lundi, mai 01, 2023

Un vieux de la veille

 Je viens de me rendre compte que ça fait vingt ans que je fais une revue de presse ou une veille sur l'actualité de l'éducation.

Je suis retombé sur les premiers messages que j'ai envoyés sur la liste des adhérents du CRAP-Cahiers Pédagogiques en avril-mai 2003. Je commençais à signaler les articles intéressants et à susciter le débat sur cette actualité.
Un an après, en septembre 2004, je créais mon blog "Chronique éducation" dont la vocation de départ était de faire une revue de presse quotidienne (une par jour !!!). Après quelques années de ce rythme infernal mais stimulant, en 2013 je suis passé à un rythme hebdomadaire.
En même temps, en avril 2009, j'ouvrais un compte Facebook et un autre sur Twitter en expliquant "tenir un blog ne suffit plus !". Et en effet, progressivement, les réseaux sociaux ont pris le pas sur les blogs. Le mien n'est quasiment plus alimenté alors que je continue mon activité sur les réseaux.

D'ailleurs comment définir cette activité ?
Initialement en 2003, cela ressemblait à ce je fais aujourd'hui : livrer des articles sans faire de commentaires et laisser le débat vivre tout en y participant comme tout un chacun.
Et puis, je suis passé à une "revue de presse" très écrite où je mettais en perspective et commentais ce qui se passait. Je me servais du prétexte de l'actualité pour donner mon avis. Je me prenais pour Ivan Levaï !
Progressivement, les textes personnels ont d'ailleurs pris le pas sur la revue de presse avant que celle-ci ne disparaisse sur mon blog.
Celle ci est passée ailleurs puisque elle a été bien reprise sur le site des Cahiers Pédagogiques. C'est peut-être la seule chose qui reste de mon passage dans ce mouvement ! Je dois dire que je suis très heureux de cette continuité d'autant plus qu'elle est aujourd'hui faite avec régularité par un équipe talentueuse !
Aujourd'hui, c'est sur les réseaux que se fait le commentaire de l'actualité avec toujours le même principe, à rebours de la tendance actuelle : susciter le débat et donc ne pas le fermer en disant d'entrée de jeu ce qu'il faudrait en penser. Quand je veux m'exprimer avec plus de précision et de vigueur, j'adopte une signalétique pour l'indiquer.
L'autre principe c'est celui, sinon de l'exhaustivité, du moins de la diversité des points de vue. On m'a reproché à plusieurs reprises de citer aussi bien Le Figaro que l'Humanité ou pire encore de me risquer à rendre compte de textes parus dans Causeur ou même Valeurs Actuelles ! "Pourquoi leur faire de la publicité ?" était l"interpellation la plus gentille... J'ai, pour ma part, toujours donné les mêmes réponses :
- à quoi bon rester bloqué dans sa bulle informationnelle en ne lisant que ce qui vous convient ?
- lire les "arguments" ou leurs absence chez ses adversaires c'est aussi le meilleur moyen de mieux défendre ses propres positions.
- dans une logique d'éducation aux médias (ou tout simplement de vigilance), il est toujours utile de voir comment un même sujet est traité par différents médias.
Pour moi ces principes restent valables. Je réponds aussi à ceux qui me reprochent mon manque d'«objectivité», que j'ai suffisamment travaillé sur les médias pour savoir que l'objectivité est illusoire.
J'essaie juste d'être honnête mais je sais bien que, même si j'ai un spectre assez large de médias que je consulte, il y a un choix éditorial (et donc subjectif) de ma part dans cette activité de veille. Ce qui ne m'empêche pas par ailleurs de donner mon avis mais en séparant bien l'information et le commentaire. Mes "haters" ne l'ont toujours pas compris. C'est rassurant de voir qu'il y a des choses qui ne changent pas !
En revanche, ce qui a changé c'est ma situation personnelle. Je ne suis plus en activité. Même si je continue la nuit à faire des rêves (cauchemars ?) de cours qui foirent ou même de correction de copies (eh oui !), je suis maintenant à la retraite. Les questions d'éducation continuent à me passionner mais je vais progressivement perdre ma «school crédibility» (pour paraphraser une expression du rap qui parle de "street cred").
C'est là dessus que je conclurais ce petit texte rétrospectif et introspectif. J'aime lire vos avis, vous voir échanger et même quelquefois vous interpeller. Je continuerai à alimenter ce débat tant que je le peux.
Mais avec cet anniversaire, en prenant conscience de cette durée (vingt ans !), si je ressens une certaine fierté de cette constance, je me rends compte aussi de la finitude et des limites de cet exercice !
PhW

Tu viens dormir ? Je ne peux pas. C'est important. Pourquoi ?
Quelqu'un dit des bêtises sur Internet. 

mardi, janvier 03, 2023

Les mots de l'éducation 2022

 « Trois mots pour caractériser l’année 2022 dans l’éducation ». 700 réponses, 2026 mots et un nuage de mots pour résumer l’état d’esprit de l’opinion enseignante. Un nuage bien sombre et qui dit beaucoup sur le sentiment d’abandon des enseignants. Mais un nuage pas si toxique que cela ! 

 


Voici la cinquième édition des « mots de l’éducation ». Le principe est toujours le même. A la fin de l’année, je demande à ceux qui me suivent sur les réseaux sociaux (FacebookTwitter et maintenant Mastodon) de donner trois mots pour définir leur vision de l’actualité de l’éducation pour l’année qui vient de s’écouler. Cette année, j’ai obtenu 701 réponses pour un total de 2026 mots (certains en ont donc donné moins de trois…). Avec cette récolte, après une petite harmonisation,  à l’aide d’une application, je produis un « nuage de mots » où les mots sont plus ou moins gros selon leur fréquence.

En 2021, avec 800 réponses le recueil était de 2130 mots. Vous pouvez retrouver les nuages des années précédentes sur mon blog : 202020192017, (il n’y en a pas eu en 2018). 

 

Comme je le fais chaque année, je rappelle que ce petit exercice n’a pas de prétention scientifique. Il n’est que le reflet de ce que veulent bien dire les nombreuses personnes qui me suivent sur les réseaux. Comme je fais surtout de la veille sur l’actualité éducative, mes lecteurs, essentiellement des personnels de l’éducation, sont très divers tant dans leurs parcours que dans leurs opinions. 

Il peut bien sûr y avoir des biais dans le recueil des mots, des phénomènes de mimétisme qui induisent une tonalité… J’entends ces critiques. En revanche, j’accepte beaucoup moins le rejet a priori de ce nuage car il serait trop pessimiste. Il est représentatif d’un ressenti, d’un état d’esprit qu’il faut être capable d’entendre plutôt que d’être dans le déni. Et on verra aussi qu’il y a des nuances à apporter à ce pessimisme. 

 

Déclassement et déception 

On pourrait dire que les mots parlent d’eux mêmes… Mais on peut malgré tout se livrer à une petite analyse. 

Le mot « Mépris » arrive encore une fois en tête. C’était déjà le cas l’an passé. Plusieurs mots sont du même champ et renvoient à la manière dont les enseignants se sentent traités par leur institution, les médias, l’opinion : AbandonDénigrementProf-BashingMaltraitance…

C’est un fort sentiment de Déclassement ou de Dévalorisation voire de Paupérisation qui tient à la question des Salaires dont la revalorisation est jugée insuffisante.

Cette petite enquête témoigne donc d’abord du sentiment de ne pas avoir été suffisamment écouté par le pouvoir. Ce n’est pas un hasard si le mot Mensonges arrive si haut dans le classement (53 citations), même si c’est bien moins que l’an dernier  (199 citations). Le changement de ministre a pu faire espérer un changement de politique mais les répondants pointent une certaine Déceptionvoire de l’Hypocrisie et constatent plutôt la Continuité que le changement attendu. 

Certains voient dans cette politique une stratégie délibérée de Destruction ou Démantèlement  du service public et de Marchandisation dans une logique de Libéralisme. Une des réponses était : « Le bateau coule…»

 

Fuite ou résistance ? 

Quelles réactions ? Quels ressentis ? C’est la Fatigue (109 citations contre 88 en 2021) qui domine avec des synonymes comme la Lassitude et l’Épuisement ou même le Burn-Out

Cela peut donner lieu à plusieurs types de réactions. Il y a aussi bien la Colère, la Résistance et les Luttes que le Découragement et le Désinvestissement ou l’Indifférence. On parle aussi de Démission ou de Reconversion

Je vais redire ce que je ne cesse d’exprimer dans mes écrits, livre, articles et interviews : on ne réforme pas une école avec des acteurs qui vont mal ! Avant de penser l’école de demain, il faut panser l’école d’aujourd’hui. 

Et ce n’est pas en chargeant encore plus la barque avec une injonction à l’Innovation et des « missions nouvelles » qu’on va améliorer les choses alors qu’on parle de Surcharge.  C’est ce que disent en creux, tous ceux qui ont répondu à cette invitation à s’exprimer. 

 

Malheur public, bonheurs individuels… 

Pour ne pas finir sur une note trop noire, on peut pointer l’ambivalence des réponses. Si globalement, les enseignants et les personnels d’éducation critiquent fortement la situation qui leur est faite et l’attitude du pouvoir et de l’institution, dans le même temps ils évoquent aussi ce qui fait toute la force et le cœur du métier : les Élèves et leurs apprentissages. C’est ce qui justifie l’Engagement et qui donne aussi de l’importance au travail d’Équipe

Une des personnes qui a répondu m’indiquait qu’il aurait fallu construire deux nuages : l’un pour la politique éducative et l’autre pour parler du métier. Le deuxième étant malgré tout plus positif que le premier. 

Car, même si les enseignants comme tous les français « râlent » et revendiquent à juste titre d’être mieux traités et payés, ils exercent aussi un métier essentiel avec des valeurs fortes. Il ne faudrait pas que la situation actuelle conduise au cynisme. Il y a le mot Espoir (22 citations) qu’il ne faudrait pas voir disparaitre dans le prochain nuage… 

 

Philippe Watrelot


PS : je tiens à la disposition de qui en fait la demande, l'ensemble des documents qui ont abouti à cette enquête


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Fondé(e) sur une œuvre à http://philippe-watrelot.blogspot.fr.