Alors que la rentrée
se rapproche et que la consultation de mes billets de blog de “conseils”
et de “bibliothèque
idéale” pour les débutants augmente, je vous propose, dans la même logique,
quelques réflexions pour faire le point sur l’autorité et la gestion de
classe...
Pendant plusieurs années à l’IUFM de Paris, j’ai animé des
séances de formation transversales consacrées à la “gestion de classe”. Au
cours des années, le titre a changé et c’est d’ailleurs assez révélateur de
l’évolution de la conception. On est passé de “tenue de classe” à “gestion de
classe” puis à “gestion de classe et climat scolaire”. Le terme de “tenue de
classe” m’a toujours mis mal à l’aise avec ce qu’il sous-entendait de rapport
de forces et de “domptage”. La “gestion” renvoie à un vocabulaire plus
technique et nous permet d’insister sur l’aspect systémique et l’existence de
“ressources”. Le rajout du terme “climat scolaire” nous rappelle heureusement
que tout cela s’inscrit dans une logique de construction collective.
Lorsque j’évoquais ces séances de formation auprès de
personnes hors de l’école, les réactions étaient très diverses. Ironique :
“Tu leur fais des cours d’auto-défense ?”,
Péremptoire : “De toutes façons,
l’autorité est naturelle, on l’a ou on l’a pas…”. Mais même parmi les
collègues, les réactions étaient très tranchées : “ne jamais sourire avant Noël”, “On
n’est pas là pour négocier”, “ce qui
est le plus important c’est de bien maîtriser sa discipline”. Et chacun d’y
aller de son conseil et de “la” méthode infaillible.
C’est d’ailleurs sur cette base qu’étaient nées ces
formations il y a une dizaine d’années avec un enseignant médiatisé qui avait
réussi à imposer une démarche auprès de l’administration centrale de l’éducation
nationale.
Il est toujours délicat de s’ériger en “donneur de
conseils”. Il peut y avoir beaucoup de prétention dans cette posture. Ce qui
marche avec certains peut ne pas marcher avec d’autres. Bien sûr, on n’y
échappe pas quand on assume ce genre de formation et le texte qui suit
rassemble évidemment un certain nombre de conseils. Mais les questions liées à
la gestion de classe relèvent aussi pour une bonne part de l’indicible. Chaque
situation est unique et, malgré les conseils, s’appuie sur de l’expérience
personnelle.
Plus que les conseils, ce qui est important en formation, c’est de
se placer dans une démarche réflexive, de déconstruire ce qui semble des
évidences et de se définir quelques principes d’action. Philippe Perrenoud dans
un titre de livre (1996) définissait le métier par cette formule “agir dans l’urgence, décider dans
l’incertitude”. Notre métier est ainsi fait d’un grand nombre de micro-décisions
qui s’imposent à nous et auxquelles il faut être capable de répondre même si on
ne peut toutes les envisager dans le détail. En somme, il s’agit de “se
préparer”, même si on n’est jamais vraiment préparé…
se préparer… |
A propos de l’autorité...
Derrière la question de la gestion de classe, un mot arrive rapidement
: “Autorité”. C’est la question qui vient très vite chez les enseignants débutants
(jeunes ou moins jeunes et à tout niveau) : aurais-je assez d’autorité
pour m’imposer ? Comment construire mon autorité ?
La notion est complexe et polysémique. Si on s’en tient à
une définition classique, l’autorité est le pouvoir d’obtenir, sans recours à
la contrainte physique, un certain comportement de la part de ceux qui lui sont
soumis. En excluant l’intervention de la force, on la distingue de la notion de
pouvoir. C’est ce que souligne cette définition de Gérard
Mendel (1971) : « L’autorité
est le pouvoir d’obtenir quelque chose de l’autre sans avoir à se justifier et
sans le recours à la force »
Fort heureusement, les enseignants n’utilisent pas la violence
pour se faire obéir et pour faire faire aux élèves ce qu’ils veulent qu’ils
fassent. Sur quoi repose alors l’obéissance ? Sur la légitimité que les
élèves leur reconnaissent.
Max. Weber
distinguait ainsi trois
types idéaux d'autorité et de légitimité:
-
L'autorité traditionnelle trouve sa légitimité
dans la tradition. On respecte les règles et ceux qui les incarnent parce qu’il
en a toujours été ainsi...
-
L'autorité charismatique trouve sa légitimité
dans la personnalité de celui qui l’incarne et l’emprise qu’il provoque.
-
L'autorité légale-rationnelle est, selon Weber,
celle qui caractérise la modernité. Elle est inscrite dans le droit civil ou
administratif et est légitimée par la complexité de la division du travail dans
une société telle que la nôtre. En d’autres termes, on obéit parce qu’on évolue
dans une institution qui a défini des règles auxquelles on se conforme et que
les acteurs de cette institution sont supposés avoir des compétences qui les
rendent légitimes pour obtenir cette obéissance.
Si on s’en tient à cette typologie, l’autorité dans
l’Éducation Nationale relève donc surtout de la dernière catégorie. Mais
l’autorité charismatique constitue aussi un idéal ou un fantasme pour beaucoup
(cf. l’autorité naturelle).
On peut nuancer la définition de Gérard Mendel sur un autre point.
Celui ci indique, en reprenant Hannah Arendt, que l’individu qui obtient l’obéissance
le fait « sans avoir à se justifier ».
Dans le domaine pédagogique c’est très discutable. On peut aussi obtenir
l’adhésion par l’argumentation et la justification même si celle ci a ses
limites. Par cette nuance on peut ainsi établir une distinction entre
l’autorité et l’autoritarisme...
Bruno Robbes dans
ses travaux sur l’autorité éducative présente l’autorité avec l’aide de trois
verbes :
-
“Etre
l’autorité”
-
“Avoir de
l’autorité”
-
“Faire
autorité”
Cette distinction permet de distinguer l’autorité qui
provient du statut (“être”), de la compétence acquise (“avoir”) et celle qui
est liée à l’auteur lui même : l’autorité qui autorise, qui augmente .
Pour reprendre les termes mêmes de Bruno Robbes : « Avoir de l’autorité en tant que personne, c’est avoir cette confiance
suffisante en soi, c’est être suffisamment maître de sa propre vie pour
accepter de se confronter à l’autre avec son savoir et ses manques.
[…] Rien de naturel dans cette
autorité là : c’est par des actes posés tout au long d’une vie que le sujet
s’autorise progressivement à assumer un statut, reconnu par la mise en œuvre de
savoirs qu’il continue à développer. »
Autrement
dit l’autorité n’est pas ici seulement une autorité qui contraint mais aussi
une autorité qui permet à l’élève d’évoluer : « je suis suffisamment conscient de mon autorité que je te permets d’être
autonome dans un cadre que j’ai fixé ». Et cette autorité me vient des
compétences et des savoirs que j’ai construits. Et les élèves reconnaissent ces
compétences. Le maître est le maître parce qu’il sait ce qu’il fait et qu’il
sait où il va et qu’il a confiance dans ma capacité à progresser et apprendre.
Ce que Michel Serres appelle “la présomption de
compétence”
Bien loin de ceux qui conseillent de ne pas sourire avant
Noël (NSBC : never smile before
Christmas disent les anglo-saxons)
le sourire, la bienveillance peuvent aussi contribuer à l'autorité, la
vraie, celle qui autorise... C'est ce que je dis d'ailleurs aux stagiaires en
formation “gestion de classe" que j'anime. Lorsqu'on se déguise, qu'on
joue un rôle, les élèves le voient et ressentent votre posture (au sens
éthologique du terme) comme une défense et donc une crainte.
Assumer ce que l'on est, faire preuve d'humour, "lâcher
prise", être souriant, c'est aussi dire inconsciemment aux élèves : “regardez, je suis à l'aise, je n'ai pas peur
de vous, on peut faire alliance” et c'est aussi donc indirectement marquer
son autorité.
Pour ma part, j'utilise beaucoup l'humour en classe (et pas l'ironie,
même si ça peut m'échapper) et les élèves se disent (du moins je l'imagine)
qu'un type qui est capable de faire ça en classe, est à l'aise et maîtrise les
choses. Et on peut alors avancer dans les apprentissages.
Cela ne m'empêche pas bien au contraire d'être garant du
“cadre” et donc de rappeler les limites afin de garantir à chacun (y compris
contre soi même) qu'il puisse bien y avoir la possibilité d'apprendre.
Après (ou avant plutôt…), bien sûr, il faut maîtriser les
contenus. Si vous n'êtes pas à l'aise sur les contenus que vous enseignez, cela
va se voir presque physiquement. En revanche si vous les maîtrisez, vous serez
plus à l’aise y compris dans votre posture et vous autoriserez plus facilement à sortir du contrôle et à laisser de la
place aux élèves. Les problèmes de discipline sont donc aussi des problèmes de
discipline (scolaire) mais ils ne sont pas que cela. Il ne suffit pas de
maîtriser les savoirs savants et scolaires pour être un bon enseignant. Il faut
aussi avoir réfléchi à son rôle et aux questions d’autorité.
Les quatre dérives de
l’enseignant.
Enseigner est un métier en tension... Même s’il y en a
quelquefois en classe ( !) ici, cela signifie qu’il il faut sans cesse
choisir la bonne attitude savoir placer le curseur entre deux pôles.
Enseigner est d’abord une relation : ce n’est
évidemment pas que cela, mais si on ne crée pas d’abord le contact il ne peut
pas y avoir transmission des connaissances… Il y a donc une dimension affective et interpersonnelle
essentielle dans l’acte d’enseignement. Qu’on s’en défende ou qu’on l’assume,
notre métier ressemble à celui d’un animateur au contact d’enfants : il
faut gérer l’affectif, négocier... Mais être enseignant c’est aussi et surtout
une question de savoirs et savoir-faire à faire apprendre aux élèves. Et pour
cela mieux vaut avoir une certaine passion et transmettre la saveur des
savoirs. Le risque est double : oublier les savoirs et ne plus être que dans
le relationnel et à l’inverse être un savant qui oublie d’établir le contact et
de se mettre à la portée des élèves.
Comment engager les élèves dans les apprentissages et créer
le cadre de travail ? L’autorité est nécessaire. Comme on l’a vu plus haut, elle peut reposer sur le "charisme", une dose de séduction mais
aussi et surtout sur les compétences et la confiance en soi. Mais créer le cadre c’est aussi fixer les limites
de ce cadre. C’est là le “côté obscur” vers lequel on hésite à s’engager :
le rappel à la règle et quelquefois le recours à la sanction. Là aussi, le
risque est double : ne se fonder que sur le charisme c’est courir le
risque de se transformer en “gourou” ou en tout cas, jouer sur des phénomènes
d’emprise qui peuvent être pervers. À l’inverse, on peut se transformer en
“flic” et être uniquement dans une dimension répressive pour se faire craindre
plutôt que respecter.
Être enseignant, c’est naviguer entre ces quatre écueils et
tenir ensemble toutes ces dimensions. C’est ce que j’essaye de résumer dans le
schéma joint.
cliquez sur l'image pour l'agrandir |
Gestion des conflits
Dans les formations “gestion de classe”, si on suscite une
réflexion sur l’autorité et sur les différentes dimensions du métier, il y a
aussi un aspect incontournable tant il est présent dans les inquiétudes des enseignants
débutants : c’est la gestion des conflits.
Les vidéos de Neopass@ction
sont un bon moyen de réfléchir à ces situations.
On peut aussi, comme je le pratique, proposer des situations à jouer avec le théâtre d’intervention. Le principe est le suivant : les protagonistes de départ (un(e) stagiaire volontaire et le formateur) jouent la scène une première fois sans être interrompus. Puis ils la jouent une deuxième fois mais les spectateurs peuvent intervenir pour remplacer l’un ou l’autre des “acteurs” et proposer une autre solution à la situation proposée. Dans un deuxième temps, je propose ensuite aux participants de construire à plusieurs d’autres saynètes sur des situations de conflit et de les jouer et proposer aux autres participants.
On peut aussi, comme je le pratique, proposer des situations à jouer avec le théâtre d’intervention. Le principe est le suivant : les protagonistes de départ (un(e) stagiaire volontaire et le formateur) jouent la scène une première fois sans être interrompus. Puis ils la jouent une deuxième fois mais les spectateurs peuvent intervenir pour remplacer l’un ou l’autre des “acteurs” et proposer une autre solution à la situation proposée. Dans un deuxième temps, je propose ensuite aux participants de construire à plusieurs d’autres saynètes sur des situations de conflit et de les jouer et proposer aux autres participants.
Ce dispositif a l’avantage d’obliger à une forme d’empathie
puisqu’il amène à se mettre dans la peau d’un élève et de faire preuve
d’imagination pour imaginer d’autres solutions. On peut aussi poursuivre la
réflexion en se demandant comment éviter que la situation se produise. Les
discussions qui suivent ces sketchs sont toujours très riches. On peut en
résumer les conclusions en quatre verbes : Dépersonnaliser / Décaler /
Dédramatiser / Prévenir
·
Dédramatiser :
les situations de conflits sont souvent des engrenages qui partent de motifs
quelquefois dérisoires, même s’ils sont importants pour les individus qui les
ont déclenchés. L’engrenage est aussi le résultat d’une volonté de “ne pas
perdre la face” (des deux côtés). Il faut éviter de tomber dans ce piège dans
lequel on ne gagne jamais (même si on croit avoir gagné à court terme). L’humour
est ici un atout.
·
Décaler :
lorsqu’il y a de la tension, on perd (souvent) la raison. Réagir à chaud n’est
pas forcément une bonne solution d’autant plus lorsqu’on court le risque de
l’engrenage devant le reste de la classe. Il peut alors être utile de retarder
et de décaler la confrontation en proposant par exemple d’en reparler à froid
par exemple à la fin de la classe.
·
Dépersonnaliser :
c’est un des grands principes du droit. Il faut distinguer l’acte et la
personne. Celle ci a commis un acte qui n’est pas acceptable et c’est cela qui
est l’objet du conflit et d’une forme de jugement. Mais (et c’est aussi un moyen
de préserver l’estime de soi) poser que celui qui commis cela n’est pas réductible à ce
seul acte. Concrètement cela signifie dire à l’élève : “tu vaux mieux que ça”.
·
Prévenir :
les situations de conflit naissent dans un contexte qui est celui de la classe
et de l’établissement à un moment donné. Le climat scolaire peut évoluer grâce
à l’action de tous et de chacun. Analyser les situations de conflit, suppose
aussi d’avoir une démarche “pro-active” pour prévenir les problèmes et éviter
qu’ils se reproduisent.
Comme je le disais plus haut, on n’est jamais vraiment
préparé à des situations de conflit qui sont toujours singulières et
spécifiques. Mais se préparer c’est savoir qu’elles peuvent se produire et
s’être forgé en amont quelques principes d’action.
Ne pas oublier les valeurs (et l'exemplarité...)
Même si la maîtrise des contenus
enseignés peut contribuer à donner de l’autorité et de l’assurance, cela passe
aussi par la nécessité de réfléchir aux questions d’autorité et à la nécessité
de fixer un “cadre” pour les apprentissages et l’apprentissage de techniques destinées à anticiper et gérer
d’éventuels conflits.
Faire la classe, c’est aussi
proposer des dispositifs et des supports variés pour combattre un éventuel
ennui des élèves et offrir aussi par ce biais des opportunités différentes
d’apprendre.
Mais toutes les techniques et tous
les dispositifs ne se valent pas. Ils doivent être aussi évalués sous l’angle
des valeurs que l’on veut privilégier dans la classe. On peut construire une classe avec des valeurs de
compétition ou au contraire avec des valeurs de coopération. La pédagogie c’est aussi très “politique” :
ce sont des valeurs mises en action. Et un exemple que l'on donne par son propre comportement. Ne l’oublions jamais !
Ce texte a été
initialement publié dans le hors-série numérique n°43 des Cahiers Pédagogiques
“Débuter
dans l’enseignement”. C’est l’occasion de vous inviter à vous procurer ce numéro qui rassemble de nombreux articles utiles pour les débutants, leurs
formateurs et tous les autres...
Philippe Watrelot
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
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