dimanche, mai 29, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 23 au 29 mai 2016




– Question qui pue – ESPÉ – Manuels – Collier de nouilles – Droit de suite – .


Le bloc notes de cette semaine commence par une question qui pue... C’est celle posée Mercredi 25 mai par Annie Genevard députée LR à l’Assemblée Nationale sur l’enseignement de l’arabe qui a entrainé une réponse ferme de la Ministre. Nous reviendrons sur cette polémique. Nous nous intéresserons aussi aux annonces concernant la formation des enseignants, ainsi qu’aux tentatives de polémiques sur les manuels. Et nous n’oublierons pas que c’est la fête des mères avec cette question cruciale : le collier de nouilles est-il au programme ?


Question qui pue
Mercredi 25 mai, lors des questions au Gouvernement, la députée Annie Génevard (LR) interpelle la Ministre de l’Éducation Nationale. Elle lui reproche d'ajouter l'apprentissage de l'arabe dans les programmes scolaires, au même titre que l'espagnol ou l'allemand. “Ne croyez vous pas que l'introduction des langues communautaires, dans les programmes scolaires, encouragera le communautarisme qui mine la cohésion nationale ?”. Elle poursuit en comparant l’introduction de la langue arabe avec la réduction de la place du français et des langues anciennes “qui sont nos racines” dans la réforme du collège. Elle reçoit une réponse cinglante de Najat Vallaud Belkacem. “Madame la députée, je vous dois des remerciements pour cette question, par laquelle vous avez démontré, je crois, à une grande partie de nos concitoyens et j'espère qu'ils nous écoutent, la conception que vous vous faites notamment de la langue arabe”. Et elle s’écrie "La langue arabe qui, pour vous, est donc en concurrence avec l'allemand par exemple et doit, bien entendu, si je vous suis, être moins bien traitée et considérée comme une langue communautaire ?!! Nous ne serons jamais d'accord Madame la députée !”.
Ce qui est en cause dans cet échange c’est un dispositif né dans les années 70 baptisé ELCO (Enseignements de langue et de culture d’origine) dont le but était de permettre aux enfants d’immigrés de maintenir un lien avec leurs pays d’origine, en vue de faciliter leur éventuel retour… Ces ELCO étaient assurés hors des établissements et avec des maîtres en provenance des pays partenaires. Et cela donnait lieu à des dérives communautaristes et religieuses. Ce dispositif va être supprimé et ces enseignants vont donc être intégrés dans les sections internationales de l’ensemble des écoles françaises. Un changement important qui se reflétera dans la sémantique de l’Education nationale. L’arabe, le croate ou le serbe ne seront en effet plus considérés comme des langues « d’origines », comme à l’époque des vagues d’immigration des trente glorieuses, mais comme des langues «étrangères » intégrées dans le programme national. “L’apprentissage de l’arabe, du turc ou du portugais doit se faire dans un cadre scolaire, banalisé, normalisé, comme toutes les autres langues” a expliqué Najat Vallaud-Belkacem. Car ce n’est pas vraiment le cas aujourd’hui.
Plusieurs articles reviennent sur cet échange très vif et reprécisent les conditions de l’enseignement de cette langue. On peut citer surtout l’article des “décodeurs” sur le site du journal Le Monde ou celui de L’Express . Elle a donné lieu aussi à une tribune dans le Monde où les deux auteurs affirment qu’ “Il est temps de ramener l’enseignement de l’arabe à l’école de la République
Jean-Michel Zakhartchouk sur son blog revient lui aussi sur les “provocations pyromanes” de la députée. Et il s’interroge : “On se demande toujours, à lire ou entendre certaines déclarations s’il faut faire l’hypothèse de la bêtise ou celle de la méchanceté, de l’incompétence ou de la démagogie politicienne.” avant de s’indigner qu’on puisse réduire une langue à une dimension communautaire et nier le caractère culturel (et aussi économique) de son enseignement. Il nous rappelle aussi “que cette dame a fait partie du conseil supérieur des programmes. A ma connaissance, et pour en avoir discuté avec des membres du CSP, elle n’a pas manifesté, pendant longtemps, de vraies divergences et beaucoup de textes, dont le socle, ont été adoptés par consensus. Et puis elle s’est mise peu à peu à dénigrer ce travail au moment de la réforme du collège, a fait son choix de « posture » et a démissionné avec une argumentation spécieuse de son poste. Depuis, elle est devenue une porte-parole pure et dure (surtout dure) de la Droite sur l’éducation, loin de la modération équilibrée de quelques-uns ou du livre de Alain Juppé. Mais cette sortie-là est particulièrement honteuse et absurde...”.
La Ministre revient elle aussi dans une tribune au JDD parue Dimanche sur cette interpellation : “J’aurais aimé pouvoir attribuer cette sortie à la seule inculture de son auteure, ou encore à son intention tristement banale de lancer une énième polémique sur l’éducation en caricaturant les réformes que je mène pour refonder une école de la République à la hauteur des enjeux éducatifs de notre temps. Malheureusement, je dois plutôt dénoncer une pensée identitaire qui prône l’exclusion et le repli sur soi d’une virulence inouïe, un combat populiste et démagogique qui instrumentalise l’école de la République à des fins idéologiques inavouées, qu’il ne faut pourtant pas hésiter à qualifier de ce qu’elles sont : profondément xénophobes et opposées à la longue tradition républicaine qui a fait de la France le beau et grand pays qui est le nôtre.
Cette question sent en effet très mauvais et montre bien que les frontières sont loin d’être étanches entre la droite traditionnelle et une pensée extrême et identitaire. La réponse de la Ministre est tout à fait juste et ferme. Cela n’empêche pas les qualificatifs tendancieux dans certains journaux à propos de sa réponse. On peut lire qu’elle “s’énerve”, qu’elle répond “vertement”. Je ne suis pas sûr que les même qualificatifs auraient été employés à propos d’un homme. D’autant plus que cela vient après la séance du 11 mai où en réaction à sa réponse à une question (provocatrice) d’un député LR, ceux ci étaient sortis de l’hémicycle. Et là aussi les qualificatifs choisis ainsi que les photos étaient très discutables. Une femme politique tout comme un homme politique peut avoir un échange vif et ferme sans que ce soit lu comme une perte de nerfs et qu’on retombe dans les stéréotypes sexistes.

ESPÉ
Mardi 24 mai, était organisée une journée au lycée Louis Le Grand à Paris, une journée de de travail et d'échanges avec les acteurs de la formation initiale et continue des enseignants. En d’autres termes, il s’agissait de faire un bilan d’étape de la mise en œuvre des ESPÉ. Pour ne rien vous cacher, j’animais cette journée...
Je ne vais pas en faire un compte rendu détaillé d’autant plus que ma position n’était pas la meilleure pour le faire. On évoquera surtout les annonces faites en fin de journée par la Ministre dans son discours de clôture. :
- sur la gouvernance, rendre obligatoire la production d'un document formalisant le partenariat et avec des engagements pluri-annuels.
- sur le continuum de formation, la ministre souhaite que les universités développent des parcours de formation permettant une approche du métier dès le L2 (pré-professionnalisation)
- elle souhaite aussi voir se développer le modèle de la formation alternée dès le M1 dans les mentions 1er et 2nd degré avec "sécurisation des parcours via un concours spécifique de recrutement”
- sur la diversité des publics, que l'ensemble des partenaires, en lien avec pôle emploi et les régions, se mobilise pour organiser une offre de reconversion pour secondes carrières incluant reconnaissance des acquis et de l'expérience
- pour les formations à faibles effectifs, en particulier dans la voie professionnelle, des formations en réseau seront organisées à partir de pôles spécialisés.
- développer une offre de formation à destination des vacataires et contractuels, pour offrir des perspectives d'évolution de carrière
- faire des deux premières années de titularisation, (T1 et T2) des années d'accompagnement spécifique qui permettent de consolider et de compléter les acquis de la formation. Pour cela, à la fin du T2, un bilan professionnel permettra d'inscrire le professionnel confirmé dans une démarche de formation continue tout au long de la vie.
Dans ce catalogue de mesures, c’est surtout l’annonce d’une formation alternée dès le M1 qui a retenu l’attention. Cette mesure va être développée d’abord dans quelques académies dont celle de Créteil . A côté de la formation classique, une nouvelle formation, en alternance, offrira aux étudiants se préparant au concours et au métier de professeur des écoles la possibilité de valider un Master 1 tout en exerçant le métier de professeur des écoles à tiers temps (soit 12 semaines de stage en responsabilité sur l’année), dans le département de recrutement. Les étudiants seront rémunérés mensuellement au SMIC.
On voit s’amorcer un début de polémique à propos de cette mesure. Certains y voient surtout un moyen de gérer la pénurie d’enseignants et le risque d’une formation au rabais. D’autres y voient plutôt un moyen d’avoir une réelle formation en alternance bien plus tôt dans le parcours. On peut aussi souligner que c’est un premier coup de canif dans les concours et une amorce de remise en cause du compromis bancal qui avait été trouvé en 2013 en plaçant le concours en fin de M1. À terme, on peut d’ailleurs se demander si dans un contexte de pénurie s’il est toujours utile de doubler les exigences avec à la fois un concours et une sélection en Master.

Manuels
trouve la rime en "ul"...
Le Figaro a consacré tout un dossier aux manuels scolaires. Comme souvent, les journalistes s’appuient sur ce qu’ils croient être l’opinion enseignante en allant voir du côté de Twitter. Il y a d’ailleurs un article entier intitulé Dans les nouveaux livres scolaires, les couacs traqués par les profs-internautes . Et il est vrai que certains opposants s’en sont donné à cœur joie en s’“indignant” (l’excès fait partie de la posture) de telle erreur ou de tel exercice inapproprié. Le Figaro tout acquis à cette cause, semble même découvrir que les nouveaux manuels “tutoient les élèves. Alors que ça doit faire vingt ans que c’est le cas... On y déplore aussi que l’on y développe “la pédagogie au détriment de l'exposé ”. On trouve aussi dans les critiques une revendication paradoxale puisque certains souhaitent que les manuels soient “approuvés” ou labellisés par l’éducation nationale. Paradoxale, car ce sont les mêmes qui mettent en avant (et à toutes les sauces) la “liberté pédagogique” qui revendiquent ce contrôle sur des produits élaborés et fabriqués par des entreprises privées.
Il y a toujours eu une difficulté avec les manuels scolaires dans le débat sur l’École. À travers eux, ce sont souvent les programmes qui sont visés. Alors que les manuels ne sont qu’une interprétation de ces programmes et qu’ils ne disent rien des usages qu’en font les enseignants qui vont évidemment “bricoler” à partir de ces ressources. On peut aussi souligner, comme le fait d’ailleurs Le Figaro que les conditions de production de ces manuels ont été particulièrement tendues avec des délais très courts pour changer tous les manuels du primaire et du collège. Je n’aurais pas aimé être auteur de manuels ! Et comme je l’ai été, je sais que même avec la meilleure volonté du monde et de nombreuses relectures, le “zéro défaut” n’existe pas. Mais l’indulgence n’est pas la vertu la mieux partagée en ce moment.
11 millions de livres devraient être imprimés cet été pour les collégiens et plusieurs millions également pour les écoliers. Et il est vrai que le changement des manuels, qui est à la charge des collectivités territoriales (communes et départements) va être une dépense importante. On peut faire deux remarques à ce propos. D’abord, on peut se demander si les actuels manuels ne peuvent pas être en partie réutilisés. On peut faire confiance aux enseignants pour faire ce qu’ils ont toujours fait, c’est-à-dire adapter ces outils à leurs besoins. Ensuite, on peut constater que le manuel est encore vu surtout sous sa forme “papier”. Malgré les efforts pour développer le numérique, on est encore loin chez les éditeurs et chez les décideurs locaux d’envisager des manuels dans des supports numériques qui pourraient pourtant offrir l’avantage d’être actualisables et peut-être même moins couteux...

Collier de nouilles
Bonne fête Maman ! Le dernier dimanche de mai c’est la fête des mères. Et plusieurs journaux se sont intéressés à ce sujet sous l’angle de l’école.
Ouest France ou L’Express nous apprennent qu’une école de Prignac-et-Marcamps en Gironde a choisi de faire "la fête de ceux que l'on aime" plutôt que la traditionnelle fête des mères. La décision a été prise pour les enfants qui sont dans des « situations familiales délicates ». L'idée sera aussi valable pour ceux vivant dans des schémas non traditionnels. Chaque élève a ainsi confectionné en classe deux cadeaux, qu'il pourra remettre aux personnes de son choix.
Cette information a suscité de nombreux commentaires sur les réseaux sociaux et a été reprise par de beaucoup de sites d’information. Pourtant, il semble bien que cette position ne soit pas une première. D’autres écoles ont déjà pratiqué ainsi auparavant et pratiquent de même cette année. Mais ce sont les mystères du buzz et de la pousse des marronniers ... !
En tout cas, cette histoire de cadeau de fête des mères ne va pas de soi pour bien des enseignants. Il y a en fait deux questions en une. Faut-il fêter la fête des mères, compte-tenu de l’évolution des modèles familiaux ? Est-ce à l’École de se charger de la confection de cadeaux pour cette “tradition” (dont certains rappellent l’origine pétaniste) ? Sur son blog Lucien Marboeuf traite avec beaucoup de finesse de ces deux questions en donnant la parole à de nombreux collègues qui se sont exprimés sur son mur Facebook. Les positions semblent assez tranchées. Le collier de nouilles est-il au programme ? La réponse est évidemment non. Mais on peut aussi voir ce petit projet comme une des formes de la relation avec les familles (au sens large). Cela peut donc renforcer le lien Famille-École. Et la dimension affective et émotionnelle est aussi un élément important de la construction de l’enfant qu’il faut savoir gérer et intégrer au delà des théories et des principes.
On peut aussi se demander si la résurgence de ce débat cette année ne doit pas être aussi interprétée comme l’expression d’une forme de nostalgie d’une société perdue... Mais je m’égare... Et quoi qu’il en soit : Bonne fête Maman !

Droit de suite...
Revenons pour terminer sur plusieurs évènements que nous avons évoqué dans les semaines précédentes.

On apprend dans Libération comme dans d’autres journaux, qu’après un début de mobilisation, la région Auvergne-Rhône-Alpes (et son président Laurent Wauquiez) est revenue sur son souhait de réduire de 40 000 euros les subventions à ce lieu de mémoire de la Shoah. “Les 20 000 euros présentés comme une baisse de subvention seront maintenus à la Maison d’Izieu, mais serviront à des actions de mémoire”, assure l’exécutif local.

En avril, en Suisse, une affaire avait fait polémique quand deux écoliers musulmans avaient refusé de serrer la main de leur enseignante pour des questions religieuses. [Notez qu'en Suisse, il est de tradition de serrer la main des enseignants en arrivant en classe]Selon une analyse juridique réalisée à la demande du département, les écoles du canton de Bâle peuvent exiger la poignée de main malgré la liberté de religion. L'intérêt public concernant l'égalité entre femmes et hommes aussi bien que l'intégration de personnes étrangères l'emportent «largement» sur la liberté de croyance des élèves. En cas de refus les parents ou les responsables légaux risquent un avertissement, voire une amende pouvant aller jusqu'à 5000 francs nous apprend le journal suisse 24 heures.

Françoise Cahen revient, sur son blog , sur la quinzaine de jours qu'elle a vécu à 200 à l'heure avec sa pétition pour la place des femmes au bac L... Je lui dédie, à elle ainsi qu’à tous les militants cette citation qu’on attribue souvent au Dalaï Lama mais qui est aussi un proverbe africain. “Si vous avez l'impression que vous êtes trop petit pour pouvoir changer quelque chose, essayez donc de dormir avec un moustique. Et vous verrez qui empêche l’autre de dormir
Joliment peint, encadré par des pinces à linges, ça ferait un beau cadeau de fête des mères...Non ?

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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samedi, mai 21, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 16 au 22 mai 2016





- Collège - FCPE - Handicap - Médiateur – Crache test – pire & meilleur - .



Le bloc notes de la semaine revient sur la réforme du Collège à laquelle plusieurs articles sont consacrés. Une réforme qui est confrontée à deux risques opposés et parallèles : d’un côté celui de l'inertie et de la cristallisation des postures et de l’autre celui de l'excès de communication et du discours performatif... On évoque aussi dans cette chronique le congrès de la FCPE, les annonces autour du handicap, le rapport du médiateur, les tests salivaires en Ile de France... Et on finit par le pire et le meilleur. Et une prophétie !





Collège, option inertie
Le journal Le Monde a consacré plusieurs articles jeudi dernier à la réforme du collège. Un premier article évoque du latin aux classes bilangues, un an de polémiques sur la réforme du collège”. Mais comme le note l’article, celles ci ont évolué. Des positions de principe sur l’enseignement du latin ou l’apprentissage d’une deuxième langue et des débats qui en ont suivi ont est passé aussi à d’autres préoccupations : “la polémique a été relancée sur le calendrier de la réforme (un an pour tout changer), sur la charge de travail et la multiplication des réunions, le surcroît d’autonomie accordé aux établissements et leur supposée « mise en concurrence »… ”. Et tout cela se met en place avec plus ou moins de bonne volonté...
Car le risque est que la force d’inertie l’emporte sur la logique du changement. D’autant plus que le SNES-FSU, syndicat majoritaire, appelle à une “résistance pédagogique” et à “neutraliser” les effets de cette réforme . Comme l’affirme dans Le Monde, un responsable de ce syndicat : “« on peut très bien, par exemple, parvenir à maintenir ce qui a été fragilisé comme le latin ou les bilangues, bricoler des EPI, habiller l’existant pour être conforme… Localement, des arrangements peuvent se trouver pour parvenir à abroger de fait la réforme » ”. Michel Lussault, le président du Conseil Supérieur des Programmes interviewé dans Ouest France évoque lui aussi cette mise en œuvre délicate. Comme il le précise : “Tout ne sera pas réglé à la rentrée. Il y a des enseignants qui auront une relation un peu distante avec les nouveaux programmes, mais j’espère que cette distance va diminuer progressivement. ”.
C’est ce constat de la force d’inertie qui amène au deuxième article du Monde où Mattea Battaglia s’inquiète. Avec Collège 2016, écrit-elle “le gouvernement prend le risque de rendre illisible la « refondation » de l’école ”. Avec un danger, que l’ensemble du projet de « refondation » de l’école ne soit réduit, au moins dans les esprits, à cette dernière polémique. Un ultime bras de fer susceptible de “peser dans les urnes dans un an… au moins au premier tour”, fait-on valoir au sein de l’intersyndicale anti-réforme du collège, portée par le SNES-FSU.
Au delà de l’aspect électoraliste, la question posée est donc toujours la même, c’est celle de la conduite du changement et de la maîtrise du temps. C’est devenu presque une banalité de dire que le temps de l’éducation n’est pas celui du politique. Une réforme a besoin de temps pour s’installer et pour que les personnels se l’approprient. Mais encore faut-il pour cela qu’on ait pas le sentiment que tout cela vient « d’en haut » de la part de gens “qui savent”. Il faut que ça s’inscrive dans des espaces de liberté où les personnels ont de la marge de manœuvre. Étonnant paradoxe, cette réforme du collège le prévoit puisqu’elle donne une certaine autonomie mais elle se confronte à un attachement à un égalitarisme républicain qui la fait refuser. Et cela se double d’une méfiance (réciproque ?) entre les personnels de direction vus par certains comme des patrons et des enseignants vus comme des empêcheurs de réformer.
Deux risques opposés guettent : le risque de l'inertie et de la cristallisation des postures chez les personnels (y compris chez les personnels de direction et les syndicats, mais aussi celui de l'excès de communication et du discours performatif au niveau de la “centrale” et au niveau ministériel. Dans les deux cas, c’est mauvais pour le (vrai) changement !

FCPE
Le week-end de pentecôte est traditionnellement marqué par le congrès annuel de la FCPE. Celui-ci a été particulièrement observé, et particulièrement tendu...
Pour Les Échos La FCPE continue de se fissurer sur le soutien à la réforme du collège”. La Marseillaise journal local constate des “tensions très vives à la FCPE ”. Dans L’Express on apprend que “la FCPE adopte une motion critiquant la réforme du collège ”.
Cette motion a été adoptée le lundi à main levée, à 113 voix pour et 111 contre. Une autre motion, demandant la suspension de la réforme, votée par mandat, a quant à elle été rejetée par le congrès (34,61% pour, 61,10 % contre, 4,28 % abstention), a toutefois souligné la direction de la FCPE dans un communiqué. Notons que le 3ème round aura lieu dans une semaine avec le vote au sein du Conseil d’Administration dont une partie a été renouvelée des postes de président, trésorier etc. Ce conseil d’administration se retrouve avec une configuration classique de deux groupes qui s'opposent, la ligne “réformiste” plutôt majoritaire et la ligne d’opposition interne d'“Ambitions FCPE” qui a reçu le soutien spectaculaire sur Twitter du SNES et du SNALC.
Ce qui se joue au congrès de la FCPE semble se situer à plusieurs niveaux.
- D'abord et ce n'est pas négligeable, des ambitions personnelles qui transforment le conseil d'administration de la Fédération en une instance difficilement gouvernable.
- Ensuite des jeux d'influence de part et d'autres qui se sont cristallisés autour de la réforme du collège. La fédération de parents d'élèves est devenue le nouveau terrain de jeu des opposants les plus acharnés. Et comme souvent les "parents d'élèves" les plus virulents sont aussi enseignants...
- Enfin des clivages politiques et des "postures" qui existent depuis longtemps et qui dépassent de loin la seule question de l'éducation. On reproche à la direction actuelle d'être "trop proche du PS" (comme si les opposants étaient eux, sans aucune attache partisane)...Ce qui se joue aujourd'hui ressemble pas mal à du billard à trois bandes où le champ de l'école est peu présent et n'est pas jugé de manière autonome et où il s'agit avant tout de se positionner politiquement. Le congrès de la FCPE est la continuation du débat idéologique interne à la gauche par d'autres moyens.
Et avec tout ça on a quand même l'impression qu'on en oublie de parler pédagogie...!

Handicap
Jeudi, se tenait la 4ème Conférence nationale du handicap. A cette occasion, François Hollande a annoncé la transformation sur cinq ans des contrats aidés d'auxiliaires de vie scolaire (AVS), aujourd'hui limités dans le temps et précaires, en «contrats d'accompagnants des élèves en situation de handicap». Terminés donc les auxiliaires de vie scolaire (AVS), bienvenue aux Accompagnants des élèves en situation de handicap (AESH). Un acronyme qui fait déjà sourire le web (pour sa ressemblance avec daesh...). Mais, cela n’a pas trop altéré la communication des ministres où on retrouve toute la dimension de bilan du quinquennat qui semble organiser toute l’expression gouvernementale aujourd’hui.
Si l’on veut aller au delà des discours et de la com', Lucien Marboeuf nous livre un très bon billet sur la réalité de la prise en compte du handicap à l'école. Il ne nie en rien les progrès réalisés mais il n’occulte pas les difficultés. Et à juste titre, il rappelle cette belle phrase du sociologue Serge Ebersold qui, à propos du travail des enseignants parlait de “bricolage héroïque”. On ne peut mieux résumer la réalité...

Médiateur
Le médiateur de l'Éducation nationale a rendu son rapport annuel la semaine dernière. Plusieurs articles s’en font l’écho. Il s’est surtout penché sur le problème des mutations qui représentent une bonne partie des recours qui lui sont adressés. Une “affectation dans une académie non désirée” peut provoquer “d'importantes difficultés humaines, déboucher sur des solutions d'évitement non satisfaisantes comme le placement en congé sans traitement ou en disponibilité, des arrêts maladie, voire des démissions, et par ricochet affecter les élèves qui se retrouvent temporairement sans enseignant affirme le médiateur. Il demande de mettre fin aux séparations de conjoints de plus de trois ans et estime que les bonifications en cas de garde alternée des enfants sont insuffisantes.
L’autre sujet mis en avant par le médiateur est celui des concours et examens. . Le médiateur de l’Éducation nationale et de l’enseignement supérieur demande notamment que les notes soient obligatoirement motivées et que les copies puissent être réexaminées en cas d’“erreur manifeste”. “Aujourd’hui plus qu’hier, notre société a soif de transparence (…). Le besoin de connaître les raisons de son échec à un examen participe de cet assouvissement”écrit Claude Bisson-Vaivre. “Or en cas d’échec et en réponse à une demande d’explication, faire valoir pour toute réponse la souveraineté du jury introduit aujourd’hui plus qu’hier, de la méfiance et, parfois, un profond sentiment d’injustice.”. Pour répondre à ce besoin d’explicitations, le médiateur fait trois recommandations. La première est donc l’obligation de motiver les notes. On préconise aussi de rendre obligatoires les commissions d’harmonisation (qui ne se tiennent pas toujours) et que celles-ci donnent lieu à un procès-verbal transmis au jury. Mais la recommandation la plus audacieuse du rapport est sans doute celle de permettre un réexamen d’une copie ce qui, d’une certaine manière, touche au principe de souveraineté du jury.
Enfin, le médiateur n’élude pas l’idée d’alléger l’organisation du bac : “Un examen composé de cinq épreuves terminales permettrait d’aboutir aux mêmes résultats que l’actuel examen constitué d’une dizaine d’épreuves”, estime-t-il. Mais là, on s’attaque à un monument national...

Crache test
Avec Pécresse les lycéens vont en baver...
Le Monde (pas Le Gorafi, hein...) nous apprend que la région Ile-de-France a adopté, jeudi 19 mai, la proposition portée par sa présidente Valérie Pécresse (Les Républicains, LR) de financer des tests salivaires de dépistage de drogue et des éthylotests pour les lycéens franciliens, pour lutter contre les addictions. “Il y a un fléau en Ile-de-France, c’est le décrochage scolaire. A la racine de ce fléau, mettons des mots : des addictions, la drogue, l’alcool et les jeux vidéo, qui sont une autre forme d’addiction” avait affirmé Valérie Pécresse le 25 avril.
D’après certaines sources le coût possible pour faire faire ces dépistages pour un lycée pourrait être de 50000€... (le budget de l’Ile de France est de 5 milliards).
La gauche a mis en place le pass contraception, la droite le test salivaire...

Le pire et le meilleur
Très vite, avant de finir cette revue de presse, quelques résultats du butinage sur la toile . Avec le pire et le meilleur.
Le pire d’abord. Deux articles, l’un issu d’un blog intitulé “TreizHebdo” et l’autre sur le site FranceTV Info nous proposent une plongée dans les eaux troubles de Périscope . Comme tout outil, cette application peut avoir des usages très différents (elle sert par exemple à retransmettre en direct des échos de Nuit debout sur la place de la République) mais dans la manière dont elle est utilisée par les jeunes elle sert surtout à perturber les cours et relève souvent de l’insulte et du harcèlement.
Sur le site du ministère de l’Education Nationale on pourra lire une étude faite auprès des 770 000 jeunes âgés de 16 à 25 ans qui ont participé l'an dernier à la journée défense et citoyenneté. Il s'agit de personnes scolarisées qui ont passé des années sur les bancs de l'école et pourtant n'ont pas acquis les bases de lecture, d'écriture et de calcul. Les 16 - 25 ans sont touchés par l'illettrisme à hauteur de 4,3% c'est un peu plus qu'en 2014. Et près de 10% d'entre eux ont de grandes difficultés de lecture.
Un article récent du journal du CNRS revient sur l’enquête actuellement menée depuis la rentrée 2014 dans 70 collèges et lycées dans l’académie d’Orléans-Tours. On y explore une alternative au traditionnel système de notation : l’évaluation par compétences. Si les premiers résultats sont prometteurs, l’expérience est bien loin d’être finie. Rendez vous en 2018 pour les résultats définitifs
Madame, vous avez fait quoi pour devenir française ? ” Doan Bui, grand reporter à L’Obs est retournée dans son ancien collège au Mans qui accueille aujourd’hui des élèves migrants au sein d'une Unité pédagogique pour élèves allophones arrivants (UPEAA). Elle raconte sa rencontre avec des élèves migrants originaires de Syrie, du Kosovo, du Tchad... Un bel article.
Et pour la semaine prochaine ?
Mesdames et Messieurs les journalistes, chers élèves, chers parents, chers lecteurs... Je déclare officiellement ouverte la saison du marronnier du bac !

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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dimanche, mai 15, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 9 au 15 mai 2016





- Refondation (suites)- Match public/privé – Debout l’École – Rythmes & blues – Où sont les femmes – Le pire et le meilleur -


Le bloc notes est très éclectique cette semaine. On y parle des suites de la refondation, d’une polémique sur la mixité sociale dans le public et le privé, d’un sondage sur les rythmes scolaires... On évoque aussi deux textes importants, l’un issu de France Stratégie un organisme officiel qui propose de réfléchir sur les priorités éducatives pour 2017-2027, et les propositions de la commission éducation de Nuit Debout. La lecture successive de ces deux textes de nature très différente renforce la conviction de la nécessité absolue de réformer l’École. On reviendra également sur la pétition lancée par une collègue de lettres pour qu’il y ait enfin des femmes dans le programme de littérature de Terminale L. Avant de finir par le pire et le meilleur.



Refondation (suites)
La semaine a été marquées par quelques “répliques” (au sens sismique) à la suite des journées de la refondation.
Louise Tourret y revient sur Slate.fr avec un article où elle constate que si “le gouvernement se réjouit de sa politique sur l'école, il risque d'être bien seul à le faire”. Elle reconnait cependant qu’il “n’est pas malhabile de sa part d’amener les électeurs, parmi lesquels les enseignants, à faire la différence avec la droite de gouvernement.” Car, écrit-elle, “l’éducation est peut-être un des sujets sur lesquels on peut vraiment établir des différences sur les politiques menées, même si de sérieuses nuances existent entre les candidats des Républicains […] Mais surtout, pour cette gauche socialiste, il sera encore longtemps facile d’agiter l’épouvantail des suppressions de postes et de la suppression de la formation des enseignants du mandat Sarkozy. Elle aussi repère un problème de décalage temporel, car, “si les acteurs de terrains ne sont pas contents c’est parce que l’école, malgré ces efforts qu’on les juge insuffisants ou pas, ne change pas vite. ” Rappelant, elle aussi que le temps de l’École n’est pas celui du politique, elle fait remarquer que “la prochaine livraison [de PISA] aura lieu en fin d’année. Même si les élèves dont elle parlera sont nés sous Chirac et auront connu peu la gauche au pouvoir durant leur scolarité, c’est pourtant ses résultats qui serviront de thermomètre pour juger de l’état de l’école après quatre ans de gauche au pouvoir.
Jean-Michel Zakhartchouk a lui aussi assisté à ces journées de la refondation et en rend compte sur son blog. . Il déplore, comme d’autres, le faible nombre d’enseignants en poste pour témoigner et échanger avec d’autres intervenants. “La présence de davantage de pédagogues aurait permis sans doute d’éviter parfois des discours convenus qui peuvent parfois se succéder sans qu’il y ait vraiment échange. ” Sur le bilan de la refondation, il nuance en indiquant que “contrairement à ce qu’on entend, beaucoup de choses se font silencieusement (ou à bas bruit) et se feront à la rentrée, entre EPI, pédagogie du projet, nouvelles façons d’évaluer au-delà de la note, manières pertinentes de gérer le « plus de maîtres que de classes » ou progrès vers l’école inclusive, malgré les immenses difficultés.
Pour Paul Devin, IEN et membre éminent de la FSU (et présent à ces journées) “Les journées de la refondation ont renforcé la vision caricaturale qui voudrait faire croire que les oppositions aux réformes seraient portées par des conservatismes égoïstes et inconscients des enjeux de démocratisation de la réussite scolaire, écrit-il sur un blog Mediapart.
Dans The Conversation, Didier Pourquery directeur de la rédaction, revient sur l’entretien qu’il a eu avec le président de la République qui a clos la première des deux journées en rassemblant les principales phrases prononcées par François Hollande. Il en retient surtout ce souhait : “ayez confiance en votre école !
Alain Boissinot, ancien recteur, ancien directeur de l’enseignement scolaire, dans une tribune donnée au Café Pédagogique considère que la refondation aurait du oser réformer la gouvernance. Il voit les difficultés actuelles face aux réformes comme la résultante de deux facteurs “D’abord, une conception très jacobine du pilotage : il faut définir une politique « juste », puis la faire appliquer pour corriger un monde réel dont on souligne les dysfonctionnements. Dans cette logique, on tend à surestimer les pouvoirs de l’Etat, et l’on se méfie des acteurs locaux au lieu de s’appuyer sur eux. D’autre part, nous y reviendrons, une survalorisation de la rupture politique : on prétend reconstruire d’urgence par rapport à un état antérieur excessivement décrié, et du coup on s’inscrit dans un temps court qui ne permet pas d’agir en profondeur. On oublie qu’une réforme ne vaut qu’à la mesure de l’adhésion qu’elle rencontre et de son appropriation par les acteurs, ce qui nécessite du temps. ”. La gouvernance est en effet un angle mort de la refondation.
Je signale enfin, toujours dans la suite des commentaires sur les journées de la refondation et plus globalement sur le bilan d’étape de celle ci, une chronique sur AlterEcoPlus que j’ai commise et où je reviens sur les postes et sur les dépenses consacrés à l’éducation et où je rappelle que “pour répondre à la question « est-ce que ça va mieux ? », il faut, en fait, faire un double effort rétrospectif et prospectif. Il ne faut pas avoir la mémoire courte et se rappeler de l’état de l’école sous le quinquennat précédent. Et il faut aussi anticiper les effets que peuvent avoir les mesures prises. Pas facile dans un contexte marqué par l’impatience et le pessimisme… Et la question pour demain, dans le domaine éducatif comme dans les autres, sera d’examiner les programmes proposés par les différentes forces en présence. Si ça ne va pas mieux, ça peut aller plus mal…

Match Public/privé
La semaine a été marquée aussi par une polémique sur la mixité sociale dans l’enseignement privé et l’enseignement public.
Une étude, conduite par Pierre Courtioux, un chercheur de l’Edhec et dont La Croix dévoilait les résultats lundi dernier montrerait que les collèges privés sont surreprésentés parmi les établissements les plus mélangés socialement. Le chercheur observe que «les collèges privés sont surreprésentés au sein des collèges les plus ”performants” en termes de mixité sociale : alors qu’ils ne représentent que 20 % de l’ensemble des collèges, 50 % des collèges privés appartiennent au tiers des collèges les plus mélangés socialement». En d’autres termes, s’il accueille globalement des élèves issus de milieux plus favorisés, l’enseignement privé, très largement dominé par l’enseignement catholique, aurait selon ce chercheur un plus grand brassage social que le public.
La journaliste Louise Tourret s’indigne sur Slate.fr : “L'école privée «bon élève» de la mixité sociale. De qui se moque-t-on? ”. Elle concède : “Bien sûr que c’est vrai. Pourquoi? Parce que les familles évitent les écoles publiques, parce qu’elles ont peur du mélange social, parce que les établissements concentrent trop de difficultés, parce que la composition sociale du quartier mais aussi, le contournement de la carte scolaire font de certains collèges de véritable ghettos scolaire.”. Il faut signaler d’ailleurs que l’article de Denis Peiron dans La Croix l’évoque lui aussi : ce constat est d’abord le résultat d’une sectorisation entérinant des logiques de séparatisme social et géographique. Louise Tourret sur Slate.fr poursuit le débat à distance avec La Croix : “Pour faire un match, il faut jouer selon les mêmes règles: l’école privée, bien que largement financée par les deniers publics et appliquant les mêmes programmes scolaires, est payante, premier filtre. Et elle n’a pas d’obligation d’accueillir tous les élèves, deuxième filtre ”.
Pierre Merle dans le Café Pédagogique réagit aussi à cette enquête en en contestant les hypothèses et les calculs statistiques. Il évoque même à partir de ses propres études une “ghtetoisation par le haut” des collèges privés. Et il conclut ainsi : “pour l'instant, si le principe d'une école catholique ouverte aux pauvres et aux faibles est rappelé haut et fort, la réalité sociale de l'enseignement catholique est autre. Loin d'être un modèle de mixité sociale, les portes des collèges privés se ferment de plus en plus aux enfants défavorisés. Le grand défi moral, éthique et pastoral que le secteur privé doit relever est de mettre ses pratiques en cohérence avec ses principes.

Debout l’École !
Un document est passé quasi inaperçu dans l’actualité éducative alors qu’il est pourtant fort intéressant et stimulant. France Stratégie est un organe consultatif officiel héritier du commissariat au plan. Cette institution a engagé le projet « 2017/2027 » visant à analyser les enjeux de la décennie qui suivra la prochaine élection présidentielle. Ils viennent de publier une note sur les priorités éducatives. Elle appuie là où ça fait mal...
Les auteurs de la note font un constat : les dépenses d’éducation (DIE) engendrent en France des performances trop faibles et trop inégales. C’est lié, selon eux à des moyens insuffisants et mal répartis. Il faut souligner qu’à la fin d'un quinquennat qui a fait de l'Ecole sa priorité et après les journées de la refondation, un service du Premier ministre appelle à dépenser d’avantage et se livre à une (auto)critique stimulante. Pourquoi concluent-il à une faible efficacité du système éducatif ? les auteurs avancent trois explications principales : des objectifs peu cohérents, un système trop uniforme, des ressources humaines peu valorisées. On évoque donc aussi l’impératif de repenser la gouvernance de cette énorme machine qu’est l’éducation nationale et la nécessité de faire évoluer le métier d’enseignant. On trouvera une lecture synthétique de ce rapport sur le blog de Jean-Pierre Veran (Mediapart) ainsi que dans le Café Pédagogique
J’invite tous mes lecteurs à lire attentivement ce document et à s’emparer des questions qui sont posées. Devons-nous investir plus dans l’éducation, et comment ? Comment réduire les déterminismes sociaux ? Comment faut-il faire évoluer l’enseignement ? Comment réformer la gouvernance et le pilotage du système éducatif ? Toutes les parties prenantes au débat public sont invitées à s’exprimer, à confronter leurs constats au diagnostic élaboré par les experts de France Stratégie, à présenter leurs analyses et à formuler des propositions. Il faut déposer sa contribution avant le 9 juin 2016 sur le site francestrategie1727.fr
Jean Pierre Veran dans une autre note de son blog (Mediapart) fait un parallèle qui peut sembler étonnant entre cette note de France Stratégie et le manifeste éducation de Nuit Debout qui est paru également cette semaine. Pour l’auteur, “Il n’est pas vain de chercher, entre ces deux documents, par delà des divergences manifestes, des convergences sans doute utiles dans la perspective d’un débat citoyen sur la politique éducative. ”. Selon lui, on trouve au delà des divergences de tonalité, des convergences sur le diagnostic.
Le travail de la commission éducation a abouti à un manifeste en neuf points. Certains pourront s’agacer de la phraséologie utilisée dans ce texte et de quelques obsessions, mais il invite lui aussi à la réflexion. C’est une interpellation qui est faite à l’ensemble du système éducatif et à ses acteurs. Et, comme le dit Jean-Pierre Veran, on y retrouve des éléments de constats partagés avec bien d’autres analyses, rapports et évaluations.
La lecture successive de ces deux textes de nature très différente renforce en tout cas la conviction de la nécessité absolue de réformer l’École dans tous ses aspects pour lutter efficacement et en mobilisant tous les personnels contre les inégalités et les discriminations que l’École contribue non seulement à reproduire mais aussi à renforcer et créer.

Rythmes & blues
Revoilà les rythmes scolaires qui font parler d’eux...
Le Figaro rend compte d'un sondage du SNUipp auprès des enseignants parisiens. Pour 98% des 800 professeurs interrogés, issus de 243 écoles, les objectifs de la réforme ne sont pas atteints, affirme le Snuipp-FSU. Selon les enseignants, les élèves seraient plus fatigués et moins disponibles pour les apprentissages. Mais le sondage semble surtout insister sur les conditions de travail des enseignants. Ils sont près de 94% (sur 800 adhérents interrogés) à se dire “plus stressés et plus fatigués”. Pour 54%, la réforme s'est aussi traduite par une augmentation de leurs dépenses financières avec, notamment, leurs enfants à faire garder le mercredi matin. On peut lire aussi que “les conditions d'exercice du métier sont très dégradées car l'enseignant n'est plus le référent unique dans l'école. Il est très dévalorisé”, c’est ce qu’explique une enseignante. D’autres évoquent même des conflits avec les autres intervenants.
Ce sondage dresse un tableau noir des rythmes. Mais on voit bien qu’il y a plusieurs niveaux d’analyse qu’il est difficile de repérer : les apprentissages des enfants, leur fatigue, la qualité des activités proposées, l’efficacité de l’organisation dans les communes, les conditions de travail des enseignants. Dans Le Monde, la journaliste Mattea Battaglia rappelle que le gouvernement, face aux appréciations au doigt mouillé, avait tôt dans le quinquennat, promis une évaluation fine du retour à la semaine de quatre jours et demi d’école. S’est-elle “égarée en chemin”, se demande t-elle ? Pas de freins à cette “transparence” rétorque-t-on dans l’entourage de Najat Vallaud-Belkacem, en promettant “pour juin” au moins une partie des enquêtes en cours. Car celles-ci portent sur trois domaines :

• les « bénéfices pédagogiques », évalués par l’inspection générale – comme l’a rappelé le SNUipp-FSU – mais aussi par la DEPP, le service statistique du ministère de l’éducation ;

• la qualité de l’offre périscolaire, sur laquelle a été mandatée, par le premier ministre en personne, la sénatrice de Gironde Françoise Cartron (PS).

• la fatigue des enfants. Deux études sont en cours : une dirigée par le chronobiologiste François Testu et centrée sur la ville d’Arras (Nord) et une autre menée conjointement par le ministère de l’éducation et l’université de Tours.

Où sont les femmes ?
La pétition lancée par Françoise Cahen pour qu'il y ait des auteurs femmes inscrites dans le programme de littérature de Terminale est exemplaire à plus d'un titre.
D'abord parce que cette collègue, scandalisée par cette absence s'est saisie de son droit d'expression et de citoyenne pour s'exprimer d'abord sur son blog et ensuite par une pétition. Elle l’a fait avec modestie, intelligence et retenue. Elle a pris la peine de rappeler aussi qu’elle n’était pas la première à dénoncer cette situation. Il y a deux ans, une lycéenne avait déjà lancé une pétition semblable et une dessinatrice (Diglee) s’en était aussi ému sur son blog en 2015.
Ensuite, parce que la mobilisation par les réseaux sociaux a joué à fond comme c'est le cas aujourd'hui pour les pétitions. Mais aussi parce que l'on voit bien que les médias s'alimentent de cette “veille" sur les réseaux sociaux. 
Et c'est ce qui va déclencher le phénomène circulaire suivant. Un premier média national (Libération ?) va s'emparer de cette info dans une semaine un peu creuse et cela va ensuite être repris par tous les autres dans une sorte de copiage circulaire bien connu aujourd'hui. Et la liste est longue aujourd’hui des articles consacrés à cette initiative : Les Nouvelles News , Buzzfeed, Le petit journal des Profs, Le Café Pédagogique , Le Parisien , L’AFP , L’Express , 20minutes , Le Monde (et j’en oublie)... Et ce sont aussi de nombreuses interventions dans les médias audiovisuels (radio et télévision) qui s’enchaînent: Le Mouv’ , LCI , Europe1 , France Inter , RTL , Canal+ , France3 . Là aussi, ma liste n’est pas exhaustive !
Et Françoise Cahen a vécu son quart d'heure warholien...

Mais, et c’est finalement le plus important, l'aboutissement c'est que tout cela devient, enfin un phénomène politique puisque ça donne lieu à un communiqué de la Ministre où elle annonce un certain nombre de mesures et de recommandations et à une intervention directe sur le site de la pétition qui lui était adressée pour l'approuver. Cela ne s'était jamais vu !


Le Pire et le meilleur
Pour finir cette revue de presse, nous allons aller rapidement du pire vers le meilleur...

Le pire d’abord avec la mairie FN de Cogolin qui a décidé de réduire de 60% le budget fournitures d’une école de la ville au motif que son projet pédagogique ne plaît pas aux élus frontistes. Visiblement, le « voyage musical autour de la Méditerranée » organisé par l’équipe pédagogique écorcherait les oreilles des élus Front national. C’est précisément la chanson de Khaled « Aïcha » que les enfants doivent chanter qui a déclenché ce chantage. Ils menacent donc, si cette chanson et l’ensemble du projet pédagogique sont maintenus au programme, de réduire drastiquement les crédits de l’école. C’est d’abord un premier communiqué syndical puis un autre qui ont alerté sur ce scandale. Ensuite l’info a été relayée par les médias nationaux notamment sur France Inter. Aux dernières nouvelles, face à la polémique et "pour taire les rumeurs", dit le maire Marc-Etienne Lansade, la subvention de l'école concernée vient d'être réévaluée.

Une autre information relevée dans la presse (LeJDD .fr) peut inquiéter. On apprend que le groupe KidZania qui met les enfants au travail pour les préparer à la vraie vie, pourrait arriver en France en 2017. Ce groupe qui a déjà 23 sites partout dans le monde propose des parcs d'attraction qui mettent les enfants de 4 à 14 ans au travail et leur offrent un salaire pour jouer aux grands dans une ville miniature autour d'une cinquantaine de métiers. Pendant leur parcours de travailleurs, les enfants deviennent pompiers, vétérinaires, avocats ou envoyés spéciaux. Ils reçoivent en échange des kidZos qu'ils peuvent dépenser dans une boutique ou consommer en achetant des burgers ou des sodas. Un univers capitaliste sans chômeurs où les lois du marché et de la consommation tournent à plein régime.

Finissons par le meilleur...
Il s’agit du documentaire “Le prof de gym”, diffusé lundi dernier sur France3 Ile de France à 23h30 (!) et qu’on peut revoir en replay pendant encore quelques jours. Quelques extraits des échanges pour vous donner envie :
Avant...
- « Vous allez danser dans la rue et vous allez être émus, on va faire un vrai film de danse »
- «M'sieur, être ému c'est être triste»
- « Non, être ému, c'est avoir des émotions »
- "Mais m'sieur c'est pas du sport !"
- "Regarde sur ton carnet, qu'est-ce qu'il y a marqué ? Education Physique et Sportive"
Après...
« Le projet il est osé, mais je crois qu'on est maintenant plus ouvert»
« je suis fier, mais une fierté collective »
« Le prof m’a donné envie. Je ne sais pas comment il fait »
«je le remercie et je vais jamais l'oublier ! »
Benoît Grimont, le réalisateur de ce documentaire a suivi pendant six mois deux classes, qui entament un cycle de création autour de la danse contemporaine avec leur prof d'EPS Yves Le Coz, au collège Flora Tristan dans le XXème arrondissement de Paris.
Pédagogie de projet, bienveillance, éducation artistique, accès à la culture, plaisir d’enseigner, leçon de vie,… il y a tout ça et bien plus encore dans ce film émouvant et énergisant où les élèves sont autant en vedette que l’enseignant. Précipitez vous pour regarder ce documentaire avant qu’il ne soit plus accessible. A moins qu’une chaine de télévision décide de le rediffuser à une heure raisonnable. Plus que jamais, on a besoin de cette idée positive de l’École

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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dimanche, mai 08, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 2 au 8 mai 2016





- Refondation : com’ et bilan d’étape – La formule de Prost – Le pire et le meilleur - .



Ce bloc notes est surtout consacré aux deux journées de la refondation organisées par le Ministère au début de la semaine. Coup de com’ ou bilan d’étape ? Les deux. Même si le nécessaire débat sur la refondation a été phagocyté par les annonces sur la rémunération des enseignants du primaire. On a donc pas retenu grand chose de ce qui s’est échangé durant ces deux jours. Sauf une intervention, celle de l’historien Antoine Prost dont une formule a déclenché une mini-polémique dont les réseaux sociaux ont le secret.
Pour finir, on donnera quelques conseils de lecture. Ouvrez vos cahiers de texte et notez : je dois lire absolument “Mohamed, l’ouvrier qui aurait voulu être prof de maths”. Vous répondrez ensuite à la question sur une feuille propre : “en quoi ce témoignage peut donner du sens à la refondation de l’École” ?...



Refondation : com’ et bilan d’étape
L’évènement de la semaine ce sont les “Journées de la refondation” qui ont eu lieu au Palais Brongniart (anciennement la Bourse) à Paris les lundi 2 et mardi 3 mai. Des journées qui ont rassemblé près de 2000 personnes dans des tables rondes et des ateliers (dont on peut retrouver les vidéos sur une chaine DailyMotion ). Ces deux jours ont été marquées par la visite du Premier Ministre (mardi soir) et du Président de la République (lundi soir).
Les journées sur les réformes dans l’Education: point d’étape ou coup de com?titre une dépêche de l’AFP . La réponse est : les deux ! Pour Florence Robine (Dgesco) dans l’émission de France Culture “Du grain à moudre : “ il était utile de faire un point d’étape et d’avoir une vision systémique et de redonner de la cohérence à l’ensemble des réformes”. Mais pour la plupart des journaux, il s’agissait avant tout d’un coup de com’. C’est que dit Le Figaro en parlant du “bel exercice de communication du gouvernement ”. Même analyse pour le Monde : “le gouvernement fait son show ”. Même tonalité pour Le Figaro , Les Échos , L’Humanité . Le Monde va encore plus loin dans un autre article puisque pour lui, durant ces journées “le gouvernement s’auto-congratule sans convaincre ”. Plusieurs journaux mettent aussi en avant le faible nombre d’enseignants durant cet évènement qui rassemblait surtout des membres de la technostructure (même si la ministre affirme qu’il y avait 40% d’enseignants durant ces journées). Le Monde pose ainsi la question : Le manque d’autocritique nuit-il à la refondation ?
Coup de com’ ? La réponse du Président de la République (vidéo) lors de sa venue le lundi en fin de journée a au moins le mérite de la franchise. Il en plaisante : “Quand on ne fait pas de communication c’est rare qu’on la fasse pour vous” et il ajoute même, toujours sur le ton de la plaisanterie “si on attend que les compliments, on est pas toujours satisfait, si on attend les critiques, on peut avoir son lot...”, tout en se défendant : “il ne s’agit pas de repeindre la réalité”. F. Hollande évoque aussi dans son intervention une obligation de “rendre des comptes” et ça peut sembler légitime. Un exécutif, quel qu’il soit, a le droit de présenter ce qu'il a fait. Il reste ensuite aux médias, aux critiques et aux opposants à se saisir de cette mise à l'agenda pour apporter des contradictions ou des nuances ou contester le bilan. C’est le jeu démocratique !
Dans ce cadre, on peut signaler un bon article dans L’Express qui explique pourquoi les profs ne voient pas les 47 000 postes créés dans l'Education. Un article dans Le Monde revient sur l’ensemble des axes de cette loi et en fait un bilan assez complet. Dans Le Figaro on donne la parole à Jean-Rémi Girard (SNALC) qui insiste surtout sur la réforme du Collège mais évoque aussi la priorité au Primaire et la formation. Dans Les Échos, la journaliste spécialisée Marie-Christine Corbier dresse un bilan contrasté de la “priorité à l’éducation”. Dans L’Obs, Sandrine Chesnel se demande “3 ans après, qu’est-ce qui a changé ?”. Même si je ne suis pas journaliste mais un observateur critique et engagé , je me permets aussi de signaler les trois billets de blog que j’ai consacré à ce bilan .
Mais le problème, c’est que ce débat pourtant nécessaire sur la refondation a été phagocyté par l’annonce de l’augmentation de l’indemnité de suivi et d’accompagnement des élèves (ISAE) destinée aux professeurs des écoles par Manuel Valls . Les médias n’ont (souvent) retenu que ça ...
Pourtant cette annonce n’était plus vraiment un scoop car l’essentiel avait déjà été dévoilé par la Ministre quelques jours auparavant dans une interview au JDD Et dès le lundi 11h, Benoît Hamon avait spoilé comme on dit maintenant en annonçant déjà que ça représenterait 80 euros nets par mois. La seule incertitude qui restait concernait donc la date. Cette ISAE passera à 1200 euros à la rentrée 2016, ce qui la met à égalité avec l’ISOE qui est une indemnité équivalente pour les enseignants du secondaire.
Il s’agit donc d’une remise à niveau attendue et nécessaire entre les enseignants du primaire et ceux du secondaire. Beaucoup de journalistes utilisent à tort le terme de “prime”. C’est en fait une indemnité. Et une indemnité a une certaine stabilité. Si l'ISAE a été créée en 2013, l'ISOE a été créée en 1990 et a survécu aux alternances. Évidemment, il ne s’agit pas d’une revalorisation salariale au sens strict, ce n’est pas non plus complètement pris en compte dans le calcul de la retraite de base (mais uniquement dans la retraite additionnelle de la Fonction Publique). Évidemment cela ne compensera pas la baisse du pouvoir d’achat accumulée... Mais il faut aussi replacer cela dans le contexte du dégel du point d’indice (0,6 % en juin et 0,6 % en mars). Par ailleurs, il faut signaler que dans le cadre des négociations PPCR (Parcours professionnel, carrières et rémunérations) qui sont en cours, on prévoit une intégration progressive des primes et indemnités des fonctionnaires dans leur salaire à partir de janvier 2017.
Comme je le faisais remarquer dans une chronique récente , certains ne manqueront pas de voir dans cette annonce une forme de clientélisme à un an des élections présidentielles. Cela en limite la portée face à une opinion enseignante qui reste dans l’impatience d’une amélioration plus nette de sa situation (financières et conditions de travail). Dans ce sujet comme dans bien d’autres, l'une des plus grandes défaillances de ce quinquennat, c'est la maîtrise du temps...

La formule n°1 de Prost (Antoine)
On a peu parlé du contenu des débats (tous visibles en ligne) lors de ces deux journées. Sauf un... Il s’agit du débat n°3 Les valeurs de la République à l’École le mardi après midi. Et plus précisément, c’est surtout l’intervention de l’historien de l’éducation Antoine Prost qui va faire le buzz sur les réseaux sociaux. Comme c’est l’habitude aujourd’hui (même si on peut le déplorer comme l’a fait Prost lui même), les débats font l’objet d’un livetweet et d’un mur de tweets qui encadrait la scène du Palais Brongniart. Sur les réseaux sociaux, c’est cette formule (n°1), cette phrase rapportée par un tweet (dont je suis l’auteur, je crois bien...) qui va faire scandale : “La façon dont les enseignants enseignent n'est pas républicaine" . Avec cette citation se déclenche une sorte de mini scandale dont les réseaux sociaux ont le secret. Après le #cloclogate , le #ProstGate ?
On retrouve là tous les ingrédients. D'abord la brièveté du message qui conduit à réagir sur une phrase sortie de son contexte. On a beau renvoyer à l'intégralité du débat qui est en ligne rien n'y fait. On ne prend pas la peine de faire cet effort de lecture. D'autant plus que des spécialistes du découpage (ils se reconnaitront...) se chargent de saucissonner non seulement les textes mais aussi les vidéos et de vous dire ce qu'il faut en penser. Ensuite, le défaut des réseaux sociaux c'est que le buzz au bout d'un moment, s'auto-entretient... De tweets en re-tweets, de nouvelles personnes s'emparent de cette simple phrase et sans prendre la peine de remonter la discussion la rediffuse. Et c'est reparti pour un tour...Enfin, et surtout, c'est là une vraie difficulté qui va au delà de ce réseau social et qui empoisonne tout le débat sur l'École, la promptitude et l'hyper-susceptibilité qui conduit à se sentir insulté, "méprisé" et à prendre pour soi ce qui est avant tout une critique du système. Pourtant comme l'a dit Antoine Prost lui même en réponse à une question : “je fais le procès de l'institution je ne fais pas le procès des hommes”. Les profs sont facilement froissés, ça fait pas un pli !
Certains disent que Antoine Prost “devrait réactualiser ses représentations du métier” (lu sur Twitter). Peut-être... On peut aussi se demander si la difficulté ne vient pas justement du fait que M. Prost nous tend un miroir que nous ne voulons pas voir. Quel décalage entre l’image que nous voulons et pensons donner et la perception que d’autres peuvent en avoir ?
Les enseignants sont des gens du discours, de la parole, ils ont été formés comme ça...Mais cela conduit quelquefois à une illusion qui est de penser que seul le discours suffit. Or, tout comme Cocteau disait qu'"il n'y a pas d'amour il n'y a que des preuves d'amour", on peut dire que les intentions de lutte contre les inégalités et tout le discours "de gauche" ne suffisent pas face à la nécessité d'interroger chacun de nos actes et le fonctionnement global pour savoir s'il est réellement démocratique... C'est pour ça que j'apprécie tant le slogan des Cahiers Pédagogiques "changer l'école pour changer la société, changer la société pour changer l'école". Parce qu'il nous invite à la modestie de l'action quotidienne évaluée à l'aune de nos valeurs. Par ailleurs, au risque de me répéter, il y a une vraie difficulté à admettre pour les enseignants que le fonctionnement de l'École soit inégalitaire et peu démocratique. Ils ont le sentiment d'y faire leur travail du mieux qu'ils peuvent. Et en plus ils sont la preuve vivante que l'École fonctionne malgré tout puisqu'ils en sont le produit ! Comment critiquer un système qui vous a fait "réussir" et qui vous fait vivre ? La tentation est forte de prendre alors "pour soi", dans une hyper-susceptibilité corporatiste, ce qui est avant tout une critique de l'institution. On est rarement le meilleur juge de soi même. Mais encore faut-il être capable d’accepter la critique et la confrontation avec un regard extérieur ou du moins en surplomb. Dans une discussion apaisée, au lieu de crier au scandale et au “mépris’, on aurait pu se demander ce que cet observateur a à nous dire sur le fonctionnement du système et examiner sereinement cette critique et faire la part des choses.
Toutefois, on se prend à rêver qu’un débat serein puisse se faire. Il faut en effet signaler le billet de blog de Amélie Hart-Hutasse et Christophe Caillaux.Ils sont tous les deux professeurs d’Histoire-Géographie en lycée (et se présentent sur leurs profils Twitter comme des militants du SNES-FSU) et réagissent à l’intervention d’Antoine Prost qu’ils ont écouté dans son intégralité.
Avant d’aller plus loin sur le fond, on peut se réjouir qu'on retrouve ici la fonction de Twitter que j'appréciais lorsque je m'y suis inscrit (en 2009). Les auteurs, qui ont bien compris qu'on ne pouvait pas argumenter sur ce média (sur FaceBook, c'est déjà mieux, il y a un peu plus d'espace) ont écrit un texte sur un hébergeur de blog et ils le signalent sur Twitter qui remplit alors sa fonction initiale d'outil de "veille" et de circulation de l'information. Bien loin des invectives, moqueries, interpellations et autres punchlines qui en polluent l'usage aujourd'hui et contribuent à un climat malsain. On se prend à rêver qu’il en soit toujours ainsi...
Que disent nos deux collègues ? Ils commencent d’abord, très honnêtement, par remettre “la” phrase dans son contexte et rappeler qu’Antoine Prost a commencé par déclarer que “L’école devrait être exemplaire des valeurs de la République. Or, elle ne l’est pas, même si elle n’est pas pire que le reste de la société, elle est même meilleure que certains îlots dans le reste de nos sociétés ”. Mais ils lui reprochent ensuite la véhémence dans la suite de ses propos. “M. Prost est-il conscient de la place et du rôle des enseignants dans l'école d'aujourd'hui, tenus de défendre une République idéalisée, tout en encourageant les élèves à porter un regard critique sur le gouffre qui sépare trop souvent valeurs et pratiques républicaines ? Est-il conscient que de nombreux professeurs sont parmi les derniers à tenir les murs d’une République qui elle ne tient pas ses promesses, surtout dans les quartiers populaires où s’accumulent ses faiblesses et ses contradictions. A-t-il oublié, enfin, le rôle bien difficile des enseignant.e.s, après les attentats de l’année 2015, aux côtés d’élèves perdus, effrayés, en colère face à une irruption si impensable de la violence, et encore plus en colère et désemparés par les « débats » tout aussi violents qui ont agité la sphère médiatico-politique sur la « laïcité » et la « compatibilité de l'islam avec la République » ? Ils n’auraient donc jamais enseigné de manière républicaine, tous ces collègues ? ”. Ils déplorent également l’injonction à travailler collectivement qui “nie les conditions de l'exercice du métier, et la manière dont notre travail est prescrit, rendu possible – ou empêché ! - par l'institution, par nos hiérarchies administratives et pédagogiques.
Cette polémique donne lieu à un autre billet de l’historien Claude Lelièvre, cette fois ci (toujours sur Médiapart) . Celui-ci déplore que les propos de Prost aient été mal interprétés et propose dans son billet “de ne pas se focaliser sur les adultes (et a fortiori sur les seuls enseignants), mais sur le type de pouvoir institué dans ces ''micro-sociétés'' que peuvent être les établissements et/ou les classes ”. Il poursuit avec un développement sur les formes de pédagogie en notant que “le paradoxe est que l’Ecole républicaine va manifestement fonctionner avec un pouvoir des enseignants plus proche de la ‘’monarchie absolue’’ des Frères de Ecoles Chrétiennes (ou du ‘’despotisme éclairé’’ cher au courant dominant de la philosophie des Lumières), que de la ‘’monarchie constitutionnelle’’ et du libéralisme de la Société pour l’Instruction élémentaire.”. Et il évoque avec son regard d’historien les évolutions pour faire évoluer les pratiques pédagogiques vers plus de coopération, de liberté et d’autonomie.
Que penser de cette polémique ? Chacun pourra se faire son opinion à partir des documents présentés (je déconseille Twitter si l’on veut trouver un échange d’arguments !). Pour ma part, je voudrais faire quelques remarques. Quand Antoine Prost parle "des enseignants", il s'enferme dans un piège (que d’autres ont connu avant lui et notamment François Dubet). D'abord parce ce qu'il n'évoque pas (ou à la fin en réponse à une question) le rôle de l'institution. Or les enseignants évoluent avec des statuts, des rôles, des règles et des normes et sous l'autorité d'une hiérarchie. Et "l'École" c'est bien plus que “les enseignants”. Ensuite parce que "LES enseignants" ça n'existe pas ! Il est impossible de les considérer comme un tout homogène et heureusement. Et en faisant cela on se heurte à la susceptibilité corporatiste évoquée plus haut. Toutefois, si on veut être un peu méchant, on peut remarquer que ce sont les mêmes qui s'offusquent qu’on généralise avec "LES enseignants" qui le font bien souvent avec “LES chefs” ou “LES parents”, “LES élèves”, “LES formateurs”...
Mais une fois que l’on a dit que “les” enseignants sont divers et qu’ils font du mieux qu’ils peuvent doit-on se dispenser de tout regard critique ? Invoquer le "travail empêché" ou le poids de la hiérarchie vous confronte à un choix : se complaire dans une posture de victime ou essayer d’agir quand même. Le refus de la “culpabilisation” très présent chez les enseignants ne doit pas conduire à l’excès inverse qui serait celui de la déresponsabilisation et de l’attente de changements extérieurs à l’École. Et ce qu’il faudrait surtout retenir de cette interpellation vigoureuse d’Antoine Prost, c’est la nécessité pour chacun de s’interroger : « Comment puis-je faire, dans ma classe, dans mon établissement, seul et collectivement , pour construire une école plus efficace et plus démocratique ? »

Le pire et le meilleur
Pour finir ce bloc-notes essentiellement consacré à la refondation de l’École et à ses suites, évoquons brièvement d’autres sujets qui mérite notre attention. On y trouve le pire et le meilleur...
Le pire d’abord. Le Monde sous la plume de Mattea Battaglia revient sur le projet de “les Républicains” (je ne m’y ferai jamais) pour l’école. Pour reprendre la présentation de l’article, en surfant sur la vague nostalgique idéalisant l’école de la IIIe République, la droite prend le risque de passer à côté de l’élève du XXIe siècle. Tant il est vrai que pour elle, ce n’est pas l’élève qui doit être au centre de l’école, mais bien le maître.
Si l’on veut poursuivre dans l’analyse des projets pour l’École, on peut aussi aller lire la tribune de Jean-Paul Mongin, le délégué général de SOS-éducation, une officine qu’on peut qualifier de “libérale”. Un extrait de la prose de ce monsieur : “En 2017, les Français remettront en cause la nécessité d'un corps de fonctionnaires ayant pour mission de remplir un service éducatif dont rien ne justifie qu'il soit opéré par un monopole d'État. Ils exprimeront le désir de pouvoir simplement inscrire leurs enfants dans un établissement public de leur choix qui fonctionne, avec un projet éducatif porté par une équipe cohérente, et de voir ainsi émerger un certain pluralisme scolaire. Il attendent qu'on leur donne le choix de la proximité et de la subsidiarité, contre un modèle écrasant d'administration centralisée obsolète depuis 40 ans.
Pour finir sur une autre note (je vous ai promis le meilleur pour la fin), je vous invite à lire absolument et sans attendre ce très beau témoignage paru dans le “M” le supplément magazine du journal Le Monde en complément de la série documentaire « Les Français », sur France 2. Si vous doutez, si vous voulez redonner du sens à l’école, si vous voulez vous indigner aussi, si vous voulez être ému aux larmes tant ce qui est dit vous parle et vous renvoie à des sentiments personnels et familiaux, il faut lire Mohamed, l’ouvrier qui aurait voulu être prof de maths .

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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