La lecture des « 144 engagements» de Marine Le
Pen (après celle des propositions
du “Collectif Racine” qui est le “think
tank” de Marine le Pen pour l’École), laisse un sentiment étrange à plus
d’un titre.
D’abord, et c’est très dérangeant, parce que les
propositions qui sont faites ont un air de familiarité tant elles ressemblent à
certains discours tenus en “salle des profs”. Une enquête récente du CEVIPOF sur le vote
des fonctionnaires montrait que les enseignants prêts à voter pour le Front
National était près de 10% mais les idées ont à mon sens un écho bien plus
large.
Ensuite, au delà des enseignants, ce discours est celui
qu’on entend dans une bonne partie de l’opinion publique. Un discours fait de
référence nostalgique à une école mythifiée, de verticalité et de «
restauration » de l’autorité.
C’est donc, au sens plein du terme, un discours démagogique
et populiste qui est donc difficile à contrer car il peut sembler séduisant. Il
est toujours compliqué d’opposer au simplisme la nuance et la complexité.
On peut cependant mettre l’accent sur deux dimensions des
propositions de Marine Le Pen
- Elle nous propose une école injuste qui va renforcer les
inégalités et la sélection précoce
- Elle nous propose une école inefficace qui ne correspond
pas aux exigences du XXIe siècle et la société d’aujourd’hui.
Une école injuste
La proposition 81 des “engagements présidentiels” reprend la
proposition 15 du collectif Racine et préconise la « suppression progressive du
Collège unique et l’autorisation de l’apprentissage à 14 ans». Après une 6ème
indifférenciée, la 5èmedeviendrait un premier niveau de tri des élèves et une
orientation vers la voie professionnelle et le retour à l’apprentissage à 14
ans. On retrouve d’ailleurs ici des idées déjà développées par certains des
candidats à la primaire de la droite.
Et en particulier la sélection précoce dont toutes les enquêtes
internationales montrent qu’elle est une impasse et que l’Allemagne a
progressivement abandonné. Cette proposition est une régression considérable
qui nous ramène 40 ans en arrière (avant le collège Haby)
Inévitablement, on a droit dans une bonne partie de
l’opinion publique au couplet sur la nécessité d’offrir quelque chose aux
enfants qui ne seraient pas “faits pour les études” et la valorisation de
l’apprentissage et du travail manuel (l’ « intelligence de la main » de Bruno
Lemaire). Le problème c’est de savoir qui est orienté vers ces sections. Ce ne
sont JAMAIS les enfants des catégories sociales les plus favorisées... Derrière
le “goût” pour les études ou le travail manuel, se cachent les inégalités
sociales...
L’autre argument c’est celui de la sélection précoce. En
instaurant un tri dès la 5ème, on ferme l’avenir des jeunes. Qui peut prédire
comment un adolescent peut évoluer et progresser ? C’est une proposition qui
officialise, non seulement le déterminisme social, mais une sorte de fatalisme
naturaliste : il y aurait les enfants “doués” et ceux qui ne le seraient pas...
et cela serait figé une fois pour toutes. C’est la négation de l’éducabilité et
au final de la mission même de l’école. Non au tri sélectif (à l’école...) !
Une petite incise biographique : celui qui écrit ces lignes
est fils d’ouvrier et a eu toujours beaucoup d’admiration pour le travail
manuel et a failli être orienté à 14 ans en fin de troisième vers un CAP...
Le programme prévoit aussi, de fait, la fin du socle commun.
Or, le socle commun c’est une ambition démocratique. Il s’agit d’offrir la même
base de connaissances, de compétences et de culture à tous les jeunes jusqu’à
16 ans. Supprimer le socle c’est reconstruire l’école du XIXe et du début du
XXe siècle qui était une école à deux vitesses. Une école des riches et une
école des pauvres ?
L’obsession sur les “fondamentaux” qu’on retrouve dans
l’engagement 101 oublie que nous sommes un des pays où nous consacrons déjà le
plus de temps à l’apprentissage de la langue. Or, elle veut la moitié du temps
pour le français, comme si la maitrise de la langue ne s’apprenait pas aussi en
faisant de l’histoire, des sciences, des arts. A l’heure où des rapports
montrent l’urgence de développer très tôt le gout des sciences mais aussi de
l’enseignement artistique, on veut torpiller ces enseignements, en imposant
très tôt un cloisonnement disciplinaire. Cette école va donc priver de
formation diversifiée les élèves qui ne peuvent attendre que de l’École une
ouverture aux arts ou la pratique sportive par exemple.
Évidemment on nous rétorquera que l’école que le Front
National veut promouvoir est celle du “mérite” et pas celle de l’inégalité
sociale (engagement 105). Pendant longtemps l’École a permis l’exfiltration des
individus les plus méritants et donc permis une forme d’ascension sociale. Mais
aujourd’hui cet ascenseur social est bloqué et on sait bien que le déterminisme
social est très important. Un enfant d’ouvrier a six fois moins de chances
d’obtenir un bac qu’un enfant d’enseignant. Et PISA a montré, à plusieurs
reprises, que nous étions un des pays où l’origine sociale joue le plus dans la
réussite scolaire. Et surtout quand bien même nous rétablirions le “mérite”,
cette école (mythifiée) resterait construite pour la sélection et l’élite et ne
se préoccuperait pas des “vaincus” du système. L’enjeu d’aujourd’hui n’est pas
seulement la réussite de quelques uns (fussent-ils issus des milieux
populaires) mais d’assurer au plus grand nombre la meilleure formation
possible. Une école qui profite à tous ou une école qui profite à quelques
uns... ?
Une école inefficace
Le projet est au sens propre du terme “réactionnaire” : il
propose un retour en arrière et une remise en cause d’un certain nombre
d’évolutions. On a déjà souligné aussi que les propositions du collectif Racine
parlent surtout aux enseignants qui sont remis au “centre du système”. C’est
une école faite pour les enseignants (certains...) pas pour les élèves et leurs
familles (qui sont exclues de l’école).
Elle nous propose, en tout cas, une école inefficace, pas adaptée au monde d’aujourd’hui, ne
formant ni à la pratique d’internet, ni à l’esprit critique, réduisant le
civisme à l’obéissance aux règles (ce qui ne marchera pas) et jamais à
l’engagement citoyen (solidarité, souci de l’environnement, entraide), à
l’expression orale, au travail en équipe…
Sur la formation des enseignants, la proposition 68 du
collectif Racine préconisait de « Supprimer les ESPE et les remplacer par les
“Ecoles Normales Régionales” qui délivreront une formation d’excellence centrée
sur l’apprentissage disciplinaire, proscrivant les prétendues ”sciences de
l’éducation”». (On n’est pas loin des “pédagogistes prétentieux” de François
Fillon). La formation des enseignants est donc cantonnée aux contenus
académiques. Aucune formation prévue à la gestion de la classe, aux pratiques
pédagogiques... On ne sait pas ce que dit Marine Le Pen là dessus dans son
projet.
D’une manière plus générale tout le discours sur la
restauration de l’autorité en classe (engagement 103) oublie la réalité de ce
qui se passe dans toutes les familles (y compris celles qui votent Front
National...) c’est à dire de la négociation entre générations, de la
discussion, de la diversité, l’affirmation de l’identité adolescente. Pourquoi
et comment l’École pourrait-elle être à rebours de l’évolution de la société ?
L’École de Marine Le Pen c’est « écoute et tais-toi »
La proposition de l’instauration d’un uniforme (engagement
103) est conçu pour faire le buzz et concentrer toutes les discussions là
dessus (et masquer ce que j’évoquais plus haut). Rappelons que l’uniforme en
France n’a jamais existé. La blouse a été utilisée mais plutôt pour des aspects
pratiques. Et surtout, pour l’avoir vécu dans d’autres pays, un tel code
vestimentaire n’efface en rien les inégalités sociales.
Ce n’est pas avec des solutions simplistes qu’on peut
résoudre des problèmes complexes
Ce n’est pas en se réfugiant dans une école mythifiée (et
qui n’a en fait jamais existé) qu’on formera le citoyen du XXI siècle
Philippe Watrelot
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Présidentielle 2017 : Les billets consacrés aux programmes éducation des candidats
+ une synthèse : l'éducation dans la campagne : des clivages brouillés
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