« Plus rien ne sera comme avant », on nous a déjà fait le coup !
On semble sous-estimer la capacité des systèmes à absorber les chocs et à reprendre leur forme antérieure, à faire preuve de résilience. Y aura t-il une « école d’après » ? En dehors de l’indécence éventuelle qu’il peut y avoir à se poser ce genre de questions alors que de nombreuses personnes vivent des drames, c’est prématuré. Et ce n’est pas, non plus, dans la cacophonie et les difficultés d’organisation du déconfinement qui s’amorce, que nous pouvons le mieux y réfléchir.
Pourtant ce qui s’est produit au cours de ces semaines inédites nous oblige à penser le changement. Il ne viendra pas tout seul mais devra être le fruit d’une réflexion et d’une action collective. L’École d’après sera ce que nous en ferons.
Car le confinement, les cours à distance et la remise en cause des examens sont des chocs profonds et systémiques qui ont remis en cause de nombreux domaines de notre système éducatif. Nous pouvons en énumérer quelques uns.
L’école, un “acte collectif”
L’école c’est d’abord une relation et un accompagnement. Un ordinateur n’est pas une école. Et les parents ne sont pas des enseignants. Apprendre suppose une relation directe avec des enseignants et avec des camarades. C’est un acte collectif et singulier qui ne peut se réduire à des exercices programmés. Pour apprendre, il faut coopérer, confronter ses idées, surmonter des obstacles avec à ses côtés un(e) enseignant(e) qui puisse donner les outils pour avancer. Le numérique n’est qu’un outil au service de la relation éducative et a aussi ses limites.
L’éloignement nous a montré aussi l’importance du lien avec les familles. Cette épreuve nous rappelle que la réussite éducative suppose de dépasser les méfiances réciproques pour «faire alliance».
C’est aussi le métier d’enseignant lui même qui est questionné par la crise que nous traversons. Nous faisons, en ce moment, notre métier (et avec nos propres moyens !). Différemment mais c'est bien un métier pour lequel nous sommes payés. Nous nous adaptons, nous innovons, nous nous auto-formons, nous inventons des solutions pour ne pas perdre nos élèves. Comment mieux accompagner et les aider à “tous” apprendre. ? Cette question est déjà essentielle en « présentiel », elle l’est encore plus à distance.
Plutôt que la seule « transmission », l’éloignement nous montre que nous devons être des spécialistes du « faire apprendre ».
On a cru que les enseignants étaient des individualistes rétifs au changement. Et en l’espace de quelques jours, ils se sont formés et adaptés à une situation inédite. Il ont aussi énormément mutualisé et fait des réseaux sociaux des lieux d’échange et de construction collective (et pas seulement de déploration !). Et si on profitait de cette dynamique pour concevoir demain une nouvelle manière d’envisager la formation continue qui en finisse avec l’information descendante et l’inculcation des « bonnes pratiques » ? Il nous faut construire une formation fondée sur une démarche volontaire au plus près des problématiques locales. C’est l’occasion de construire de réels collectifs de travail qui nous sortent de la logique solitaire dont nous voyons bien les limites.
Avec quel pilotage ? « On peut se débrouiller tout seuls sans la hiérarchie » C’est plus ou moins la conclusion que beaucoup d’enseignants tirent des semaines qui viennent de s’écouler. On retiendra la force d’inertie d’un système bureaucratique attaché à la conformité aux procédures. Forcément, cette crise questionne aussi le rapport à la hiérarchie et la conception très « verticale » de la gouvernance.
Je fais le pari (optimiste ?) qu’il sera plus difficile pour la technostructure de l’éducation nationale, après cet épisode, de continuer à gérer à coup de circulaires et de livrets orange ou de toute autre couleur...
“Finir le programme”
La crise que nous traversons a aussi mis à mal, notre obsession de « finir le programme ». Cela montre bien dans quelle impasse nous sommes. Nous définissons trop ce que nous enseignons dans une logique encyclopédique d’empilement.
La construction des programmes autour de grands objectifs d’apprentissage, leur continuité au sein de cycles sont peut-être des voies à explorer, tout comme la redéfinition des formes d’évaluation.
Car notre système français est largement piloté par l’aval. En d’autres termes, ce sont les épreuves terminales (brevet, bac) qui déterminent fortement la pédagogie menée en amont. Et c’est cette logique là qui est percutée quand on est dans l’incapacité de mettre en œuvre ces examens.
D'une manière accélérée, dans cette crise, nous avons pris conscience que, loin de l’accumulation encyclopédique, ce qu’il est important de promouvoir et préserver, ce sont des attitudes intellectuelles, des compétences, qui permettront de s’approprier les connaissances et d’aller vers l’autonomie. N’est-ce pas là que se situe la plus grande « exigence » ?
Enfin et surtout la crise est aussi un révélateur et un amplificateur des inégalités sociales. L’éloignement physique a renforcé la distance sociale de certains élèves à l’égard des normes et des attentes du travail scolaire. Ce n’est pas, loin de là, une simple question de distribution de matériels qui résoudra cette question.
Car ces inégalités ne sont pas nouvelles. Cela fait longtemps que les enquêtes, les sociologues, les mouvements pédagogiques montrent que le système éducatif français est celui « du grand écart» et qu’il laisse de côté les vaincus de l’École.
Si l’on veut que la question des inégalités n’ait pas été qu’un simple alibi pour la réouverture des écoles, alors il faudra engager une véritable réflexion pédagogique pour construire une École plus juste et plus efficace.
On ne pourra enseigner, dans l’École d’après, avec la pédagogie d’hier...
L’image de l’école et celle des enseignants peuvent sortir grandies de cette crise. Ne serait-ce que par la prise de conscience de l’expertise que constitue l’acte d’apprendre et de l'importance du rôle des enseignants dans les services publics. On peut espérer qu’il en ressorte une redéfinition et une réévaluation de la place de ce métier dans la société.
Je ne suis pas prophète et je me garderais bien de dire ce que sera ou devrait être l’école de demain. Mais on peut cependant affirmer que « l’école d’après » devra se poser ces quelques questions (et bien d’autres) si elle veut faire de cette crise l’occasion d’une réelle mutation.
“Penser le changement plutôt que changer le pansement”…
(Francis Blanche)
(Francis Blanche)
Philippe Watrelot
Professeur de sciences économiques et sociales, formateur.
Militant pédagogique,
Ancien président du Conseil National de l’innovation pour la réussite éducative.
Tribune parue dans Le Monde le Mardi 5 mai 2020 (publié sur ce blog avec son aimable autorisation)
1 commentaire:
Assez peu enclin d'ordinaire à louer notre hiérarchie, il me semble que dans la situation présente, il faudrait nuancer.
Comme on pouvait s'y attendre, des différences assez importantes sont apparues entre les attitudes consternantes,les décisions brouillonnes du ministre ou de tels élus condescendants et le travail, au moins dans le primaire, de telles inspectrices ou inspecteurs de circonscription et des conseillers pédagogiques qui sont à leur côté.
Oui, dans une certaine mesure, nous pouvons nous débrouiller tout seuls et nous l'avons fait. Mais il y a eu un gros travail accompli, dans le primaire, au niveau des circonscriptions. Ne serait-ce que d'écoute, d'accueil et de coordination de nos propositions.
Certainement, cela n'aura pas été le cas partout et j'imagine sans peine que des collègues se seront heurtés aux obstacles habituels.
Mais la hiérarchie n'est pas un bloc uniforme. Et, localement, si des réouvertures s'annoncent comme viables, ce sera aussi grâce à l'intelligence dont auront pu témoigner certains membres de cette hiérarchie.
Cela ne retire évidemment rien aux critiques sévères que mérite notre "haute" hiérarchie.
D'ailleurs, ne peut-on penser que l'incapacité manifeste des hautes sphères à mettre sur pied quelque chose de sensé ait contribué à l'apaisement des relations hiérarchiques locales ?
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