J'ai répondu récemment à une interview pour la commission "politiques éducatives" du CNFPT (centre national de la fonction publique territoriale) . Elle est composée de plus de 3000 membres, tous fonctionnaires territoriaux de l'éducation. Je reprends ici sur mon blog les principaux éléments de cet entretien.
PhW
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Avant de commencer pouvez-vous nous préciser une chose : vous êtes pédagogue ou pédagogiste?
Je suis un enseignant ! Ce n’est pas qu’une pirouette mais un moyen de rappeler qu’il est prétentieux de se prétendre « pédagogue ». Ce sont les autres qui peuvent le dire de vous. Et tous les enseignants dès l’instant où ils se posent des questions sur les meilleures manières de faire apprendre le sont plus ou moins.
C’est également dangereux de se définir « pédagogiste » comme je le fais dans mon livre. Car c’est d’abord un terme péjoratif avec lequel je tente un « retournement du stigmate ». Autrement dit, j’essaie d’en faire un motif de fierté et de le définir positivement en déconstruisant les lieux communs et les caricatures qui y sont attachés.
Pourquoi le mot pédagogue est-il devenu un gros mot ?Pourquoi critique- t-on les pédagogues ou innovateurs de l’Education Nationale alors qu’on ne leur donne pas les moyens de leurs ambitions ?
J’y reviens longuement dans mon livre. Il y a plusieurs phénomènes qui se combinent et qui expliquent la méfiance à l’égard de la pédagogie et l’utilisation relativement nouvelle de ce terme de « pédagogiste »
Il y a d’abord le produit d’un discours conservateur qui s’est développé dans les années 80 où, à l’époque, on opposait dans la presse et les essais polémiques des supposés « Républicains » aux « Pédagogues ». Cela s’est poursuivi et amplifié avec le développement des réseaux sociaux. La réforme du collège en 2015 a, selon moi, marqué une bascule dans la violence des propos. N’oublions pas non plus le discours des hommes politiques qui a aussi utilisé cet artifice rhétorique de la construction d’un épouvantail en accablant des « pédagogistes prétentieux » (F. Fillon) de tous les maux. Ainsi, le ministre actuel a t-il été présenté au début de son ministère comme l’homme qui voulait « en finir avec le pédagogisme ».
Mais, et c’est plus grave, la méfiance provient aussi des enseignants eux-mêmes. Le lexique pédaogique est devenu la vulgate de la technostructure et se transforme en injonctions. Cela se greffe aussi sur un malaise enseignant qui combine à la fois un problème de rémunération, un sentiment de déclassement et de dépossession de son travail. Cela ne permet pas d’envisager les évolutions pédagogiques. Le pédagogiste est alors perçu comme un idéologue déconnecté du terrain au discours culpabilisateur (voire « néo-libéral ») et qui, en voulant faire évoluer le système, se situe du « côté du manche ». C’est surtout contre cela que je me bats en montrant que nous sommes avant tout des enseignants de terrain qui voulons améliorer l’École au service de plus de justice sociale.
Car « se donner les moyens de ses ambitions », ce n’est pas forcément uniquement des moyens matériels et humains, c’est aussi une organisation qui donne plus de pouvoirs à tous les acteurs de l’éducation. Et surtout il faut que l’ambition, c’est-à-dire les finalités de l’École, soit plus clairement définie. Or, l’École d’aujourd’hui oscille entre plusieurs buts ce qui rend peu lisible son action : est-ce l’élitisme et la méritocratie qui continue à nous guider alors qu’on voit les limites et les impasses de ce concept ? Est-ce vraiment la lutte contre les inégalités alors que, malgré l’éducation prioritaire, on continue à dépenser plus (en salaires enseignants) pour les établissements favorisés ?
Car, pourtant, comme je l’écris, les études des sociologues et les enquêtes internationales (PISA…) montrent bien que la France est un des pays où l’origine sociale est la plus déterminante dans la réussite scolaire. Et l’École n’est pas que le réceptacle d’inégalités qui se joueraient ailleurs, elle contribue à les amplifier et même en créer. L’École doit faire sa part.
Et puisque vous parlez d’innovation, celle-ci ne peut-être une injonction managériale. Elle doit, tout comme la pédagogie, être au service de valeurs et de finalités. La lutte contre les inégalités doit devenir la priorité de la politique éducative.
Dans votre ouvrage vous pointez le populisme éducatif qui censure de fait les études et recherches qui pourraient permettre à l’école de sortir de l’ornière. Pouvez nous parlez de ces pistes ?
Le populisme éducatif, comme tout populisme, consiste à aller vers un discours sans nuances et fondé sur la nostalgie d’une école d’un bon vieux temps complètement mythifiée. On fabrique aussi de fausses querelles comme la polémique récurrente sur les méthodes de lecture nous le montre.
Or, les travaux des chercheurs et des praticiens ou même les études internationales nous tracent des pistes qui peuvent être fécondes. La différenciation pédagogique, une évaluation au service des apprentissages, donner plus de sens aux apprentissages par une pédagogie de projet, faire coopérer les élèves mais aussi les enseignants et les faire échanger sur leurs pratiques, tout cela existe déjà mais gagnerait à être mieux mis en avant et valorisé par l’Éducation Nationale. Au lieu de cela, on préfère laisser fonctionner une administration très verticale et l’image d’enseignants rétifs au changement.
Vous interpellez à la fin de votre livre un futur candidat à la présidentielle. Mais au fait, si vous étiez Ministre ça serait quoi vos priorités concrètes?
Je crois l’avoir déjà un peu esquissé. D’abord un constat : on ne fait pas évoluer un système avec des personnes qui vont mal. C’est pourquoi il faut engager une revalorisation immédiate et inconditionnelle des personnels.
Il faut aussi reconstruire le lien avec l’École. Je propose une convention citoyenne sur l’École comme il y en a eu une sur le climat. Mais je l’espère avec une meilleure prise en compte des préconisations ! je fais le pari que des citoyens convenablement informés des enjeux sauront se départir du populisme et des faux débats pour définir des finalités. Et j’espère que cela se fera pour la lutte contre les inégalités. On peut par exemple évaluer les établissements en fonction de ce critère.
Il faut aussi redonner du pouvoir d’agir aux équipes enseignantes. Cela passe par du temps de co-élaboration et de formation dans les établissements. Je pourrais développer plus encore. Même si mon livre n’est pas un programme, il comporte de nombreuses propositions et des pistes pédagogiques. Je suis prêt à en discuter avec tous les progressistes qui voudront bien m'inviter ou prêter attention à mes idées.
L’école est-elle vraiment "l’affaire de tous" alors que parfois elle ressemble à un sanctuaire? Quelles solutions pour ouvrir cette citadelle ?
Quand je propose une convention citoyenne, cela ne veut pas dire que les parents, l’opinion doivent se mêler de tout ce qui concerne l’École. Je pense que les finalités doivent faire l’objet d’un débat de société mais que les moyens de les mettre en œuvre relèvent des équipes éducatives.
Mais ce qui importe en effet c’est de lever ce que j’appelle les "méfiances réciproques" : les parents vis-à-vis des enseignants et inversement, les collectivités territoriales à l’égard des établissements d’enseignement. Il n’y a pas de solution miracle mais du dialogue, du partenariat au service d’un même objectif. C’est ce que j’appelle, avec d’autres, les "alliances éducatives".
Vous êtes professeur, les collectivités territoriales assument de plus en plus un rôle éducatif sur les temps péri et extra scolaires. De votre point de vue comment rendre cela réellement complémentaire avec l’Ecole?
Quand j’avais été sollicité pour être président du CNIRÉ, j’avais insisté pour que cette instance consacrée à la réussite éducative intègre encore plus des représentants des différents ministères (Santé, Justice, Agriculture, Ville, Jeunesse et sports, Culture…) et des collectivités territoriales. Nous avons beaucoup à apprendre les uns des autres. La multiplicité des acteurs est souvent vue comme un handicap alors que ça peut être une richesse.
On peut concevoir des « tiers-lieux », des rencontres, des moments communs de formation et de découverte des territoires pour les enseignants qui n’y habiteraient pas. Le partage des locaux et l’accès privilégié à certains équipements est déjà une réalité, de fait, notamment dans l’enseignement primaire. Pour que cela ne soit pas vu comme une intrusion, il importe de travailler sur les besoins respectifs des uns et des autres et les synergies possibles. C’est déjà une réalité dans de très nombreux endroits !
Votre ouvrage est forcément très axé sur le monde scolaire. Les collectivités territoriales sont aujourd’hui pourtant un partenaire indispensable pour une alliance éducative et un système éducatif territorial singularisé. Ou est-ce une utopie ?
L’éducation est beaucoup trop « scolaro-centrée ». Si l’on veut vraiment lutter contre les inégalités et permettre la réussite éducative, il faut prendre l’enfant, le jeune (et non pas seulement « l’élève ») dans sa globalité. Je travaille dans un établissement qui est impliqué dans un projet de « cité éducative » avec une des villes voisines. Pour moi ce n’est pas une utopie mais une piste très prometteuse.
Le nouveau modèle souhaité par certain serait une Education Territoriale. Qu’en pensez-vous ?
Je ne suis pas de ceux qui répètent comme un mantra « égalité Républicaine » dès que l’on évoque la territorialisation pour s'en prémunir. Toutefois, je suis très attaché à l’importance du service public et au statut de fonctionnaire qui s’y rattache. Mais le service public ce sont d’abord des valeurs que nous avons en partage que ce soit dans la territoriale ou la fonction publique d’État.
Dans mon livre, j’essaie de réhabiliter une notion un peu vite oubliée qui est celle de la subsidiarité. Autrement dit : une autorité centrale ne devrait effectuer que les tâches qui ne peuvent pas être réalisées à l’échelon inférieur. Il nous faudrait appliquer cette logique au monde de l’Éducation nationale qui est trop vertical et bureaucratique. Plus largement, une véritable « École de la confiance » ( ! ) supposerait qu’on donne plus de marge de manœuvre aux équipes enseignantes et éducatives.
Vous parlez d’alliance avec les parents comme solutions aux défis de la réussite de tous les enfants ? Mais où sont les mairies, département et région dans votre analyse ? Les collectivités territoriales ne seraient elles qu’ un interlocuteur de moyens financiers ou matériels dans votre vision ?
Je crois avoir en grande partie déjà répondu à cette question. Les collectivités territoriales (et en particulier les communes) sont au plus près des besoins des citoyens. Elles ne sont pas seulement des « fournisseurs » d’équipement et de locaux mais sont porteuses de projets et de coordination.
A l’inverse, si on se contente de livrer des équipements informatiques sans se préoccuper de la formation des personnels et d’une réflexion sur les pratiques et sans coordination on rate sa cible. L’épisode récent du travail à distance et de la saturation des espaces numériques est là pour nous le rappeler
A quelques jours de la rentrée, un petit mot pour les territoriaux de l’éducation ?
Puisqu’on évoque la crise sanitaire, ma première pensée va à tous ceux qui, dans l’ombre, font un travail remarquable dans des conditions difficiles et des délais très courts pour garantir la sécurité, l’hygiène, l’alimentation des jeunes et des personnels éducatifs. Les protocoles et autres campagnes de vaccination ne seraient que du vent sans leur travail qui n’est souvent pas reconnu à sa juste valeur !
Quel est votre super pouvoir d’acteur de l’éducation !?
Je n’ai pas de super pouvoir ! J’utilise un pouvoir bien ordinaire même si il est souvent négligé : celui de « penser son métier » au sein de collectifs et de vouloir être partie prenante de son évolution en informant, en portant le débat…
Je suis un citoyen !
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