dimanche, avril 27, 2014

A propos de neoprofs et du débat pédagogues/conservateurs en général



Quand on tape “Philippe Watrelot” sur Google (eh oui, ça m’arrive de le faire…) un des liens qui apparait dès la première page est une «Lettre ouverte à M. Philippe Watrelot de la part de Nell » parue sur le forum “néoprofs” en réaction à une revue de presse du vendredi 23 mars 2012. Je n’ai jamais répondu à ce texte jusque là car j’estime que quand on prend la parole publiquement (et sans pseudo) on court le risque assumé que cela ne plaise pas à tout le monde. Un échange récent sur Twitter a ravivé cet épisode ancien et m’amène à réagir à cet échange et au delà de l’anecdote à réfléchir une nouvelle fois au débat “conservateurs/pédagogues”.


“Neo-cons” et l’affaire du pourrisseur du web
En mars 2012, un collègue de lettres, Loys Bonod a son quart d’heure warholien. Les médias s’emparent de ce qu’il raconte d’abord sur son blog et qui est ensuite repris sur Rue89 avec pour titre “J’ai piégé le Net pour donner une bonne leçon à mes élèves”. On pourra se reporter à cet article ou à ma revue de presse du 23 mars 2012 pour connaître le détail du piège. En résumé, il s’agissait de piéger les élèves en leur faisant étudier un poème introuvable sauf avec des (fausses) références fabriquées par lui. L’intention, selon l’auteur, était de faire comprendre aux élèves qu’il fallait réfléchir par eux-mêmes et non à partir du web. A l’époque je ne fus pas le seul à ressentir un certain malaise devant tout ce dispositif mis en place pour “piéger” les élèves. Je l’ai écrit ici et là et je le maintiens. En découvrant cette expérience et en suivant un lien, j’étais allé faire un tour sur le forum néoprofs où le collègue en question était un habitué. Je livre la citation de mon blog dans son entier car c’est elle qui a déclenché la lettre ouverte dont je parlais plus haut.
Mon sentiment de malaise à l'égard de ce récit s'est trouvé renforcé lorsque je me suis rendu compte que son auteur en faisait la promotion sur le fameux forum “néo-profs” où se retrouvent des enseignants qu’on qualifiera gentiment de conservateurs (on peut même dire à l’anglaise que ce sont des “neo-cons“ —et que le temps ne fait rien à l’affaire—). 
Un commentaire quelque lignes plus bas exprimait la satisfaction d'un des lecteurs de forum en ces termes : “Cynique et sadique, je suis fan !"
. Tout est dit...

Ce jeu de mots, dont chacun pourra juger de sa qualité ou non, a été ressenti comme une insulte et m’a valu cette volée de bois vert de la part de “Nell” qui s’est senti visée car c’était elle qui s’exprimait ainsi dans ce commentaire. Je suis connu auprès de mes élèves et de mes collègues (et aujourd’hui dans les réseaux sociaux) pour mes calembours et autres jeux de mots et contrepèteries. Je tuerai père et mère pour un jeux de mots réussi (c’est pas vrai, papa et maman, je vous aime…). Comme j’ai la répartie facile, je sais aussi la différence entre l’humour (sur soi même) et l’esprit (au détriment des autres). Peut-être aurais-je du m’abstenir car ici on est clairement dans le deuxième cas. Et ce n’est pas dans mes valeurs même si ça se situe bien dans la tradition polémiste dont d’autres abusent.
En tout cas, cette pique n’a toujours pas été digérée puisque Loys Bonod me l’a encore reprochée dans un échange récent sur Twitter. Je redis ici même que je ne voulais pas blesser les personnes qui se sont senties attaquées. Mais je redis aussi avec force que, même si on peut protester de sa propre bonne foi en retour, les termes de “cynique” et “sadique” m’ont, pour ma part, profondément choqué. Pour les valeurs qu’il y a derrière les pratiques…

Néoprofs
Mais avant, revenons sur le forum “néoprofs” . Ce forum a été créé en 2001, à la suite d’un autre forum intitulé "Capes de Lettres modernes en clair". Au départ, il s’agissait surtout d’un espace destiné, comme son nom continue à l’indiquer, aux futurs ou jeunes enseignants pour y trouver des ressources et y échanger des informations et des réflexions sur leur métier. Mais assez vite, les “néos” sont devenus de moins en moins “néos” et le forum a été investi par un certain nombre de personnes de la mouvance “anti-pédago”. En particulier, pendant longtemps, Jean-Paul Brighelli (qu’on peut qualifier de beaucoup de choses mais pas de “néo”…) a été un contributeur régulier.
Et les échanges se sont caractérisés par une violence verbale de plus en plus forte permise par l’anonymat.
Comme d’autres avant lui, Brighelli en a été exclu récemment après plusieurs propos insultants et d’une rare violence. Il se venge de manière pitoyable avec un billet sur Le Point et sur Causeur (pas de lien, cherchez le vous même…) où il s’en prend à un des responsables actuels en révélant à la fois son identité et son orientation sexuelle. Ce qui est absolument contraire à toute éthique et discrédite complètement le personnage. Je réprouve évidemment fermement cette pratique.

Pseudo
Curieusement, je remarque que tout autant que l’outing (qui est proprement scandaleux), c’est la révélation de l’identité de l’animateur du forum qui cause presque plus d’émoi chez Neoprofs. Car, ce forum comme bien d’autres fonctionne sous pseudo. Or, cette pratique est à mon avis une des perversions majeures du web. Je l’écrivais déjà dans une tribune publiée sur mon blog en 2008 : “N’oublions pas qu’une bonne partie de ce déchaînement est lié à la nature même de l’outil utilisé pour s’exprimer. Les blogs et l’Internet d’une manière générale, favorisent l’anonymat. Il y est très facile d’exprimer toute sa rancœur et sa violence en s’abritant derrière un pseudo. Initialement, le recours à un nom d’emprunt était synonyme de liberté puisque l’expression sur un blog peut rentrer quelquefois en conflit avec les contraintes professionnelles. Mais aujourd’hui, c’est de plus en plus un moyen de s’affranchir de toutes les règles de la politesse et de la déontologie.” Tout seul derrière son clavier, on se sent tout puissant et autorisé à dire les pires choses, sans censure. Sauf qu’au delà des simples règles du savoir-vivre, la responsabilité civile et éditoriale existe toujours comme l’ont bien compris les modérateurs de ce forum.
Pour ma part, je me suis toujours refusé à écrire sous pseudonyme. J’assume les conséquences de mes écrits. Cela m’a valu quelquefois des remarques acerbes de tel ou tel responsable, cela m’a peut être couté mais ça reste mineur. Je reste persuadé, à quelques exceptions déontologiques près, que le pseudo ne se justifie pas dans un pays comme le nôtre. L’idée que l’on pourrait être sanctionné pour ses écrits relève dans la majorité des cas du fantasme. Les choses seraient bien plus claires et honnêtes s’il n’y avait pas de pseudo…
En tout cas, cela diminuerait certainement une partie de la violence contenue dans les messages de ces activistes du clavier qu’on retrouve sur tous les forums et réseaux sociaux, qui se répondent et par un effet de spirale du silence se convainquent qu’ils sont des centaines voire des milliers. Cela me fait penser à certains matamores de salles des profs qui parlent haut, prennent tout le monde à témoin et s’étonnent lorsqu’ils s’aperçoivent que tout le monde ne pense pas forcément comme eux…

Un débat biaisé
Pourquoi tant de haine ? c’est la question que je posais dans ce billet de blog de 2008. Je fais l’hypothèse que le caractère excessif et violent du débat sur l’école tient au fait que les acteurs ont un investissement affectif lourd vis-à-vis de l’école. Et que cela renvoie pour une bonne part à la manière dont chacun s’est construit son rapport à l’école et son identité professionnelle. Posons d’abord que chacun, quelque soit le “camp”, est sincère dans ses engagements et est fortement attaché à l’idée qu’il se fait de l’école. C’est ce qui rend le débat difficile (voire impossible) et passionné. On ne peut blâmer la passion et on doit la reconnaître à ses adversaires. Mais il faut admettre qu’elle complique singulièrement les choses lorsqu’elle conduit au mieux à la mauvaise foi et au pire à la violence et à l’insulte. Un débat bien mal parti…
Le débat entre les deux “camps” est présenté souvent comme celui entre les “pédagogues” et les “républicains”. Aujourd’hui on utilise même le terme à connotation péjorative de “pédagogiste”, j’y ai consacré un billet sur mon blog. Je prétends que ce débat est, pour une bonne part, une construction médiatique. Nous avions consacré la première table ronde de la journée de célébration du n°500 de notre revue à cette question (on pourra trouver plusieurs comptes-rendus de cette journée dont un, surprenant et fort intéressant ici… et un autre là..). Plusieurs participants ont montré que le débat médiatique reposait sur l’obligation du spectaculaire et du simplisme et le refus de la pensée complexe. On a vu aussi que certains ont construit des succès de librairie sur de telles simplifications. Mais la réalité du terrain n’est pas réductible, me semble t-il, à ces oppositions stériles et à la fabrication facile d’adversaires fondée sur des caricatures. La figure du “pédagogiste” (forcément délirant) est un épouvantail facile dans certains milieux conservateurs. Tout comme l’ “anti-pédago” (forcément réactionnaire) est une caricature tout aussi vaine dans le camp pédagogique.
Nous évoquions des oppositions stériles. On peut en citer quelques unes :
connaissances/compétences, didactiques/pédagogie, enseignement/éducation, exigence/bienveillance, effort/plaisir… La liste est longue et chacune mériterait un long développement et un billet de blog spécifique (je m’y suis déjà essayé ici). Pour y répondre de manière brève et très personnelle, je dirais que je me sens aussi “républicain” que mes supposés “adversaires” qui n’ont pas le monopole de cette étiquette. Et que je dénie à quiconque le droit de dire que je ne suis pas “exigeant” avec mes élèves ou que je “sacrifie” les connaissances. Et je me garderai bien de dire à l’inverse de l’autre camp qu’ils ne sont pas “pédagogues” car ils font des choix et mettent des valeurs en action dans l’organisation de la classe et les dispositifs qu’ils construisent. Qu’ils le veuillent ou non…
Est-ce à dire qu’il n’y a pas de différence ? Que tout se vaut ? Evidemment non. Ce qui est pour moi fondamental c’est la mise en adéquation des valeurs que l’on met en avant avec les pratiques pédagogiques. Fait-on la classe pour quelques uns ou met-on en œuvre des activités qui permettent à chacun de réussir ? Fait-on l’hypothèse de l’éducabilité de chaque élève ? Est-on dans une démarche de confiance envers les élèves ? Pense t-on que son action d’enseignant peut avoir un effet ? Voilà, au final, des valeurs qui doivent se traduire aussi dans les actes.
Et c’est aussi la raison pour laquelle les termes de “sadisme” et de “cynisme” évoqués au début ce texte m’ont tant fait réagir. Je ne hais rien tant que le cynisme. Pour un enseignant, ne pas être optimiste est presque une faute professionnelle. L’optimisme est la croyance, à la fois modeste et ambitieuse, que notre action peut avoir un effet et faire progresser les élèves. C’est un optimisme tempéré car cela ne peut se faire sans l’adhésion des élèves et en luttant contre un très grand nombre de contraintes. Mais comment peut-on faire ce métier si l’on pense que ce que l’on fait ne sert à rien et n’a aucun effet ? Comment peut-on être revenu de tout sans jamais y être allé ?
Malheureusement les salles des profs sont pleines de cette déploration et de ce cynisme ambiant. L’optimisme et l’enthousiasme sont non seulement mal vus mais aussi combattus. Le discours des pédagogues est souvent vécu comme un discours culpabilisateur qui renvoie à une remise en cause de sa propre pratique et au delà de sa propre personne dans un métier où on se met trop souvent en “je”…

Déconstruire le cynisme et la déploration
Comment expliquer ce cynisme et cette déploration ?
La formation des enseignants, dans le second degré, est fortement marquée par l’ancrage disciplinaire. C’est un élément clé de la construction de l’identité professionnelle. Dans la plus récente enquête sur le sujet, 60% des enseignants du secondaire déclarait être devenus enseignants “par amour de leur discipline”. On découvre un enseignement durant sa scolarité et, dans la foulée, on poursuit des études supérieures, on devient un “savant” et on passe un concours qui valide ce statut et c’est ainsi qu’on devient professeur. Et on se rend compte alors que les élèves ne sont pas tous (loin de là !) aussi passionnés que vous par ce que vous enseignez, que les contenus sont quelquefois très loin de ce que vous avez étudié pour le concours et que vous devez développer très vite des compétences pédagogiques qui n’ont rien à voir avec ce qu’un ancien bon élève devenu prof pouvait imaginer… Et tout cela contribue à entretenir le mal-être et le sentiment d’un décalage important entre ce que l’on avait construit comme représentation du métier et la réalité du terrain. Car ce qui crée la souffrance, l'amertume et le cynisme c'est souvent le double sentiment de faire un métier différent de celui qu'on pensait faire ou pour lequel on a été recruté et le sentiment du "travail empêché". Et si, en plus, on y ajoute le ressenti d’un déclassement…
L’autre élément clé de ce sentiment dominant tient, comme je l’évoquais plus haut, à la dimension intime et individuelle de ce métier. Sans me risquer à de la psychanalyse sauvage, il y a une dimension narcissique forte dans notre profession. Et une réelle difficulté, comme dans tout métier de la relation humaine, à dissocier ses gestes professionnels et sa propre personne. C’est, entre autres, pour cela, me semble t-il, quel le discours “pédagogique” est mal vécu car il est perçu (à tort) comme culpabilisateur et porteur d’une remise en question de sa propre personne. C’est aussi pour cela qu’il y a une réelle difficulté à travailler en équipe car on y expose son “intime” en y confrontant ses pratiques. On peut aussi analyser sous ce prisme le refus des analyses critiques de l’École ou même des évaluations internationales. Elles sont perçues par certains enseignants comme une remise en cause de leur propre travail. Alors que, comme je l’ai maintes fois écrit, on peut faire son métier du mieux que l’on peut dans un système qui dysfonctionne…

Conservateurs
Ce développement sur la déploration nous a éloigné du débat sur la pédagogie (quoique…). Dans le titre donné à ce billet, je n’ai pas repris le qualificatif de “Républicain” et je crois avoir expliqué pourquoi. Alors quel terme adopter ? “Anti-pédago” ne me semble pas plus adapté dans la mesure où chaque enseignant fait de la pédagogie même si elle est très traditionnelle…
J’utilise le terme de “conservateurs”. À ne pas confondre avec “réactionnaires”. J’ai en tout cas le sentiment que c’est là que se situe aujourd’hui une distinction pertinente.
Face à des élèves et un monde qui changent, il est tentant de penser que les solutions sont dans une École, qui elle, ne change pas. Et en particulier parce que nous sommes tous d’anciens bons élèves et qu’il est difficile de remettre en question un système qui vous a fait réussir. Le “pédagogisme” apparaît alors comme un ennemi facile qui remet en question un système qui marchait puisqu’on en a soi même bénéficié.
Mais surtout le conservatisme apparaît presque comme une forme de rébellion chez certains collègues. Lorsque le discours dominant de la technostructure de l’Éducation Nationale est celui de la “modernité” et de l’innovation, quant celle ci s’est accaparé (en le détournant ou le vidant d’une partie de son sens) les thèmes de la pédagogie, il est tentant d’avoir une posture de “rebelle” en opposition à ce discours qui semble dominant. Dans la culture anti-hiérarchique des enseignants, cette posture a pu ainsi prospérer. Pourtant je le répète, les rebelles ne sont pas ceux que l’on croit. Et les conservateurs sont bien des conformistes. Du moins dans leurs discours….

Collègues malgré tout
Car ma conviction forgée après 32 ans d’enseignement et autant de militantisme c’est qu’il y a bien un décalage entre les discours et les actes. Les discours sont construits de longue date et les actes sont souvent le produit de l’adaptation aux nécessités. De plus les déclarations de salles des profs ou leur équivalent virtuel sur les réseaux sociaux peuvent être aussi considérées dans une logique d’abréaction : ce sont des exutoires qui libèrent une tension. Et les actes des enseignants peuvent être différents voire en contradiction avec les discours. Tel enseignant déclarant ostensiblement, avec force, refuser de faire autre chose que de la “transmission” de savoirs, pourra aussi dans le secret de la classe et de la relation avec ses élèves avoir d’autres postures professionnelles (l’inverse est vrai aussi). Toutefois, ce décalage ne doit pas être pris à la légère car ne pas mettre de mots sur celui-ci est souvent à l’origine d’une souffrance enseignante et d’un sentiment de « travail empêché » comme nous l’avons montré.
Alors, les enseignants qui sont aujourd’hui dans les échanges sur Néoprofs, sont bien mes collègues, avant tout… Je fais le pari qu’au delà des postures et même des étiquettes syndicales, ils se posent des questions sur leurs pratiques et réfléchissent sans cesse à la meilleure manière de faire progresser TOUS leurs élèves. Je fais aussi le pari que les oppositions stériles que j’évoquais plus haut ne résistent pas longtemps à la réalité des pratiques de classe où il s’agit plutôt de raisonner en tension qu’en opposition binaire. Tout comme je le fais moi même au quotidien, sans rien renier en termes d'exigences et d'accès aux savoirs mais en m'interrogeant sans cesse sur l'efficacité des méthodes que j'utilise et sur l'adéquation entre mes pratiques en classe et les valeurs qui m'animent. Bien loin des caricatures, des débats stériles et des collages d’étiquettes faciles…
On pourra me taxer de “Bisounours”, on pourra découper chaque phrase de ce trop long texte et trouver à redire sur chacune d’entre elles (vas-y Loys, fais toi plaisir…). Même si je revendique l’optimisme de l’action, je ne suis pas pour autant naïf et je sais bien qu’il est difficile de sortir des clivages construits durablement. Je sais aussi faire la différence entre ceux qui s’interrogent sincèrement et ceux qui pensent l’autre camp uniquement en termes d’adversaires. Et entre ceux qui  dans leurs actions et pas seulement leurs discours, ne se résignent pas au fatalisme du déterminisme social et ont comme objectif une école vraiment démocratique et ceux qui, par leurs pratiques,  permettent à l’École de n'être qu’un éventuel moyen de renouveler les élites tout en préservant l’ordre établi et les inégalités sociales, mon choix est fait. C’est là qu’est mon engagement militant.



Philippe Watrelot

samedi, avril 26, 2014

Bloc-Notes de la semaine du 21 au 27 avril 2014





- nouveaux nouveaux rythmes – Ministre(s) - Décrochage et noyau dur- Avis - .



Retour du bloc notes avec la fin des vacances de la zone C. On reviendra évidemment sur les réactions aux « assouplissements » de la réforme des rythmes scolaires. Et ce sera aussi l’occasion de se pencher sur la fonction d’un ministre de l’éducation. Et de rappeler les enjeux de son action. On terminera avec un hommage à Jacques Nimier qui vient de disparaître.







nouveaux nouveaux rythmes
Nous avons détaillé dans la revue de presse de vendredi dernier les propositions de Benoît Hamon faites dans son interview à RTL et dansle Monde . Rappelons que le décret de janvier 2013 n'est pas remis en cause et reste la base de cette réforme, avec sa semaine découpée en neuf demi-journées, pour un total qui ne pourra pas dépasser 24 heures hebdomadaires d'enseignement. Mais deux aménagements sont possibles : la possibilité de concentrer les activités périscolaires sur une seule demi-journée à condition de garder 5 matinées et la possibilité de réduire la semaine d’une heure (à condition de réduire les vacances).
Quelles sont les réactions à cet “assouplissement” ? Sur le site de L’Express, Libie Cousteau détaille les réactions des principaux intéressés : parents d’élèves, maires et enseignants. Sébastien Sihr, du SNUipp, le principal syndicat du primaire est interviewé spécifiquement toujours dans L’Express.fr . Il se dit déçu de ces aménagements cosmétiques alors que son syndicat demandait une réécriture du décret.
Sortons des institutionnels pour aller voir d’autres analyses intéressantes. D’abord celle de Lucien Marboeuf sur son blog L’instit’humeurs . Cet instituteur blogueur remarque que l’on reste dans ce qui était l’essentiel de la réforme Peillon, la valorisation des 5 matinées de travail. Il précise : “A l’usage, en effet (et même si le mercredi matin ne vaut pas, à mon sens, le samedi matin), le fait de travailler 5 matinées est un vrai plus, les élèves étant plus attentifs et concentrés sur ce créneau, tout enseignant peut le constater. Le ministre Hamon semble avoir compris que c’est là-dessus qu’il fallait appuyer. ”. En revanche, note t-il, avec le regroupement des activités sur une après-midi, le rythme reste aussi lourd qu’auparavant pour les autres jours. Alors que l’idée était d’alléger des journées présentées comme les plus lourdes du monde (le décret Peillon fixait la norme à 5 h 30).
Autre analyse intéressante, celle de Claire Leconte, spécialiste des rythmes qui s’était élevée contre la rigidité de la réforme. Dans son dernier billet de blog, elle commence ainsi : “Quel drôle de pays que la France qui s’obstine à chercher des solutions sur des problèmes qu’elle est seule à se créer. Aucun autre pays au monde ne se préoccupe des « rythmes scolaires », pour améliorer le fonctionnement de l’école. La France est focalisée là dessus depuis des décennies, tout en ne trouvant jamais le bon « rythme », parce qu’elle ne le cherche pas là où il faudrait le chercher. ”. Pour elle, la réponse doit être d’abord pédagogique : “Comment utiliser au mieux les temps strictement scolaires pour qu’ils permettent aux enseignants de se repositionner dans leurs pratiques et méthodes d’apprentissage, dans les systèmes d’évaluation également, afin de développer chez chaque enfant le désir d’apprendre, le plaisir d’apprendre, de comprendre, de découvrir, développer sa motivation intrinsèque au final ? De nombreuses études ont montré que l’une des difficultés actuelle de tous les enfants est leur incapacité à maintenir leur attention qui doit être reconquise par les enseignants. Ce ne peut se faire que si ces enfants perçoivent un réel intérêt dans les apprentissages qu’on leur fait faire, intérêt qui ne doit pas être que scolaire, mais aussi si ils se sentent participants, « acteurs de leurs apprentissages » comme le disait déjà Freinet. Cela nécessite d’autres organisations des temps scolaires que celles qui continuent de découper ces temps sur le plus de demi-journées possibles. ”. Et elle prône plus de souplesse en interpellant le ministre : “Revenez à un texte comme celui qu'avait écrit Lionel Jospin pour mettre en œuvre la loi d'orientation de 1989, permettant d'organiser les temps scolaires sur 5 jours, du lundi au samedi. Ainsi en une phrase, vous insistez sur l'importance de 5 matinées sur la semaine, mais pourquoi vouloir formater davantage les temps scolaires ? quel intérêt ? Vous vous privez juste de projets éducatifs de qualité ayant associé, dans leur construction, tous les acteurs de la communauté éducative, les enseignants, les parents, les animateurs et professionnels d'associations, les ATSEM, les élus. En avez-vous vraiment beaucoup actuellement ? Que craignez-vous qu'il arrive si vous laissez davantage de liberté dans l'organisation de ces cinq jours ?

Ministre(s)
Pour Libie Cousteau dans L'Express.fr , le nouveau ministre a déminé le dossier des rythmes scolaires qui avait coûté sa place à Vincent Peillon. Selon la journaliste, Benoît Hamon s’est montré « habile vis-à-vis des enseignants, fâchés, hier, d'avoir dû étaler leur travail sur cinq jours et de se lever un jour de plus dans la semaine, ils pourront, demain - à condition que la commune et l'école se mettent d'accord - bénéficier d'un après-midi entier libéré pendant que les enfants, eux, profiteront des activités périscolaires. Habile avec les maires en leur facilitant l'organisation des activités périscolaires et en leur permettant potentiellement de faire des économies d'échelle en construisant des partenariats entre communes. Habile, aussi, vis-à-vis des parents en écoutant leur revendications concernant les maternelles mais aussi en leur lâchant potentiellement, le vendredi après-midi pour partir .. en week end. ». Sur ce dernier point, on rappellera à la journaliste que ce ne sera pas forcément le cas puisqu’il s’agira surtout de faire “tourner” les activités au sein d’un groupement de communes. Et qui a la possibilité de partir en week-end dès le vendredi ?
Mais en dehors de cela, on verra à l’usage si le nouveau ministre a été suffisamment habile pour déminer le terrain. Un terrain qui avait été miné par les atermoiements de Matignon et de l’Élysée d’ailleurs… C’est ce que rappelle Maryline Baumard dans un long article sur les raisons de “l’échec Peillon”. Et c’est aussi ce que reconnaît à demi-mot Vincent Peillon lui même . Sur les dix-huit mois qu'il a passés Rue de Grenelle, il n'a qu'un regret, “celui de n'être pas allé plus vite sur les rythmes scolaires. La concertation avait eu lieu sous la droite, on aurait dû boucler le dossier avant l'été en définissant mieux ce qui était du ressort de l'Etat et des communes pour éviter cette confusion lamentable entre scolaire et périscolaire. D'emblée, on aurait dû penser un accompagnement financier et mieux organiser l'interministériel ”estime-t-il aujourd'hui.
Mais selon la journaliste du Monde, le désormais candidat aux élections européennes dans le Sud-Est a aussi payé le jeu des alliances politiciennes. Selon un élu PS, M. Peillon a définitivement perdu sa place à l'automne 2013 en refusant d'entrer dans le « pacte des ambitieux » signé entre Manuel Valls, Benoît Hamon et Arnaud Montebourg. « Vincent Peillon et Pierre Moscovici ont refusé d'en être, jugeant qu'il était trop tôt pour faire sortir Ayrault du paysage… ça leur a coûté leur place », rapporte-t-elle ; « c'est là que s'est dealé le fait que Benoît Hamon aurait l'éducation nationale ». Un pacte renforcé par la claque du premier tour des municipales qui imposait de sortir des ministres importants du gouvernement.
Benoît Hamon est donc d’abord un ministre “politique” plus qu’un ministre spécialiste. Arnaud Gonzague dans le Nouvel Obs du 2 avril 2014 posait déjà la question : Benoît Hamon, un "parachuté" à l’école ? et ajoutait : “Personne n’a le droit de présumer de l’action du futur ministre, ni lui faire un procès alors qu’il n’a pas encore mis un orteil rue de Grenelle. Mais une froide observation des faits oblige à admettre que, contrairement à son prédécesseur à l’Education nationale, Benoît Hamon ne connaît pas la machine Education nationale.
Faut-il être médecin pour être ministre de la santé, agriculteur pour être ministre de l’agriculture, enseignant pour être ministre de l’éducation ? On se souvient que les bons ministres de l’éducation n’ont pas forcément été des enseignants. La fonction principale d’un ministre est d’arbitrer et de comprendre les enjeux des décisions et des politiques menées. On notera cependant que la connaissance du sujet évite aussi d’être mis en position de dépendance à l’égard de la technostructure particulièrement importante et conservatrice de l’éducation nationale.
Benoit Hamon saura t-il se montrer à la hauteur des enjeux ? Étonnez moi, Benoît !

Décrochage et noyau dur
Et les enjeux sont importants, il est bon de les rappeler régulièrement…
L'INSEE vient de publier dans sa collection “Insee-Références” : un ouvrage intitulé “La France dans l'Union européenne" qui rassemble les principales données économiques et sociales permettant de situer la France par rapport à ses partenaires européens.Parmi les articles, un d'entre eux traite des “sorties précoces" du système scolaire autrement dit le décrochage. Plusieurs articles s'en sont fait l'écho et la revue de presse du jeudi 24 avril les recense.
Avec 11,6 %, la France fait légèrement mieux que la moyenne européenne qui s’établit à 12,7 % en 2012. Mais la plupart des états membres du nord ou de l’est de l’UE comptent moins de 12 % de sorties précoces, à l’inverse de l’Espagne (24,9 %), Malte (22,6 %), le Portugal (20,8 %), ou l’Italie (17,6 %). Selon l’Insee, "deux traits des systèmes éducatifs sont propices à de faibles proportions de sortants précoces" : d’une part, "la continuité structurelle entre les enseignements primaire et secondaire de premier cycle (troncs communs non sélectifs)" d’autre part, "le développement des enseignements professionnels secondaires de second cycle". "Les pays scandinaves ont fortement promu ces modèles.
Cette note rappelle surtout que la lutte contre les sorties précoces du système scolaire figure au premier rang des objectifs de la stratégie Europe 2020 : le taux de sortants précoces des jeunes de 18 à 24 ans ne devrait pas dépasser 10 % dans l’Union européenne d’ici 2020. On a envie de rajouter que s’il est important certes de "traiter" le décrochage et d'y apporter des solutions par des structures adaptées. Il est surtout essentiel de le prévenir et d'éviter qu'il survienne...
Autre donnée qui doit faire réfléchir tout responsable politique et tout citoyen : la persistance d’un “noyau dur” de l’échec scolaire. Lors de la fameuse "JAPD" (journée d'appel et de préparation à la Défense) que passent tous les jeunes (filles et garçons) il y a des tests de calcul et de lecture. Les résultats de ces tests viennent d'être publiés vendredi 25 avril et Le Monde en donne les principaux résultats . 9,7 % des participants aux tests «rencontrent des difficultés pour conduire un calcul dans des situations simples », souligne la DEPP. En lecture, 9,6 % des jeunes rencontrent des difficultés, dont une partie – 4 % – peut être considérée comme illettrée. Cela confirme ce que toutes les études, nationales et internationales, mettent sans cesse en avant : la persistance d’un « noyau dur » de l’échec scolaire que notre système scolaire ne parvient pas à résorber. Et si l’on veut que notre École se soucie de tous et soit plus juste et plus efficace, il faut une réelle volonté politique, dans la durée…
Justement, il paraît qu’une des citations préférées de Benoit Hamon est cette phrase de Gambetta : “Ce qui constitue la vraie démocratie, ce n'est pas de reconnaître des égaux, mais d'en faire.

Avis
Avis de décès.
Jacques Nimier, nous a quittés le 24 avril 2014. Il avait 84 ans. Son site “pedagopsy" créé en 2000 était une mine d'informations et d'outils pour tous les enseignants. Il a joué tout au long de sa carrière (prof de maths puis responsable IUFM) un rôle d'interface entre la recherche et l'enseignement. Son action est très proche de celle des Cahiers Pédagogiques et c'est la raison pour laquelle je tiens à lui rendre hommage. Je l'ai plusieurs fois croisé à l'occasion de diverses manifestations et j'ai pu apprécier aussi sa gentillesse et ses grandes qualités humaines.
Droit de suite
Hier, dans la revue de presse nous rendions compte d’un article publié sur le site du Nouvel Obs et qui rendait compte de la pratique du Yoga à l’École et d’une association qui en fait la promotion. Des témoignages reçus depuis cette revue de presse m’amènent à vous conseiller la prudence à l’égard de cette association.

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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dimanche, avril 13, 2014

Bloc Notes de la semaine du 7 au 13 avril 2014



- Garder le rythme… ? - Le changement c’est maintenu ? - Déjà parti, une fois déjà là… - Bel exemple pour la jeunesse !- .



Le bloc notes de cette semaine s’interroge évidemment sur la suite de ce qu’on n’ose même plus appeler la refondation. Y a t-il toujours la même volonté politique après le départ de Vincent Peillon ? On reviendra aussi sur la personne et l’action de ce ministre “déjà parti, une fois déjà là”…
Et nous finirons comme d’autres l’ont fait avant nous par une réflexion sur l’exemplarité des hommes politiques.



Garder le rythme… ?
Dans la revue de presse du mardi 8 avril, Laurent Fillion notait que c’était à 15h48 (deux minutes d'intervention après vingt-huit minutes de discours) que le nouveau 1er ministre Manuel Valls avait abordé les questions de l’éducation. On peut même en trouver sur le site de Matignon, le verbatim . Le voici : “Investir dans l’école de la République, dans ses enseignants, et pour ses élèves, c’est réinvestir la République de sa mission première : chaque enfant, peu importe son milieu social, doit bénéficier des mêmes opportunités. Depuis deux ans, nous avons engagé une refondation de l’école : réforme des métiers, rétablissement de la formation des maîtres, lutte contre l’échec scolaire, priorité donnée au primaire, relance de la scolarisation des moins de trois ans. Le redressement de l’école doit être poursuivi. L’aménagement des rythmes scolaires est une bonne réforme car avec elle beaucoup plus d’enfants ont accès à des activités périscolaires, sportives, culturelles très complémentaires de l’éducation donnée par les enseignants. 93% des communes s’y sont déjà engagées. Cependant, j’ai entendu les remarques de bonne foi venant des élus. Ainsi, le cadre réglementaire sera assoupli après les concertations nécessaires avec les enseignants, les parents et les élus. Ce qui doit compter et nous rassembler, c’est la réussite des élèves, partout en France.
On sait que cette avant-dernière phrase a été l’objet de plusieurs interprétations. Et qu’il a fallu ensuite des précisions de la part du service de presse du Ministère de l’Éducation Nationale pour indiquer qu’ “Il n’y aura ni report, ni retrait, ni libre choix, toutes les communes passeront aux nouveaux rythmes à la rentrée, le décret sur la nouvelle semaine scolaire n’est pas modifié. Simplement, on va étudier au cas par cas, au niveau du terrain, les communes ayant des difficultés. Si elles ont des projets innovants mais qui n’entrent pas dans le cadre du décret, on pourrait assouplir”.
Ça laisse quand même une impression de cafouillage et d’acrobaties sémantiques. Sans trahir un secret, il semble bien que la question de l’abandon/dénaturation de la réforme des rythmes ait été sur la table dans la phase de préparation du discours de politique générale. Plusieurs acteurs de l’éducation (dont le CRAP-Cahiers Pédagogiques ou la FCPE ) ont averti durant le week-end dernier sur le signal politique très négatif que cela envoyait. Au final, la réforme est maintenue mais on ne comprend pas mieux le message : si c’est pour appliquer la réforme en septembre comme prévu, à quelques exceptions près, à quoi bon annoncer un «assouplissement» en grande pompe à l’Assemblée nationale ? C’est Véronique Soulé de Libération qui pose sur son blog la question en ces termes et appuie là où ça fait mal. Elle poursuit : “pourquoi faire un tel geste si l’immense majorité des communes —92% selon Hamon, 93% selon Valls— est finalement prête ? Sur les 7% à 8% restants, 2 à 3% auraient des problèmes quasi insurmontables pour passer aux quatre jours et demi, et 4% à 5% seraient des résistants «idéologiques», proches de l’UMP. Fallait-il en faire autant pour si peu ? Enfin, le gouvernement aurait-il eu peur d’une mobilisation de l’UMP, requinquée par les municipales ? Aurait-il voulu prévenir un nouveau tollé des maires, d’autant qu’il va couper la moitié des dotations aux collectivités locales ?
Que le retour à la semaine de 4,5 jours ait posé et pose toujours des problèmes, on ne peut le contester. Il faudrait en effet que le ministre donne des instructions fermes auprès de son administration pour qu’il y ait plus de souplesse ( !) Mais surtout, on voit bien que cette “Valls-hésitation” a ouvert une brèche dans laquelle s’engouffrent les nouveaux élus UMP (Le Monde). Jean-François Copé a en effet lancé un appel ses troupes : «Je recommande à tous les maires, UMP ou pas, d'avoir le courage de refuser cette réforme. » Au passage, bel exemple pour la jeunesse que des élus qui refusent d’appliquer les lois… Mais nous y reviendrons…

Avec le changement de ministre et ces atermoiements, on est bien confronté à une question de rythme(s).
“Rythmes scolaires” bien sûr qui ont absorbé beaucoup d’énergie peut-être au détriment des autres chantiers du Ministre. Mais plus globalement, c’est la question du rythme des réformes qui est posée dans le domaine de l’éducation qui ne semble plus être la priorité comme elle était énoncée au début du quinquennat et durant la campagne.
Pourtant, en matière de Valls, il est important de garder le rythme !

Le changement c’est maintenu ?
Les contraintes budgétaires existent, mais la priorité à l’éducation demeure. J’en serai le gardien” : pour l’une de ses toutes premières apparitions dans le grand amphi de la Sorbonne à l’occasion du lancement de la réforme de l’éducation prioritaire, Benoît Hamon, a tenu à rassurer tous ceux qui s’inquiètent. “Je ne serai pas le ministre des abandons”, a-t-il ajouté. Il a laissé entendre qu’il tiendrait la promesse des 54 000 postes créés durant le quinquennat, malgré les économies drastiques annoncées au sein de l’Etat.
Mais les craintes sont nombreuses. Dans un article de Challenges intitulé “parmi les ministres ‘manager‘ de Valls : Benoît Hamon”,  le journaliste lui voit un chemin semé d’embûches : “il devra faire avaler aux syndicats la pilule du plan d’économies de 50 milliards d’euros de François Hollande. Car l’Education risque de perdre son statut de sanctuaire: moins de créations de postes que prévu et un serrage de vis supplémentaire pour les quelque 841.000 enseignants.”. Même tonalité chez Marie-Caroline Missir dans L’Express qui s’interroge “l'école est-elle encore une priorité ?
La priorité à l’éducation ne se résume pas à la promesse des 60 000 postes. Mais elle y contribue. Un petit point sémantique au passage avant de faire le point : il serait plus juste de parler de RE-création de postes car c’est oublier un peu vite la casse du quinquennat précédent…
Une très bonne infographie publiée dans L’Express permet de voir où nous en sommes. Le magazine (en s’appuyant sur le site “performance publique” ) a fait les comptes: à la rentrée 2014, environ 40% des postes promis auront été ouverts. Ce qui laisse encore environ 12 000 recrutements supplémentaires à faire en 2015, 2016 et 2017. En fait l’essentiel a été absorbé par le rétablissement de l’alternance dans la formation des enseignants (en Master 1 et l’an prochain en M2). En revanche pour les postes de titulaires, 3184 enseignants (primaire, secondaire, public et privé confondus) ont été recrutés en 2013. 94,4% des postes prévus d'ici 2017 restent à pourvoir. C’est ce décalage dans le temps qui contribue au scepticisme dans les salles des profs et des maîtres qui ne voient pas venir les renforts attendus et subissent même des suppressions de postes. Un sentiment qui risque d’être renforcé quand on sait que l’année scolaire prochaine devrait connaître une poussée démographique . En primaire, ce sont 35.600 élèves de plus qui devraient arriver à la rentrée 2014 puis 23.400 à la rentrée 2015. Dans le second degré (collège et lycée), la Depp prévoit 27.500 élèves de plus à la rentrée 2014, puis une augmentation de 29.500 élèves à la rentrée 2015. C'est surtout le lycée qui devrait être concerné, avec 24.000 élèves de plus à la rentrée 2014, puis 49.000 lycéens supplémentaires à la rentrée 2015, année où le collège devrait perdre 19.500 élèves. Dès l’entrée en fonction de Benoît Hamon, et malgré ses affirmations répétées , les syndicats ont fait part de leurs craintes.
Mais la “refondation” (ce mot a t-il encore un sens ?) ne peut se résumer à une promesse quantitative imposée par Hollande durant la campagne sans concertation avec son futur ministre. La loi votée en juin 2013 lançait plusieurs pistes : réforme des programmes, de la formation, des statuts et des métiers, éducation prioritaire… La plupart de ces chantiers sont ouverts mais on sait bien qu’il ne suffit pas de bonnes intentions. La continuité de l’action suppose des moyens mais aussi une volonté politique réaffirmée face aux inerties de toutes sortes. On constate que pour l’instant, le cabinet de Benoît Hamon semble ressembler beaucoup à celui de Vincent Peillon. Est-ce une bonne chose ? On peut se dire en effet que c’est un signe de continuité. Mais on peut aussi se demander comme le fait Maryline Baumard dans son blog du Monde si cela ne place pas le ministre “en position d’élève face à ses directeurs”. Il faudrait se rappeler au niveau de l’administration centrale qu’il ne suffit pas de décider dans un bureau pour que les choses se mettent en place comme par magie dans chaque établissement. Et que “le diable est dans les détails”. Car une autre inertie est celle de l’administration intermédiaire, elle même, qui reste souvent très conservatrice et rigide.
Les autres difficultés viennent également des positions syndicales. On peut craindre une surenchère radicale jusqu’aux élections professionnelles qui ont lieu à l’automne prochain. Le SNES-FSU tenait son congrès à Marseille au début du mois. Pour Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, ainsi que le rapporte le site Touteduc la fédération doit “"continuer à proposer, négocier, débattre, agir avec les personnels et travailler au rassemblement des forces. Réformateurs contestataires en quelque sorte.”. Mais dans le même temps, les co-secrétaires généraux du SNES fixent des limites très rigides à ne pas franchir. Ne pas négliger le second degré, remise à plat de la réforme du lycée, engager une revalorisation des salaires, réaffirmation du caractère national de la gestion de l’École, pas d’‘école du socle” … Dans certains écrits on lit même une remise en cause de la charte des programmes produite par le CSP dans une logique pourtant consensuelle. On trouve rassemblés la plupart de ces impératifs dans une lettre au Ministre qu’on peut lire sur le site du syndicat .
On sait bien ce que sont les postures syndicales, dans un “camp” comme dans l’autre (car les accusations en retour ne sont pas plus constructives). Cela fait malheureusement partie du jeu et des surenchères pré-électorales. La tâche de Benoît Hamon, qui affirme vouloir mettre ses pas dans ceux de son prédécesseur, va être de marcher sur une ligne de crête. Entre les tentations gouvernementales de sacrifier la priorité à l’éducation et les accommodements syndicaux face aux risques de conflits sociaux.
Notez sur vos cahiers de textes et autres agendas : «Je ne serai pas le ministre des abandons» Soulignez trois fois en rouge... (non, en rose...)

Déjà parti, une fois déjà là…
Certains écrivent des lettres au nouveau ministre, d’autres en écrivent à l’ancien… C’est une très belle lettre que Sébastien Rome a écrit sur son blog à Vincent Peillon . Une lettre empathique et nuancée. J’en retiens surtout ce passage : “Tu savais que tu ne resterais pas ministre et qu’une réforme en éducation, aucun ministre n’en voit son effet véritable. Il reste au ministre à agir de telle manière que ce qui est posé doit se poursuivre malgré soi, sans soi. D'une manière parodique, on peut dire que le “Dasein” du ministre, c’est d’être pour agir et d’agir tel que l’on ne sera plus ministre. Être un ministre déjà parti, une fois déjà là. Peut-être est-ce une manière de le rester dans les esprits ? ”. Et notre collègue de détailler les pistes ouvertes par le ministre et que nous avons déjà évoquées : la qualité de l’accueil du temps périscolaire et le travail en partenariat, la formation des enseignants, les statuts et le métier des enseignants… Un beau texte que je vous invite à lire.
On trouve une tonalité assez voisine chez Maryline Baumard qui se demande : “Peillon victime ou bénéficiaire du remaniement ?”. Pour celle qui a été une observatrice au plus près de l’action ministérielle : “Peillon est-il de ces séducteurs qui pensent que dans l'amour, le meilleur, c'est quand on monte l'escalier? Il a probablement adoré la campagne présidentielle, pendant laquelle il s'est préparé à ce ministère. Il a sûrement aimé aussi lancer plusieurs chantiers; et puis, l'intellectuel s'est peut-être lassé. Il a été étonné de l'énergie qu'il lui a fallu déployer, pour faire adopter la réforme des rythmes scolaires qu'on croyait consensuelle. Il a fallu reculer devant la fronde des profs de classes prépas, et d'autres contestations se profilaient. Il sait manier le verbe, mais les réformes structurelles qu'il a commencées à entreprendre ne peuvent pas produire rapidement des effets positifs. N'a-t-il pas vu l'opportunité de s'en aller en douceur, tout en réussissant à se faire regretter, plutôt que d'être un ministre sans résultats très spectaculaires à court terme, et obligé de décevoir sur les conditions de travail et les rémunérations, faute de crédits?”.
C’est bien là, la question. Et c’est ma nuance avec le texte de Sébastien Rome auquel j’adhère pour l’essentiel. L’action politique c’est aussi le suivi de l’action, sa mise en œuvre au quotidien, la patience, les compromis tout en gardant le cap… “Fatiguer le doute” pour reprendre une expression fétiche de Vincent Peillon (empruntée à Jaurès), ça demande du temps… Ça demande de mettre les mains dans le cambouis… Comme le dit lui même Sébastien Rome . : “c’est en cheminant que l’on fait le chemin. ”.
Pardon de m’auto-citer, mais dans une tribune publiée il y a une semaine , je m’interrogeais voulait-il vraiment rester ? ”. Préserver sa carrière, sa “trace” cela ne me semble pas à la hauteur du personnage et j’ose espérer que ce ne sont pas les raisons principales de son départ. Une fois la loi votée tout restait à faire. Son engagement dans la campagne européenne, même s’il était intellectuellement compréhensible dans un souci de légitimité démocratique, a été très mal ressenti. Y compris dans le camp réformiste où l’on a eu l’impression d’un abandon en rase campagne.
Sans me risquer trop à un parallèle hasardeux, nous savons bien dans nos classes qu’il ne suffit pas d’édicter des règles de vie au début de l’année, d’énoncer des consignes ou de construire de beaux dispositifs d’apprentissages pour que ça marche, il faut une vigilance de tous les instants pour que cela fonctionne et qu’on parvienne à ses objectifs.
Et alors qu’on est qu’au début du chemin et qu’il reste tant à faire, et qu’il faut lutter pour ne pas être désabusé, je vous livre mon sentiment en une formule : Il s’en va, nous on reste…

Bel exemple pour la jeunesse !
Comment demander à nos enfants de se conduire convenablement dans une classe si les députés se conduisent comme des abrutis devant tous les français? ”. C’est Luc Ferry ancien ministre de l’éducation qui s’exprime ainsi . Le philosophe, intermittent de la politique, qui avait décidé d'écouter, mardi, le discours de politique générale du premier ministre a été choqué par le bruit qui régnait dans l'hémicycle. Il écrit aussi sur son compte Facebook «Je regarde Vals (sic) à l'Assemblée: qu'un premier ministre, de droite ou de gauche, peu importe, ne puisse pas parler devant des adultes, des parlementaires, sans que ces gens vocifèrent comme des malades mentaux, c'est consternant». En dehors du fait que ce n’est pas gentil pour les malades mentaux qui, eux, n’y peuvent rien, en tant qu’éducateur, on ne peut qu’adhérer aux propos de l’ancien ministre.
Un discours très voisin chez Mara Goyet dans son blog du Monde.fr . Elle fait une proposition qui pourrait s’intégrer dans un module « gestion de classe » à l’ESPÉ “On pourrait, et c'est là la mesure que je propose, obliger l'Assemblée à accueillir les enseignants stagiaires. Pour un jour (il y a beaucoup de stagiaires), pour une session d'une heure (plus cela provoquerait des démissions). Opération commando : on les lâcherait au milieu des députés et ils devraient chercher à les calmer, à imposer le silence, à leur apprendre à écouter les autres, ne pas manger ses crottes de nez, ne pas envoyer de texto, ne pas lire le journal, ne pas bavarder, ne pas se lever, hurler, tempêter, crier, s'agiter. Ils devront aussi convaincre ceux qui prennent la parole d'être moins chiants. […] Ce serait gratuit […] . Efficace. Pertinent. Rassurant : ce serait le pire moment de leur carrière d'enseignant. Après, leur stage dans la cité du Buis joli des 8000 de Chantevache-les-Iris semblerait aux jeunes enseignants une promenade de santé. Les députés, eux, "subiraient" un peu d'autorité et en seraient apaisés. Ils seraient délivrés du fardeau de ces élans tyranniques de toute-puissance qui les minent une fois réunis et seraient plus efficaces dans leur métier.”.
Et puisque son nom a été évoqué mardi à l’assemblée, on pourrait leur donner à commenter cette phrase de Pierre Mendès-France « Toute politique n’est pas sale, toute action n’est pas vaine ». Prenez une feuille, vous avez trois ans pour y répondre…

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot


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mercredi, avril 02, 2014

Un goût d'inachevé


 Alain Savary - Jean-Pierre Chevènement - René Monory - Lionel Jospin - Jack Lang - François Bayrou - Claude Allègre - Jack Lang (II) - Luc Ferry - François Fillon - Gilles de Robien - Xavier Darcos - Luc Chatel - Vincent Peillon… Et aujourd’hui mercredi 2 avril Benoît Hamon….

Depuis que j’ai commencé à enseigner (en septembre 1981), j’ai vu se succéder 14 ministres. Il y en a eu 30 en tout depuis le début de la 5ème. Seul un ministre (Ch.Fouchet) a duré cinq ans de 62 à 67 c'est-à-dire l'équivalent d'une scolarité du primaire. Sinon la moyenne c’est deux ans…
Évidemment je garde un attachement particulier pour Alain Savary. Non pas parce qu’il fût le premier mais parce que l’action (et la réflexion) qu’il a engagé a eu, me semble t-il, un effet durable et positif sur l’évolution de l’École. Mais je partage le constat fait par Antoine Prost dans son dernier livre (“Du changement dans l’École” – Seuil) qui déplorait le manque de continuité dans l’action éducative.

Que restera t-il de l’action de Vincent Peillon ? A t-il été un bon ministre ? Il est trop tôt pour le dire. Des réformes ont été engagées mais seront elles poursuivies ? Car au delà de la personne, c’est d’abord la continuité de la politique qui est en jeu. L’élection présidentielle s’est jouée en partie sur la priorité à la jeunesse. Mais la promesse était surtout quantitative (60 000 postes) et destinée à ramener au bercail de la gauche, des enseignants qui s’étaient dispersés dans l’élection précédente. Mais sur un plan qualitatif, on ne peut pas dire que François Hollande ait jamais manifesté une appétence particulière pour la pédagogie (dans tous les sens du mot d’ailleurs…).

Vincent Peillon s’était préparé à la fonction et avait entamé des consultations/négociations dès l’année 2011. Mais après une période de relatif consensus, il s’est heurté assez rapidement aux difficultés. Sans vouloir jouer les “Philippulus le prophète”, j’avais tenté dans un billet de blog du début de 2013 de recenser déjà les erreurs et les blocages. Ce billet reste, me semble t-il d’actualité et les verrous identifiés alors semblent encore plus grippés aujourd’hui.

Avant de parler du bilan et des enjeux pour la suite, il faut quand même revenir sur l’homme. Enseignant lui même, formateur, Vincent Peillon connaissait son sujet, il est arrivé au ministère avec une vraie vision et une envergure intellectuelle qui a donné un a priori favorable au moment de sa nomination.
Et puis surtout, il a parlé de pédagogie ! Ses discours étaient revigorants après des années de technocrates et politiciens sans autre horizon que la calculette. Et la notion de “refondation” qu’il a forgée et portée se voulait une synthèse habile entre la nécessaire évolution du système et une référence aux valeurs qui sont au fondement de la République et de la démocratie. Et une réponse aux enjeux du XXIe siècle pour reconstruire une école juste et efficace
Il fut donc un ministre de la Parole. La Politique a besoin aussi de cet outil pour indiquer le chemin. Il fut aussi un ministre de l’action car, lorsqu’on regardera dans le rétroviseur (en amont…) on constatera que les chantiers qu’il a engagé sont importants. La loi de programmation et d’orientation est une étape importante et qui peut être féconde.  Reste à savoir si l’élan de ce qu’on n’ose plus appeler la refondation sera poursuivi… Et si, au final il en restera plus qu’une simple restauration.

“Refondation” a été un mot piégé car il a pu susciter de grands espoirs. On a pu reprocher à Vincent Peillon une certaine grandiloquence. Et des réalisations marquées, elles, par des compromis et donc qui ont pu êtres lues comme trop modestes.
Les compromis ont du d’abord être passés avec Matignon et l’Élysée. C’est Jean-Marc Ayrault qui a, semble t-il, imposé une concertation durant l’été 2012 par crainte de blocages syndicaux. Alors que les négociations menées préalablement montraient qu’on aurait pu avancer plus vite. Cela a retardé le calendrier de la refondation qui n’a pu être votée finalement qu’en juin 2013. Et par ricochet, cela a télescopé la réforme des rythmes avec les municipales. Et cela a donné aussi des arguments supplémentaires à ceux qui plaidaient pour une concertation de l’ensemble des personnels avant le vote de la loi. Paradoxalement, c’est cette attente qui a favorisé l’expression des postures syndicales et les blocages qui se sont remis en place très vite après la fenêtre de tir du début du quinquennat.   

Si le parti socialiste s’était doté dans son projet d’un volet conséquent sur l’éducation, si Vincent Peillon avait travaillé sur les premières mesures, on peut cependant se demander si la mise en œuvre concrète a été vraiment efficace. Autrement dit, le cabinet a il été à la hauteur ? Marqué par un certain turn over, on y retrouve l’éternel poids des technocrates, interchangeables, sûrs d’eux, impatients et peu au fait des subtilités du système. Cela a particulièrement été sensible dans le cas des rythmes scolaires mais aussi dans le dossier de la formation. Dans ce cas précis, la complexité a été renforcée par la co-existence de deux ministères à part égale. Et c’est le Ministère de l’enseignement supérieur qui a imposé sa loi à un Ministre de l’éducation accaparé par une réforme des rythmes dont on ne soupçonnait pas la difficulté.

On a souvent dénoncé ici-même, le poids de la hiérarchie intermédiaire de l’éducation nationale. Ces différentes catégories (inspection, administration centrale, présidents d’université, certains chefs d’établissement) n’ont pas tous intérêt à voir changer l’École. Car cela remettrait en question des “territoires” et aurait des enjeux de pouvoir. Le système a donc une force d’inertie et de résistance qui a bien souvent contribué à l’empilement des dispositifs et même la perversion de ceux ci. Le maintien d’une partie de cette hiérarchie qui avait appliqué avec zèle et un certain autoritarisme les réformes Darcos et Chatel  et en particulier les programmes de 2008 dans le primaire, a contribué aussi à l’agacement des enseignants et notamment des professeurs des écoles

Car l’autre facteur de blocage qui n’avait peut être pas été assez apprécié en haut lieu, c’est la “frustration relative” chez les enseignants. Après cinq ans de sarkozysme, de suppression de postes et de rigueur budgétaire, couplé avec un profond sentiment de déclassement, le monde enseignant est plus épuisé et désabusé que désireux de changement. C’est ce sentiment qui l’a emporté et qui a bloqué en grande partie les réformes. D’autant plus que cela se combine avec une impasse économique. Avec la promesse des 60 000 postes durant la campagne, François Hollande avait tout mis sur la table. Et il ne restait plus aucune marge de manœuvre pour une réelle revalorisation pourtant nécessaire. Et pourtant 60 000 postes, si on les rapporte au nombre d’établissements, ça fait juste (un ou deux) enseignants en plus…

Selon toute vraisemblance, Vincent Peillon, à qui l’Élysée reprochait  sa gestion du dossier des rythmes, ne voulait poursuivre qu'à la condition que le pacte de responsabilité n'affecte pas la programmation et les fameux 60000 postes. Il n'aurait pas, semble t-il, obtenu cette garantie. Dans le contexte plus global de la sanction de la politique du gouvernement, cela n’en est que plus inquiétant. On peut penser aussi que les résultats aux municipales n’enterrent, à coup de dérogations et d’aménagements, la réforme des rythmes. Mais voulait-il vraiment rester ?

Déception, goût amer, frustration, sentiment d’abandon… Pour les pédagogues convaincus de la nécessité de changer l’école, les sentiments sont nombreux après ce remaniement. Il y a évidemment une déception et une crainte que l’élan déjà entamé par les résistances et la force d’inertie ne se perde complètement. On sait que souvent après une phase de réforme et de tensions, le ministre suivant est nommé pour “pisser sur les braises”(expression de Jack Lang après l’épisode Allègre).

Cela ne préjuge en rien de l’action  de Benoit Hamon. On notera que son ministère retrouve le champ de l’enseignement supérieur qui n’avait pas été accordé à son prédécesseur. Cela peut permettre de relancer une meilleure coordination dans le domaine de la formation. Son passage à l’économie sociale et solidaire l’a peut-être convaincu du rôle clé que peuvent jouer les associations et en particulier dans la mise en œuvre des projets de territoire. Les chantiers ont été ouverts : il faut maintenant mettre en musique les dispositifs et s’assurer de la continuité de l’action. Saura t-il s’imposer face aux pressions et surtout aux inerties de toute sorte ?

On peut surtout espérer qu’au delà des réformes venues d’en haut, on fasse confiance à la capacité des acteurs de l’école à engager des changements “à bas bruit” dans leurs classes, dans leurs établissements… Changer l’école, comme le disait un vieux slogan bien oublié, c’est ici et maintenant…

Philippe Watrelot

« Ce n’est pas toujours en allant de mal en pis que l’on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu’un peuple qui avait supporté sans se plaindre et comme s’il ne les sentait pas les lois les plus accablantes, les rejette violemment dès que le poids s’en allège. Le régime qu’une révolution détruit vaut presque toujours mieux que celui qui l’avait immédiatement précédé et l’expérience apprend que le moment le plus dangereux pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer. Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de sauver ses sujets après une oppression longue. Le mal qu’on souffrait patiemment comme inévitable semble insupportable dès qu’on conçoit l’idée de s’y soustraire. »
Alexis de Tocqueville L’ancien Régime et la Révolution. 1856



 
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