais si on ne crée pas d’abord le contact il ne peut pas y avoir transmission des connaissances… Il y a donc une dimension  affective et interpersonnelle essentielle dans l’acte d’enseignement. Et cela passe par cette bienveillance que les élèves identifient et repèrent très bien chez les enseignants. Si elle est là, ça ne veut pas dire pour autant que tout est gagné mais que le travail peut commencer…


Faire le deuil
Rassurez vous, on ne va pas faire ici de psychanalyse sauvage. Même s’il me semblerait indispensable, lorsqu’on devient enseignant d’avoir un peu de retour sur soi même pour mieux comprendre ses motivations.  Il s’agit tout simplement ici de faire la liste de ce qui empêche d’avancer. De se mettre au clair sur les représentations que l’on a du métier et la manière dont on construit son identité professionnelle.


Une petite anecdote personnelle pour illustrer ce point. Vers l’âge de 9-10 ans, mes parents nous ont emmenés, ma petite sœur et moi visiter les châteaux de la Loire. J’avais beaucoup aimé. Revenu à la maison, un jour que l’on me demandait ce que je voulais faire plus tard, j’avais répondu sans hésiter “guide de château”. Pourquoi ? “Car, le monsieur frappe dans ses mains, tout le monde se regroupe autour de lui et vient l’écouter !” (depuis j’ai compris que, même pour les guides, ce n’était pas aussi facile que ça…). Je crois qu’il y a une composante narcissique forte dans le désir de devenir enseignant. Beaucoup souhaitent “ être au centre” pour être écoutés. Je ne faisais pas exception à la règle. Mais j’ai évolué. J’ai compris que les meilleures activités, les meilleurs cours  sont souvent ceux, où l’on  crée les conditions, l’aménagement (au CRAP on aime bien le mot “dispositif”) pour que l’élève puisse agir en autonomie avec l’aide de l’adulte.
La meilleure place de l’adulte dans une logique éducative n’est pas forcément “au centre” mais plutôt “à côté ”. Je crois que c’est cette conviction forgée dans ma pratique de l’animation qui me guide encore aujourd’hui et qui m’a conduit assez logiquement à souhaiter devenir enseignant. Pour faire grandir les jeunes qui me sont confiés et leur donner les moyens d’être plus autonomes. Et pour cela, il faut faire le deuil, ou du moins en connaître les limites, de la composante narcissique qui conduit de nombreux enseignants à envisager le cours comme un « show » et à privilégier une pédagogie essentiellement frontale.

L’enseignement secondaire est marqué par les logiques disciplinaires. Dans la dernière enquête sur ce sujet, c'est plus de 60% des enseignants interrogés qui disaient être devenus profs par “amour de leur discipline”. Il serait difficile de renier cette dimension disciplinaire dans la construction de l’identité professionnelle, elle est même positive car elle est la condition de la motivation de l’enseignant qui veut faire partager cet “amour” à ses élèves. Mais, elle peut être aussi source de désillusions si on n’est pas capable de prendre du recul. Nous ne sommes pas des “mathématiciens”, des “historiens”, des ”physiciens” ou bien encore des “philosophes”. Nous sommes des professeurs (de maths, d’histoire, de philo, etc.). Ce n’est pas la même chose.  Une professeur d’anglais de mes amies me disait “quand on devient prof de langues, il faut accepter d’entendre maltraiter pendant toute sa carrière, une langue qu’on adore”. De même pour ce qui me concerne, j’ai du me résoudre à admettre que des élèves pouvaient ne pas aimer les sciences économiques et sociales et même s’y ennuyer. J’ai eu du mal, car j’étais persuadé, en plus, que mon pouvoir de conviction et mon expertise viendrait à bout de toutes les réticences…!
Cette désillusion peut entrainer du dépit et même conduire au cynisme que nous évoquions plus haut. Etre un bon prof, c’est donc aussi savoir prendre de la distance par rapport à cette envie de faire partager une passion à tous.

Car, même s’il faut être optimiste et croire en la réussite, il faut se méfier des ambitions démesurées. Pour emprunter le vocabulaire de la psychanalyse, il faut faire le deuil de la “toute puissance”. Un bon prof est un prof qui dure et pour y parvenir il ne faut pas se fixer d’objectifs inatteignables, sources de désillusions et dangereux pour l’équilibre personnel. On apprend vite la modestie dans ce métier. Un métier où vous êtes souvent seul et en même temps un rouage d’un système avec ses limites et ses contraintes.
Ce que je vais dire ici peut sembler paradoxal. Pour être un bon prof, il ne faut donc pas sur-investir dans son travail. Avoir des lieux de réussite ailleurs que dans l’espace de la classe est indispensable pour son équilibre. Car une des difficultés majeures de ce métier comme de  tous les métiers de relation et de contact, est sa dimension affective. La classe est alors vécue comme un espace intime. C’est une profession où on se met en “je” et il est facile de penser que ses problèmes, ses échecs viennent de soi et de soi uniquement… Cela tient aussi au fait que, trop souvent, on considère qu’enseigner est un “art” ou une “vocation” alors qu’il faut bien le considérer comme un métier avec des techniques, des “tours de main”, quelques recettes et surtout ses imperfections. Il faut donc déculpabiliser et dépersonnaliser. Dans beaucoup de cas, ce n’est pas après vous que l’élève en a directement mais au représentant de l’institution scolaire porteuse d’une certaine “violence symbolique ». Pour se préserver, il  importe alors de savoir faire la part des choses.
En résumé, un bon prof ce serait aussi quelqu’un qui a de l’humour (ce qui est distinct de l’ironie) et de la distance. Et de la modestie…


Le “bon prof” vu par les élèves ?
Il y a quatre ans, j’ai posé cette question (“Qu’est-ce qu’un bon prof ?”) à près de 500 élèves de seconde du (gros) lycée de la région parisienne où je travaille. J’ai demandé l’aide de mes collègues pour faire passer à la fin de l’année un questionnaire très simple composé de cette seule question. Je me suis ensuite servi, depuis, de cette masse de réponses pour travailler avec les professeurs stagiaires auprès desquels j’intervenais à l’IUFM de Paris.
Le premier constat que l’on peut faire, c’est qu’il y a très peu de réponses fantaisistes. Les élèves, ni pires ni meilleurs que d’autres, ont pris cette question au sérieux. Ils avaient un avis sur la question et étaient contents de l’exprimer, quelquefois dans de très longs développements. D’ailleurs faites l’expérience en interrogeant des enfants ou des adolescents de votre entourage et vous verrez que c’est une question qui ne laisse pas indifférent !
Une thèse de Stéphanie Leloup soutenue en 2003 et portant sur  l’ “ennui scolaire”  consacrait un chapitre à une comparaison entre les représentations qu’avaient les enseignants et les représentations des élèves de ce qu’était un “bon prof” (on en trouve les principales conclusions sur le site de Jacques Nimier). On y constatait que celles ci n’étaient finalement pas très éloignées. Les questionnaires dont je dispose confirment aussi cette convergence.
Les réponses s’organisent autour de trois grands thèmes : la maîtrise de la classe, les connaissances et les rapports avec les élèves.
D’abord et c’est ce qui arrive presque toujours en premier, un bon prof est quelqu’un qui sait tenir sa classe. « Il doit savoir se faire respecter » mais on ajoute aussi qu’il ne doit pas être autoritaire « Il doit être sérieux et cool » ou bien encore « Il doit être drôle mais savoir mettre les limites quand il le faut ». L’équilibre est difficile à tenir. On attend à la fois un traitement égal pour tous « Il ne doit pas faire de différence entre les élèves » mais aussi de l’écoute et la prise en compte des situations particulières.
Les réponses des élèves insistent aussi beaucoup sur la maîtrise des connaissances. « Il sait de quoi il parle », « Il sait faire aimer sa matière », mais si l’enseignant est passionné, il doit être aussi accessible et tenir compte des difficultés des élèves. « Il donne des cours bien structurés où on sait où on va… », « Il doit nous écouter et être patient », « il donne des contrôles accessibles à ceux qui apprennent ». « Il doit aider et savoir expliquer de différentes façons »
En ce qui concerne les rapports avec les élèves, beaucoup insistent sur l’humour et l’écoute mais, curieusement, ceux-ci sont surtout définis par la négative. C’est donc en disant ce qu’est un “mauvais prof” qu’on obtient un portrait en creux. « Un mauvais prof c’est un prof qui raconte sa vie pendant un cours », « c’est un prof qui rabaisse ses élèves », « qui les dévalorise » « qui ne se remet jamais en question »… La notion de respect revient très souvent dans les réponses et nous renvoie à la bienveillance que nous évoquions plus haut
Les élèves interrogés ont bien conscience que toutes ces qualités sont difficiles à rassembler et en évoquant la nécessité d’un équilibre insistent avec leur mots sur ce que nous appellerions un travail ”en tension” : entre contrôle de la classe et spontanéité, écoute et respect de la règle, égalité et équité, rigueur et humour, maîtrise de sa discipline et accessibilité, …
Pour finir, laissons la parole à un élève qui résume cela à sa façon : « Un bon prof n’existe pas, je veux dire que personne peut être assez strict sans être tyrannique, amical sans être comme un pote, encourageant sans rabaisser, aider sans juger, ne pas faire subir aux élèves ses sautes d’humeur. […] Cependant, conclut-il, certains sont très proches du modèle parfait » !


Est-ce que ça s’apprend ?
«Être un bon prof, est-ce que ça s’apprend ? ». Cette question posée lors de cet entretien, en apparence simple, renvoie à plusieurs niveaux de lecture.
D’abord parce que tout le monde n’est pas convaincu qu’enseigner soit un métier. Comme nous le notions plus haut, on parle bien trop souvent de l’enseignement comme d’un art  ou d’une vocation. Dans ces conditions, on est “doué” ou on ne l’est pas… On a même entendu un ministre (Luc Ferry) proclamer à l’assemblée qu’il suffisait de maîtriser des connaissances pour savoir enseigner. De même, on parle aussi d’ “autorité naturelle”, ce qui supposerait que cela vous soit donné une fois pour toutes par de gentilles fées penchées sur votre berceau…

Cette  conception n’est  malheureusement pas si minoritaire que cela. Il suffit de voir comment la réforme de la formation a été démantelée sans que cela soulève de  grandes protestations. Face à cela, il faut réaffirmer qu’ “Enseigner est un métier qui s’apprend”. Non seulement durant la formation initiale mais bien sûr tout au long de sa carrière.

Avoir une démarche réflexive
Cette formulation qui peut rebuter certains, prompts à y voir une trace de “jargon pédagogique” (je consacrerai un billet un jour à ce sujet du jargon) renvoie en fait à une réalité très simple. Comme dans tout métier, on apprend de ses erreurs. Et on évite de les refaire…
Prendre le temps de s’interroger à la fin d’un cours ou de la journée et de noter quelques idées, ce qui a marché et pourquoi, ce qui n’a pas marché… Ce sont des choses que font de très nombreux enseignants.  Ce métier suppose une constante remise en question. Et, on n’est pas perdu pour le métier parce qu’on ne trouve pas du premier coup !
Pour dire les choses dans un registre plus soutenu : « Le professeur met à jour ses connaissances disciplinaires, didactiques et pédagogiques. Il sait faire appel à ceux qui sont susceptibles de lui apporter aide ou conseil dans l'exercice de son métier. Il est capable de faire une analyse critique de son travail et de modifier, le cas échéant, ses pratiques d'enseignement. ” Ce texte est extrait de la compétence 10 “Se former et innover” du référentiel des compétences des enseignants dont une première version a été publiée en 2007 et republiée (avec quelques modifications) en juillet 2010. Tout y est dit (ou presque) mais je voudrais insister sur quelques points. 

Un métier qui s’apprend (collectivement)
Le mouvement que je préside (le CRAP-Cahiers Pédagogiques) aujourd’hui milite depuis toujours pour que les enseignants aient une démarche réflexive sur leur propre pratique pour améliorer leur enseignement. Si nous publions une revue c’est justement pour proposer un lieu de diffusion et de réflexion sur les pratiques, si nous faisons aussi des “Rencontres du CRAP”  et des journées de réflexion c’est parce que cette analyse des pratiques se fait mieux dans l’échange et la confrontation des expériences.
Certains stagiaires à l’IUFM ont moqué ces moments d’analyse de pratiques qualifiés de “séances d’alcooliques anonymes” où chacun se présente, expose un cas sous le regard attentif de ses camarades et du formateur. Au delà de la caricature, cette démarche a sa valeur dès l’instant où il n’y a pas de jugement et où elle s’appuie sur une méthodologie bien maîtrisée.
Mais l’analyse de pratiques, elle se faisait aussi à la pause autour de la machine à café où les stagiaires parlaient librement, entre pairs, de leurs difficultés et se passaient des “recettes” et des petits trucs. C’est aussi cela qui risque de disparaître ou d’être rendu plus difficile avec la réforme de la formation. Pourtant ces moments sont bien indispensables pour progresser.
Un des enjeux des années à venir est en effet de faire de l’enseignement un métier moins solitaire où pourrait avoir lieu un réel travail d’équipe. Car c’est aussi en s’appuyant sur le travail des autres, sur la cohérence d’une équipe qu’on devient un “meilleur prof”, qu’on construit de l’autorité et qu’on enseigne plus efficacement.


Un métier impossible…et passionnant
Sigmund Freud, dans deux ouvrages, parle de trois “métiers impossibles” : gouverner, soigner et éduquer. Freud associe ces trois métiers au fait que, pour chacun d’eux, « on peut d’emblée être sûr d’un succès insuffisant ». En d’autres termes, les résultats sont incertains, et bien souvent on ne voit pas l’effectivité de son travail.
Et il est vrai que, sauf dans de rares cas (l’apprentissage de la lecture en CP par exemple), on ne peut avoir de certitudes sur l’impact de son action sur les élèves. Ils apprennent mais est-ce durable, est-ce efficace ? Au final, que retiennent-ils ? Y sommes nous pour quelque chose ? A moins d’être télépathe (ce qui n’est pas mon cas), il n’y a aucune certitude. C’est aussi ce qui fait de ce métier, un travail frustrant et quelquefois ingrat. Et, répétons-le, modeste.
Alors on doit se contenter quelquefois de petits bonheurs. On peut guetter les déclics qui se font dans la tête des élèves. Et croyez moi, ça s’entend très bien ces déclics. D’un seul coup, untel qui bloquait, comprend. Tel autre va, des jours voire des mois plus tard, faire référence à une notion que vous aviez abordée. On peut même (mais si !) trouver des motifs de satisfaction en corrigeant des copies…
Les petits bonheurs on les trouve aussi dans la satisfaction de voir un dispositif se dérouler comme vous l’aviez prévu. Avec des élèves, concentrés, attentifs, motivés qui ne s’aperçoivent pas de l’heure qui tourne. Il faut se rappeler de ces moments là quand ça va moins bien, où rien ne se déroule comme prévu…
Un des rares avantages de l’âge est de vous donner l’occasion de rencontrer d’anciens élèves. C’est là aussi un motif de satisfaction. Lorsqu’ils vous remercient ou vous témoignent de la sympathie ou lorsqu’ils vous rappellent un mot, une attitude qui les ont marqués. C’est aussi l’occasion de constater que ce qui marque durablement s’exprime plus en termes de compétences, d’attitudes que de connaissances.

Alors que la rentrée se rapproche dangereusement, j’espère que ces quelques réflexions peuvent être utiles. C’est peut-être le cas pour les enseignants (jeunes ou moins jeunes) qui vont débuter dans ce nouveau métier et qui ont sûrement de nombreuses questions et quelques inquiétudes. Mais au delà, j’espère que ces quelques idées jetées sur la toile toucheront aussi d’autres collègues. Une des caractéristiques de ce métier n’est-elle pas que, d’une certaine manière, on débute quelque chose de nouveau chaque année ?





Ajout 15 aout 2012 : vous pouvez compléter ce texte par la lecture d'un autre texte, écrit en 2008 et plus personnel, où j'essaie d'expliquer pourquoi et comment je suis devenu enseignant et professeur de sciences économiques et sociales. Il s'intitule “Le guide de château, le mineur et l'animateur...

Ajout 13 aout 2016 : une nouvelle série de trois billets sur le thème des débuts dans l'enseignement :

11 commentaires:

Vincent Mespoulet pour l'Ecole Hors les Murs a dit…

Je viens de lire cet article très intéressant qui suscite les réflexions suivantes que je livre en deux parties pour cause de commentaire trop long

1. En tant que prof, je ne retiens pas la prévisibilité comme un "bon" critère. Ou plutôt je ne définis pas la prévisibilité de la même façon. Si être prévisible, c'est offrir un cours cadré, je suis d'accord. Mais par contre, dans le contenu même du cours, je crois que l'imprévisibilité comme effet de surprise a des vertus pédagogiques pour susciter l'intérêt. Je base souvent ma pédagogie sur la SURPRISE. La surprise, c'est aider les élèves à sortir du lieu commun TF1, choisir un angle d'entrée inhabituel, voire déranger. La provocation intellectuelle; si elle n'est pas abusive ou surajouée de façon artificielle est "porteuse de sens", comme on aime dire dans les couloirs du ministère. Elle donne à voir une pensée autonome et émancipatrice, à montrer qu'elle est toujours possible. Elle a un rapport avec la maieutique vieille comme le monde.

2. Je me retrouve bien dans la notion de bienveillance. Je préfère utiliser le terme d'empathie que certains profs redoutent en craignant une trop grande proximité. L'empathie est à manier avec précaution, c'est le temps et l'expérience qui m'a aidé à bien cibler le rapport à l'élève, ni trop proche, ni trop distant (c'est une plaie de voir les jeunes profs formés à marquer la distance pour asseoir l'autorité, j'en ai vu maints exemples tristes ou désastreux)

3. Pour la composante narcissique maintenant, il est inutile de la nier, elle est là, elle existe. Il s'agit plus pour moins de la contrôler que de l'éliminer. Je me demande même, si à l'âge narcissique de la puberté ou de l'adolescence, il ne convient pas de l'encourager chez les élèves. Elle peut être un chemin vers la confiance en soi, en ce qu'on dit, surtout devant les autres. Donc j'apprends à mes élèves à être narcissique, ce qui ne veut pas dire faire son show.

Vincent Mespoulet pour l'Ecole Hors les Murs a dit…

(suite)

4. La logique disciplinaire... elle tue l'enseignement. On entrait effectivement dans le métier soit par vocation pédagogique, soit par amour de sa discipline. Chez les professeurs d'histoire-géo, le corporatisme est tellement puissant qu'il est enfermant et sclérosant. Je rencontre très peu de profs qui sont curieux des autres champs des sciences de l'homme et de la société. Pour ma part je suis favorable à la suppression des disciplines telles qu'elles existent aujourd'hui. Je ne recherche pas ni une bidisciplanarité, ni une pluridisciplinarité, ni même une transdisciplinarité, mais bien une co-disciplinarité dans le sens qu'en donnait René Revol quand il avait participé à l'élaboration de l'enseignement de l'ecjs. A l'époque, Philippe Watrelot s'en souvient sans doute, j'avais monté une liste de diffusion ECJS où 500 profs environ d'histoire-géo, de philo et de SES se frottaient un peu les uns aux autres, et j'avais trouvé cela passionnant par le chaos généré dans ces entrechocs. Mais il faut aussi comprendre le caractère nouveau et prosaïque de l'entrée dans le métier: avec la précarisation générale dans et hors de l'éducation nationale, on devient prof d'abord et avant tout pour manger, et après 20 ans environ d'exercice de ce métier, je suis absolument désolé de constater que ce métier est devenu aussi alimentaire pour moi. Je ne trouve plus aucune satisfaction relationnelle et intellectuelle avec mes collègues. Je m'ennuie, comme s'ennuient les élèves. Je suis devenu prof par hasard, par amour de l'histoire et par le fait que j'appartiens à une génération où les études universitaires pour les garçons étaient cassés par le service militaire. Je suis devenu professeur pour échapper à la caserne et fuir à l'étranger. J'ai toujours détesté les profs dans leur entité collective aussi bien quand j'étais élève que lorsque je suis devenu prof. Je ne savais pas que cette expérience de l'altérité allait devenir la composante essentielle de mon enseignement et de ma pédagogie. Prof par hasard, ancien excellent élève mais très indiscipliné, je ne trouve plus du tout ma place dans le système éducatif aujourd'hui...

5. L'humour oui, et l'autodérision, et même le rire et les passions joyeuses spinozistes, c'est ce qui importe le plus. Être sérieux, mais ne pas être ennuyeux. Montrer de l'autorité, mais ne jamais punir. Supporter jusqu'au bout de la séance de cours l'élève qui cherche à se faire virer du cours et le forcer à rester, pour essayer de lui faire comprendre que nous sommes tous une petite partie d'une intelligence collective en action.

Vincent Mespoulet pour l'Ecole Hors les Murs a dit…
Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.
Unknown a dit…

Merci pour cette synthèse qui, à mon avis, reprend l'ensemble des qualités nécessaires pour tenir le coup sur le long terme. Car pour tenir le coup, il faut, malgré les mauvaises journées, éprouver une certaine satisfaction dans cette profession. Satisfaction d'avoir perçu un déclic, d'avoir cette fois-là réussi à garder dans l'activité un élève difficile, satisfaction d'un échange avec un collègue qui ne pense pas forcément comme nous... Modestie, c'est sûr mais capacité aussi à voir ce qui va au jour le jour car nous restons très seuls malgré tout pour analyser et évaluer ce que nous faisons.

T STG3 judo a dit…

parfaitement d'accord avec vous; chaque rentrée est un grand jour pour moi (je vais "attaquer" ma 36è), une nouvelle aventure; toutefois mes élèves me semblent plus rassurés quand je fais mon show en pédagogie frontale que lorsque je les fais travailler en autonomie. J'ai accepté l'idée que l'on enseigne bien que ce que l'on est.

Jean J. a dit…

Excellent, très intéressant, merci !
Je suis prof de conservatoire mais beaucoup de choses conviennent dans ce que vous dites.
Pour un prof de conservatoire le chapitre "tenir sa classe" a évidemment moins de pertinence puisqu'il s'agit la plupart du temps de cours particuliers (mais il arrive que l'on fasse travailler des ensembles - et il y a d'ailleurs le cas des profs de solfège ("formation musicale" comme dit le jargon en vigueur depuis un certain temps)).
Le chapitre "psy" sur le "deuil" à faire d'une posture centrale et égocentrique, convient moins à mon avis pour les profs de conservatoire : du fait qu'il s'agit la plupart du temps de cours particuliers ; d'autre part la parole sert moins de "contenant" ou de vecteur d'un savoir à transmettre, que de guide pour une pratique - pour un "auto-apprentissage" de l'élève on pourrait dire (cela donne des idées de lire de bonnes idées bien exprimées comme vous avez fait).
Par contre, pour ces profs de conservatoire, la phrase "Le problème, si l’on peut dire, c’est que bien souvent, l’enseignant est un ex bon élève", mériterait un chapitre entier...
Je retiens pour moi cette idée en particulier : davantage annoncer la couleur, en particulier pour les nouveaux élèves (objectifs et fonctionnement du cours, ceci corrélé au nécessaire temps d'entrainement à la maison).

PS. Merci aussi d'éviter le "jargon" officiel, qui est une véritable infection ! (on a ça aussi en musique). Même le mot "évaluation" (entendu comme "contrôle"), pue légèrement il me semble.

Dumbledore a dit…

B. Ruoppolo
Maintenant je suis à la retraite, j'ai encadré presque 40 années de promotions scolaires et comme l'auteur de cet article quelques générations de stagiaires au sein de l'IUFM ( Bourgogne)
Je ne trouve pas de ligne ou de mot à changer dans ces propos, je les reconnais et les confirme à 100%.
J'aurais seulement ajouter deux citations; une d'Albert Jacquard : " Un professeur qui n'a jamais fait rire sa classe ne peut pas être un bon professeur" et la deuxième extraite aussi de graine de crapule:" Si tu joues au policier, ils joueront aux bandits.Si tu joues au bon Dieu, ils joueront aux diables. (...)Si tu es toi même, ils seront bien embêtés". B.R.

Plotin a dit…

Bonjour,

Je crois que je vais souvent citer votre texte qui reprend certains des éléments de mon propre texte intitulé pompeusement : les dix règles de l'enseignement.

Voici d'ailleurs ce texte en hyperlien qui va dans le sens de vos expériences et commentaires.

Anonyme a dit…

Bonjour,

si vous devriez répondre à la question "Qu'est ce qu'un bon prof?" par rapport à ce texte et en 1 demi-page maximum que diriez vous ?

je n'arrive pas à en tirer le principal...

d'avance je vous remercie

JJG a dit…

Juste une remarque tardive: je trouve que vous auriez pu insister un peu plus sur la nécessité absolue d'avoir une vie extra-professionnelle digne de ce nom. Et d'autre part (même si ça sort un peu du cadre de votre propos, mais ça rejoint votre reprise des déclarations récentes d'Antoine Compagnon) qu'il est très néfaste que les enseignants n'aient aucune perspective de mobilité professionnelle, n'enseignent qu'une seule matière, voire toujours au même niveau et que la mobilité géographique soit aussi restreinte (une carrière de prof ça peut être un embaumement de momie!)

al falah a dit…

tout a fait daccord.. merci pour ce post

 
Licence Creative Commons
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
Fondé(e) sur une œuvre à http://philippe-watrelot.blogspot.fr.