jeudi, février 09, 2017

L'École de Marine Le Pen : une École injuste et inefficace

La lecture des « 144 engagements» de Marine Le Pen (après celle des propositions du “Collectif Racine” qui est le “think tank” de Marine le Pen pour l’École), laisse un sentiment étrange à plus d’un titre.
D’abord, et c’est très dérangeant, parce que les propositions qui sont faites ont un air de familiarité tant elles ressemblent à certains discours tenus en “salle des profs”. Une enquête récente du CEVIPOF sur le vote des fonctionnaires montrait que les enseignants prêts à voter pour le Front National était près de 10% mais les idées ont à mon sens un écho bien plus large.
Ensuite, au delà des enseignants, ce discours est celui qu’on entend dans une bonne partie de l’opinion publique. Un discours fait de référence nostalgique à une école mythifiée, de verticalité et de « restauration » de l’autorité.
C’est donc, au sens plein du terme, un discours démagogique et populiste qui est donc difficile à contrer car il peut sembler séduisant. Il est toujours compliqué d’opposer au simplisme la nuance et la complexité.
On peut cependant mettre l’accent sur deux dimensions des propositions de Marine Le Pen
- Elle nous propose une école injuste qui va renforcer les inégalités et la sélection précoce
- Elle nous propose une école inefficace qui ne correspond pas aux exigences du XXIe siècle et la société d’aujourd’hui.


Une école injuste
La proposition 81 des “engagements présidentiels” reprend la proposition 15 du collectif Racine et préconise la « suppression progressive du Collège unique et l’autorisation de l’apprentissage à 14 ans». Après une 6ème indifférenciée, la 5èmedeviendrait un premier niveau de tri des élèves et une orientation vers la voie professionnelle et le retour à l’apprentissage à 14 ans. On retrouve d’ailleurs ici des idées déjà développées par certains des candidats à la primaire de la droite.  Et en particulier la sélection précoce dont toutes les enquêtes internationales montrent qu’elle est une impasse et que l’Allemagne a progressivement abandonné. Cette proposition est une régression considérable qui nous ramène 40 ans en arrière (avant le collège Haby)
Inévitablement, on a droit dans une bonne partie de l’opinion publique au couplet sur la nécessité d’offrir quelque chose aux enfants qui ne seraient pas “faits pour les études” et la valorisation de l’apprentissage et du travail manuel (l’ « intelligence de la main » de Bruno Lemaire). Le problème c’est de savoir qui est orienté vers ces sections. Ce ne sont JAMAIS les enfants des catégories sociales les plus favorisées... Derrière le “goût” pour les études ou le travail manuel, se cachent les inégalités sociales...
L’autre argument c’est celui de la sélection précoce. En instaurant un tri dès la 5ème, on ferme l’avenir des jeunes. Qui peut prédire comment un adolescent peut évoluer et progresser ? C’est une proposition qui officialise, non seulement le déterminisme social, mais une sorte de fatalisme naturaliste : il y aurait les enfants “doués” et ceux qui ne le seraient pas... et cela serait figé une fois pour toutes. C’est la négation de l’éducabilité et au final de la mission même de l’école. Non au tri sélectif (à l’école...) !
Une petite incise biographique : celui qui écrit ces lignes est fils d’ouvrier et a eu toujours beaucoup d’admiration pour le travail manuel et a failli être orienté à 14 ans en fin de troisième vers un CAP...
Le programme prévoit aussi, de fait, la fin du socle commun. Or, le socle commun c’est une ambition démocratique. Il s’agit d’offrir la même base de connaissances, de compétences et de culture à tous les jeunes jusqu’à 16 ans. Supprimer le socle c’est reconstruire l’école du XIXe et du début du XXe siècle qui était une école à deux vitesses. Une école des riches et une école des pauvres ? 
L’obsession sur les “fondamentaux” qu’on retrouve dans l’engagement 101 oublie que nous sommes un des pays où nous consacrons déjà le plus de temps à l’apprentissage de la langue. Or, elle veut la moitié du temps pour le français, comme si la maitrise de la langue ne s’apprenait pas aussi en faisant de l’histoire, des sciences, des arts. A l’heure où des rapports montrent l’urgence de développer très tôt le gout des sciences mais aussi de l’enseignement artistique, on veut torpiller ces enseignements, en imposant très tôt un cloisonnement disciplinaire. Cette école va donc priver de formation diversifiée les élèves qui ne peuvent attendre que de l’École une ouverture aux arts ou la pratique sportive par exemple.
Évidemment on nous rétorquera que l’école que le Front National veut promouvoir est celle du “mérite” et pas celle de l’inégalité sociale (engagement 105). Pendant longtemps l’École a permis l’exfiltration des individus les plus méritants et donc permis une forme d’ascension sociale. Mais aujourd’hui cet ascenseur social est bloqué et on sait bien que le déterminisme social est très important. Un enfant d’ouvrier a six fois moins de chances d’obtenir un bac qu’un enfant d’enseignant. Et PISA a montré, à plusieurs reprises, que nous étions un des pays où l’origine sociale joue le plus dans la réussite scolaire. Et surtout quand bien même nous rétablirions le “mérite”, cette école (mythifiée) resterait construite pour la sélection et l’élite et ne se préoccuperait pas des “vaincus” du système. L’enjeu d’aujourd’hui n’est pas seulement la réussite de quelques uns (fussent-ils issus des milieux populaires) mais d’assurer au plus grand nombre la meilleure formation possible. Une école qui profite à tous ou une école qui profite à quelques uns... ?


Une école inefficace
Le projet est au sens propre du terme “réactionnaire” : il propose un retour en arrière et une remise en cause d’un certain nombre d’évolutions. On a déjà souligné aussi que les propositions du collectif Racine parlent surtout aux enseignants qui sont remis au “centre du système”. C’est une école faite pour les enseignants (certains...) pas pour les élèves et leurs familles (qui sont exclues de l’école).
Elle nous propose, en tout cas,  une école inefficace, pas adaptée au monde d’aujourd’hui, ne formant ni à la pratique d’internet, ni à l’esprit critique, réduisant le civisme à l’obéissance aux règles (ce qui ne marchera pas) et jamais à l’engagement citoyen (solidarité, souci de l’environnement, entraide), à l’expression orale, au travail en équipe…
Sur la formation des enseignants, la proposition 68 du collectif Racine préconisait de « Supprimer les ESPE et les remplacer par les “Ecoles Normales Régionales” qui délivreront une formation d’excellence centrée sur l’apprentissage disciplinaire, proscrivant les prétendues ”sciences de l’éducation”». (On n’est pas loin des “pédagogistes prétentieux” de François Fillon). La formation des enseignants est donc cantonnée aux contenus académiques. Aucune formation prévue à la gestion de la classe, aux pratiques pédagogiques... On ne sait pas ce que dit Marine Le Pen là dessus dans son projet.
D’une manière plus générale tout le discours sur la restauration de l’autorité en classe (engagement 103) oublie la réalité de ce qui se passe dans toutes les familles (y compris celles qui votent Front National...) c’est à dire de la négociation entre générations, de la discussion, de la diversité, l’affirmation de l’identité adolescente. Pourquoi et comment l’École pourrait-elle être à rebours de l’évolution de la société ?
L’École de Marine Le Pen c’est « écoute et tais-toi »
La proposition de l’instauration d’un uniforme (engagement 103) est conçu pour faire le buzz et concentrer toutes les discussions là dessus (et masquer ce que j’évoquais plus haut). Rappelons que l’uniforme en France n’a jamais existé. La blouse a été utilisée mais plutôt pour des aspects pratiques. Et surtout, pour l’avoir vécu dans d’autres pays, un tel code vestimentaire n’efface en rien les inégalités sociales.
Ce n’est pas avec des solutions simplistes qu’on peut résoudre des problèmes complexes
Ce n’est pas en se réfugiant dans une école mythifiée (et qui n’a en fait jamais existé) qu’on formera le citoyen du XXI siècle

Philippe Watrelot

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