- Mixité – Préposée aux postes – Visite au musée - .
Le dernier bloc notes hebdomadaire de l’année 2016... On y évoque la question de la mixité qui est un des gros sujets du bilan de l’action du gouvernement tout comme la question des créations de postes que nous abordons également. Et on finit avec l’affaire qui a fait le buzz depuis une dizaine de jours, il s’agit de la visite au musée d’Orsay d’une classe d’un lycée du 93 qui s’est mal passée...
Et puis... joyeuses fêtes !
Mixité
La question de la mixité sociale est un thème majeur et récurrent du débat sur l’école. Après les attentats des 7, 8 et 9 janvier 2015, on se souvient que Najat Vallaud Belkacem avait fait un certain nombre d’annonces depuis le perron de Matignon pour une grande mobilisation de l’École pour les valeurs de la République. Parmi les axes de cette mobilisation figurait la mesure 8 : “Renforcer les actions contre les déterminismes sociaux et territoriaux ” et le texte précisait : “Une politique active de mixité pour agir sur la composition des collèges sera mise en place grâce aux nouvelles dispositions législatives et réglementaires.
- En concertation avec les collectivités compétentes, un état des lieux sera établi en 2015- 2016 en matière de mixité sociale au sein des collèges publics et privés sous contrat. Ce diagnostic partagé doit pouvoir déboucher sur la définition d’objectifs en matière de mixité sociale au sein des collèges publics, à l’échelle du département, mais également à l’échelle de territoires infra-départementaux identifiés comme pertinents.
- De nouveaux secteurs de recrutement des collèges seront définis pour y regrouper plusieurs établissements là où c’est pertinent.[…]”
Le thème de la mixité sociale est revenu à plusieurs reprises ensuite dans le débat. Un rapport du Cnesco de juin 2015 a suscité de nombreux commentaires, tout comme un rapport parlementaire de décembre 2015. Mais le débat a surtout été relancé récemment en septembre dernier par la tribune de Thomas Piketty et la réponse de la Ministre qui en a suivi. L’économiste, dans cette tribune, constatait que “La ségrégation sociale dans les collèges atteint des sommets inacceptables” et dénonçait particulièrement la situation de la ville de Paris. Et la ministre répondait que des expérimentations étaient déjà à l’œuvre et que cela allait être renforcé.
C’est à Montpellier, mardi 13 décembre, que la Ministre de l’Éducation a annoncé de nouvelles mesures pour répondre à cette question politiquement inflammable. Alors que 25 projets de « déghettoïsation » sont en cours actuellement, non sans protestations pour les quartiers concernés dans le nord de Paris, Najat Vallaud-Belkacem a annoncé ce mardi le lancement de 57 nouvelles expérimentations, portant le nombre de sites pilotes à 82, dans 46 départements. D’ici deux ans, 248 collèges dans 84 communes devraient être concernés. Reste à savoir, comme le fait remarquer un article du Monde si, sur le terrain, ces expérimentations sur la base du volontariat peuvent suffire à modifier l’équation : si 10 % des collèges accueillent moins de 15 % d’élèves défavorisés, 10 % en accueillent plus de 63 % S’il est “inflammable” c’est aussi parce que cette volonté de mixité sociale se heurte au désir d’entre soi et à l’inquiétude des familles (y compris de “gauche”) d'être contraintes d'inscrire leurs enfants dans des établissements qu'elles n'ont pas choisis.
La principale critique qui est portée à cette expérimentation est de concerner que des établissements du public et d’exclure, de fait, les établissements du privé. Comme le fait remarquer le sociologue Pierre Merle : “En matière de mixité, la bonne volonté risque de ne pas suffire. Si le privé refuse la démarche, certains parents seront encore plus déterminés à y scolariser leurs enfants. ”. D’autant plus qu’une étude récente nous montre que l'écart de recrutement social moyen entre collèges publics et privés s'est creusé au cours des dernières décennies.
Autres limites mises en avant par les chercheurs et reprises par Le Monde : les « tensions » d’ores et déjà perceptibles tant parmi les parents que les enseignants, de Paris à Marseille en passant par Toulouse ; le « degré d’implication » des collectivités et des autorités locales ; ou encore l’« ambition » de certaines expérimentations. Notamment de secteurs multicollèges qui n’englobent parfois que deux établissements quand il en faudrait plus.
Une illustration en est donnée à Paris avec un projet d’expérimentation dans deux établissements du 18e arrondissement de la capitale. Plusieurs articles relatent les tensions autour de ce projet et notamment un article du Monde (avec un dessin génial d’Aurel) . Les collèges Coysevox et Berlioz font partie des quatre zones tests de la capitale concernées par l’expérimentation – prévue pour la rentrée 2017 – de « secteurs multicollèges », au nom de la mixité sociale. Le principe : chaque élève dépendrait, en fonction de son adresse, des deux collèges et non d’un seul comme aujourd’hui, pour brasser davantage les populations qui se côtoient dans leur quartier mais ne se mélangent pas au collège. Problème : le projet passe mal. Annoncé le 23 novembre, il a aussitôt déclenché une levée de boucliers côté Coysevox. Trois grèves des professeurs, dont la dernière, jeudi 8 décembre, blocus des parents, le 1er décembre, pétition signée par plus de 900 personnes. Les arguments des opposants à ce projet insistent surtout sur l’absence de concertation préalable et la précipitation de celui-ci. Ils considèrent également qu’il y avait d’autres expérimentations à mener avant celle ci. Surtout, ils insistent sur le fait que la mixité sociale est déjà une réalité, dans leur quartier comme au collège. Pas ici et pas tout de suite...
Dans Les Échos , on insiste aussi sur le clientélisme comme étant un frein aux expérimentations. “les expérimentations envisagées ont refroidi certains maires d'arrondissement, affirme un spécialiste interrogé par le journal. Officiellement, ils se disent favorables à la mixité. Mais, députés, ils accordent des dérogations à leurs électeurs. C'est du clientélisme. A l'approche des élections présidentielle et législatives, cela explique pourquoi certains maires d'arrondissement se sont montrés réticents. ”
La question de la mixité sociale est peut-être l’exemple le plus abouti du décalage entre le discours sur les valeurs et la réalité des pratiques. Et aussi l’illustration du biais entre le niveau “micro” et le niveau macro. Les décisions et les stratégies individuelles se télescopent avec les politiques globales. Et contribuent ainsi à l’immobilisme dans un pays qui manifeste de longue date une préférence pour l’inégalité
Cette indifférence aux inégalités, on peut aussi la constater quand on observe le peu de suites données à l’enquête PISA. Le rapport a été présenté avec beaucoup d’ampleur médiatique le 6 décembre dernier. Mais le soufflé médiatique est retombé aussi vite qu’il est monté. Et on peut craindre qu’il n’y ait pas de choc Pisa et qu’on s’accommode encore longtemps des inégalités et des injustices sociales...
Préposée aux postes
Cette semaine a aussi été marquée par des annonces de la Ministre sur le nombre de postes créés et leur répartition dans les différentes académies . Il s’agit, dit la communication ministérielle, d’“un effort sans précédent au service de la réussite de tous”. De la maternelle au lycée, 8611 postes d'enseignants seront créés pour la rentrée 2017, pour renforcer l'effectif existant. Les besoins sont très variables selon les académies, de 27 postes dans celle de Caen, à 1310 dans celle de Créteil. L’effort est particulièrement important dans le premier degré, où 4.311 postes vont être créés alors même que le nombre d’élèves devrait diminuer de 12.158. Dans le second degré, les 4.400 nouveaux postes devraient surtout permettre de compenser la hausse démographique (+ 41.650 élèves). Les académies de Créteil et de Versailles sont toujours celles qui ont le plus de créations de postes, suivies par les trois départements de l'académie de Lyon. Au contraire, celles de Caen, Dijon ou Reims seront beaucoup moins pourvues.
Dans une interview à la presse régionale, Najat Vallaud Belkacem ne manque pas d’en faire un élément de valorisation du bilan gouvernemental et un argument politique. “Nous avons créé les 54.000 postes promis en cinq ans, affirme t-elle, Les résultats de nos réformes se traduiront en 2021.”. Avant de prévenir: “Nous remettons à flot le système éducatif et si la droite revient, cet effort sera anéanti et les effets seront délétères”
Bien sûr, on ne manquera pas , dans la presse et les réseaux sociaux de discuter de la réalité de ces postes, de se demander pourquoi cet effort n’a pas été plus important au début du quinquennat, de parler de logique électorale, etc. Et on peut penser que la poursuite de ces créations de postes ne suffira pas à convaincre les électeurs que sont les enseignants. Mais ces annonces ont quand même une résonnance particulière en cette année d’élections et de chasse aux fonctionnaires qui s’annonce...
Visite au musée
“Fermez vos gueules ! ”
Le récit sur Facebook d’une enseignante de Seine-Saint-Denis qui dénonçait le traitement de ses élèves par les gardiens du musée d'Orsay fait le buzz depuis une dizaine de jours.
L’enseignante a raconté tout d'abord l'histoire dans un post Facebook qu'elle a publié en privé après l'incident, partagé près de 2.000 fois, avant de s'entretenir avec l'Obs puis de nombreux autres journaux : L’Express, le Huffington Post, Télérama, L’Humanité ou encore Le Parisien et bien d’autres....
Que raconte cette enseignante ? Quand cette professeure d'histoire-géo du lycée Maurice Utrillo de Stains (Seine-Saint-Denis) arrive dans la salle d'exposition du musée d'Orsay où sont regroupés les membres de sa classe de première bac professionnel vente, venue étudier l'histoire des ouvriers au XIXe siècle, mercredi 7 décembre, elle les retrouve médusés dans un coin. Elle raconte à l'Obs : “Je fermais la marche du groupe avec une collègue et j'ai été accueillie par les injures d'un gardien de salle, visiblement très remonté contre mes élèves. Il n'arrêtait pas de leur ordonner de se taire... alors qu'ils étaient immobiles et silencieux comme des statues !” Puis un dialogue commence avec le gardien bientôt rejoint par d’autres et mettant en cause l’autorité de l’enseignante. Puis, selon l’enseignante, “"On s'est fait suivre par quatre surveillants, qui prétendaient avoir été agressés verbalement et exigeaient notre départ sans quoi ils menaçaient de se mettre en grève." ”
La version donnée par le musée n’est pas la même. Selon le musée d'Orsay, ce sont les surveillants qui se sont fait insulter par les élèves – par l’un d’entre eux en particulier – après qu’ils sont intervenus fermement pour leur demander d’être moins bruyants – « Taisez-vous ! », leur ont-ils dit à plusieurs reprises, craignant que les autres visiteurs soient indisposés. Selon Télérama un témoin en attesterait : l’universitaire Alain Garrigou, professeur en sciences politiques à Paris Ouest. Présent, par hasard, lors de l’altercation, il affirme : “Je suis formel : il n’y a eu ni insulte ni bousculade de la part des surveillants. Dire le contraire est tout simplement diffamatoire.” La question d'une discrimination raciale est également sujette à caution : deux des surveillants concernés ayant les mêmes origines que certains élèves (des échanges entre eux ont même eu lieu en créole antillais).
On est donc dans une situation “parole contre parole”. L’affaire, en tout cas, a pris des proportions importantes tant par le nombre d’articles que par les réactions des enseignants sur les réseaux sociaux. Si ce message écrit par cette collègue a eu tant d'impact chez les enseignants et au delà, c'est parce qu'il rencontre un sentiment déjà éprouvé par beaucoup à un degré moindre certes, mais très vivace. Il est fréquent lors des sorties scolaires au musée ou ailleurs de sentir le regard de désapprobation et les remarques faites à mi-voix (ou de manière plus audible...) portés sur les élèves et les enseignants. On vous fait comprendre qu’"on ne sait pas les tenir" ou qu'"ils n'ont rien à faire là"...
Une manifestation de soutien a eu lieu devant l’établissement et des personnels de ce lycée de Stains ont publié une tribune dans Libération . Cet incident devient aussi un instrument dans le mouvement social de défense “Touche pas à ma ZEP” et la lutte pour changer les stéréotypes sur la banlieue.
Quel que soit la réalité de cet évènement, l’impact médiatique nous interpelle. Et il nous amène en tout cas à réfléchir sur le sentiment de déclassement et de mépris vécu par les jeunes des quartiers et partagé en partie par leurs enseignants. On se demandait plus haut s’il y avait une indifférence aux inégalités. Cet incident comme d’autres nous montre que le sentiment d’injustice existe et pourrait très vite (re)devenir un problème social majeur...
Il n’y aura pas de bloc-notes hebdomadaire la semaine prochaine mais peut-être un bloc-notes récapitulatif de l’année écoulée. Entre deux réveillons...
D’ici là, bonne Lecture et joyeuses fêtes ... !
Philippe Watrelot
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