Alors que je me trouve en ce 20 aout 2012 impliqué dans la “concertation pour la refondation de l’École ” et particulièrement la question de la formation des enseignants (atelier 4), je voudrais rassembler quelques éléments sur ce sujet.
Parmi les projets qui ont été annoncés par le ministre avant même les élections et le lancement de la concertation, il y a la création des “Ecoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation” (ESPÉ) qui devraient remplacer à terme les IUFM. Mais ni la structure, ni le statut et le contenu n’ont été précisés. Les choses sont loin d’être simples car les enjeux de pouvoir et la conception de la formation et du métier même sont des éléments importants du débat. C’est semble t-il le rôle de la concertation qui reprend. Je voudrais y mettre mon grain de sel (et même une dose de vinaigre…)
Dans une tribune publiée dans l'Humanité, et cosignée avec Christine Vallin nous insistions déjà sur plusieurs aspects et notamment sur l'apport que peuvent avoir les mouvements pédagogiques dans la pédagogie et sur le rôle que peuvent jouer les établissements scolaires dans la formation. Je vais ici, me concentrer plutôt sur le rôle et le statut de ces ESPÉ.
Il faudra d’abord que ces écoles supérieures du professorat et de l'éducation) aient une forte autonomie (financière et pédagogique) vis-à-vis des universités. Je me souviens avoir posé directement la question à des responsables socialistes à Orléans lors du discours du candidat Hollande sur l'éducation. A ce moment là, on m'a présenté les ESPÉ comme des éléments autonomes (membres des PRES) comme le sont les autres universités. Quelques mois plus tard, on peut lire ici et là que les ESPÉ pourraient (re)devenir des écoles intégrées au sein des universités. Même si on affirme qu'il y aura un fléchage budgétaire, on peut craindre que, dans un contexte de pénurie, cela ne conduise à une situation voisine de celle d'aujourd'hui. Lorsque j’évoquais les enjeux de pouvoir, il s’agit bien de ce qui se produit sur ce sujet avec à la manœuvre les présidents d’université qui ne voudraient pas voir s’échapper le contrôle de ces structures…
Au risque d’aller à l’encontre du “consensus” apparent sur la référence à l’université, je trouve aussi qu’on se gargarise un peu trop avec ce mot d’ “universitaire”. S'il s'agit de reproduire le modèle pédagogique actuel de l'université dans ces futures écoles, on risque de passer vraiment à côté. S'il s'agit de reproduire aussi les mêmes structures de clans, les mêmes luttes d'influence, les mêmes hiérarchies paralysantes, il n'y a pas de quoi se réjouir de cette dimension "universitaire”. Si la “recherche”(dont tout le monde dit qu’elle doit être au cœur de ces ESPÉ) est construite sur un modèle tourné sur lui même et qui prévaut malheureusement dans plusieurs universités là aussi on aura raté le coche.
Donc, Non, la référence universitaire n’est pas la panacée et personnellement je pense qu’elle est porteuse d’effets pervers.
Un des effets pervers majeurs est que cette structure ne permette pas de se doter d’une formation digne des enjeux de la refondation. Si l’on veut que l’École lutte efficacement contre l’échec scolaire, qu’on améliore la liaison entre les différents niveaux, qu’on fasse en sorte que les enseignants puisse travailler (et se former) en équipe, alors, il importe d’innover et de ne pas reproduire de vieux schémas.
Je voudrais poser comme principe d’organisation de la formation et de son contenu celui de l’isomorphisme avec les pratiques attendues des futurs enseignants. Pour le dire autrement, on peut poser qu’on enseigne bien souvent de la manière dont on a été formé. On peut illustrer cette nécessité de l’isomorphisme par quelques exemples.
D’abord avec les structures. On ne cesse de dire que les enseignants doivent travailler en équipe interdisciplinaire et développer des coopérations. Or, les IUFM actuels sont organisés en “collèges disciplinaires" tout comme les universités. C'est vrai que c'est pratique mais cela contribue à développer les logiques de "frontières" disciplinaires et limite les logiques de coopération et de partenariat. Et cela ne fait que renforcer le repli didactique (déjà très fort dans la structure du concours actuel) au détriment d'une approche pédagogique. Il y a de nouvelles formes d'organisation à trouver.
Un autre exemple avec les pratiques de formation. Combien de fois ai-je vu des collègues à l'IUFM professer de manière très magistrale la nécessité du travail en groupe...? Il y a comme un hiatus…. Cela pose, me semble t-il la question de la formation des formateurs dans ces structures. Et, j'ose le dire, la nécessité pour eux aussi d'une formation en alternance.
Notons d’ailleurs que la plupart du temps, pour le second degré, les formateurs sont recrutés essentiellement sur leur excellence académique. C'est légitime. Mais on peut constater aussi que la maîtrise des courants pédagogiques et des principales recherches dans ce domaine (et pas seulement dans celui de la didactique de la discipline) est très aléatoire. Et cela contribue au développement d'une “vulgate" bien souvent très éloignée des thèses initiales. Et incidemment cela conduit aussi à ce qui a été beaucoup été reproché aux IUFM, c'est-à-dire une certaine "doxa" pédagogique s'accompagnant d'approximations.
Sans dire que le statut de "temps partagé" (une partie en classe, l’autre en ESPÉ) est la solution ultime, il me semble qu'il devrait y en avoir une proportion bien plus importante dans ces futures structures à côté des enseignants issus de l'université. . Et si la création d'un statut de prof-formateur dans le secondaire sur le modèle des "maitres formateurs" du primaire serait un progrès, on pourrait également envisager que le statut de formateur soit aussi un statut avec une durée limitée.
Peut-être qu’une piste pourrait être trouvée si on estime nécessaire d'indiquer clairement dans les missions des enseignants qu'il y a une double obligation : celle de se former (qui serait partie intégrante de l'évaluation des enseignants) et aussi de former les autres. Car, je suis persuadé que c'est en formant les autres qu'on devient meilleur enseignant soi même. La multiplication des stages en M1 et M2 et des tuteurs pour les stagiaires fait qu'il y a de plus en plus d'enseignants qui accueillent des personnes au fond de la classe et qui vont eux même assister à des cours. Je suis convaincu que la généralisation de cette pratique est et serait un vecteur de progrès pour l'École. A condition que les enseignants soient formés pour cet accueil et notamment sur l'analyse de pratiques. Une des dimensions importantes de la formation doit donc être aussi celle de l'établissement. Des établissements formateurs, des enseignants structurés en équipes (multi-niveaux ou multi-disciplines) qui pensent leur métier collectivement, on peut rêver non ?
Cela permettrait d’ailleurs aussi de penser autrement la recherche. Nous évoquions plus haut un modèle “étroit” de recherche propre à chaque champ disciplinaire et très théorique. Celui-ci est certes indispensable mais il me semble que le modèle qui devrait dominer dans le domaine pédagogique devrait être celui de la "recherche-action" où les chercheurs s'appuient sur l'observation des pratiques en classe et accompagnent les équipes et participent conjointement à la formation des enseignants. Les travaux menés par l’équipe d’Yves Reuter avec l’école de Mons en Bareul sont sur ce point remarquables. L’autre dimension qu’il faut évoquer c’est celle de la diffusion des pratiques innovantes et de l’accessibilité de ces travaux des chercheurs mais je signale qu’il existe une très bonne revue qui fait ça depuis 1945. Elle s’appelle Les Cahiers Pédagogiques…
Une autre valeur commune devrait être celle de la “formation tout au long de la vie”. Comment peut-on concevoir qu'on est formé une fois pour toutes ?
Il faudrait d'abord organiser la formation initiale comme un continuum sur plusieurs années. Une formation avant le concours (un concours rénové et avec un équilibre à trouver entre la dimension académique et professionnelle) qui soit pilotée par les ESPÉ et qui s’accompagne d’une pré-professionnalisation (on va voir et on analyse des pratiques en classe) Et puis une formation initiale qui ne s’arrête pas au bout d’un an. Il y a des éléments de formation qui ne font sens qu'au bout de quelques années d'enseignement. Par exemple la réflexion sur la pédagogie différenciée suppose qu’on ait déjà du recul sur sa pratique.
Il faut aussi concevoir qu'il n'y ait pas une seule voie d'accès au métier mais plusieurs (directement par le concours, par la VAE et la formation tout au long de la vie, par voie interne...) et donc aussi plusieurs temps et modalités de formation.
Mais il y a aussi la formation continue. Comme nous l’avons déjà indiqué, au CRAP-Cahiers Pédagogiques, nous militons pour une obligation de formation. Mais le terme fonctionne dans les deux sens. Si les enseignants avaient cette obligation qu’ils pourraient remplir de différentes manières (par des universités d’été, par des formations académiques, par des formation internes,…), il faut aussi qu’il y ait en face une offre suffisante. Les mouvements pédagogiques pourraient être alors aidés pour proposer des universités d’été. Les ESPÉ auraient aussi à combiner des formations initiale et continue qui pourraient placer tous les enseignants en situation de recherche et d’analyse de pratiques.
Le problème avec ce genre de billet c’est qu’il est forcément systémique. Il y aurait bien des choses à dire encore sur de nombreux domaines et notamment sur la nature de la formation proposée dans ces ESPÉ ainsi que sur le rôle et la place du concours. Cela a à voir aussi avec les missions des enseignants mais aussi l’organisation des établissements, les contenus et l’organisation des enseignements…
En m’inscrivant à cet atelier j’avais en tête les paroles d’un stagiaire qui me disait l’an dernier qu’ils étaient la “génération sacrifiée”. Je voudrais vraiment que ce soit la dernière et qu’on puisse bâtir une formation de qualité. A la hauteur des enjeux d’une école qui lutte vraiment contre les injustices sociales et donne aux enseignants les outils pour devenir des experts de l’apprentissage et de la lutte contre l’échec scolaire
2 commentaires:
Une question se pose à la lecture de la charge contre les dérives supposées du système universitaire de recrutement (sans que jamais soient discutées par exemple l'importance des phénomènes de clanisme en fonction des sections du CNU, passons). Croit-on vraiment qu'il suffira que les ESPE soient créés en dehors des universités pour que la rigueur et l'excellence scientifiques deviennent comme il se doit les uniques critères de recrutement des personnels ? Cela relèverait de la magie !
Quelle construction proposez-vous (faire comme si vous décidiez seul est une commodité de langage ici, entendons-nous bien) pour assurer la qualité du recrutement des personnels qui travailleront dans ces ESPE ? Et, notamment, quels garde-fous mettez-vous en place pour éviter que seuls soient recrutés des gens qui ne remettent pas en question les principes dominants (j'allais dire, la "pensée unique") : par exemple celui, que vous-même défendez, selon lequel les disciplines sont un obstacle à l'apprentissage ?
Je voudrais d'abord réagir à votre dernière phrase. Car rien ne vous permet d'affirmer que je considère que “les disciplines sont un obstacle à l'apprentissage”. C'est au mieux le résultat d'une mauvaise lecture et au pire de la caricature et de la malveillance.
L'excellence académique est un élément important de la qualité des enseignants mais ce n'est pas le seul et il importe de trouver un nouvel équilibre entre les connaissances disciplinaires et les compétences pédagogiques.
Sur un plan plus général, je n'ai jamais écrit que "les disciplines sont un obstacle à l'apprentissage". Il n'y a pas de compétences qui ne s'appuient sur des savoirs. Il est d'ailleurs idiot d'opposer les savoirs et les compétences. Celles ci ne sont rien d'autre que des savoirs en action.
Enregistrer un commentaire