mardi, mai 21, 2013

Inspection et formation. Entre contrôle et conseil il faudra choisir...


« Impliquez-vous dans ces Espé et dans la formation des enseignants », a demandé le ministre de l'Éducation nationale, Vincent Peillon, aux inspecteurs du second degré, lors du séminaire qui leur était consacré à Paris le vendredi 17 mai 2013.
Cette injonction du ministre me provoque plusieurs réflexions

Calinothérapie
Mais d'abord, il faut souligner que ce "Séminaire national des personnels d'encadrement du second degré de l'éducation nationale" (dont on peut voirla vidéo du discours d'ouverture de Peillon sur le site du MEN) vient après une réunion similaire en janvier dernier à destination des IEN. Et ça ressemble pas mal à une séance de calinothérapie après une période où les inspecteurs se posaient pas mal de questions sur leur avenir bien menacé à la fois sur le plan de l'évaluation des personnels que sur celui de la formation des enseignants. 
D'une certaine manière on peut lire aussi l'injonction de Peillon "en creux". S'il les incite à investir la formation c'est peut-être parce qu'il va réduire leur champ dans l'évaluation des enseignants ?

Scier la branche…
Venons en maintenant à la question de la formation sur laquelle j’ai déjà écrit plusieurs billets. Il y a plusieurs façons de lire cette invitation du ministre à l’égard des inspecteurs. Mais aucune n’invite vraiment à l’optimisme.
Une première lecture, en effet, serait à faire en terme d’équilibre des forces. J’ai dénoncé dans un billet précédent le poids excessif des logiques des appareils universitaires. On peut alors se dire qu’appeler les inspecteurs à prendre plus de poids et à « s’inviter » dans la formation comme le dit le ministre  est un moyen de contrebalancer ce poids excessif.
A tout prendre, et en me gardant bien de généraliser, dans la formation qui se monte, entre des universitaires trop souvent crispés sur leur discipline savante et des IPR qui ont quand même une vision du terrain, on peut préférer ce rééquilibrage.
Mais est-ce pour autant une garantie pour construire une formation à la hauteur des enjeux. J’en doute. Ce qui paralyse l'évolution du métier enseignant c'est entre autres que la formation est essentiellement structurée sur une logique strictement disciplinaire. Les IUFM actuels sont construits par collèges disciplinaires et les masters en construction reprennent très fortement la structure disciplinaire dans la logique d'ailleurs des maquettes de concours. Mais ne comptons pas sur les IPR pour faire bouger cela, ils scieraient la branche sur laquelle ils sont assis !
Les IPR, du fait de leur formation et de leur recrutement, ont du mal à penser la formation transversale et  cela est un handicap pour la construction des formations. De même, la relation  qu'entretiennent un bon nombre d'IPR avec les enseignants qu'ils sollicitent pour des tâches diverses peut se révéler gênant dans la constitution d'un corps de "professeurs-formateurs" du 2nd degré. D'expérience, on sait que bien des tuteurs qui ont été sollicités pour accueillir des stagiaires ne l'ont pas été pour des critères pédagogiques. Si les inspecteurs ont un rôle à y jouer, la constitution d'un corps de “professeurs formateurs” ne peut reposer sur eux seuls. 
Si on observe ce qui se passe avec le socle commun et le brevet, on voit bien que ce sont les inspecteurs qui ont trop souvent contribué à pervertir le socle et à vouloir superposer aux "piliers" qui s'inscrivaient dans une logique transversale, les bonnes vieilles disciplines dont ils tirent leur légitimité. Et il faut chercher aussi dans ce poids des cadres intermédiaires  et dans une logique “top down”, l’accumulation des “procédures” qui ont conduit à dénaturer les innovations et à décourager bon nombre d’enseignants. Le “Livret personnel de compétences” est une belle illustration de cette dérive. On produit de la “procédure” pour se convaincre d’exister.

Collègues…
Mon inquiétude tient aussi  la nature même de la relation hiérarchique aujourd'hui à l'oeuvre avec les IPR. 
Car, quoi qu'on en dise, la motivation pour devenir IPR n'est pas toujours claire pour un certain nombre d'entre eux. En d'autres termes, il peut y avoir un rapport ambigu voire malsain au pouvoir chez certains. De fait, cela les conduit souvent à vouloir rechercher le contrôle plutôt que de se situer dans une posture d'animation. L'injonction et la prescription prennent souvent le pas sur l'animation et le conseil.  Et cela est évidemment renforcé dans un système qui est resté très hiérarchique  et où « l’autoritarisme, l’infantilisation,le technicisme, la déshumanisation se sont installés visiblement pour longtemps. » comme le dénonce depuis longtemps Pierre Frackowiack
Posez vous la question : voyez vous votre IPR comme un "collègue" ? Avez vous des rapports "sains" avec lui/elle ? 
D'abord il y a souvent un "imaginaire prolétarien" chez pas mal d'enseignants qui les conduit à avoir des rapports très hiérarchiques de méfiance vis-à-vis de ce qui est perçu comme une autorité. Ce qui est évidemment renforcé par le fait que la notation et donc l'avancement et le salaire dépend en grande partie des IPR. Mais cela n'excuse pas les comportements presque serviles qu'on peut voir chez certains enseignants. 
Mais cela pose une question qui porte sur le statut même des IPR. Comment être à la fois conseiller/animateur et en même temps évaluateur ? 
Ensuite, la difficulté à voir l'IPR comme un “collègue” tient aussi à sa personne (son rapport au "pouvoir" évoqué plus haut) et à sa formation. Pourquoi sont-ils formés "à part" ? Quel rôle joue l'ESEN (École supérieure de l'Éducation Nationale) dans le processus d'acculturation qui fait de ces enseignants des cadres intermédiaires de l'Éducation Nationale ? Quelles sont les valeurs et les pratiques qui y sont transmises ? La difficulté à se penser comme “collègues” vient peut-être de cette formation différente et des valeurs distinctes. 
Il est en tout cas, selon moi, nécessaire, de transformer profondément cette formation. Peut-être pourrait-on même supprimer l'ESEN ? Pourquoi ne pas les former dans les ESPÉ ? Ou en tout cas faire évoluer la formation À LA FOIS vers une approche "non spécifiquement disciplinaire" et une réflexion plus approfondie sur la didactique et la pédagogie.  On pourrait aussi s'interroger sur les modalités de recrutement des IPR pour faire évoluer le rapport si fort à la discipline d'origine qui, je me répète, handicape toute évolution du système. 

Encore une fois, nous retombons donc sur la question de la formation. “Qui formera les formateurs ? ” est une question maintes fois posée. On peut y rajouter “Qui formera les inspecteurs ? ” Comment faire évoluer cette profession d’une organisation strictement disciplinaire fondée sur la notation et la contrôle des enseignants à un corps d'experts centrés sur des fonctions d'audit et d'évaluation des établissements ?
Comment passer d’une logique jacobine de contrôle a priori (“top-down”) à une logique d’ “empowerement” des équipes enseignantes ?
Sacré défi à relever car cela suppose de s’attaquer non seulement à l’identité professionnelle des différents corps au sein de l’éducation nationale mais à l’ADN même d’une société française marquée par la bureaucratie,  et le centralisme.



NB : je précise que ma réflexion se veut générale et que je n'ai rien contre les personnes qui exercent ces fonctions en particulier. J'y compte même quelques amis. J’espère les conserver après ce billet !


Ajout du 23 mai 2013 : au regard de ce que j'ai pu constater et des informations qu'on me fait remonter, je me dois de dire que la fonction de "rééquilibrage” que j'évoquais au début de mon texte concernant la construction des maquettes et de la formation s'avère particulièrement cruciale. Dans ce qui semble être un "rapport de forces" (il faut bien l'appeler comme ça) qui se noue dans la construction d’une bonne partie des ESPÉ et dans la finalisation des maquettes MEEF, les IPR apportent une connaissance des programmes et de la réalité de l'enseignement que n'ont pas tous les universitaires. Et j’ai pu constater personnellement que la dimension « pédagogique » était aussi présente dans leurs priorités. Il fallait que cela soit dit pour nuancer mon propos qui a pu être lu comme trop schématique par certains. Mais les questions que j’évoque dans la suite de ce billet restent posées…

6 commentaires:

claudineP a dit…

Excellent billet qui montre bien le sac de nœuds de contradictions dans lequel se trouve l'éducation nationale, et les énormes défis de la Refondation...
Souhaitons qu'il y ait beaucoup de Watrelot parmi les "maîtres d’œuvre" de la Refondation!

AImelle a dit…

N'oublions pas que les IPR sont des IA-IPR, et que l'ESEN les forme en tout premier à être des IA, autrement dit des gestionnaires qui mettent en place la politique décidée par le recteur, elle-même décidée par la DGSCO (il paraît que parfois c'est le ministre). Les tâches pédagogiques (celles d'IPR) occupent quoi? un quart de leur temps? souvent, elles sont déléguées à des chargés de mission. Et comme les IA-IPR doivent aussi transmettre la bonne parole de l'IG...

Christian Jacomino a dit…

Il n'est pas souhaitable non plus que l'ancienne caste autonome des "prof d'IUFM", ni scientifiques, ni forcément fidèles au ministère, recommence de s'auto-promouvoir. Ma contribution ici : http://www.voixhaute.net/2013/05/bienvenue-aux-ipr-inspecteurs.html

Jim a dit…

Merci pour ce billet très intéressant. Oui, la réflexion est ouverte sur la place et le rôle des IPR. Passer d'une logique jacobine et archaïque à celle d'un empowerment des équipes est précisément la perspective dans laquelle j'essaie d'inscrire mes activités (je suis IPR de lettres), et je ne suis pas sûr de partager la vision que vous présentez des inspecteurs -- je ne suis pas sûr non plus de ne pas la partager. Disons que ce corps n'est pas homogène, et que la définition de ses missions est suffisamment floue pour donner lieu à des modes d'action et à des attitudes très variées.
Sur l'incompatibilité entre des fonctions de formateur ou de conseil et des fonctions d'évaluateur, vous mettez le doigt sur quelque chose qui est fondamental. Cette incompatibilité n'est pas insoluble, si l'on parvient à passer d'une représentation pyramidale de l'EN à une représentation plus mobile. A cet égard, les IPR sont assurément des cadres, mais je n'ai pas encore trouvé, et j'en suis bien content, de texte qui fais de moi le supérieur hiérarchique des professeurs (qui sont encadrés par le chef d'établissement, lui-même encadré par le DASEN, qui obéit au recteur).
Sur l'infantilisation et la déshumanisation, je partage votre analyse, mais j'inscrirais la réflexion dans la tension qui existe, au sein de notre système, entre préoccupations altruistes et négation des individus: cela se manifeste dans bon nombre de relations humaines qui existent dans l'EN. La notation des élèves est-elle humaniste et épanouissante? Les procédures d'affectation des professeurs sont-elles humanistes et épanouissantes? Etc. Non: les personnes qui travaillent dans les académies et au ministère font attention aux personnes, et en même temps leur dénient beaucoup d'humanité. A chacun de veiller à considérer l'autre comme un autre!

Watrelot a dit…

J''ai dit dans un texte précédent co-écrit avec Jean-Jacques Hazan que LES parents, comme LES profs ça n'existe pas. On pourrait rajouter que LES inspecteurs ça n'existe pas non plus !
Il y a évidemment une grande diversité dans la manière de pratiquer son métier et je suis sûr qu'un grand nombre d'inspecteurs se situe déjà dans une vision globale du changement du système éducatif.
Mais, répétons le, les questions je pose ne se situent pas au niveau des intentions des personnes mais à un niveau plus structurel qui est celui du recrutement et de la formation. Je maintiens qu'il faudrait faire évoluer cela.
Tout comme il est nécessaire de clarifier les fonctions d'évaluation/notation et les fonctions de conseil.

Jim a dit…

Tout à fait d'accord avec vous, Philippe: ces questions structurelles sont malheureusement celles sur lesquelles vient achopper la réflexion; en témoignent les questions que se posent actuellement les groupes qui travaillent actuellement sur la mise en place des ESPE.
En ce qui concerne le recrutement des inspecteurs, par exemple, ce sont ces raisons structurelles qui font qu'un professeur certifié, enseignant en collège ou lycée général et technologique, peut se présenter au concours de recrutement des IEN du 1er degré ou du 2nd degré, et pas au concours d'IPR: les compétences qu'il a développées dans son milieu professionnel ne peuvent que partiellement lui servir, sont donc partiellement perdues. Raisons structurelles aussi qui font qu'un IPR n'a pas de classes (il en a eu, n'en a plus): il peut ainsi perdre une partie de sa légitimité pédagogique, je crois, éventuellement aussi de sa pertinence, là où des formateurs conservent cette légitimité, éventuellement cette pertinence.

 
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