J'ai participé mercredi dernier à l'émission de France Culture “Du grain à moudre” qui avait pour thème "Qui a eu cette idée folle, de vouloir réformer l'école ?"
Je signale que vous pouvez écouter cette émission sur le site ou en podcast.
Je suis allé sur le site et j'ai été surpris par la teneur de certains commentaires. Notamment ceux qui me déniaient ma légitimité à parler et niaient même ma qualité d'enseignant.
Quand je suis invité par les médias ou dans des institutions pour m'exprimer, j'ai toujours un peu le sentiment d'être un "imposteur". Parce que je ne suis pas à proprement parler un expert, je ne suis pas universitaire, je n'ai pas fait vraiment de "recherches" au sens académique du terme, je n'ai pas écrit de livres... Or ce sont ces personnes là qui sont traditionnellement invitées dans les médias pour s'exprimer. “expert en rien et spécialiste en tout (ou l’inverse)” ai-je écrit par dérision pour me présenter sur mon compte Twitter…
Toutefois je me réjouis à chaque fois (même si c’est un effort et pas du tout facile) d’avoir la possibilité de porter une parole qui n’est d’ailleurs pas seulement la mienne.
S’il y a en revanche un point sur lequel je n’ai pas du tout le sentiment d’être un “imposteur” c’est celui d’être enseignant « de terrain ». Cela fait trente deux ans que j’enseigne à des vrais élèves, qui se trouvent être en plus aujourd’hui ceux de la banlieue et même de la ville qui m’a vu grandir et où j’habite. Je fais cours, plus ou moins bien selon les jours et les heures, je corrige des copies (c’est d’ailleurs l’essentiel de mon activité de ce week-end, les conseils de classe approchent), je travaille avec mes collègues, je participe à la vie de l'établissement, je peste quand la machine à café ou la photocopieuse est en panne...
Par ailleurs depuis huit ans je suis formateur en temps partagé à l’IUFM et aujourd’hui l’ESPÉ. Le temps partagé c’est bien un choix et une question de légitimité de mon discours et de ma pratique d’enseignant.
Par ailleurs depuis huit ans je suis formateur en temps partagé à l’IUFM et aujourd’hui l’ESPÉ. Le temps partagé c’est bien un choix et une question de légitimité de mon discours et de ma pratique d’enseignant.
Et je suis aussi président d’une association qui est un mouvement pédagogique et je suis donc, je le revendique, un militant. Tout ça me prend du temps certes, mais j’essaie de tenir tout ensemble et de préserver aussi une vie familiale comme plein d’autres personnes.
Je suis toujours surpris et même meurtri par le procès en légitimité qui est souvent fait et qu’on retrouve dans les commentaires de l’émission “du grain à moudre”. L’intervenant serait forcément “déconnecté du terrain”, n’aurait alors aucune légitimité à parler. Le “président d’association” utilisé pour me qualifier (ce qui est juste) renvoie dans l’imaginaire de certains à une supposée “élite” coupée du réel ou des “hautes sphères” qui n’auraient que mépris pour le bas peuple. Curieuse conception de la vie associative et des “corps intermédiaires”…
Même si je comprends assez bien (de par ma formation et mon histoire personnelle) les raisons qui amènent à ces représentations, lorsqu’elles s’appliquent à votre propre cas, c’est toujours désolant. Et, je vis assez mal cette négation de ma légitimité à parler. Dans l’état de crispation dans lequel se trouve le monde enseignant, cela va même plus loin puisqu’en tant qu’enseignant du secondaire, on en vient aussi quelquefois à contester une parole qui ne connaitrait pas la réalité du terrain du primaire. Je ne vais pas ici faire étalage de ma vie personnelle mais il se trouve que pour des raisons familiales je pense avoir une idée assez précise de ce qui se passe aussi dans ce niveau d’enseignement.
Mais quand bien même, ce n’est pas la question. Car ce qui me fait répondre à ces invitations des médias, même si ce n’est pas facile (et même un effort) c’est le sentiment d’être le porte-parole de tout un mouvement (le CRAP-Cahiers Pédagogiques ) composé d’enseignants engagés dans l’action dans leurs classes et leurs établissements, et de tous niveaux. Cette parole est issue d’une réflexion collective et de la vie démocratique qui la permet. Et c’est surtout cela qui me donne de la force et qui au final me permet de surmonter ce syndrome de l’imposteur …
8 commentaires:
Quand on constate que les auteurs des blogs tels ceux EDUCPROS ou les invités par les journaux ou émissions, la question pourquoi tel ou tel autre et pas celui-ci ou celle-là se pose toujours. Surtout pour tous ceux qui s'estiment bâillonnés mais compétents et dont l'ego est ainsi malmené. Les médias invitent toujours des personnes visibles car sinon elles ne les trouvent pas, quand ce n'est pas par facilité.
Vous avez été invité. Vous avez accepté l'invitation. Cela a déplu à certains. Pas à d'autres.
L'important n'est-il pas dans le contenu des propos et écrits tenus par les invités ? Il est vrai que la notoriété ne fait pas la compétence des propos. De même que des personnes ignorées par ces invitations n'auraient peut-être rien de bien intéressant à dire.
Chomsky avait déjà fait remarquer que certains secteurs évaluent la crédibilité des propos d'un intervenant par sa carte de visite, tandis que d'autres secteurs évaluent un intervenant par ses propos eux-mêmes. Chomsky évoquait dans l'ordre, les sociologues et les mathématiciens.
arnaud delebarre (qui vous suit sur tweeter et qui a oublié ce que CRAP veut dire)
http://arnaud.delebarre.over-blog.com/
Je précise que je ne place pas cela sur le plan de l'"attaque personnelle" (ça va très bien merci) et ce n'est certainement pas la raison première pour laquelle j'ai écrit ce court texte.
Certes, il est toujours utile (dans certaines conditions) de dire ce que l'on ressent mais mon propos c'est surtout de mettre en avant, avec cette expression publique, ce qu'est le CRAP-Cahiers Pédagogiques. C'est à dire un mouvement fondé d'abord sur l'engagement de praticiens de terrain.
La “légitimité” dont je parle dans ce billet, ce n'est pas tant la mienne en tant qu'individu que celle surtout d'un mouvement comme le nôtre...
Au delà, c'est la question de la représentation dans l'espace public qui est en jeu.
La question est en effet posée depuis longtemps et renvoie à plusieurs domaines : l'évolution des organisations, le rôle et la place des corps intermédiaires dans le mouvement social et le rôle des médias dans la construction de l'opinion. Il se trouve que ces trois questions font partie du domaine d'enseignement des SES mais je vais essayer de ne pas "faire un cours" mais de répondre dans le cadre du CRAP
- “la loi d'airain de l'oligarchie" de Roberto Michels (un politiste italien qui a mal tourné après) est un concept que j'avais étudié dans mes études en sciences politiques. En gros, ce qu'il dit c'est que toute organisation au delà d'une certaine taille a tendance à créer ses propres cadres et sa propre technostructure qui, risque de se déconnecter de sa "base". Je le vois bien y compris dans notre organisation pourtant de petite taille et où la critique sur le décalage entre les instances et la base militante est évoquée. Je le vois aussi bien souvent dans les réunions d'associations ou les réunions où les syndicats sont présents. La très grande majorité des personnes présentes sont permanentes. Pour les syndicalistes, je rends hommage à eux qui ont encore des heures de cours.
Cette “loi d'airain" est renforcée par les évolutions mêmes des institutions et des administrations. Je ne citerai que la fin des MàD (mis à disposition) qui permettaient les mi-temps dans notre associations pour illustrer mon propos mais il y a bien d'autres facteurs qui jouent sur cette difficulté (la multiplicité des réunions et lieux institutionnels où il faut être présent, les logiques des différents lieux de travail qui s'opposent...)
- En sciences politiques on étudie aussi les “corps intermédiaires" qui sont les groupes qui, comme leur nom l'indique, agrègent les expressions individuelles pour exprimer des revendications collectives. Il y a là une double fonction : constituer un “groupe de pression” (ce qui n'est pas péjoratif) et réguler les conflits (des individus organisés de manière permanente sont des interlocuteurs fiables et évitant la violence -en principe...–). Les associations, les syndicats sont des corps intermédiaires. Les partis politiques aussi le sont mais avec une dimension supplémentaire puisque, eux, cherchent la conquête du pouvoir alors que les deux premiers veulent seulement l'influencer. Fin de la partie “ cours” de mon 2eme point.
Pour ce qui nous concerne, on voit bien que la période sarkozyste a consisté à déconsidérer ces fameux “corps intermédiaires" et à jeter le discrédit sur leur capacité et leur légitimité à porter une parole collective. On préférait s'adresser au "peuple" et pire à l'opinion.
Je n'ai pas non plus à développer sur l'évolution des subventions ?
Par ailleurs, dans le petit monde de l'éducation, on a un grand nombre de “loups solitaires”, de vedettes, qui s'expriment en leur nom propre et surtout pas au nom d'un collectif. Ca plaît aux médias (voir mon 3eme §) et ça donne un petit côté “rebelle” qui est toujours séduisant.
L'affiliation à une structure est jugée sclérosante et considérée comme un frein à l'expression. Alors que pour ce qui me concerne, c'est exactement l'inverse. Je ne suis pas une "vedette" et je ne suis rien en dehors du CRAP [et je redeviendrai "rien” dès que j'aurai cessé d'en être président et c'est très bien ainsi !]
Et ce qui me donne la force de parler c'est de m'appuyer sur un mouvement et sur une réflexion collective. Evidemment, le jeu des médias aujourd'hui (mais déjà hier) fait que cela passe par une certaine “personnalisation". Mais cela n'a rien à voir avec de l'égotisme.
- la "parole de la base", elle existe cependant dans les médias. Mais souvent elle est située essentiellement sur le registre de l'émotion. On invite dans les émissions politiques des “vrais gens” de la France d'en bas” pour s'exprimer et porter la contradiction aux professionnels de la politique supposés la méconnaitre. Ca donne quelquefois de beaux moment de télévision et le fameux "quart d"heure de célébrité"(popularisé par Andy Warhol). Mais ça me met toujours mal à l'aise parce que ça reste dans l'émotion, certes nécessaire, et que ça oublie l'analyse et l'argumentation tout aussi utile. La télé fonctionne de plus en plus comme ça.
Il devrait y avoir un espace entre l'"expert" (souvent universitaire), le professionnel de la politique ou de la représentation politique et le "représentant des vrais gens".
Ce serait la place du "professionnel-expert". De celui qui est sur le terrain tout en essayant de par son recul et l'analyse collective liée à son appartenance à un mouvement et un réseau d'avoir une "expertise" et d'apporter un regard pédagogique sur l'actualité éducative. Et de proposer une analyse à la fois nuancée et documentée et aussi sensible de l'actualité éducative à partir de ce travail collectif et militant .
C'est ce que je pense que le CRAP-Cahiers Pédagogiques arrive à faire et j'espère y contribuer avec mes interventions.
J'avoue ne pas savoir de quelle attaque personnelle vous parlez car je n'ai pas lu les commentaires de l'émission où vous étiez invité.
J'avais cru que votre papier était sur la légitimité et je répondais donc sur divers aspects de ce sujet : la légitimité d'avoir été choisi, la légitimité de la carte de visite ou encore la légitimité de la compétence et de la reconnaissance. Au-delà de la légitimité de la représentation.
Je ne connais toujours pas CRAP et ne lis pas les CRAP Cahiers pédagogiques.
Pas d'accord sur l'existence d'une "parole de base". C'est une notion qui à mon avis n'existe pas sauf pour invoquer des cautions, et les médias l'utilisent ou les politiques l'utilisent quand ils sont à bout d'arguments (lire par exemple, un usage récent par un journaliste de "l'opinion publique" http://arnaud.delebarre.over-blog.com/2013/10/l-opinion-publique-n-existe-pas.html).
arnaud delebarre
Rassurez vous Arnaud, ce n'était pas en référence directe à votre commentaire que je faisais cette précision. C'est juste parce que je dis dans ce texte que cela me touche quand on remet en question ma légitimité. Mais je ne voudrais pas que ce soit entendu comme un mouvement d'humeur de quelqu'un qui serait juste “vexé”.
J'essaie de me placer au niveau, comme vous d'ailleurs, de la légitimité de la représentation.
Et je suis bien d'accord sur le fait que la parole "de base" n'existe pas ou est en tout cas une pure construction médiatique.
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