dimanche, septembre 04, 2016

Bloc-Notes de la semaine du 29 aout au 4 septembre 2016





- Nouvelle rentrée – Dernière rentrée – Vote enseignant – La Droite et l’école – Innovant - .



Quel “angle” trouver pour parler de la rentrée ? C’est la question que se posent chaque année les journalistes face à ce marronnier. Il est quelquefois difficile de se renouveler. La question se pose aussi pour quelqu’un qui, comme moi, se livre à l’exercice de la revue de presse. Que choisir parmi la masse d’articles sur l’éducation qui paraissent à ce seul moment de l’année ?
Pour cette rentrée 2016, deux angles semblent s’imposer : celui de la nouveauté et celui du bilan. La nouveauté se trouve au collège et dans les nouveaux programmes mais malheureusement aussi dans l’importance prise par la sécurité. Quant au bilan c’est en effet la dernière rentrée pour la ministre et pour ce gouvernement avant les élections présidentielles et législatives. Et chacun (y compris le président) cherche à faire le bilan de l’action menée. On peut aussi coupler ces deux thèmes avec celui de l’état d’esprit de l'opinion des enseignants  face à ces nouveautés et au bilan de l’action gouvernementale. La proximité des élections conduit aussi la pléthore de candidats (de droite cette semaine) à s’exprimer sur ce sujet. . On s’intéressera aussi pour finir à la figure de l’enseignant « innovant » mise en avant dans les médias à l’occasion de cette rentrée.



Nouvelle rentrée

Rentrée scolaire : cette année, tout change ! titre Le Parisien alors que L’Humanité se livre à un tour d’horizon des points chauds”.
Si le lycée et ses 2 millions d’élèves restent un peu en dehors des changements, les nouveautés se concentrent sur le primaire et surtout le collège. « Réécrire tous les programmes en même temps, du primaire à la 3e, ne s'était jamais vu, observe l'historien de l'éducation Claude Lelièvre, au collège, on assiste à une réforme de contenus fort importante. C'est très cohérent sur le papier, mais sur le terrain, ça va forcément tanguer. » Il y a bien sûr la réforme des programmes mais aussi la mise en œuvre de nouveaux dispositifs comme les fameux Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI) ou l’accompagnement qui ont concentré les critiques. Rappelons qu’une grève à l’appel de plusieurs syndicats est prévue le 8 septembre prochain sur cette thématique. Le SNES-FSU exige un «moratoire» et appelle les collègues à «la résistance pédagogique» en n’appliquant pas cette réforme «mal pensée» et officiellement en vigueur dès la rentrée. La ministre a d’ores et déjà répondu qu’il n’y aura pas de moratoire : “Mesdames et messieurs, la réalité risque de vous paraître bien fade. Je crains que vous ne soyez déçus. La réforme du collège entre en vigueur à cette rentrée, et non, la Terre ne va pas se couper en deux. ” a t-elle déclaré lors de sa conférence de presse de rentrée.
Dans une enquête réalisée par Le Mondeet intitulée la mise en œuvre de la réforme du collège s’annonce difficile ”, cette interview de Michel Richard, secrétaire général adjoint du SNPDEN résume assez bien la situation : “60 % des collèges mettront en œuvre la réforme « sans grand enthousiasme, par devoir », un quart l’appliquera plus volontiers car elle s’inscrit dans la continuité de leurs pratiques – la pédagogie par projet, l’interdisciplinarité ; et 15 % seront d’irréductibles villages Gaulois, des collèges où les enseignants feront le service minimum ”. Et si la presse donne abondamment la parole à des enseignants inquiets ou en colère, on trouve aussi des articles qui montrent également des équipes qui se mobilisent et innovent, comme dans cet article de L’Express qui évoque en titre “un "travail monstre" mais "un pari pour les élèves"”.
L’autre “nouveauté”, si l’on peut dire, de la rentrée c’est l’importance prise par la sécurité. On a détaillé dans le bloc notes de la semaine dernière les principales mesures. On rajoutera à ce dossier l’article de Louise Tourret sur Slate.fr qui constate que “la rentrée, habituellement un rituel charmant, se transforme cette année en épisode anxiogène ”.

Dernière rentrée
C'est la dernière rentrée du quinquennat...
Et logiquement, on a plusieurs articles qui portent sur le bilan de la politique menée depuis 2012. Mais le président et la ministre de leur côté ne sont pas en reste et font aussi leur bilan et la promotion de leur action.
Lors de la conférence de rentrée de Lundi dernier la ministre s’est dite fière” de son bilan . François Hollande, a lui aussi pris la parole quand il a accompagné la ministre de l'Education nationale le jeudi 1er septembre dans le Loiret. Il est revenu à Orléans où le 9 février 2012, il avait prononcé son discours fondateur sur l'école. Dans son discours du 1er septembre 2016 , il n’a pas manqué pas de faire le bilan de son action dans le prolongement de ce qu’il disait déjà durant les journées de la refondation en mai dernier. Il a même tracé des perspectives pour la suite comme le souligne Les Échos . Après avoir fait de la scolarité obligatoire - primaire et collège - la priorité depuis 2012, “le lycée doit être la prochaine étape de nos réformes” a en effet lancé François Hollande, en citant le lycée général et le lycée professionnel. “L'école doit rester et restera la première priorité du pays”, a-t-il assuré.
Le bilan fait dans la presse est plus nuancé que celui proposé par la communication gouvernementale. Pour s’y retrouver, on pourra consulter une sorte de frise chronologique des réformes menées depuis 2012dans Le Figaro . Dans Les Échos, Marie-Christine Corbier pointe des “premiers résultats, noyés dans les espoirs déçus du quinquennat ” et parle d’un “bilan mitigé . Selon elle, trop de chantiers ont été engagés et non finis. Les Échos donnent aussi la parole à l’expert de l’OCDE, Eric Charbonnier qui considère qu’il y a eu des maladresses et des retards dans la mise en œuvre des réformes. Muriel Florin, pour un collectif de journaux de province passe en revue promesses et réalisations. Dans Libération on fait de même en interrogeant les différents syndicats. Le Figaro propose aussi un bilan des réformes en donnant la parole à son syndicaliste préféré à savoir le vice-président du SNALC. Dans AlterEco+, on considère que , malgré les efforts, ”la France peut mieux faire”. Le système scolaire français est toujours marqué par un sous-investissement dans le primaire ce qui compromet la lutte contre les inégalités. Toujours dans AlterEco+, on trouvera (sous ma plume) un bilan de la formation des enseignants qu’on pourra compléter avec une interview dans EducPros de Jacques Ginestié, représentant des directeurs d’ESPÉ . 20minutes s’intéresse pour sa part au bilan de la réforme des rythmes scolaires. L’Express revient, quant à lui, sur la promesse des 60.000 postes tout comme les décodeurs du Monde .

Vote enseignant
Puisque c’est la perspective des prochaines élections (présidentielles et législatives) qui justifie ces bilans, il est tout aussi logique que la presse s’intéresse au vote des enseignants. le vote des enseignants est-il déjà perdu pour Hollande ?” c’est la question que pose Europe1. Selon un sondage Opinionway paru en juillet 2015, le dernier à aborder précisément la question, seuls 21% des plus de 800.000 enseignants français seraient prêts à voter François Hollande en 2017. les profs et le PS, un amour déçu ? ” demande Le Parisien. Il faut rappeler comme le font plusieurs médias qu’au premier tour de la présidentielle de 2012, les enseignants avaient voté à 44% pour le candidat PS d'alors.
Pourquoi ce “désamour” ? Certains y voient l’effet des réformes qui se sont succédé (collège, programmes, rythmes scolaires) ou le sentiment que les promesses n’ont pas été tenues. Les créations de postes ne se voient pas encore vraiment dans les classes du fait de la poursuite du boom démographique et du délai lié à la formation des enseignants. La revalorisation des rémunérations des enseignants du primaire et le dégel du point d’indice semblent arriver tardivement et ne comblent pas le sentiment très fort de déclassement et de “malaise” (Les Échos) qui colle toujours à la peau des enseignants. Mais il peut y avoir débat sur ce sentiment et certains syndicalistes insistent sur le fait que l’opinion enseignante est loin d’être aussi homogène que cela.
On peut aussi considérer que les élections ne se feront pas uniquement pour ceux-ci sur des questions éducatives. Bruno Jeanbart d'OpinionWay, interrogé par Europe1 le résume ainsi : "Les enseignants forment un électorat sensible à toutes les problématiques de l'électorat de gauche. Des réformes comme la loi Travail ou des propositions comme la déchéance de nationalité ont affaibli le rapport entre le PS est cet électorat". Pour lui, la réforme du collège ou la question des nouveaux programmes, qui entrent en vigueur en cette rentrée 2016, "mettent certes de l'huile sur le feu. Mais ce n'est pas l'enjeu majeur".
Mais “les” enseignants ont-ils la mémoire courte ? Se rappellent-ils des mesures prises par la Droite ? Dans Le Parisien, le Premier secrétaire du Parti socialiste Jean-Christophe Cambadélis a récemment voulu croire que les enseignants ne pouvaient "pas placer d’espoir dans la droite." Autrement dit qu’on pouvait obtenir le vote des enseignants par défaut. Un pari dangereux et qui demanderait plutôt de la pédagogie…

La Droite et l’École
Au cas où les enseignants aient la mémoire courte, les candidats à la primaire de droite sont là pour nous la rafraichir. Nous l’évoquions déjà la semaine dernière dans le Bloc-Notes mais le flot de déclarations ne s’est pas interrompu. Dès dimanche dernier, 28 aout, avec François Fillon qui, en meeting à Sablé sur Sarthe a dénoncé des programmes scolaires qui font «douter de notre histoire». L’ancien premier ministre souhaite donc « réécrire les programmes d’histoire avec l’idée de les concevoir comme un récit national», en s’entourant de “trois académiciens”. Le “récit national” c’est un peu la syllabique des historiens...
En fait l’éducation est loin d’être un sujet qui passionne à droite. Lors du vote du projet porté par Les Républicains, en avril, les militants avaient été bien moins nombreux à voter sur les propositions portant sur l'éducation (27.000 votants), que sur l'immigration (près du double). Mais ici, l’éducation se téléscope avec le thème porteur de l’identité. Même si on retrouve aussi la vieille thématique du mérite et de l’individualisme Un article de L’Obs résume d'ailleurs les propositions par cette formule : “Patriotisme et écrémage”. Toujours sur le même site, on pourra aussi lire l’analyse de Grégory Chambat sur la manière dont les “réac-républicains” prennent d’assaut l’école .
Écrémage” c’est le mot qui vient à l’esprit quand on lit l’interview de Bruno Le Maire au Parisien . Il veut en finir avec le collège unique, grâce à la "mise en place d'heures d'options professionnelles dès la 6e, basées sur le libre choix". Avec Le Maire, on n’est jamais déçu. On pouvait craindre un retour d'une orientation - ségrégation dès la fin de la 5e. Quelle erreur.....c'est un "“choix”” (je n’ai pas assez de guillemets) en fin de CM2 qui est proposé ! Il souhaite aussi que les lycées professionnels, CFA et Greta fusionnent et sortent du giron de l'Éducation nationale, pour être placés sous la tutelle des Régions et permettre aux entreprises de participer.
Cette surenchère à droite est très inquiétante. D’autant plus qu’elle semble trouver des échos dans l’opinion si on en croit un sondage récent (réalisé auprès de 1099 personnes). Selon BVA 75 % des personnes interrogées perçoivent une baisse de la qualité de l’enseignement à l’école, mais la majorité d’entre elles (61 %) ont une bonne opinion des enseignants. 56 % se disent contre la réforme du collège et 65 % des sondés se disent favorables au retour de l’uniforme, dont 23 % « tout à fait favorables ».
Alors que les inégalités sociales sont toujours très fortes et que la mixité sociale reste souvent de l’ordre des intentions, comme nous les rappelle des articles récents d’Eric Charbonnier et de Thomas Piketty , on continue de s’exciter sur le retour de l’uniforme, nos ancêtres les gaulois et le récit national... Sérieusement ? Soyez à la hauteur des enjeux !

Innovant
Le “1 hebdo du 31 aout 2016 consacre un intéressant dossier sur “Ces profs qui font bouger l’école”. Mais c’est surtout quand Céline Alvarez est l’invitée de France Inter à 8h20 le 1er septembre que la figure de l’enseignant innovant est la plus mise en avant.

Cette ancienne institutrice qui a quitté l’éducation nationale au bout de deux ans publie aujourd’hui "Les lois naturelles de l'enfant" un livre fondé sur son expérience combinant les principes de l’éducation Montessori et des neurosciences. Son livre est accompagné d’un plan média important avec un article dans Télérama, une longue interview sur France Inter et bien d’autres interventions dans les médias. Et son livre est en tête de gondole chez de très nombreux libraires.
"Il faut arrêter les débats idéologiques stériles ! Pourquoi ne se base-t-on pas sur une démarche scientifique ?" demande-t-elle. "Tout le monde s'épuise avec ce système, les enfants sont à bout, les enseignants donnent tout, et les parents se fatiguent à la maison avec les devoirs", déplore-t-elle. Et elle ajoute que "L'enfant apprend en étant actif et pas passif, quand il est aimé et pas jugé". Elle dénonce aussi le système d'inspection des enseignants : "Il faut changer le rôle des inspecteurs. Ca suffit d'infantiliser les enseignants ! [...] Les enseignants ont besoin de se tromper, d'avancer en faisant des erreurs".
Ces propos pourraient être partagés par beaucoup d’enseignants. Mais la personne de Céline Alvarez suscite des réactions très vives, voire excessives, tant dans l’adhésion que dans le rejet. On lui reproche d’avoir quitté le système après en avoir profité ou encore de présenter comme révolutionnaires des pratiques qui sont celles de nombreux enseignants. La critique la plus élaborée est celle Paul Devin, le penseur le plus influent de la FSU, sur son blog hébergé par Médiapart . A part un couplet peu convaincant sur ce qu’il appelle “le diktat de la motivation” plusieurs de ces remarques appuient là où ça fait mal. On voit bien en tout cas que la figure de l’enseignant innovant telle qu’elle est présentée dans la presse, peut susciter des rejets et des agacements. Au pays des profs, on n’aime pas les têtes qui dépassent et (quel paradoxe !) les donneurs de leçons...
Comment conclure ? À cause de la démission d’ Emmanuel Macron, l’article préparé par Muriel Florin du Progrès de Lyon sur les profs a été raccourci. Or, elle avait sollicité plusieurs personnes pour répondre à la question “Qu’est-ce qu’un bon prof ? ”J’avais été sollicité pour contribuer. Comme je n'aime pas gâcher, voici ce court texte : « J’ai beaucoup (trop) écrit sur ce que devrait être un “bon prof” : bienveillance, empathie, cohérence, justice, dynamisme, passion,… La liste pourrait être interminable ! Et si un bon prof c'était surtout celui qui n'est jamais persuadé qu'il l'est ? ne jamais complètement se satisfaire de ce qu’on propose et être sans cesse en recherche ? Rien de pire que ceux qui sont revenus de tout sans jamais y être allés et qui cultivent le cynisme et le fatalisme. Mais l’“innovant” pétri de certitudes et qui pense avoir trouvé LA méthode seul dans son coin est tout aussi inquiétant. Avoir des convictions mais pas de certitudes, questionner sans cesse sa pratique et l’adapter à chacun, oser au risque de se planter, échanger, débattre avec ses collègues… c’est surtout ça être un bon prof… »
Alors que la figure de l’enseignant innovant solitaire et rebelle face au système, voire “révolutionnaire” est régulièrement convoquée par la presse comme à chaque rentrée, il ne me semblait pas inutile de rappeler ces quelques évidences et de rappeler aussi que rien ne peut se faire durablement sans collectif. Et, plutôt que d’avoir une sorte d’injonction à l’innovation il serait tout aussi utile de mettre en valeurs les transformations qui se font modestement “à bas bruit” dans les équipes et au sein du service public.

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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