samedi, mai 03, 2014

Bloc-Notes de la semaine du 28 avril au 4 mai



- Catastrophisme – Pénurie ? - Démographie – Départ - .



Une des fonctions de ce bloc notes est de revenir sur l’actualité de la semaine pour la mettre en perspective, la nuancer ou bien encore s’interroger sur la manière dont les médias décident et traitent de cette actualité. Cette semaine nous offre plusieurs opportunités de le faire. Entre les résultats de l’enquête sur les agressions de directeurs et les chiffres sur les résultats aux concours de recrutement, les sujets sont nombreux où une réflexion critique s’impose.
Par ailleurs, nous nous intéresserons aussi à un sujet où il est aussi question de chiffres : la démographie. Et nous reviendrons sur la démission du directeur de l’enseignement scolaire au ministère : Jean-Paul Delahaye.



Catastrophisme
L'information diffusée en boucle le mardi 29 avril avait de quoi affoler. « Près de la moitié des directeurs d'école agressés par des parents (étude) », titrait ainsi l'AFP reprise telle quelle par de nombreux médias. Les journaux télévisés, les radios, la presse quotidienne, sans trop de recul ont cédé au sensationnalisme. Il faut pourtant s’interroger à la fois sur l’enquête elle même et sur la construction médiatique de cette “information”
A l'origine, une étude intitulée « Etat des relations école-parents : entre méfiance, défiance et bienveillance» (téléchargeable sur le site de la CASDEN ) menée par un ancien chargé de mission de l'inspection générale de l'éducation nationale, Georges Fotinos. Celui qui est souvent présenté comme chercheur associé auprès de l'Observatoire international de la violence à l'école s'est fondé sur un questionnaire en ligne rempli par 3 320 directeurs d'école sur un total de 52 000 environ.
Dans un communiqué, Catherine Blaya, la présidente de l’Observatoire international de la violence à l’école, a démenti que Georges Fotinos, qui s’en réclame, y soit associé. Mettant en doute la «démarche scientifique» de l’enquête, elle a pris ses distances à l’égard «d’informations sensationnalistes totalement contre-productives». Georges Fotinos a répliqué en rappelant tous les rapports officiels auxquels il a été associé. Et en soulignant la participation d’universitaires à son étude. Sur le blog “vu de l’intérieur” consacré à la délinquance sur le site du journal Le Monde on s’interroge quand même sur la méthodologie en notant qu’il s’agit d’un questionnaire en ligne et donc fondé sur les déclarations des directeurs. L’échantillon semble représentatif (sauf sur le plan géographique qui n’est pas évoqué). 3 320 questionnaires ont été validés sur un nombre total de directeurs d’école en France autour de 52 000. Le taux de réponse est donc d’à peu près 6%. Mais le problème tient surtout au terme d’ “agression” utilisé dans le compte rendu de l’enquête. On range sous ce vocable aussi bien des disputes, des harcèlements que des menaces et des coups (0,7% des réponses pour ce dernier item). Pour Véronique Soulé dans Libération, l’enquête, quand on la lit dans le détail, est une “étude pas si apocalyptique ”. Elle rappelle que dans son commentaire, Georges Fotinos se veut d’ailleurs lui-même nuancé. «Il faut relativiser l’importance de ces chiffres, écrit-il, la fréquence annuelle de ces agressions est faible, et l’accumulation peut s’être produite à propos d’un même incident. D’autre part, nous sommes dans le domaine du ressenti émotionnel».
Plus loin dans la même enquête, 96,3% des directeurs indiquent «avoir le sentiment que les parents ont confiance en eux» et 76,1% trouvent qu’ils «respectent leur autorité sur leurs enfants». Un résultat qui tempère le pessimisme des chiffres précédents et qui peut même sembler paradoxal.
Au delà de la polémique entre chercheurs, il faut donc s’interroger surtout sur l’usage médiatique d’une telle enquête. Le site Arrêt sur images résume plaisamment le problème par un titre parodique : Sondage : un auditeur sur deux agressé par une info bidon . Alors pourquoi cette “information“ a t-elle eu autant d’écho ?
Osons une hypothèse : parce qu’elle va dans le sens des représentations que l’opinion publique a de l’évolution de l’École. Selon Le Parisien qui reçoit la palme du titre avec Sondage : les instits ont peur des parents, les résultats alarmants de l'étude illustrent un symptôme plus profond : l'instituteur est de plus en plus malmené. « Attention danger ! On sait que l'instituteur a depuis longtemps perdu le prestige qui l'entourait dans l'école de Jules Ferry. […] Lorsque l'autorité des maîtres n'est plus reconnue, c'est une racine essentielle du lien social qui disparaît. » La phrase a immédiatement fait réagir l'historien Claude Lelièvre. ,Sur un de ses blogs (celui de Médiapart) il regrette un « raccourci » qui « ne tient pas historiquement la route ». « L'autorité des enseignants du primaire n'a jamais été ni donnée ni complètement acquise. Elle a toujours été plus ou moins contestée », poursuit-il. Et dans L’Express il ressort des archives de 1861 qui parlent des parents comme un "fléau de l'école". On a toujours besoin d’un historien de l’École…
Pour conclure, si l’on veut réfléchir plus sereinement sur les relations parents-enseignants, je vous conseille vivement la lecture du dossier d’actualité paru dans le n°513 des Cahiers Pédagogiques sur ce sujet. Et je laisse la conclusion à Bruno Masurel d’ATD Quart-Monde dans un autre article de la revue : “Un parent ne voudra vraiment participer à l’école que s’il pressent que ce qu’il y apporte aura une influence sur ce qui se passe, sera pris en compte réellement par l’enseignant et donc favoriser la réussite des enfants. S’autoriser à donner son avis, ne pas se dévaloriser soi-même n’est donc pas acquis pour bon nombre de parents, surtout si les modalités de rencontre ne le favorisent guère. […] D’où l’importance de rendre l’enfant fier de ses parents, de l’aider à développer sa propre estime de lui-même. Il s’agira aussi de redonner confiance aux parents, forts de cette estime que leurs enfants ont pour eux. […] Dans l’autre sens aussi, rendre les parents fiers de leurs enfants est important, car l’enfant grandit à travers le regard que ses parents portent sur lui. Sentir que ses parents sont fiers de lui est le premier stimulant de la confiance en soi d’un enfant. ”.
Bien loin du catastrophisme et de la méfiance réciproque….

Pénurie ?
L’autre sujet qui a donné lieu à des titres catastrophistes est celui de la crise des “vocations” (je déteste cette expression, j’exerce un métier pas un sacerdoce). Ainsi L’Express titre Le prof, une espèce en voie de disparition?, le Nouvel Obs s’interroge Va-t-on bientôt manquer de professeurs ? A la session 2014 exceptionnelle du Capes, la moitié des postes de profs de maths n'ont pas été pourvus. On constate des phénomènes similaires dans d’autres disciplines. Dans le premier degré, 875 postes sont non pourvus à l'issue des épreuves d'admission, soit 10 % des postes ouverts au concours. Ces chiffres peuvent inquiéter lorsqu’on sait que l'Etat compte recruter 58 000 postes d'ici 2017.
A la suite de ces chiffres, les analyses pessimistes n’ont pas manqué. On peut voir, comme le font plusieurs commentateurs, dans cette “crise” de recrutement un manque d’attractivité du métier lié à sa difficulté, son manque de prestige et à sa faible rémunération (comparé à d’autres métiers et d’autres pays). Ces explications sont en partie pertinentes même si elles servent souvent à un déclinisme qui permet à un courant conservateur de relier tout cela à la crise de l’institution “École” évoquée plus haut. Mais il faut cependant nuancer l’information de départ et relativiser la “crise des vocations” qui a fait les gros titres…
En 2013, il y a eu deux concours de recrutement. Celui dont on parle ici c’est ce le “2013-2” ou plutôt le “2014 avancé” si on s’en tient au jargon techno en vigueur au Ministère. Pour le 1er concours, Vincent Peillon, alors ministre, s’était réjoui qu’il ait fait le plein. Comme les dates le permettaient, le 2ème concours a pu être ouvert à ceux qui avaient raté le premier. On peut donc se demander si tous les candidats étaient “au niveau” (mais quel est-il ?) et surtout si on a pas épuisé le “vivier” de candidats potentiels.
Il faut aussi préciser en effet que le fait que les postes n’aient pas été pourvus ne veut pas dire forcément que les candidats n’étaient pas présents mais que les jurys ont estimé qu’ils n’avaient pas le niveau suffisant pour être admis. On se rappelle que l’an dernier, on avait déjà pointé une épidémie de zéro dans les concours de professeurs des écoles. On peut donc s’interroger aussi sur un comportement malthusien des jurys de concours. Plus largement d’ailleurs, on ne peut s’interroger sur l’évolution des concours de recrutement plus “professionnalisants” sans s’intéresser à la composition et à la formation pédagogique des membres de jurys de concours. Mais je m’égare…
On peut aussi voir la situation actuelle comme le résultat de la contradiction du compromis actuel sur la place du concours. La “masterisation” décidée sous Sarkozy, plaçait le concours à Bac + 5. La réforme de la formation et la construction des ESPÉ place aujourd’hui le concours en fin de M1 (bac +4) et la validation à l’issue de l’année de M2. Même si, habilement, on a élargi le “vivier” en passant de M2 à M1, il n’en reste pas moins que celui-ci reste limité et que les carrières possibles avec ce niveau de diplôme rentrent en concurrence avec le métier enseignant. On peut constater aussi que la hausse du niveau de recrutement conduit à réduire le nombre de candidats issus des milieux populaires qui font d’autres choix d’orientation. On pouvait faire d’autres arbitrages et placer le concours en fin de L3 (bac + 3) et proposer une réelle formation professionnelle en deux ans qui ne soit pas polluée par le bachotage et le concours.
Enfin, finissons par une petite provocation. Comme on le voit nous sommes quand même dans un contexte de pénurie. Le rapport candidats/postes est très faible. Et malgré tout on demande aux futurs enseignants de passer à la fois un concours et un Master…. Ne pourrait-on pas considérer qu’un seul de ces deux diplômes sélectifs suffit ? Un concours dans un tel contexte est-il encore nécessaire ? Mais je m’égare encore…

Démographie
La démographie c’est imparable, me disait mon vieux prof de démographie à la fac (il y a très longtemps), il suffit de maîtriser les additions et les soustractions et les prévisions sont assez faciles à faire…”. Pour la journaliste Marie-Christine Corbier dans Les Échos : Le nombre d'élèves complique la tâche de Hamon. Et Marie Caroline Missir dans L’Express évoque, quant à elle, le dossier confidentiel laissé à Benoît Hamon. Ce document élaboré par la direction générale de l'enseignement scolaire (Dgesco), la plus grosse direction du ministère, a été remis au ministre et à son directeur de cabinet dans les jours qui ont suivi sa nomination. Que peut-on y lire ?
"Les moyens supplémentaires sont principalement consacrés, comme en 2013, au rétablissement de la formation initiale des enseignants. Au total, la rentrée 2014 s'effectue avec 2355 emplois supplémentaires pour le premier degré et seulement 986 emplois supplémentaires dans le second degré où il a été nécessaire d'allouer l'équivalent de 1000 ETP d'heures supplémentaires pour faire face aux besoins (non prévues au budget et qu'il faudra compenser en 2015)." Par ailleurs, les services du ministère précisent que "l'augmentation des effectifs va absorber une grande partie des moyens supplémentaires: dans le premier degré, les 37 666 élèves supplémentaires [...] représentent à taux d'encadrement constant 1225 emplois ; dans le second degré, face aux 32 892 élèves supplémentaires il n'est possible de mobiliser que 1486 ETP (alors qu'il en aurait fallu 2000 pour préserver le taux d'encadrement)". Ainsi, la rentrée 2014 “[va] se traduire par une légère érosion des taux d'encadrement hors éducation prioritaire dans le second degré", pronostique la Dgesco.
Dans l’article du journal Les Échos , la journaliste donne la parole aux syndicats qui s’inquiètent que la refondation (scolarisation des deux ans, “plus de maîtres que de classes”, éducation prioritaire,...) ne soit absorbée par la poussée démographique. Dans l'entourage de Benoît Hamon, on est toutefois catégorique : « Elle ne sera pas touchée par la poussée démographique. »
Il reste cependant que, comme le disait mon vieux prof, la démographie c’est imparable. Et que les prévisions pouvaient être faites depuis longtemps. Au passage, cela justifie encore plus les créations de postes. Et nous prouve que la refondation ne passe pas que par du quantitatif (les postes) mais doit aussi se poser la question du qualitatif. Et si on en profitait pour faire vraiment autrement ?

Départ
La revue de presse du vendredi 2 mai s’en faisait déjà l’écho. L’annonce de la démission du numéro 2 du ministère a fait couler beaucoup d’encre. Jean-Paul Delahaye était le Degesco du Ministère de l’Éducation Nationale . La Degesco (direction générale des enseignements scolaires) est la direction la plus importante du ministère à tel point qu’on peut considérer que son directeur est une sorte de “ministre bis”. Jean-Paul Delahaye avait d’abord été conseiller spécial de Vincent Peillon avant de prendre ce poste. Depuis longtemps, il avait annoncé qu’il quitterait celui-ci à la fin de l’année scolaire. Mais cette annonce plus tôt que prévue a évidemment une signification politique et symbolique. Le 5 mai, Jean-Paul Delahaye, devait présenter devant le Conseil supérieur de l'éducation le projet de décret complémentaire du nouveau ministre sur les rythmes. Sa démission avant ce rendez-vous important suggère qu'il ne voulait pas assumer un texte qui détricote une partie de son travail effectué pendant dix-huit mois auprès de Vincent Peillon, avance Le Figaro . Pour Le Parisien , c’est “un coup dur pour Benoît Hamon”. Même si ce dernier affirme qu’il était au courant de sa décision depuis sa prise de fonction et qu’un(e) remplaçant(e) devrait être nommé(e) rapidement. Le nom de Florence Robine (actuelle rectrice de Créteil) circule déjà.
Si l’assouplissement des rythmes est probablement une raison de ce départ précipité, il ne faudrait pas limiter la décision de Jean-Paul Delahaye à ce seul aspect. On peut dire que cet homme d’une grande simplicité et honnêteté et ayant occupé tous les postes à tous les niveaux de la hiérarchie a été aux prises tout au long de ces deux ans avec un cabinet et des conseillers arrogants, sûrs d’eux et finalement peu au fait du fonctionnement de cette administration si particulière. Loin des discours performatifs et de la pensée magique, contrairement à beaucoup de hauts fonctionnaires déconnectés des réalités du terrain, Jean-Paul Delahaye savait que le diable est dans les détails et que la mise en œuvre des réformes passe par la continuité et la précision de l’action. On peut aussi se demander, si dans la haute administration , tous, étaient, comme lui, convaincus de la nécessité d’agir contre les injustices sociales au sein de l’École…
Le plus bel hommage rendu à ce grand serviteur de l’État, unanimement respecté, vient d’un de ses amis. Claude Lelièvre dans son blog sur ÉducPros retrace le parcours de celui qui a débuté sa carrière professionnelle comme professeur d’histoire-géographie en collège pendant 9 ans. Il est devenu ensuite inspecteur départemental de l’Education nationale puis directeur d’école normale, inspecteur d’académie et directeur des services départementaux de l’éducation. Devenu inspecteur général de l’Education nationale (« vie scolaire’’), il a été chargé de mission au cabinet du ministre de l’Education nationale Jack Lang de mars 2001 à avril 2002, pour les questions de violence, les ZEP, la lutte contre l’exclusion et la grande pauvreté. Claude Lelièvre rappelle ensuite que “Jean–Paul Delahaye a été mis en relation avec Vincent Peillon par mon entremise au début des années 2000 ; et leur collaboration ne s’est jamais démentie depuis. Elle va d’ailleurs sans doute se continuer sous d’autres formes. ”. Son billet de blog se termine par une revue de quelques hommages qui lui sont rendus. Je joins ma voix à ceux qui se sont exprimés. Je rends moi aussi hommage à son parcours et je salue cet homme de conviction et d’une grande rigueur morale. Juste quelqu’un de bien…

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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1 commentaire:

Anonyme a dit…

Vos égarements et les questions que vous soulevez sur la question des concours et du recrutement sont amusants, mais pourquoi refuser de voir ce qui crève les yeux : si les jurys doivent refuser des candidats alors que tous les postes mis au concours sont loin d'être pourvus, c'est bien que le niveau desdits candidats, que ce soit le niveau disciplinaire, ou la capacité à communiquer clairement et sainement, sont fort insuffisant pour laisser un espoir qu'ils puissent être en mesure d'assurer un enseignement de manière satisfaisante à la rentrée suivante.

Vous utilisez dans votre billet suivant sur PISA l'expression "casser le thermomètre". L'égarement consistant à vouloir supprimer le concours sous prétexte que le diplôme serait suffisant consiste précisément à casser un thermomètre dont les enseignements sont clairs - et accablants.

Bien entendu, ceci n'est qu'un point, on pourrait en relever bien d'autres. Pour la route : réduire la préparation au concours à du "bachotage" ? Soyons sérieux, c'est un moment extrêmement important dans la formation, de synthèse et de prise de recul.

 
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