lundi, mai 10, 2021

𝐋𝐞 𝟏𝟎 𝐦𝐚𝐢 𝟏𝟗𝟖𝟏, 𝐣’𝐚𝐢 𝟐𝟏 𝐚𝐧𝐬...

Le 1o mai 1981, j'ai 21 ans et je viens de passer les écrits du CAPES de SES. J’attends les résultats de l’admissibilité avec impatience. Et tout aussi impatiemment, j’attends ce soir là, les résultats de l’élection présidentielle. 

J’habite encore chez mes parents à Savigny sur Orge  et je suis donc allé voter à quelques rues de la maison. Le bureau de vote est installé dans l’école maternelle Aristide Briand, (avenue Joyeuse !) là même où j’ai été élève. Il m’a fallu trois pas pour traverser la cour, alors qu’elle me paraissait gigantesque lorsque j’avais six ans. Je restai souvent dans le même coin, n’osant pas m’aventurer trop loin. 

La journée s’est passée tranquillement mais on sent quand même une tension. On est dans l’attente et on s’interdit de dire, par superstition peut-être, que le changement est possible. Mais on y pense secrètement. 

« il est vingt heures...»

A 20h, tout le monde est devant le poste de télévision. Nous essayons de deviner les résultats en scrutant le visage de Jean-Pierre Elkabach. Et puis cette image pixélisée apparait à l’écran. Le suspense est total car le haut des deux crânes est à peu près semblable ! 

Et puis le bas du visage arrive et avec lui, la certitude : ça y est, c’est arrivé ! 

La gauche l’a emporté et avec elle l’espoir après toutes ces années d’immobilisme et d’inégalités. Le voisin d’en face arrive avec une bouteille. On trinque et on se réjouit. J’entends à la radio qu’une grande fête animée par Claude Villers se prépare, place de la Bastille. J’hésite et finalement je décide de ne pas y aller. Trop compliqué pour le banlieusard que je suis. Je le regretterai et je serai présent quelques jours après, Place du Panthéon tout près de l’université Paris I. Je me souviens du mélange de joie et d’intensité dans cette cérémonie. Tous ceux qui allaient occuper des postes de responsabilité étaient rassemblés et semblaient  déjà bien conscients des difficultés qui les attendaient. 

Il est difficile de se remémorer ces souvenirs vieux de quarante ans sans penser aux désillusions, aux renoncements, aux espoirs trahis. 

Mais de ce jour là, je veux surtout retenir la possibilité de l’union et la certitude que la lutte contre les inégalités, le progressisme, les droits humains peuvent progresser quand on s’en donne les moyens. 

Je dis souvent que j’ai eu le CAPES grâce à Mitterrand... Ça mérite une explication. Il y avait cette année là 25 postes au Capes de SES. Déjà, dans la prépa à Sciences Po, nous commencions à nous regarder de travers ! Et puis quelques semaines avant les élections, Giscard à annoncé une (petite)  augmentation des postes aux concours d’enseignement : nous sommes passés de  25 à 30. 

Et puis, une des premières mesures du gouvernement Mauroy a été de doubler les postes aux concours d’enseignement. Quelques jours après, j’ai passé l’admissibilité et j’ai été admis 36ème  (sur 60). 

Dans mon histoire personnelle, outre la dimension politique que toute ma génération a en partage, cette date est donc associée à mon entrée dans ce métier que j’exerce toujours aujourd’hui. C’est aussi d’une certaine manière ma véritable entrée dans ma vie d’adulte avec le départ du domicile parental et de nouvelles responsabilités. 

Le Ministre qui fut nommé à l ‘éducation n’était pas prof et ce fut pourtant (ou à cause de cela) un des meilleurs qu’on ait eu. Alain Savary a mis en place l’éducation prioritaire, permis la création des lycées expérimentaux, donné des moyens à la formation continue avec un dispositif (les Mafpen) dont on pourrait encore s’inspirer aujourd’hui. Je me souviens de l’élan d’innovation et des discussions de ces années là. Il est « tombé » à cause de  l’école privée et c’est aussi un symbole.  Son remplacement par Jean-Pierre Chevenement est aussi lourd de sens puisque avec le conservatisme de ce dernier on a vu se cristalliser un débat et des tensions qui traversent toujours la question scolaire aujourd’hui. 

C’était il y a quarante ans, c’était hier...

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