samedi, août 30, 2014

Bloc notes du 30 aout 2014



- Vals des ministres - Blues – Lectures d’été - Rattrapage – Bonne rentrée .

On se souvient d’une bataille dérisoire pour que la rentrée scolaire ne soit pas en aout. En tout cas, sur le plan médiatique, elle est déjà là ! Avec évidemment la nomination à l’occasion du remaniement de Najat Vallaud-Belkacem, première femme à occuper le poste de Ministre de l’Éducation Nationale . Mais aussi avec plusieurs analyses intéressantes sur l’état de l’École et des enseignants. On profitera aussi de ce bloc-notes de rentrée pour revenir sur l’actualité éducative de ces mois d’été (enfin, si on peut appeler ça l’été...)





Valse des ministres
Un surnom court dans les réseaux sociaux à propos du précédent ministre : « Benoit le bref... ». Il faut dire que M. Hamon n’est resté que 147 jours à son poste (dont les vacances d’été). Après sa sortie à Frangy en Bresse, il ne lui a pas été permis de faire la rentrée. Malgré ce temps très court, cela ne l’a pas empêché de publier son bilan sur son blog avec une belle infographie, dès le lendemain de son départ. On n’est jamais si bien servi que par soi-même. Paradoxalement, Benoit Hamon présenté comme "radical" a été très (trop?) modéré dans sa modeste action au ministère de l'éducation en déminant et en trouvant des compromis. Ce qu’ont noté plusieurs commentateurs, c’est qu’il a surtout été plus homme politique que ministre. Louise Tourret dans un article sur Slate.fr raconte même que son intérêt pour l’éducation semblait très superficiel malgré la bonne volonté affichée. Trois ministres en deux ans... Le constat du manque de continuité et de cohérence alors que l’éducation devrait être le lieu du “temps long” détaché des contingences politiques a été pointé et déploré dans de très nombreux commentaires (y compris par votre serviteur)
Mais ce n’est rien à côté des commentaires déclenchés par la nomination de la première femme ministre de l’Éducation Nationale : Najat Vallaud Belkacem. Plusieurs éditorialistes se réjouissent du symbole qui est offert avec cette annonce. Syndicalistes et acteurs de l’éducation sont dans l’expectative mais portent plutôt un regard bienveillant sur la personne. C’est par exemple le cas du CRAP-Cahiers Pédaogiques qui a publié une lettre à la ministre où nous lui demandons d’intensifier l’action de réforme et de ne pas tomber comme son prédécesseur dans l’écueil de l’attentisme.
Mais malheureusement, il y a aussi des commentaires très négatifs. Ils proviennent de la frange la plus extrême de la droite, des fous furieux de la « manif pour tous » et des excités du “genre” . Mais ces propos injurieux sont aussi relayés quelquefois par des personnalités de la droite classique . La nouvelle ministre y est accusée « d’œuvrer contre la famille » et de promouvoir une supposée « théorie du genre » . On se souvient que ce débat avait atteint son apogée avec le prétexte fallacieux des “ABCD de l’égalité” qui visaient simplement à déconstruire les stéréotypes pour favoriser l’égalité filles/garçons. Ce faux débat semble relancé aujourd’hui et instrumentalisé pour déstabiliser celle que certains veulent faire passer pour le “maillon faible” du gouvernement. Cela va même plus loin puisqu’il faut évoquer aussi des attaques racistes et autres rumeurs diffamatoires de tous ordres. Une pétition de soutien a déjà été lancée par SOS-Racisme.
Selon Renaud Dély, dans le Nouvel Obs , la nomination de Najat Vallaud-Belkacem serait surtout le produit d'une manœuvre tactique de François Hollande. “[...] quand la gauche désespère son électorat populaire faute de résultats en matière de politique économique et sociale, elle prend soin d'afficher quelques symboles forts pour apaiser les états d'âme de son autre électorat, celui que l'on a pris coutume de qualifier, souvent un peu vite, de "bobos". En réveillant chez l'adversaire les instincts réactionnaires les plus caricaturaux, elle déplace le clivage droite-gauche, devenu imperceptible en matière de politique économique, sur un terrain sociétal, qui lui convient mieux. [...] C'est le sens du maintien au poste de garde des Sceaux de Christiane Taubira, devenue une icône de la gauche depuis l'adoption du "mariage pour tous" et les infâmes attaques racistes dont elle a été victime. C'est aussi l'un des motifs de la promotion de Najat Vallaud-Belkacem rue de Grenelle. Faussement accusée d'avoir voulu introduire la prétendue "théorie du genre" à l'école, voilà la nouvelle ministre de l'Education érigée en Belzébuth par tout ce que la droite compte de cohortes les plus radicales. ”.
NVB serait un “épouvantail” pour la droite ? Peut-être qu’il ne faut pas exclure une arrière-pensée de cet ordre dans sa nomination. Mais il va lui falloir maintenant faire ses preuves assez vite sur des sujets où l’attente est forte. “On attend un second souffle ” écrit Jean-Michel Zakhartchouk sur son blog...
Quels sont ces sujets ? Avant son départ, durant ce fameux week-end bressan, Benoit Hamon avait prévenu que le gouvernement serait d’une grande fermetéà l’égard des maires qui désobéiraient à la réforme des rythmes scolaires. Manuel Valls l’a, lui aussi, rappelé cette semaine. NVB devra évidemment assumer en priorité ce dossier. Mais c’est loin d’être le seul. Le maintien de la promesse des 60 000 postes et de la priorité budgétaire semble acté puisque ce fut une des premières déclarations de la Ministre. D’autres points sont en suspens. Il faut rappeler que l’année scolaire va être marquée par des propositions de nouveaux programmes par le conseil supérieur des programmes (qui n’a toujours pas de président !) et que la question du contenu du socle commun n’est toujours pas vraiment réglée. Elle aura sûrement aussi à revenir sur l’organisation de la formation où un “choc de simplification” serait le bienvenu !
Mais surtout, elle aura à redonner confiance à une profession qui semble aujourd’hui désorientée et désabusée. Bien plus qu'une supposée inquiétude (!) de ne pas avoir de ministre à une semaine de la rentrée (la boutique tourne tout seul...) c’est surtout le sentiment de déclassement et l’impression de ne pas être compris qui prévaut. La déploration semble encore plus forte que d’habitude chez les enseignants et le malaise profond. Plusieurs enquêtes réalisées à l’occasion de la rentrée viennent le confirmer.

Blues
Ces enquêtes n’arrivent pas par hasard. Ces derniers jours c'était la période des conférences de presse des syndicats enseignants. Comme ils n'avaient évidemment pas prévu que l'actualité éducative serait si “chaude" avec le remaniement, ils avaient prévu de faire l'actualité avec chacun une enquête sur les enseignants. Ainsi, les 25, 26 et 27 août, trois syndicats représentatifs – le SNUipp-FSU , le SGEN-CFDT et le SE-UNSA - ont publié chacun une enquête sur le moral des enseignants
Selon une enquête de l'institut Harris interactive pour le SNUipp , les enseignants restent particulièrement fiers d'exercer leur métier (73%), mais 63% d'entre eux sont insatisfaits. Principaux sentiments exprimés, le stress, la colère, la déception et l'impuissance. Un membre du corps enseignant sur deux se dit heureux (46%), un sur trois est triste (37%). Pour l’UNSA "Le métier d'enseignant n'est ni une planque, ni un sacerdoce". 86% des enseignants pensent tout le temps à leur métier. Non seulement les enseignants ont du mal à décrocher, mais ils ne se sentent pas tou­jours soutenus et com­pris, que ce soit dans un contexte professionnel ou personnel. En effet, trois personnes interrogées sur quatre (74%) déclarent que leur hiérarchie ne reconnaît pas leurs contraintes professionnelles, et 54% disent la même chose de leur entourage. "La refondation ne se fera pas sans les enseignants, et certainement pas si les enseignants sont mal dans leurs baskets ", conclut Christian Chevalier, secrétaire général du SE-Unsa.
C’est un constat assez voisin que fait Frédéric Sève secrétaire général du Sgen–CFDT. "Il y a une détérioration des conditions de travail, mais aussi un impact en termes de sens : le sens de leur travail, de leurs missions" est diminué. C'est pourquoi, dit-il il faut "réaffirmer les objectifs" du quinquennat, et notamment la "priorité à la jeunesse" mise en avant par François Hollande au début de son mandat présidentiel.
Faire de la vraie politique en redonnant du sens à l’action plutôt que de la tactique politicienne, voilà un enjeu pour la nouvelle ministre...

Lectures d’été.
Que faire quand il pleut ? Lire la presse...
Même si l’été est une période creuse, on a pu quand même lire des articles intéressants pour l’éducation.
A commencer, récemment, par une interview dans Le Monde d’Andréas Schleicher responsable éducation à l’OCDE . Cette simple mention va faire que certains vont détourner les yeux de cet article ou alors le lire avec un a-priori négatif. Et ce serait dommage car Andréas Schleicher, dit (certes, de manière un peu brutale...) des choses qui doivent être entendues. Par exemple : “ En France, les maîtres ne collaborent pas. Ils ne se perçoivent pas comme membres d'une communauté professionnelle. L'institution les traite comme des exécutants qui sont là pour faire passer un programme. Ils sont comme à l'usine, font leur travail dans leur coin. ”. Ou encore ... “ L'enseignement n'est pas pertinent en France. On y est en décalage. Le monde moderne se moque bien de ce que vous savez. Il s'intéresse à ce que vous savez en faire. Il a besoin de gens créatifs, capables de croiser les sujets quand l'école française fait encore trop réciter des leçons. En France plus qu'ailleurs, on n'enseigne pas suffisamment ce qui sera pertinent pour réussir sa vie ! ” Et quand on lui demande pourquoi l’École Française change si peu, sa réponse sonne comme un conseil à la nouvelle ministre. : “Quand on regarde comment se passent les réformes en France, on comprend! Elles sont pensées dans le secret des cabinets ministériels par des gens très intelligents et sont ensuite imposées aux enseignants et aux parents. A Singapour, aucune réforme n'est annoncée sans avoir été expliquée dans toutes les écoles. En Finlande, un directeur d'école passe un tiers de son temps à travailler pour les autorités locales et deux tiers dans son école. Cela change l'acceptabilité des réformes Et puis, les politiques doivent comprendre que même si vous êtes le meilleur ministre de l'éducation qui soit, vous ne résoudrez pas les problèmes des 840 000 enseignants français.
Dans la même veine de réflexion sur la permanence et la force d’inertie de l’École Française, il faut lire toujours dans Le Monde, une belle enquête sur les pratiques pédagogiques en France. Intitulée “La classe résiste magistralement ”, la journaliste Aurélie Collas se demande pourquoi la France est-elle l’un des derniers pays européens où le cours magistral est roi. Pour François Dubet, interrogé dans ce dossier “« Notre tradition scolaire, c’est un enseignant, seul, face à une classe. Le maître transmet son savoir, les élèves écoutent en silence et en ordre la leçon avant d’être évalués. Et tout ce qui vient parasiter cette transmission est perçu comme un désordre. Certes, dans la pratique, ce modèle ne tient pas mais il reste un idéal à atteindre. » ”. Mais pourquoi une telle force d’inertie ? L’article évoque plusieurs explications : une formation initiale encore trop académique, une formation continue inexistante, une succession de réformes, une évaluation des enseignants peu efficace... Et le coeur du métier qui ne bouge que très peu. Comme le dit l’historien Antoine Prost “A la limite, on peut tout changer dans l’éducation nationale, sauf la façon d’enseigner ”. Et c’est de nouveau François Dubet qui pose la question de la gouvernance :“« Les ministres de l’éducation sont des acteurs faibles à la tête d’une administration extrêmement puissante mais mal pilotée, observe t-il. Aucun changement ne peut être entrepris sans le consentement des enseignants, et c’est tant mieux. Mais ce principe d’adhésion est allé trop loin : l’école semble appartenir aux professionnels de l’école, elle a échappé aux politiques. » ”. Décidément Najat Vallaud Belkacem a de la lecture !
Autres propos iconoclastes qui interpellent celle qui est aussi ministre de l’enseignement supérieur, ceux de Marie Duru Bellat interrogée par Isabelle Dautresme dans L'ÉtudiantParler de sélection à l’université est totalement tabou. Comme si une université ouverte était un facteur de paix sociale. Pour autant, la sélection existe, elle est rampante, mais réelle. Certes, elle ne se fait pas, la plupart du temps, à l’entrée, mais un an plus tard. En atteste, le taux important d’échec en licence. Sans parler de la multiplication des parcours à recrutements particuliers ! [...] De façon plus générale, l’orientation dans l’enseignement supérieur devrait se faire de façon plus mécanique, voire “autoritaire” : “Vous avez tel bac, vous allez là”. C’est un peu l’idée de l’orientation active. [...] Dans la plupart des pays, les étudiants passent un examen d’entrée dans l’enseignement supérieur. Selon leurs notes, ils sont orientés dans telle ou telle filière. Un système totalement ouvert comme le nôtre est très rare.
Les enfants issus des classes populaires ont tendance à moins poser de questions aux professeurs que les élèves des classes moyennes, selon les recherches d’une sociologue américaine relayée par le New York Magazine et qui fait l’objet d’un article dans Slate.fr Les parents de la classe moyenne encouragent leurs enfants à parler aux enseignants et à poser des questions explique Jessica McCrory Calarco, professeur à l’Université de l’Indiana. De leur côté, les parents des classes populaires ont tendance à dire à leurs enfants de se débrouiller tout seul plutôt que de «déranger» le professeur.
Selon une récente étude (qui portait sur l’enseignement supérieur), le travail de groupe serait plus bénéfique aux élèves que les méthodes dites traditionnelles. Atlantico interviewe notre ami Richard Étienne sur les effets bénéfiques de l'apprentissage collaboratif.“Le fait de passer de l'écrit à l'oral, de multiplier les supports, permet d'obtenir de meilleurs résultats. C'est ce que proposent les nouvelles méthodes d'apprentissage. On passe de consignes ou d'un texte écrit à des débats ou des travaux qui nécessitent l'expression orale. Un test appelé test de la NASA, où les astronautes doivent trouver 5 objets important parmi une liste de 20 objets. Ce test appliqué aux étudiants parle de lui-même : les groupes le réussissent toujours mieux que le premier de la classe seul. Mieux vaut donc favoriser le travail collectif, ce que proposent ces nouvelles méthodes. De plus elles séduisent les élèves et les étudiants car il est plus intéressant d'avoir un projet à mener par exemple que de devoir restituer des connaissances, ou avoir un texte à apporter. Les élèves sont plus motivés, plus impliqués, ce qui rend l'exercice plus efficace et la mémorisation plus rapide. ”. Une école plus coopérative, non seulement c’est possible mais c’est plus efficace...

Rattrapage
Que s’est-il passé durant les vacances ? Heureusement, le blogueur Lucien Marboeuf répond pour nous à cette question. 
L’apprentissage du code à l’école a occupé les débats du début de l’été. L’information sur la baisse des salaires réels des enseignants (même accompagné du retour du serpent de mer sur les profs payés 10 mois sur 12...) n’a pas fait beaucoup de bruit. En revanche la pétition d’une jeune bachelière pour qu’on étudie plus de femmes dans les programmes en a fait beaucoup plus. Un article a beaucoup circulé sur... la fin de la flute à bec à l’école.
On a appris également que la réforme des rythmes aurait fait grimper les prix du baby sitting même si on peut ne pas être convaincu par le raisonnement.
Dans les articles intéressants, il faut aussi signaler un article paru dans l’Express le 15 aout sur les intelligences multiples.
Et également un bon reportage paru dans La Tribune (dans la rubrique “Management”...)sur un chef d’établissement  qui a transformé le lycée Marcel-Sembat de Vénissieux en quelques années. Où on voit que l' "effet-établissement", est bien souvent un effet "chef d'établissement"...

Bonne rentrée
Voilà, lundi 1er septembre c’est la pré-rentrée. Même si pour les personnels de direction et les CPE, cela fait déjà plusieurs jours qu’ils sont sur place. Et que pour de nombreux enseignants du primaire, la préparation dans les classes a déjà commencé. Sans compter les formateurs qui ont accompagné et formé les enseignants débutants toute cette semaine
Je souhaite à tout le monde et y compris à la ministre, une bonne rentrée au service d’une école qui bouge et se transforme pour être plus efficace et plus juste.

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot
Licence Creative Commons

lundi, août 25, 2014

Éducation : valse des ministres ou continuité de l'action ?



Un billet où il est question de valse, de moonwalk et de marche en avant...


Il y en  en a pour qui c'est bientôt la rentrée, pour d'autres c'est peut-être déjà la sortie...
Après le week-end où Benoît Hamon intervenait en compagnie d’Arnaud Montebourg à la fête de la rose de Frangy en Bresse et disait ses réserves sur la politique économique menée par le chef de l’État et son Premier Ministre, la réaction de ce dernier a été très rapide. Manuel Valls a présenté la démission du gouvernement et a été immédiatement chargé par François Hollande de constituer un nouveau gouvernement. Il est fortement probable que Arnaud Montebourg en soit exclu et peut-être aussi Benoit Hamon, même si le ministre de l’Éducation utilise l’argument de la proximité de la rentrée pour préserver son poste. On évoque, comme pour le précédent remaniement, le nom de Ségolène Royal à la tête d’un grand ministère de l’Éducation, de la Jeunesse et de la Culture.
Même si cela me démange, il ne m’appartient pas ici de prendre part au débat sur la politique économique qui a conduit à cette crise ministérielle. On se contentera d’énoncer quelques considérations sur la politique éducative à la lueur de cet épisode politique.

147 jours
C’est la durée du séjour rue de Grenelle pour Benoit Hamon. S’il n'est pas renommé à son poste mardi par le premier ministre, son passage au ministère aura été un record de brièveté ministérielle.
Comme nous l’avions déjà évoqué dans un précédent billet en avrilpour l'éducation, c’est la.... valse (!) des ministres. En l’espace de deux ans et demi depuis Chatel, ce sera le quatrième qui sera nommé demain.  Et on peut compter 31 ministres depuis le début de la Ve République dont la plupart n’ont duré qu’à peine deux ans.
Là où il faudrait de la continuité dans l’action, au delà même des alternances politiques, c’est l’instabilité qui prévaut. C’est d’autant plus dommageable alors que  le thème de la jeunesse était mis en avant comme l’axe central de la politique durant la campagne présidentielle. Comme le souligne un fin observateur de l’École depuis longtemps, Luc Cédelle, l’éducation, sujet lent, reste suspendue au contexte politique, sujet versatile.
Car s’il y a bien un domaine où les effets d’une politique ne se font pas sentir immédiatement c’est bien celui là.
D’abord parce que les décisions ont un effet sur des jeunes qui sont en devenir. Ainsi les changements de programmes ou d’horaires de cours n’auront d’effet sur les connaissances et compétences éventuelles des élèves que bien plus tard. On ne raisonne même pas pour PISA 2015 mais pour 2018 et même plus tard encore !
Ensuite, on sait bien que les réformes dans le système éducatif mettent beaucoup de temps avant de s’installer. Les résistances au changement sont fortes. Et il importe d’avoir une volonté politique forte pour les maintenir plutôt que de céder à la première critique.

La politique du moonwalk.
Peut-on se risquer d’ores et déjà à un bilan de l’action de Benoit Hamon ? Il est peut-être un peu tôt d’autant plus que sa période d’action a été très courte et placée sous le signe de l’attentisme. 
Il s'est en effet présenté comme "le ministre de l'apaisement", ce qui n'est pas exactement synonyme  de volontarisme. Il a clairement été nommé pour calmer le jeu après Vincent Peillon à qui on reprochait sa gestion du dossier des rythmes.
Mais au delà du changement de personnes, c’est aussi la dynamique de ce qu’on n’ose plus appeler la “refondation” qui a semblé marquer le pas.  La question des rythmes scolaires comme nous le craignions a été en effet l’objet de crispations de toutes sortes. Les résistances sont venues d’une partie des enseignants du primaire dans un contexte de “malaise” lié à un sentiment de déclassement et attisé par les surenchères politiques et syndicales. Elles sont aussi le produit de la politisation du débat par le télescopage du calendrier avec les élections municipales.
Durant cette année scolaire, la loi sur la refondation de l’École, votée en juin 2013, après un temps très (trop) long de discussion est rentrée dans une phase d’application concrète. On a vu ainsi se mettre en place avec plus ou moins de  difficultés les ESPÉ, la réforme de l’éducation prioritaire, le conseil supérieur des programmes avec bien des avanies (démission, polémiques,..)...  Les négociations sur le métier pourtant bien modestes ont été présentées comme une étape “historique”. Mais pouvait-on faire plus alors que les élections professionnelles approchent et bloquent aujourd’hui toute avancée ?
Il faut aussi évoquer le contexte budgétaire. La nécessité de trouver 50 milliards d’économie pèse évidemment sur la priorité accordée à l’éducation et la promesse de l’embauche de 60 000 postes et limite considérablement les marges de manœuvre. Et bien sûr à notre niveau plus modeste de petite association, cela nous fait craindre aussi que l’aide de l’État par la subvention, toujours pas reçue à ce jour, ne soit pas à la hauteur des années précédentes.
Pour finir, il faut dire que la morosité touche plus globalement l’ensemble des français avec la stagnation du pouvoir d’achat et la montée du chômage et une politique économique floue et mal perçue. Et cela n’est pas favorable à l’esprit de réforme. Dans le domaine de l’éducation comme dans les autres...
Dans ce contexte, que pouvait faire "Benoît le Bref" ? S’il est resté sur la lancée de ce qui avait été enclenché par son prédécesseur, il a aussi produit un décret sur les rythmes supposé apaiser mais qui reste très flou et dénaturant le sens initial, il a été très ambigu sur les ABCD de l’égalité (enterrés ou généralisés ?), il a voulu lancer (bien mal) un débat sur l’évaluation... Malgré des déclarations très généreuses sur son souci de lutter contre les inégalités, on ne peut pas dire qu’il ait eu le temps d’avancer tout en essayant d'en donner l’illusion. C’est ce que la chroniqueuse  Mara Goyet avait appelé dans un de ses billets, la politique du moonwalk...

Les ministres passent...
Est-ce si grave de ne pas avoir de ministre à une semaine de la rentrée ? pourront se demander certains. D’abord il faut savoir que la rentrée est préparée depuis longtemps (et avant même que Benoit Hamon n’arrive). Ensuite, il faut rappeler qu’à côté d’un cabinet composé de technocrates interchangeables et sûrs d’eux et peu au courant des spécificités de l’éducation nationale, il existe ce qu’on appelle la “centrale”. La Dgesco (direction générale des enseignements scolaires) représente la permanence de l’État. Les conseillers ministériels passent, les hauts fonctionnaires restent. 
C’est à la fois un avantage et un inconvénient. On peut le lire positivement dans la mesure où c’est ce qui fait que la machine fonctionne malgré les avanies et grâce au sens du service public de l’ensemble du personnel. Mais on peut aussi le lire négativement dans la mesure où cette technostructure se retrouve avec une large autonomie face à des ministres qui n’ont pas le temps de découvrir les dossiers et qui n’en sont souvent pas des experts (sauf Peillon ?). Et cela peut contribuer alors à un certain immobilisme bureaucratique face à l'absence de direction politique. C’est le danger...
J’ai déjà évoqué dans un texte de 2013 les “ erreurs et les blocages ” qui handicapaient la “refondation”. Je ne vais pas les redévelopper. Mais nous devons constater que malgré les constats des sociologues et les comparaisons internationales, l’École change peu. Le système bureaucratique et très centralisé est peu favorable à l’innovation et à l’autonomie des acteurs.  La critique du système éducatif est prise par de nombreux enseignants comme une critique de leur propre travail. D’autres se réfugient derrière l’attente d’une réduction des inégalités dans la société pour se dispenser d’agir au quotidien dans leur classe. Quant à l’opinion, à l’exception de quelques sujets vus sous l’angle pratique (“à quelle heure, vais-je récupérer mon gamin à l’école”) elle semble peu intéressée par les questions éducatives

Un peu plus de politique !
Durant son mandat, Benoit Hamon a été plus homme politique que ministre, il a fait plus de politique politicienne que de parler d’éducation. Pourtant c’est très politique l’éducation si on veut s’en donner la peine ! Mais de la vraie politique, celle qui touche aux valeurs...
Car l’éducation, ça concerne tout le monde et on touche de près les inégalités les plus fortes. Mais pas sûr que ça intéresse vraiment l’opinion et encore moins la base électorale du PS (du moins ce qu’il en reste !) composée de classes moyennes pour qui le maintien d’un noyau dur d’élèves en difficulté et en échec n’est pas forcément un problème qui les concerne. La démocratisation de l’École reste inachevée et on assiste même à une panne de l’ascenseur social. Tout se passe comme si les derniers à avoir bénéficié de cette massification de l’École avaient refermé la porte derrière eux... Malheur aux vaincus qu’on entend assez peu sauf lorsque de temps en temps des émeutes éclatent dans les cités “sensibles” loin des centres villes...
Et si c'était le nouveau slogan de l'E.N. ?
Il a manqué un slogan à cette refondation. Une indication sur le chemin à suivre. On aurait aimé entendre rappeler que ce que l’on ose plus appeler la “refondation” a d’abord pour enjeu de construire une école vraiment démocratique et de lutter contre les inégalités et l’échec. Bien loin des manœuvres et des stratégies d’appareil.

“Un militant n’est jamais endeuillé”, cette phrase de Daniel Hameline (Cahiers Pédagogiques n°164)  me semble un bon moyen de conclure cette réflexion. Certes, pour les militants pédagogiques, il peut y avoir de la déception voire de l’amertume lorsqu’on observe le petit monde de l’éducation, ses postures et ses blocages. A tel point qu’au CRAP-Cahiers Pédagogiques, nous avons prévu d’intituler notre prochaine table ronde en Octobre “le changement, c’est maintenu ? ”. 
Mais cette déception ne doit pas nous dispenser d’agir là où nous le pouvons. Au contraire. Ne soyons pas semblables à ceux que nous blâmons et « qui sont revenus de tout sans jamais y être allés ». A nous de “fatiguer le doute”, contourner les blocages et chercher ensemble à améliorer notre enseignement pour aller vers une école plus juste, plus efficace, inclusive, bienveillante...

Philippe Watrelot
Qui sera le/la 32ème ?



















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