Je republie sur mon blog cette chronique parue sur le site d’Alternatives Économiques le 14 octobre 2021. Merci à ce magazine, dont je suis un lecteur assidu depuis ses débuts, d'accueillir mes chroniques.
PhW
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– Au fait, tu travailles toujours à l’IUFM ?
– Oui en temps partagé depuis quinze ans, mais tu sais ça s’appelle aujourd’hui des Inspé.
– Ah oui ? Il y a encore une nouvelle réforme ?
– En fait, il y en a eu plusieurs mais la dernière est catastrophique. Tu veux que je t’explique ?
– Non, je n’ai pas le temps et puis tu sais ces histoires de formation ça ne m’intéresse pas vraiment…
Cette conversation, je l’ai souvent eue... Les phrases peuvent varier légèrement mais il y a toujours les mêmes invariants. La formation des enseignants n’est pas un sujet qui passionne les enseignants (et encore moins la presse). Ce qui s’y passe semble loin de la réalité des professeurs avec, pour compliquer le tout, un fort ressenti à l’égard de ce moment du parcours professionnel. La multiplicité des réformes et les changements de structure, à mi-chemin entre l’enseignement scolaire et universitaire, rendent peu lisible ce sujet pour le plus grand nombre.
Cette chronique est rédigée en partie à la première personne car ce sujet me concerne. D’abord, parce que j’en suis l’un des acteurs et, surtout, parce que la manière dont les enseignants de demain sont formés est selon moi un enjeu essentiel. Dire « je » est aussi un moyen de donner de la chair et de rendre compte de ce qui se joue cette année.
Une succession de réformes
Les Instituts universitaires de formation des maîtres (IUFM) naissent en 1990. En 2010, une réforme menée par Xavier Darcos les vide d’une bonne partie de leur substance en remettant (déjà) en cause la formation des lauréats du concours. Elle les mettait en effet à temps plein devant des élèves durant l’année de stage alors qu’ils devaient se former en parallèle. Ma pire année de formateur...
En 2013, la loi de refondation de l’école de Vincent Peillon rétablit une formation conséquente en instituant les Ecoles supérieures du professorat et de l’éducation (Espé). Puis en 2017, avec la loi dite de « l’école de la confiance » de Jean-Michel Blanquer, ce sont les Instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (Inspé) qui viennent les remplacer, avec la création du master métiers de l’enseignement, de l’éducation et de la formation (Meef).
Mais cette rétrospective rapide ne doit pas faire oublier les modifications des concours et des « maquettes », c’est-à-dire les attendus en matière de formations (contenus, volumes horaires). En quinze ans, j’ai dû m’adapter au moins à sept ou huit modifications de la formation…
Même si beaucoup parlent encore d’IUFM et ont le sentiment que seul le nom a changé, il n’en est rien. Nous avons basculé dans un système beaucoup plus contrôlé et un alignement sur les pratiques universitaires.
Outre une présence plus forte des enseignants du supérieur, cette « universitarisation » s’est aussi traduite par des exigences plus fortes pour la validation du master. Alors qu’avant, j’avais le sentiment de m’adresser à de futurs collègues, aujourd’hui, ceux-ci sont de plus en plus maintenus dans une position d’étudiants, avec l’infantilisation et la notation permanente qui l’accompagnent.
Des défauts récurrents
Si la formation a changé, il y a toujours les mêmes défauts récurrents que les évolutions successives n’ont pas su régler.
Le principal problème qui revient régulièrement dans les discussions avec les enseignants, c’est une certaine défiance à l’égard de la formation. Cela tient à cette tension entre la nécessité d’une formation et la manière dont celle-ci conduit à maintenir en situation d’élèves des adultes responsables devant des jeunes le reste de la semaine. Ce sentiment d’une forme d’infantilisation est renforcé par l’idée qu’une partie des formateurs (à plein temps) serait déconnectée du terrain.
Cela se double de l’impression de vivre un « formatage » où on imposerait une « doxa » pédagogique. On peut évidemment débattre de la réalité de ces ressentis, mais il vaut mieux en tenir compte que de s’enfermer dans une sorte de déni défensif, comme cela a été trop souvent le cas des formateurs au cours de ces années. Il y a une vraie réflexion à mener sur cette tension que certains chercheurs qualifient d’« adolescence professionnelle » et qui plombe l’efficacité de la formation.
Et cette formation vous la voulez comment ? Académique, didactique, pédagogique... ? Voilà l’exemple-type d’un débat biaisé où il vaut mieux raisonner en tension qu’en oppositions binaires. Former des enseignants c’est bien sûr s’appuyer sur des connaissances académiques solides. Mais suffit-il de savoir pour savoir enseigner ? C’est ce que prétendait le ministre Luc Ferry. Mais on sait bien qu’il faut aussi se préoccuper de didactique, c’est-à-dire des manières de transmettre et évaluer la maîtrise des concepts propres à une discipline. Et il faut aussi se préoccuper de pédagogie, avec des questions que se posent tous les enseignants : comment motiver, faire rentrer dans l’apprentissage, comment gérer une classe, quelles valeurs pour construire sa pratique professionnelle ?
Il ne s’agit pas d’opposer l’un à l’autre. Mais la formation est toujours très académique et structurée dans le second degré autour des logiques disciplinaires. La pédagogie reléguée souvent dans des formations spécifiques est mal appréhendée alors qu’elle devrait imprégner l’ensemble des cours propres à chaque matière.
La question du recrutement conduit aussi à une équation impossible : comment concilier concours et master ? Le système actuel prévoit la nécessité de combiner un master (bac +5) avec l’obtention d’un concours. On peut se demander si le maintien de cette double contrainte est toujours pertinent. De fait, le système de formation s’adresse à des candidats novices qui existent de moins en moins. D’abord, et c’est heureux, parce qu’une partie des candidats au concours est déjà titulaire d’un master. Et une part non négligeable a même eu une vie professionnelle avant d’envisager l’enseignement.
Mais, malgré cela, il y a de moins en moins de candidats et tous les concours d’enseignement (CRPE pour le primaire, Capes pour le secondaire) sont loin d’être pourvus. Cela peut s’expliquer par la faiblesse de la rémunération, mais aussi par la charge de travail pour devenir titulaire entre le master et le concours. Au passage, cela montre bien l’inanité qu’il y a à opposer revalorisation salariale et création de postes : à quoi bon créer des postes aux concours s’ils ne sont pas pourvus car les rémunérations sont trop faibles.
La nouvelle réforme
La nouvelle réforme qui se met en place depuis septembre ne résoudra en rien ces problèmes que nous venons d’évoquer. Les belles déclarations d’intentions ne résistent pas à l’examen des faits. Il s’agit essentiellement d’une réforme avec une visée budgétaire : il faut faire des économies !
Cette réforme est aussi caractéristique du mode de gouvernance du ministre. Elle s’est faite à marche forcée et sans tenir compte des avis des corps intermédiaires, c’est-à-dire les syndicats et les organisations de responsables d’Inspé. Le confinement et les règles d’enseignement à distance pour le supérieur ont permis de limiter la mobilisation des personnels concernés. Et, comme on l’a vu, le sujet ne mobilise pas non plus le monde enseignant.
Que retenir de cette réforme ? Résumons-le par un « avant/après ».
Avant : les lauréats du concours étaient stagiaires et durant cette année, ils étaient payés pour être à mi-temps en classe et l’autre en formation. Le concours avait lieu en fin de master 1. Celui-ci était préparé au sein d’un master Meef durant l’année de master 1. Ce diplôme devait être poursuivi en master 2 pour ceux qui n’avaient pas déjà un master puisque le Capes ou le CRPE exige un niveau master.
Après : le concours aura désormais lieu en fin de master 2 (bac +5). Le Meef prépare donc le concours en deux ans. Les lauréats du concours ne sont plus à mi-temps en formation mais à temps plein en classe (le ministère économise ainsi l’équivalent de 12 000 postes), car on considère que la formation a eu lieu avant.
Pour « compenser », durant l’année de master 2, on propose aux étudiants un contrat d’apprentissage qui consiste à assurer six heures de cours (payées 865 euros brut cumulables avec la bourse) tout en préparant le concours. Ce système n’a pas convaincu les candidats – seuls 30 % ont accepté un tel contrat – et les autres étudiants se retrouvent en stage d’observation et de pratique accompagnée (Sopa) durant une bonne partie de l’année.
Cette année de transition voit cohabiter à l’Inspé des personnes avec des statuts très différents : des stagiaires ayant obtenu le concours en 2021 et toujours sous l’ancien régime de formation, des étudiants-candidats faisant cours à des élèves, d’autres qui n’ont pas d’élèves et doivent faire un stage d’observation, et bien d’autres cas de figure.
Les escroqueries de la réforme
Aussi, selon moi, cette réforme relève de multiples escroqueries.
La première est de faire passer pour une « réforme » ce qui n’est qu’un moyen de réaliser de substantielles économies. En effet, on supprime l’alternance cours/formation durant l’année de stage. La suppression, à terme des lauréats-stagiaires de l’ancien dispositif, c’est-à-dire à mi-temps en formation, représente l’équivalent de 12 000 postes économisés. Le ministre Jean-Michel Blanquer est donc en train de rééditer ce qu’avait réalisé Xavier Darcos en 2010.
La deuxième escroquerie est de proposer des contrats d’apprentissage de six heures de cours (payés 700 euros net) à des étudiants qui préparent le concours en leur faisant croire que ça va leur permettre de réussir ledit concours et en plus de passer un master, faire un « mémoire » et suivre des cours... On comprend mieux en voyant la charge de travail que ce dispositif représente qu’il n’ait pas séduit les étudiants. Ceux-ci, depuis le début de l’année, consacrent tout leur temps à préparer leur cours pour les élèves et n’ont plus de temps pour le concours et le master.
Pour accueillir et aider ces stagiaires, ces étudiants en apprentissage ainsi que ceux qui seront en observation dans des classes, il faut des professeurs dans les établissements qui les accueillent et assurent un suivi. Là aussi, la rémunération de ces enseignants-tuteurs au regard du travail demandé relève de l’escroquerie.
Enfin, la dernière manipulation est, pour cette année, de faire coexister dans les mêmes cours des personnes avec une multiplicité de statuts. Mais il ne faut pas croire que l’année prochaine permettra une clarification, puisque de nouveaux cas de figure apparaîtront. Quel sort pour les étudiants qui n’auront pas réussi le concours ou raté le master ? Comment gérer les lauréats déjà titulaires d’un master ? Et ceux qui sont en reconversion professionnelle ? Ces conditions difficiles, voire impossibles, risquent de déconsidérer les étudiants de Meef et d’aboutir à réduire la qualité de la formation et créer de la précarité en « fabriquant » des contractuels qui n’auront pas le concours.
Mon travail de formateur est donc de proposer (sans moyens supplémentaires) des cours en partie communs à des personnes qui n’ont pas les mêmes attentes et les mêmes besoins. Et préparer des étudiants épuisés à la fois à un concours et à l’obtention d’un master avec une charge de travail très lourde (cours, évaluations, rédaction d’un mémoire). Et tout cela alors que le métier manque de candidats !
Pour les étudiants, c’est de la maltraitance institutionnelle. Pour le formateur que je suis, c’est nous faire mal travailler, même si on fait notre maximum, et en plus nous rendre complices de ce qui ressemble à une vaste escroquerie...
Philippe Watrelot
Le dessinateur d'Alternatives Économiques a trop vu Breaking Bad… |
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