samedi, octobre 05, 2013

Bloc-Notes de la semaine du 30 septembre au 6 octobre 2013



- Construction médiatique – Amnésie et cynisme politique - Brouillage des cartes- Procrastination collective - .



Un bloc notes entièrement consacré au sujet des rythmes scolaires. C’est un cas d’école intéressant pour analyser la manière dont se construit l’opinion sur l’école . D’autant plus quand cela se complique d’une politisation excessive et manipulatrice. C’est aussi le symptôme d’un brouillage des cartes dans ce jeu malsain et le signe d’une réelle difficulté à envisager les réformes dans notre beau pays…

Une construction médiatique
4,5 égale zéro ?
Voilà une équation avec une inconnue. Et cette inconnue est politique. La réforme des rythmes ou plutôt devrait-on dire le retour à la semaine de quatre jours et demi continue à occuper les Unes des journaux. Depuis que l’UMP et en particulier son président Jean-François Copé, a choisi d’en faire un thème de campagne des futures municipales, le débat a même pris une autre ampleur. Les différentes revues de presse de la semaine ont abondamment traité ce sujet et rendu compte des principaux articles et prises de position. On peut donc essayer de tirer quelques enseignements de cet emballement politico-médiatique.
La tonalité générale sur les « rythmes » dans les médias est assez pessimiste et s’auto-alimente. On me dira qu’il est logique que la presse parle d’abord de ce qui ne marche pas. Mais on attend aussi des journalistes qu’ils prennent un peu de recul et de précaution sur des affirmations assénées avec force mais qui ne font pas une argumentation. L’honneur de cette profession est de proposer une mise en contexte avec de la nuance et de questionner les évidences. À l’ère du buzz et des stratégies de communication c’est encore plus indispensable.
Et c’est peut-être la première leçon qu’on peut tirer du traitement politique et surtout médiatique de ce sujet. Qu’il y ait de la mauvaise foi pour les politiques, cela semble malheureusement logique, mais que certains éditorialistes dont on ne connaissait pas jusque là l’intérêt pour les questions éducatives ne se questionnent pas sur de fausses évidences est plus surprenant. L’auto-proclamation de Jean-François Copé en spécialiste de la chrono-biologie aurait du pourtant inquiéter. Affirmer que “les enfants sont fatigués” est un peu court. Étant donné que le passage à la semaine de quatre jours et demi ne concerne aujourd’hui que 20% des enfants, la moindre des choses aurait été de se demander si ceux-ci sont plus fatigués que les 80% restants. Et ne sont-ils pas toujours fatigués à cette période de l’année ? Et JF Copé, il n’est pas un peu fatigué aussi ? Affirmer dans la foulée que c’est contraire à l’intérêt de l’enfant ne surprendra pas non plus. Les enfants, c’est depuis toujours que les grandes personnes parlent en leur nom… On connaît bien l’effet de lampadaire : on met la lumière sur les endroits où ça ne va pas et les autres endroits restent dans l’ombre. Lorsqu’il s’agit en plus de la capitale où la logique médiatique est maitrisée par tous et y compris par les responsables syndicaux enseignants, il faut être encore plus vigilant pour prendre du recul.
Une des questions à se poser lorsqu’on s’intéresse aux médias est celle de la mise à l’agenda. Qui décide de ce qui va faire l’objet d’un traitement médiatique ? Qui sont ceux qui maîtrisent ce mécanisme et ont le pouvoir d’être entendus ? Durant la semaine, Maryline Baumard du journal Le Monde a signé deux articles sensés et nuancés qui vont à contre-courant de la tendance générale. L’un s’intitule Rythmes scolaires : les dix raisons de la colère et remet en perspective les éléments du débat. Mais c’est surtout le deuxième qui nous intéresse ici. Dans Une réforme à contretemps ? elle considère que celle ci est symptomatique du fractionnement de la société : “la France qui crie haro sur la réforme des rythmes scolaires n'est pas celle pour qui cette réforme a le plus de sens ” Elle profite plus aux plus défavorisés mais moins à ceux de la classe moyenne et supérieure qui avaient déjà une organisation variée du temps de leurs enfants. Or, ce sont ces derniers qui ont la parole ! Et elle continue son questionnement “Mais pourquoi a-t-on une gauche incapable de communiquer sur le sens de ce qu'elle fait lorsque – pour une fois – elle mène vraiment une politique de gauche ? Simplement parce qu'elle est écartelée entre ses convictions et son électorat. Qui est l'électorat socialiste : les parents de Marie ou ceux de Kévin ? En 2012, 54 % des ouvriers ont voté Hollande, contre 57 % des cadres et professions intellectuelles supérieures. Sans doute est-ce la raison pour laquelle le sujet a été aussi mal vendu. Selon ce même sondage, personne, dans le public interrogé, ne fait de lien entre la réforme et l'opportunité de faire une école plus efficace ! ”. Cette approche a été reprise par plusieurs commentateurs. A commencer par notre chroniqueur Lionel JeanJeau, qui, sur son blog, dans “Rythmes des élites, rythmes du peuple s’intéresse à l’origine sociale des internautes qui contribuent aux articles de témoignages renforçant l’opinion négative sur cette réforme.
C’est aussi le cas de Daniel Schneidermann dans un billet sur Rue89 . En voici un extrait : “Alors, faute d’une enquête exhaustive, il est permis de se demander pourquoi les témoignages des mécontents, dans les médias, « remontent » plus facilement que ceux des satisfaits. Première hypothèse, optimiste (pour les médias) : parce qu’il y a davantage de mécontents que de satisfaits. Dans cette hypothèse-là, les médias reflètent simplement la réalité, et jouent pleinement leur rôle. Deuxième hypothèse : parce que les mécontents ont davantage de raisons de prendre la plume ou le téléphone, pour exprimer leur mécontentement à « Laurent ». Ce biais est connu. On sait bien que le courrier des lecteurs (jadis) ou les forums et commentaires (aujourd’hui) ne reflètent pas l’opinion générale. Troisième hypothèse, accablante : parce que les parents de Louis et Marie, eux-même « déboussolés » de se voir dépossédés du choix des activités périscolaires, ont davantage de moyens de se faire entendre que la maman de Kevin. Davantage de copains journalistes, davantage de temps pour répondre aux questionnaires du Monde, davantage de mots pour le dire. Autrement dit, contre son électorat (aisé), le PS aurait fait par inadvertance une vraie réforme de gauche, favorable aux classes populaires. On comprend qu’il soit urgent de tout remettre à plat. ”. A noter que sur ce registre de l’analyse critique des médias, Acrimed dans un billet intitulé “chronique d’une amnésie médiatique arrive à des conclusions opposées même si pour eux aussi “l’information sur la réalité du monde de l’éducation est la victime de petits jeux partisans et d’a priori idéologiques. ”.
Pour clore sur ce sujet du traitement médiatique, lorsqu’on milite depuis de nombreuses années en affirmant que l’école est l’affaire de tous”, on pourrait se réjouir que les questions éducatives soient un sujet de débat et d’actualité. Mais pour qu’un réel débat citoyen ait lieu, encore faut-il qu’il soit documenté. Il y a en France plus de 60 millions d’“experts” de l’éducation, mais si tout le monde se croit autorisé à parler des questions éducatives il faut aussi un peu de rigueur et de nuance sur ce sujet comme sur tous les autres.

Amnésie et cynisme politique
Le titre de l’article d’Acrimed parle d’“amnésie médiatique” mais on peut considérer aussi qu’elle est politique. Un éditorial du Monde parle même de “triomphe du cynisme”.
Nous évoquions déjà dans le Bloc-Notes de la semaine dernière , l’offensive concertée de l’UMP : déclarations de Jean-François Copé, site de mécontents ouvert par NKM, tribune de JM Fourgous . La contre offensive s’organise. On peut signaler une réaction de Bruno Julliard dans le Huffington Post à l’initiative de Nathalie Kosciusko-Morizet et une tribune collective de députés PS et EELV dans Libération . Le ministre lui même est à la manœuvre et est très présent dans les médias pour répéter que la réforme se fera et faire aussi quelques annonces comme la pérennisation de l’aide aux communes.
Plus surprenant, il reçoit le soutien de deux anciens ministres de l’éducation de droite. Xavier Darcos et Luc Ferry ont exprimé vendredi leur soutien à la réforme des rythmes scolaires. Pour Xavier Darcos, ministre de l’Education de 2007 à 2009 dans le gouvernement Fillon et qui ne manque pas de culot puisque c’est lui qui, en 2008, réduisit la semaine scolaire à quatre jours, “ le samedi matin devait être rendu aux familles” et “ ensuite la semaine devait s’organiser comme on l’entendait ”, à la libre appréciation de chaque école. Comment dire… Ça ressemble un peu à une réécriture de l’histoire puisque la raison principale (Luc Ferry avait vendu la mèche dans une interview) était surtout de faire des économies sur le temps de travail des enseignants en le libérant pour de l’aide et en supprimant ainsi les RASED. Lui aussi a la mémoire courte…
Sur ce sujet de l’amnésie politique, il faut lire interpellation de Mara Goyet sur son blog : “Tout d'abord, pour commencer, l'UMP ferait mieux de la fermer. Question de dignité. De vérité. Qui a supprimé le samedi matin ? Eux. Après avoir bombardé l'école pendant cinq ans, les voilà en train de chipoter sur les modalités de la reconstruction. Tout se passe comme si après avoir cassé la gueule de l'Education nationale, ils trouvaient que la chirurgie réparatrice manquait de goût. C'est dégueulasse, indécent, EXASPÉRANT. Que les morveux se mouchent au lieu de balancer des tracts et d'emmerder Vincent Peillon (ok, ça s'appelle la vie politique et les élections municipales). ”. Voilà qui est envoyé… On n’oubliera pas aussi la saine colère d’Antoine Prost dans l’émission Rue des Écoles sur France Culture animée par Louise Tourret . Celle ci signe aussi un article sur Slate.fr où elle remarque que Jean-François Copé dans son intervention a repris mot pour mot les mots d’un tract du SNUipp-Paris. On peut donc dire que l’UMP est allé faire du “copé-collé” sur un tract du SNUipp !

Brouillage des cartes
Cette politisation excessive du débat aboutit donc à un brouillage des frontières syndicalo-politiques. Certaines positions syndicales jusqu’au-boutistes et non dénuées de visées électoralistes (les élections professionnelles sont l’an prochain) font d’une certaine manière le jeu de la droite. Comme nous le pointions dans une précédente chronique, ce brouillage rend difficile une position nuancée.
On le voit assez clairement avec l’éditorial assez embarrassé de Maurice Ulrich dans l'Humanité. : “Le ministre, en revanche, serait mieux inspiré d’écouter réellement ceux qui, élus, parents ou enseignants, ne sont pas a priori hostiles à cette réforme ou à lui-même. De regarder en toute lucidité là où ça marche et là ou ça ne marche pas, pour quelles raisons, et de dresser à partir de là une véritable feuille de route, dans la concertation et sans précipitation.
Comme nous le pointions dans une précédente chronique la politisation brouille le message des professionnels qui pour certains s’inquiètent sincèrement de la mise en œuvre de cette réforme et cherchent à l’améliorer. Y a t-il encore de l’espace pour une critique constructive ?

Procrastination collective
Mais combien sont-ils, ces partisans d’une critique constructive ? N’y a t-il pas chez beaucoup une difficulté à voir le bien commun avant l’intérêt catégoriel ? N’est-ce pas un peu tôt pour juger d’une réforme ? Voilà des questions que je voudrais évoquer pour finir. Elles nous en disent long sur notre culture française et notre difficulté à envisager les réformes.
Il y a deux semaines, nous nous interrogions sur l’absence de culture du “work in progress” et il est vrai que la lecture rapide de la presse et des discours où on ne cesse de demander un “moratoire” dans une analyse très pessimiste et où tout semble déjà tranché nous confirme ce défaut français où il faudrait attendre que tout soit parfait avant que l’on se lance… Cette posture d’attente est aussi révélatrice d’une organisation restée très centraliste et d’un jacobinisme déresponsabilisant. On attend beaucoup d’ “en haut”, peut-être trop, alors que cette réforme suppose en effet une mise en œuvre décentralisée et des initiatives locales.
L’enseignant de sciences sociales que je suis peut aussi y voir l’effet de ce que l’on appelle les prophéties auto-réalisatrices. Si tout le monde pense que ça va mal se passer, il y a peu de chances que ça se passe bien… Sans vouloir engager de polémiques, il me semble que c’est un phénomène particulièrement à l’œuvre dans certaines écoles parisiennes notamment mais aussi chez certains responsables de collectivités locales. On peut même au delà du pessimisme, parler de mauvaise volonté…
Un article du Monde nous montre bien que partout, l'acceptation ou le rejet de la réforme par les professeurs ont pesé sur sa bonne mise en œuvre. "Ça marche si les enseignants s'engagent à fond", confie Francis Vercamer, maire UDI de la ville d'Hem (Nord), 18 500 habitants au journaliste. "Il reste des réglages à faire, mais attention à ne pas tirer de bilan un mois après la rentrée.". Sur le terrain, le pessimiste ne l'emporte donc pas toujours. "Evidemment qu'il y a un surcoût, mais c'est aussi un investissement consenti en faveur de nos jeunes", observe le maire de Messeix, Gilles Battut dans le même article. "En milieu rural, où on ne peut pas toujours leur offrir l'ouverture culturelle qu'on voudrait, on mise, avec cette réforme, sur une meilleure qualité d'enseignement. Dommage que les médias se fassent d'abord le relais de ce qui ne marche pas, et moins de ce qui fonctionne..."
Je maintiens donc qu'il est un peu tôt, après trois semaines, pour conclure à un échec ou une catastrophe tout comme à un succès d'ailleurs. C'est une question de rigueur intellectuelle. Mais celle ci comme nous l’avons noté plus haut n'est pas forcément la mieux partagée aussi bien dans le monde des médias que dans l'univers syndicalo-politique.
L’enjeu de la réforme des rythmes tout comme celle des autres évolutions de l’École tient d’abord à l’engagement des acteurs. Plutôt que d’accumuler les préalables et de sombrer dans l’esprit de critique qui s’apparente à une forme de procrastination collective, plutôt que d’accumuler les procédures et la méfiance, il faut se redonner collectivement de la capacité d’agir. Refondation de l’école ? passons aux actes !.

Bonne lecture et bon week-end.



Philippe Watrelot

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