dans un centre d'examen quelque part en région parisienne… |
Avant de démarrer, les membres du jury avaient voté une motion refusant de participer au remplacement des notes absentes par les moyennes de l’année en laissant cette responsabilité au président de jury (un universitaire). Mais quand bien même, nous n’aurions pas pu, puisque le logiciel ne permettait pas de le faire. Une limite technique que n’avait sûrement pas prévue M. Blanquer !
Nous avons délibéré sur un petit nombre de candidats qui avaient toutes leurs notes. Pout les autres, en fait, d’après ce qui nous a été dit, le président tout seul peut soit remplacer les notes pas encore communiquées par une moyenne de l’année soit délibérer si les notes parviennent dans la journée.
Résultat: à 10h30 nous avions "fini" ce simulacre de délibération et on rendait nos copies.
D’une certaine manière, nous avons refilé le mistigri (pour les plus jeunes, c’est le vrai nom du « pouilleux massacreur ») à ceux qui vont faire le travail : le président et le secrétariat du bac du centre d’examen.
Ce que je raconte est ce que j’ai vécu et ne prétend pas être représentatif. Dans d’autres jurys, tout s’est bien passé : les notes étaient toutes rentrées dans le logiciel, tous les enseignants étaient présents et les délibérations ont pu se tenir. Ailleurs, il y a pu y avoir au contraire des situations plus extrêmes avec des refus de siéger ou d’autres modalités.
« Incalculable », c’est aussi la dose de stress éprouvée au cours de cette journée par les enseignants présents (mais aussi par les personnels de direction et de secrétariat) . Certains professeurs avaient fait la grève des surveillances, d’autres pas ; certains étaient pour la réforme, d’autres pas... Mais l’unanimité qui se dégageait c’était la détestation de la situation dans laquelle on nous avait mis et de celui qui en est en grande partie responsable : le ministre lui même.
J’ai eu l’impression qu’au lieu de calmer le jeu, ses déclarations de la veille avaient plutôt contribué à agacer des enseignants qui, quelles que soient leurs convictions sur la réforme, n’apprécient pas les bricolages et les dilemmes dans lesquels on les place. Ils se sentaient piégés.
Pour ma part, je critique la réforme du lycée mais je m’étais opposé à la grève des surveillances car j’estimais, à tort ou à raison, que ce n’était pas une modalité appropriée. (Je l'ai dit dans un autre article) J’avais corrigé mes copies et rentré les notes en temps et en heure. Mais je n’apprécie pas pour autant de devoir endosser un rôle ambigu et de me sentir piégé dans la situation conflictuelle du moment.
Plutôt que de le redire différemment, je me permets de reprendre ici des éléments d’un texte écrit il y a quinze jours et diffusé sur les réseaux sociaux et qui résume très bien mon état d’esprit
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« • M. Blanquer, je vous en veux parce que, par votre attitude, vous contribuez à radicaliser les positions et à raisonner de manière binaire.
• Je vous en veux parce que vous rendez possible des comportements et des modes d’actions qu’autrefois on n’osait pas envisager...
• Je vous en veux pour cette épreuve de force qu’on aurait pu éviter.
• Je vous en veux parce que vous faites comme s’il n’existait pas une voie médiane et rendez inaudible les positions réformistes et ouvertes au dialogue. »
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« Incalculable », c’est aussi le stress des lycéens bien sûr. Nous en étions tous conscients. Clairement, avec cette épreuve de force et les menaces sur le bac mises à exécution, un tabou a été franchi mais pour autant, il est mensonger de dire que les enseignants ne se préoccupent pas de leurs élèves.
Ceux-ci auront leurs notes mais dans quelles conditions ? Seront-ce les notes de leurs épreuves ou celles de l’année ? Et quid des candidats libres et donc sans livret scolaire ? Et les mentions ?
Une des fonctions des jurys c’est justement de ne pas décider mécaniquement mais d’adapter et de rajouter éventuellement des points en fonction des avis. Qu’en sera t-il dans ces conditions ?
Bien sûr, il y a des positions extrêmes chez des enseignants adeptes du « Tout ou Rien » qui réclament l’abrogation d’une réforme déjà lancée. Mais chez beaucoup, le dépit tient surtout au fait qu’ils ont eu le sentiment qu’il n’y a pas eu de négociations, que leur parole n’est pas entendue, qu'ils ont été mis devant le fait accompli.
Or, sur le terrain, on voit des choses que la technocratie endogame de la rue de Grenelle, ou le ministre lorsqu’il visite des établissements Potemkine, ne voit pas. Tout le monde parle des problèmes posés par le passage de trois à deux options ou bien encore de la place des mathématiques, des questions se posent aussi sur la lourdeur des programmes alors qu’on apprend que les épreuves terminales des options auront lieu en mars-avril. On découvre aussi l’improvisation et l’impréparation dans l’élaboration des épreuves en fin de première ou encore pour le fameux « grand oral ».
Les enseignants ne sont pas, loin de là, rétifs au changement. Beaucoup réclament simplement qu’on entende leur expertise et leur expérience pour éviter des erreurs et anticiper sur des aménagements inévitables. Ils ont aussi mal vécu au sein des établissements, les négociations qui s’opèrent dans un contexte de pénurie pour les dédoublements et autres constitutions de groupes entre les différentes disciplines.
Mais le Ministre semble avoir, dès le départ, fait le pari d’avancer sans les enseignants et leurs corps intermédiaires (syndicats, associations...) et de jouer l’opinion (et les médias) contre ses personnels. « Ma porte est ouverte » dit-il mais sa volonté de négocier relève plus de l’auto-persuasion que de la réalité des faits. En fait, il ne nous « calcule » pas !
Une gouvernance verticale fondée sur une arrogance technocratique est à l’œuvre Peut-on réformer sans susciter l’engagement des principaux acteurs et tenir compte de leur parole ?
Ce clivage, cette culture du conflit, cette surdité risquent d’avoir des conséquences... incalculables !
Ph. Watrelot le 4 juillet 2019
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