jeudi, avril 26, 2018

Education et coups de com' : Le retour du «retour»…




Dans plusieurs articles de presse et sur les réseaux sociaux; on commente les recommandations de JM Blanquer en parlant du « retour de la dictée », du « retour du B-A-BA »,  du «retour aux fondamentaux» ou du «retour du bon sens». Je voudrais faire quelques remarques sur les pièges de communication contenus dans ces expressions.

Même si les journalistes sont aussi susceptibles que les enseignants (c’est dire ! ), je me permets de leur dire qu’il ne faudrait pas se laisser abuser par ce genre d’astuce de communication. Pour qu’il y ait retour, il faudrait qu’il y ait eu abandon. 
Or, c’est faux ! Les enseignants font des dictées, du calcul mental et sont soucieux de l’efficacité des apprentissages de leurs élèves. 
Laisser entendre que ce ne serait pas le cas ne résiste pas à un examen des pratiques (cf conférence de consensus récente sur la lecture). Il faudrait aller faire un tour dans les classes au lieu de se laisser abuser par la communication ministérielle et ses vieilles ficelles. Et se rappeler que le procédé a souvent été utilisé. La dernière annonce de la dictée quotidienne c’était en 2015 ! 

L’invocation des “fondamentaux” comme une sorte de mantra par les ministres est un bel exemple de ces idées qui apparaissent de bon sens mais qui ne résistent pas aux chiffres et au concret de la vraie vie de l’éducation…C’est du populisme éducatif destiné à plaire à l’opinion !
On ferait mieux de déconstruire ces préjugés et ces idées toutes faites pour qu'il puisse y avoir un vrai débat documenté et rigoureux.

Autre problème de communication : se focaliser sur la “liberté pédagogique”. Cette notion est piégée. Elle a de nombreux implicites comme l’idée que les enseignants pourraient faire ce qu’ils veulent dans une sorte d’exercice “libéral” du métier. La liberté pédagogique est souvent un faux nez du conservatisme. 
En plus l’implicite de la “liberté pédagogique” serait qu'on aurait une sorte de "privilège" qui dispenserait des règles s'appliquant à tous les fonctionnaires. Parlons plutôt d'autonomie des équipes avec une démarche collective s'appuyant sur notre expertise et notre connaissance du terrain. 

Par ailleurs je trouve normal que le politique nous fixe des objectifs et nous dise qu'il faut aller de A à B. Mais ici, on ne nous dit pas le but, mais on nous enjoint à utiliser tel itinéraire, quelles chaussures mettre et comment nous habiller pour faire la randonnée ! 

En résumé : Méfions nous des effets de com’. Remettons les annonces en contexte et confrontons les à la réalité des pratiques. Et faisons confiance au terrain plutôt que d’entretenir le doute sur le professionnalisme des enseignants. 

Pour le traduire en langage « nouveau monde » : un peu moins de « top-down » (so XXe siècle), un peu plus de « bottom-up » et de l’ « empowerment » ! voilà de quoi vraiment disrupter et penser « en dehors de la boîte » !!!

Philippe Watrelot


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JM Blanquer : « je pense, donc... tu suis ! »



Le ministre de l’Éducation publie, ce jeudi au Bulletin Officiel, quatre circulaires et signe un guide très précis (130 pages) à destination des professeurs des écoles sur l'enseignement de la lecture. Il va même jusqu'à indiquer le format des cahiers à utiliser ! 
Il s'en explique dans une interview au Parisien où il déclare notamment (c'est le titre de l'article) : « la liberté pédagogique n'a jamais été l'anarchisme ».
Avant une réflexion plus globale sur le bilan d'un an de ministère Blanquer, voici quelques remarques à chaud...

Finalement, il y a pire que les experts, il y a les "sachants" : ceux qui savent mieux que tout le monde et qui vous disent comment faire... 
Jean-Michel Blanquer en est un magnifique exemple. Il pense que parce qu'il a lu quelques ouvrages et s'est fait deux ou trois convictions qu'il en sait plus que l'intelligence collective des enseignants. Il y a aussi, de fait, une méconnaissance de ce qui se passe réellement dans les classes. 

C'est un technocrate. Et un technocrate dans une société bureaucratique est obsédé par la conformité des procédures. Au lieu d'indiquer le cap et les finalités, ce qui est en effet du ressort du politique, il fabrique des règlements et enjoint de se conformer à des modalités qu'il a décidé seul.  
Il y a là dedans une sorte de “fantasme Jules Ferry” auquel il n'est pas le seul à succomber rue de Grenelle : penser que par une sorte de discours performatif, ce que l'on dit ou écrit va retomber impeccablement jusqu'à la moindre salle de classe. 

« L'École de la Confiance » ce n'est pas pour tout le monde... En tout cas pas pour les enseignants !
Car cela témoigne avant tout d'un manque de confiance à l'égard des professeurs qui sont rabaissés au rang d'exécutants (alors qu'ils ont un statut de cadre).
On est dans l'injonction au lieu d'être dans le dialogue et la négociation. Comme le disait un syndicaliste pour résumer la posture d' E.Macron dans d'autres dossiers « Je pense donc... tu suis ! » Cette formule s'applique parfaitement à notre ministre. 

On notera enfin que cette stratégie du ministre relève de la démagogie et du “populisme éducatif”. On joue clairement la carte des parents (et des grands parents...) en ravivant de vieilles recettes datant d'une école nostalgique et fantasmée. 
Et on fabrique du clivage en ressortant les vieilles lunes de la méthode globale au lieu de s'appuyer sur du consensus et les pratiques réelles des enseignants qui se sentent niés dans leur identité professionnelle et y voient une méconnaissance de leur métier.

Philippe Watrelot

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mardi, avril 10, 2018

Les SES : indispensables et indissociables


J’irai manifester mercredi 11 avril après-midi avec mes collègues professeurs de Sciences Economiques et Sociales pour défendre la discipline que j’enseigne depuis 36 ans. 
Certes, certains des slogans prévus me gênent par leurs excès et leurs approximations. On n’est pas obligé de tout faire pour ressembler à sa propre caricature... !
Mais je ne vais pas pour autant me défausser et je vais faire fi de quelques réticences. 
Car la situation mérite la mobilisation. 

On pourra bien sûr dire que les profs de SES sont encore une fois paranoïaques ou que ces « gauchistes » n’ont que ce qu’ils méritent ou bien que leur enseignement n’est plus adapté au monde moderne... J’ai essayé dans un billet de blog récent (« les 5 malédictions des SES») de démonter quelques unes de ces idées toutes faites. Oui, l’enseignement des SES a été déjà l’objet de nombreuses remises en cause et ce n’est pas de la paranoïa. Non, les professeurs de SES ainsi que ce qu’ils enseignent ne correspondent pas à cette étiquette facile de « gauchisme » que certains veulent leur coller. Et oui, leur enseignement est toujours d’actualité !  

J’ai suffisamment été moi-même l’objet de procès d’intention pour être vigilant à ne pas reproduire ce travers à l’égard des autres. Il ne s’agit pas de se fonder sur des craintes mais sur des faits. 
Mais il ne faut pas non plus être naïf et évacuer toute dimension stratégique et prospective. 

La réforme du bac et celle du lycée qui en découle supprime les séries. En soi, cela n’est pas forcément source d’inquiétudes. Mais le diable est dans les détails...

La première alerte vient du nouvel enseignement « Histoire-Géographie, Géopolitique et Science politique ». Dès l’annonce de la réforme, « on » s’est empressé de dire que la partie Science politique était destinée aux professeurs de SES (qui enseignent cela depuis toujours). La création de ce type d’enseignement pluridisciplinaire a trois objectifs : d’abord améliorer le profilage des élèves pour des études futures, ensuite habituer les enseignants des lycées à la co-intervention. Mais on peut y voir aussi un outil de souplesse dans la gestion des ressources humaines pour les proviseurs. On pourrait proposer cet enseignement à un professeur pour compléter son service (comme c’est actuellement le cas avec les TPE et l’EMC). C’est ce que semble confirmer le détail de l’organisation du lycée rendu public récemment. Cet enseignement de Sciences politiques pourrait être attribué en fonction des disponibilités du lycée. Ce seraient les chefs d'établissement qui arrêteraient la répartition de service. Fini le fléchage promis...


Comme on l’a dit, la réforme du bac et du lycée est destinée à améliorer la liaison avec l’enseignement supérieur et est indissociable de ParcourSup. De fait, cela signifie que la dimension de culture générale du lycée diminue et qu’on demande aux élèves de faire des choix plus précoces. Même si on peut en profiter pour rappeler  que dans d’autres pays on fait le choix inverse de retarder l’orientation, ce n’est pas ici notre sujet. Ce qui nous intéresse c’est de voir le sort de notre discipline dans ce nouveau contexte. 
Les SES, matière pluridisciplinaire reposant sur le croisement des disciplines ont été créées il y a 51ans dans une logique de culture générale et de formation du citoyen à l’époque où à peine 30% d’une génération arrivait au bac. Cette discipline et la série B et ES ont d’ailleurs contribué à la massification. Elle permettait l’orientation vers de nombreux débouchés : économie, droit, sciences humaines, sciences po, etc.
Avec 80% d’une classe d’âge au niveau du bac, la réforme actuelle inverse la logique. Elle met l’accent sur le lien avec le post-bac. Le lycée devient avant tout une préparation au supérieur. Quelle place pour un enseignement pluridisciplinaire dans cette perspective ? Pourquoi faire de la sociologie si on veut faire de l’économie plus tard ? On peut craindre que la nouvelle situation prive les SES d’un vivier d’élèves. Vous voulez faire Sciences Po ? Choisissez donc  « Histoire-Géographie, Géopolitique et Science politique » ! Vous voulez faire du droit ? Choisissez alors « Droit et grands enjeux du monde contemporain » ! Le risque est donc d’asphyxier le recrutement en SES. On ne peut exclure que cette dimension stratégique soit prévue, la baisse de 25% du recrutement des postes  au CAPES (c'est un fait) le laisse penser... 


La troisième source d’inquiétudes repose elle aussi sur des faits. C’est la composition de la commission chargée d’élaborer les programmes et surtout la manière dont celle ci a été nommée qui est tout à fait emblématique du mode actuel de gouvernance. Pour expliquer cela, je suis obligé de revenir un peu en arrière et de parler aussi un peu de moi...
On se souvient qu’en juin 2016, une énième polémique est née sur l’allègement du programme de Seconde. Un programme infaisable dans le temps imparti qui a amené la ministre de l’époque, avec l’accord des syndicats, à réduire le nombre de chapitres obligatoires. Certains membres du Conseil national éducation économie (CNEE) emmenés par Michel Pébereau ont surjoué l’indignation en s’étonnant que ce soit le chapitre sur le marché qui ne soit plus obligatoire et ont démissionné de ce conseil. 
Michel Pébereau, c’est un peu le Rastapopoulos des SES, son « méchant » récurrent qu’on retrouve au fil des épisodes... Il était déjà à la manœuvre dans la modification précédente des programmes et le rapport Guesnerie qui a précédé. Certains occupent leur retraite en collectionnant des timbres ou en cultivant leur jardin, lui, il veut la peau des SES... 
Et pour cela, il a maintenant un outil à sa disposition, c’est l’Académie des Sciences Morales et Politiques (ASMP) dont il est le président. Cette vénérable institution avait d’ailleurs commandé un travail d’analyse des manuels de SES dès le mois de février 2016... 
Face à cette guégerre, la Ministre de l’époque, Najat Vallaud Belkacem a demandé à une commission conjointe CNEE/Conseil Supérieur des programmes (CSP) de se réunir pour examiner les programmes de SES et faire des propositions d’amélioration. Cette commission mixte, à cause des manœuvres d’obstruction évoquées plus haut, n’a pu se réunir qu’à partir de janvier 2017. J’ai fait partie de cette commission invité par le CSP de l’époque (lire ce billet). 
Au rythme d’une réunion voire deux par semaine avec une quarantaine d’heure d’auditions (inspections, universitaires, associations, professeurs, étudiants et même l’ASMP et un prix Nobel...), cette commission mixte présidée par Pierre Ferracci (CNEE) a produit un rapport avec des recommandations qui se voulaient une voie médiane. Elle rejetait les positions extrêmes de l’ASMP exprimées dans un colloque et des préconisations publiées en parallèle. 
Il n’y a jamais eu de remise officielle de ce rapport au nouveau ministre. On peut toujours le lire sur le site du CSP mais pour combien de temps encore ? Car, on peut interpréter la nomination du groupe d’experts chargé des programmes comme un désaveu de ce travail antérieur.
A titre personnel, j’avais envoyé un courrier à Souad Ayada, la présidente actuelle du CSP, pour lui signaler que j’étais disponible pour faire le lien avec la nouvelle commission espérant naïvement que tout ce travail d’auditions n’ait pas été fait en vain. J’ai reçu une fin de non-recevoir et une réponse très sèche. Je suis persona non-grata.... Mais évidemment ce n’est pas ma petite personne qui est en jeu, (je suis habitué à ce que les rapports auxquels je contribue finissent au fond des tiroirs...). Il n’y a aucun autre membre du groupe auquel j’ai participé. Mais surtout, la commission actuelle intègre deux membres de l’ASMP. Si Michel Pébereau n’y figure pas, on peut se dire qu’il est là aussi à la manœuvre... 
Ce n’est évidemment qu’un signe mais c’est une alerte. Tout comme le fait que la désignation des membres ait été verrouillée et se soit faite sans en avertir les autres membres du CSP. Curieuse conception de la gouvernance... On a beau ne pas vouloir faire de procès d’intention et faire confiance a priori au travail de ces experts, il y a de quoi s’inquiéter à bon droit et en tout cas être vigilant... 


Quels programmes sortiront de ces travaux très courts et réalisés sous la pression ? Ira t-on vers une séparation encore plus grande des disciplines de référence au détriment des croisements disciplinaires? Va t-on externaliser les sciences politiques ? On sait aussi que, dans une logique gestionnaire, la tentation de fusionner les enseignements de SES et d’économie-gestion est toujours présente. Ira t-on jusque là ? 
On peut aussi se demander ce qu’il restera de l’originalité et de l’identité de cette discipline scolaire à l’heure de l’alignement sur les disciplines universitaires et du poids des lobbys. Je l’ai déjà écrit, les SES partagent avec l’Histoire-Géographie, d’être des disciplines dont les programmes s’écrivent sous la pression et sont des enjeux politiques.
On pourrait se dire que les actions des professeurs de SES ne sont que des mouvements corporatistes de défense des postes. Mais je pense pour ma part qu’il s’agit d'intérêt des élèves, de démocratie et de bonne gouvernance. 
Les sciences sociales sont indispensables pour comprendre le monde contemporain et c’est leur combinaison qui en permet d’en appréhender la complexité. 
Les SES sont indissociables et indispensables. 

PhW
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dimanche, avril 01, 2018

« Conversations à l’ombre du platane »


Aux lecteurs de ce blog...

Vous avez sans doute remarqué que celui-ci n’était plus alimenté depuis plusieurs mois. Je vous dois des explications.
En fait, j’étais très occupé. Et je suis heureux de vous annoncer officiellement aujourd’hui la raison de cette absence avec la sortie de ce nouveau livre : « Conversations à l’ombre du platane ». Il s’agit d’un livre d’entretiens avec Jean-Michel Blanquer. 

La première rencontre a eu lieu le jeudi 19 octobre à 9h30. Quelques jours plus tôt j’avais reçu un coup de téléphone de son secrétariat : « le ministre souhaite vous rencontrer ». J’étais un peu inquiet. Allait-il manifester de la rancune pour une expression que j’ai contribuée à diffuser « Control-Z » ? Il n’en fut rien. Cet homme n’est pas rancunier. 
Il a manifesté de grandes qualités d’écoute durant cet entretien. Il avait simplement envie de m’entendre et pas de me convaincre.

C’est ce premier rendez vous qui nous a donné envie de poursuivre la conversation au cours de nombreux entretiens dont certains ont eu lieu dans les jardins du ministère à l’ombre du platane qu’il chérit tant.
J’ai voulu donner l’occasion de s’exprimer à un homme secret qui se livre peu. Il s’agissait non seulement de compenser sa faible exposition médiatique mais de montrer les doutes et les interrogations qui le traversent.

Dans ce livre, on pourra lire en particulier sa conviction que ce sont les enseignants sur le terrain qui sont capables d’inventer les réponses pour résoudre la crise de l’École et non pas des solutions venues d’en haut. C’est un plaidoyer pour le « bottom-up » bien loin d’une logique « top-down » et technocratique.
On y évoque aussi la question de l'innovation à l'École en revenant sur les propositions du CNIRÉ  qu'il a lues avec beaucoup d'attention. 
Cette conversation est enfin la preuve qu’il sait se déprendre des étiquettes collées aux uns et aux autres. C’est un hymne à la tolérance.

Merci à ce nouvel éditeur de nous donner l’occasion de sortir ce livre à cette période charnière de l’année. J’espère que ce livre trouvera un large public tout comme les réformes et l’action du ministre !


Post Scriptum
- l'an dernier à la même date, en 2017, j'écrivais ceci
- en 2016, c'était ce texte...
- et en 2015, je faisais cette annonce...

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Fondé(e) sur une œuvre à http://philippe-watrelot.blogspot.fr.