- “Gel” décoiffant - Réduire les dépenses ? - peanuts - les statuts vacillent – vigilance - plaisir .
Même si la question du “genre” a continué à mobiliser les extrémistes, d’autres sujets sont venus aussi occuper l’actualité éducative. C’est le cas notamment de l’information démentie ensuite d’un projet de “gel” de l’avancement automatique de carrière. Cette information nous conduit à quelques développements économiques (on ne se refait pas…) autour de la réduction des dépenses dans l’E.N. et des salaires. On appelle aussi à la vigilance sur les petites renonciations sur le “genre” et on finit par un mot presque aussi tabou : le plaisir…
Un “gel” décoiffant…
“Fonction publique : Peillon propose de geler l’avancement automatique ”. ce titre des Échos diffusé sur le site du journal à 19h le mercredi 5 février a immédiatement fait le buzz. Cette annonce se situait dans le cadre de la préparation du deuxième Conseil stratégique de la dépense publique (qui s’est tenu samedi 8/02). La mesure qui consisterait à “geler” l’avancement automatique (à l’ancienneté…) permettrait d’économiser 1,5 milliard d’euros.
L’information a été vite démentie par le principal intéressé, Vincent Peillon lui même dès le lendemain. Pourtant immédiatement, Le journal Les Échos confirmait ses informations : “Le gel de l'avancement des fonctionnaires est bien sur la table”. Tout comme France Info dont un des journalistes affirmait l’avoir entendu de la bouche du ministre mercredi midi.
Rumeur ou ballon d’essai ? On sait que c’est une pratique malheureusement assez courante chez les politiques de tester une idée en petit comité, de laisser “fuiter” et de voir ce que ça provoque comme réactions. Mais on peut aussi se demander si la rumeur n’est pas utilisée pour déstabiliser. Il y a un débat entre journalistes éducation sur ce point. Selon Marie-Caroline Missir dans l’Express il faut se demander qui a intérêt à fragiliser le ministre. D'après elle, avec cette fuite, Bercy fait ainsi pression sur le ministre pour qu'il limite ses velléités de dépenses. Pour d'autres journalistes, on l’a vu, Vincent Peillon aurait bien posé cette question à haute voix (et en "off") récemment. Ce qui semble certain en tout cas, d'après nos informations, c'est qu'Alexandre Siné, le directeur de cabinet de Peillon un inspecteur des finances (et agrégé de SES, comme quoi, ça mène à tout...) a produit un rapport sur cette hypothèse de "gel" de l'avancement automatique avec les services du ministère qui emploie à lui seul la moitié des fonctionnaires. Le point de départ est là. Ensuite, pour que cette info sorte, le Off du ministre avec les journalistes ne suffisait pas. Il faut une autre source qui confirme et c’est là que Bercy intervient.
Pourquoi le sujet est-il explosif ? D’abord parce que le point d’indice des agents est déjà gelé depuis 2010. Et que le pouvoir d’achat des enseignants et des autres fonctionnaires ne progresse plus hormis par l’avancement. L’économiste Robert Gary-Bobo qui a beaucoup travaillé sur la rémunération des enseignants, interviewé par Le Monde , rappelle que le pouvoir d’achat du salaire net des professeurs a baissé de 20 % entre 1981 et 2004, soit une diminution de 0,8 % par an en moyenne. D’après lui, en 2014, pour que les enseignants retrouvent, sur leur cycle de carrière, les mêmes espérances de gains que leurs aînés, recrutés en 1981, il faudrait revaloriser les salaires d’au moins 40 %. Cette hypothèse de gel se trouve donc en contradiction avec tout le discours sur la nécessité de revaloriser les enseignants. Elle est aussi le signe de l’absence de marge de manœuvre du gouvernement lié à la promesse de recrutement des 60 000 postes enseignants. Elle constitue aussi un élément de plus dans le désamour qui s’installe entre les enseignants et le gouvernement (et le ministre en particulier). Les tensions actuelles sur les dotations horaires en lycées et collèges et en particulier dans l’enseignement prioritaire, les reculades sur le “genre” à l’École, les difficultés de mise en place des ESPÉ, la querelle autour des rythmes réactivée dans le cadre des municipales, … sont autant de facteurs d’un clivage et d’une méfiance qui semblent s’installer entre le gouvernement et le monde enseignant. Dans ce contexte, poursuivre le travail sur l’hypothèse du “gel” de l’avancement serait une erreur ou un “suicide” politique…
Réduire les dépenses ?
On peut bien sûr rejeter a priori la nécessité de réduire les dépenses publiques et considérer qu’une autre politique économique est possible. Mais plaçons nous cependant dans la logique de ce “conseil stratégique de la dépense publique" . On peut alors voir qu’il y a d’autres sources d’économie.
C’est dans cette perspective que se situe mon collègue Arnaud Parienty sur son blog hébergé par Alternatives économiques . Pour lui “il est tout à fait possible de réduire la dépense publique d’éducation de plus de dix milliards d’euros par an sans toucher au salaire des enseignants. ” d’autant plus que payer les enseignants ne coûte que 22 milliards d’euros sur une dépense publique totale d’éducation de 72 milliards d’euros. Il est d’abord possible, nous rappelle t-il, de réduire le nombre d’heures de cours des élèves. Selon l’OCDE, la France dispense le plus grand nombre d’heures de cours aux écoliers de tous les pays européens, à égalité avec les Pays-Bas (un peu plus de 900 heures par an). Par comparaison, l’Allemagne est à moins de 700 h, l’Angleterre à 630 h, la Finlande est à 680 h. Petite contradiction, Parienty, prof en lycée, ne va pas au bout de son raisonnement et parle surtout d’une baisse d’heures possible dans le primaire mais reste timoré sur les réductions d’heures dans le secondaire.
Autre constat qui nous interpelle : pour un nombre d’élèves légèrement supérieur, l’Allemagne dépense 3 milliards pour les salaires des enseignants, moitié plus qu’en France. Et, au final, l’Allemagne dépense 1100 E de moins par élève, car la dépense hors enseignants est de 34 milliards par an en Allemagne, contre 50 milliards en France. Il y aurait donc potentiellement 16 milliards d’euros à gagner. Comment font-ils ? Des établissements moins nombreux et deux fois plus grands en moyenne. On pourrait réduire le nombre d’établissements en France et réaliser ainsi des économies d’échelle. Mais évidemment cela pose d’autres questions et notamment celle de l’aménagement des territoires. Au passage, on soulignera que des établissements plus grands touchant plusieurs communes peuvent aussi permettre une plus grande mixité sociale.
Autre piste : le personnel administratif et d’encadrement. Il y a un personnel administratif pour 8,5 enseignants dans le public. On pourrait atteindre des ratios d'encadrement plus bas. Concernant ces personnels de gestion, leur coût est estimé par l'OCDE à 3,5 milliards d'euros par an contre 0,9 en Allemagne. C'est, là encore, lié au nombre beaucoup plus élevé des établissements. Une économie substantielle sur ce poste de dépense est possible sans perte de qualité, si des regroupements de moyens sont opérés. De même, il y a un enjeu à faire évoluer la hiérarchie intermédiaire dont l’efficacité reste à prouver. Dans un système plus déconcentré et décentralisé et dans une logique d’empowerement des personnels, a t-on besoin d’une lourde structure administrative productrice de procédures et de contrôles a priori qui gênent les initiatives et l’innovation ?
Peanuts
“If you pay peanuts, you get monkeys…” cette phrase célèbre de l’homme d’affaires Jerry Goldsmith a presque valeur de proverbe dans le monde anglo-saxon. Elle résume assez bien la théorie dite du salaire d’efficience. Les salariés ne sont pas payés en fonction de leur efficience mais ils adaptent leur efficience au montant de leur salaire. Autrement dit : si vous êtes payés des cacahuètes, vous en ferez pour le montant auquel vous êtes payé…
Cette réflexion peut venir à la lecture d’un article du Monde intitulé avec provocation : “A-t-on les enseignants qu'il nous faut ? ” . L’article y rappelle cet extrait du rapport PISA :« Dans les pays où le PIB par habitant est supérieur à 25 000 euros, dont la France fait partie, il existe une corrélation entre le niveau de salaire des enseignants et la performance globale du système éducatif. ». Or l’enseignant français est moins bien payé que ses voisins. En France, le salaire hors indemnités diverses, après quinze ans d’exercice, est de 8 % supérieur au PIB par habitant. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, il est de 29 % supérieur à la richesse du pays par tête. Le dossier du Monde évoque l’exemple (discutable) de la Chine mais on propose aussi un reportage en Finlande où on apprend qu’il n’y a pas de crise de vocation pour les enseignants « Un professeur avec vingt ans de carrière peut gagner jusqu'à 5 000 euros », indique un responsable finlandais. Mais à salaire élevé, exigences élevées. Pour faire en sorte que l'élève s'épanouisse, l'enseignant doit déployer tout un éventail de méthodes pédagogiques. Le deal est donc clair : des salaires élevés mais un engagement important et la reconnaissance de toutes les dimensions du métier. C’est ce qui a été raté en France avec la “revalo” de 1989. Saura t-on évoluer cette fois ci ? Réponse la semaine prochaine (et plus bas dans cette chronique)
Cette question salariale a aussi une incidence sur le recrutement des nouveaux enseignants. Pour Robert Gary-Bobo, cité plus haut, “La dévalorisation des carrières modifie évidemment les choix individuels d’une manière lente mais inexorable. Les concours sélectionnent de plus en plus de personnes qui valorisent le temps libre et la sécurité de l’emploi. […] Pour ces personnes, le temps libre est la contrepartie de leur modeste salaire. ”.
Il faut bien constater que malgré une légère remontée le nombre de candidats aux concours d’enseignement a tendance à baisser ces dernières années. En 2012 le nombre de candidat par poste était de 3,4… contre 7,8 six ans plus tôt . Les éléments d’explication sont nombreux : la réforme de la masterisation, qui a rallongé pour beaucoup la durée d’études avant d’accéder au métier, la suppression d’une réelle formation initiale et plus globalement la dévalorisation des métiers enseignants (absence de revalorisation salariale, image dégradée et attaques répétées de certains hommes politiques). Au total ce sont 16% des postes proposés au concours 2013-1 qui n’ont pas été pourvus dans le secondaire. Ainsi proposer des postes supplémentaires ne résoudrait pour l’instant qu’en partie le problème : il faut aussi trouver des candidats.
Et il faut aussi leur proposer une formation initiale et continue de qualité. Or, aujourd’hui, des doutes commencent à poindre sur la qualité et l’efficacité des nouveaux dispositifs de formation dans les ESPÉ. Il n’est pas trop tard pour faire évoluer ce qui se met en place. Là aussi un “choc de simplification” s’impose !
Ce rappel est aussi l’occasion d’évoquer la mémoire d’André Ouzoulias, qui vient de décéder et dont ce fut le dernier combat. Le meilleur moyen de lui rendre hommage est de relire son entretien (réalisé il y a quelques semaines) avec Luc Cédelle où il nous alertait sur les dangers du dispositif de formation qui se met en place. Non pas pour le plaisir de la critique mais de manière constructive avec l' "optimisme de l'action"..
Les statuts vacillent…
“Accord en vue sur le statut des enseignants” titre Les Échos. Le ministre de l'Education souhaite obtenir le feu vert définitif des syndicats d'enseignants mercredi prochain, jour où ils sont tous conviés au ministère pour clore les discussions engagées en novembre. Daniel Robin, cosecrétaire général du SNES-FSU, le syndicat majoritaire, parle d'une réunion « conclusive », tandis que le secrétaire général du SE-Unsa, Christian Chevalier, prédit que « ça va déboucher ». Les Échos nous rappelle que Vincent Peillon a relancé les négociations stoppées en décembre, après le report de la réforme des professeurs de classes préparatoires. Sauf problème de dernière minute toutes les parties prenantes devrait signer et cela devrait permettre d’arriver à un nouveau décret, destiné à dépoussiérer des textes datant de 1950.
Ces décrets de 1950, maintes fois attaqués, jamais abrogés sont évoqués par Marie-Christine Corbier dans le journal Les Échos . La journaliste détaille la méthode suivie par Vincent Peillon. Le ministre s'est attaqué aux textes avec une méthode radicalement différente de ses prédécesseurs : pas question de toucher aux sacro-saintes heures de service. « Pourquoi reposer des questions dont nous savons que la réponse est non ? », confiait Vincent Peillon cet été. Et comme le souligne l’article, si dans l'aboutissement de sa réforme, la méthode Peillon a compté, « les syndicats savent aussi qu'il vaut mieux réformer maintenant qu'en 2017 sous un gouvernement de droite ».
Sur quoi reposent ces négociations ? L'un des enjeux est l'organisation du "bloc 3", c'est à dire l'indemnisation des activités exercées sur la base du volontariat (professeur principal, la charge de gérer un projet pédagogique d'équipe, le numérique...). Celles-ci sont actuellement rémunérées en heures supplémentaires, sans discussion au conseil pédagogique et au conseil d'administration sur leur répartition. Ces indemnités représenteraient quelque 30 millions d'euros. L’habileté est donc que les statuts ne sont pas attaqués mais contournés. Mais le texte redéfinit malgré tout le métier des enseignants en prenant en compte tout ce qu'ils font en dehors de leurs heures de cours - travail en équipe, conseil de classe, accompagnement des élèves, échanges avec les parents… En fait : officialiser ce que les enseignants font déjà !
Restent d’autres chantiers et notamment une réelle égalité entre les enseignants du primaire et du secondaire, ou encore l’évolution des métiers de la formation, mais si l’on aboutit à ce que l’opinion enseignante évolue sur ce que sont ses missions et fasse coïncider le discours et la réalité des pratiques, on aura déjà fait pas mal bouger la culture enseignante et la conception du métier !
Genre et vigilance…
Si nous n’avions pas parlé du “genre” dans cette revue de presse, nous n’aurions pas été complets. De nombreuses contributions et tribunes continuent à alimenter le flux médiatique. On s’attardera sur deux informations qui nous semblent mériter notre vigilance collective.
C'est un article de Mediapart qui a révélé le 6 février dernier que le gouvernement ferait la chasse au mot «genre» dans ses publications, circulaires, etc. L’information est reprise dans L’Humanité . Des intervenants voient leurs conférences et formations en milieu scolaire annulées au dernier moment, des sites officiels seraient “toilettés” pour éviter le mot jugé provocateur. Une tribune signée d’un collectif de plusieurs chercheuses et chercheurs parue dans Le Monde dénonce une “désolante capitulation gouvernementale ”.
Autre information qui doit nous inciter à la vigilance : à Angers, mardi dernier, des élèves de 4e du collège (privé) Saint-Martin n'ont pas pu assister à la projection du film Tomboy. Des représentants de la Manif pour tous menaçaient d'empêcher les élèves d'aller au cinéma. C’est un article de Ouest-France qui nous l’apprend. C’est l’occasion de rappeler que l’avis et les pratiques pédagogiques de très nombreux enseignants du “privé” est loin des caricatures faciles. Une enseignante d’histoire-géographie dans ce collège « catholique et républicaine » résume assez bien la position des enseignants « Notre philosophie, faut-il le rappeler à ces militants anti-mariage pour tous, est d’ouvrir le regard de nos élèves, d’éveiller leur esprit créatif et critique. ». A Angers, comme ailleurs, dans le privé comme dans le public…
Plaisir
Toute la semaine, le journal Le Monde a proposé une série intitulée “PISA-Choc” (qu’on peut parcourir sous forme d’une synthèse interactive sur le site du journal. Deux mois après la publication de l’enquête PISA, nous sommes en effet loin des réactions unanimes et de l’avalanche d’articles qui ont suivi et qui n’ont duré que quelques jours… Et après, plus rien… L’initiative du journal est donc la bienvenue et les questions évoquées dans ce dossier méritaient d’être posées. Parmi les nombreux articles, plusieurs sont notables et méritent d’être relus.
En clôture de cette série, Vincent Peillon est interviewé par par Maryline Baumard et Mattea Battaglia . On lui demande de revenir sur les questions posées tout au long de la semaine. C’est bien sûr l’occasion de démentir à nouveau l’information sur le gel de l’avancement et aussi les rumeurs qui ont circulé sur l’ABCD de l’égalité. On retiendra surtout de cet entretien une affirmation pédagogique forte : “Il n'est pas possible de réussir à l'école sans sérénité, sans plaisir, sans confiance et sans motivation. Alors arrêtons d'opposer plaisir et effort. On peut être plus exigeant lorsque les élèves prennent du plaisir à apprendre que lorsqu'ils souffrent. ”.
Le “plaisir”, voilà un autre mot qui ne doit pas être tabou ni expurgé de l’École mais au contraire mis en exergue. Là aussi, les pédagogues doivent être vigilants…
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 France.
Un “gel” décoiffant…
“Fonction publique : Peillon propose de geler l’avancement automatique ”. ce titre des Échos diffusé sur le site du journal à 19h le mercredi 5 février a immédiatement fait le buzz. Cette annonce se situait dans le cadre de la préparation du deuxième Conseil stratégique de la dépense publique (qui s’est tenu samedi 8/02). La mesure qui consisterait à “geler” l’avancement automatique (à l’ancienneté…) permettrait d’économiser 1,5 milliard d’euros.
L’information a été vite démentie par le principal intéressé, Vincent Peillon lui même dès le lendemain. Pourtant immédiatement, Le journal Les Échos confirmait ses informations : “Le gel de l'avancement des fonctionnaires est bien sur la table”. Tout comme France Info dont un des journalistes affirmait l’avoir entendu de la bouche du ministre mercredi midi.
Rumeur ou ballon d’essai ? On sait que c’est une pratique malheureusement assez courante chez les politiques de tester une idée en petit comité, de laisser “fuiter” et de voir ce que ça provoque comme réactions. Mais on peut aussi se demander si la rumeur n’est pas utilisée pour déstabiliser. Il y a un débat entre journalistes éducation sur ce point. Selon Marie-Caroline Missir dans l’Express il faut se demander qui a intérêt à fragiliser le ministre. D'après elle, avec cette fuite, Bercy fait ainsi pression sur le ministre pour qu'il limite ses velléités de dépenses. Pour d'autres journalistes, on l’a vu, Vincent Peillon aurait bien posé cette question à haute voix (et en "off") récemment. Ce qui semble certain en tout cas, d'après nos informations, c'est qu'Alexandre Siné, le directeur de cabinet de Peillon un inspecteur des finances (et agrégé de SES, comme quoi, ça mène à tout...) a produit un rapport sur cette hypothèse de "gel" de l'avancement automatique avec les services du ministère qui emploie à lui seul la moitié des fonctionnaires. Le point de départ est là. Ensuite, pour que cette info sorte, le Off du ministre avec les journalistes ne suffisait pas. Il faut une autre source qui confirme et c’est là que Bercy intervient.
Pourquoi le sujet est-il explosif ? D’abord parce que le point d’indice des agents est déjà gelé depuis 2010. Et que le pouvoir d’achat des enseignants et des autres fonctionnaires ne progresse plus hormis par l’avancement. L’économiste Robert Gary-Bobo qui a beaucoup travaillé sur la rémunération des enseignants, interviewé par Le Monde , rappelle que le pouvoir d’achat du salaire net des professeurs a baissé de 20 % entre 1981 et 2004, soit une diminution de 0,8 % par an en moyenne. D’après lui, en 2014, pour que les enseignants retrouvent, sur leur cycle de carrière, les mêmes espérances de gains que leurs aînés, recrutés en 1981, il faudrait revaloriser les salaires d’au moins 40 %. Cette hypothèse de gel se trouve donc en contradiction avec tout le discours sur la nécessité de revaloriser les enseignants. Elle est aussi le signe de l’absence de marge de manœuvre du gouvernement lié à la promesse de recrutement des 60 000 postes enseignants. Elle constitue aussi un élément de plus dans le désamour qui s’installe entre les enseignants et le gouvernement (et le ministre en particulier). Les tensions actuelles sur les dotations horaires en lycées et collèges et en particulier dans l’enseignement prioritaire, les reculades sur le “genre” à l’École, les difficultés de mise en place des ESPÉ, la querelle autour des rythmes réactivée dans le cadre des municipales, … sont autant de facteurs d’un clivage et d’une méfiance qui semblent s’installer entre le gouvernement et le monde enseignant. Dans ce contexte, poursuivre le travail sur l’hypothèse du “gel” de l’avancement serait une erreur ou un “suicide” politique…
Réduire les dépenses ?
On peut bien sûr rejeter a priori la nécessité de réduire les dépenses publiques et considérer qu’une autre politique économique est possible. Mais plaçons nous cependant dans la logique de ce “conseil stratégique de la dépense publique" . On peut alors voir qu’il y a d’autres sources d’économie.
C’est dans cette perspective que se situe mon collègue Arnaud Parienty sur son blog hébergé par Alternatives économiques . Pour lui “il est tout à fait possible de réduire la dépense publique d’éducation de plus de dix milliards d’euros par an sans toucher au salaire des enseignants. ” d’autant plus que payer les enseignants ne coûte que 22 milliards d’euros sur une dépense publique totale d’éducation de 72 milliards d’euros. Il est d’abord possible, nous rappelle t-il, de réduire le nombre d’heures de cours des élèves. Selon l’OCDE, la France dispense le plus grand nombre d’heures de cours aux écoliers de tous les pays européens, à égalité avec les Pays-Bas (un peu plus de 900 heures par an). Par comparaison, l’Allemagne est à moins de 700 h, l’Angleterre à 630 h, la Finlande est à 680 h. Petite contradiction, Parienty, prof en lycée, ne va pas au bout de son raisonnement et parle surtout d’une baisse d’heures possible dans le primaire mais reste timoré sur les réductions d’heures dans le secondaire.
Autre constat qui nous interpelle : pour un nombre d’élèves légèrement supérieur, l’Allemagne dépense 3 milliards pour les salaires des enseignants, moitié plus qu’en France. Et, au final, l’Allemagne dépense 1100 E de moins par élève, car la dépense hors enseignants est de 34 milliards par an en Allemagne, contre 50 milliards en France. Il y aurait donc potentiellement 16 milliards d’euros à gagner. Comment font-ils ? Des établissements moins nombreux et deux fois plus grands en moyenne. On pourrait réduire le nombre d’établissements en France et réaliser ainsi des économies d’échelle. Mais évidemment cela pose d’autres questions et notamment celle de l’aménagement des territoires. Au passage, on soulignera que des établissements plus grands touchant plusieurs communes peuvent aussi permettre une plus grande mixité sociale.
Autre piste : le personnel administratif et d’encadrement. Il y a un personnel administratif pour 8,5 enseignants dans le public. On pourrait atteindre des ratios d'encadrement plus bas. Concernant ces personnels de gestion, leur coût est estimé par l'OCDE à 3,5 milliards d'euros par an contre 0,9 en Allemagne. C'est, là encore, lié au nombre beaucoup plus élevé des établissements. Une économie substantielle sur ce poste de dépense est possible sans perte de qualité, si des regroupements de moyens sont opérés. De même, il y a un enjeu à faire évoluer la hiérarchie intermédiaire dont l’efficacité reste à prouver. Dans un système plus déconcentré et décentralisé et dans une logique d’empowerement des personnels, a t-on besoin d’une lourde structure administrative productrice de procédures et de contrôles a priori qui gênent les initiatives et l’innovation ?
Peanuts
“If you pay peanuts, you get monkeys…” cette phrase célèbre de l’homme d’affaires Jerry Goldsmith a presque valeur de proverbe dans le monde anglo-saxon. Elle résume assez bien la théorie dite du salaire d’efficience. Les salariés ne sont pas payés en fonction de leur efficience mais ils adaptent leur efficience au montant de leur salaire. Autrement dit : si vous êtes payés des cacahuètes, vous en ferez pour le montant auquel vous êtes payé…
Cette réflexion peut venir à la lecture d’un article du Monde intitulé avec provocation : “A-t-on les enseignants qu'il nous faut ? ” . L’article y rappelle cet extrait du rapport PISA :« Dans les pays où le PIB par habitant est supérieur à 25 000 euros, dont la France fait partie, il existe une corrélation entre le niveau de salaire des enseignants et la performance globale du système éducatif. ». Or l’enseignant français est moins bien payé que ses voisins. En France, le salaire hors indemnités diverses, après quinze ans d’exercice, est de 8 % supérieur au PIB par habitant. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, il est de 29 % supérieur à la richesse du pays par tête. Le dossier du Monde évoque l’exemple (discutable) de la Chine mais on propose aussi un reportage en Finlande où on apprend qu’il n’y a pas de crise de vocation pour les enseignants « Un professeur avec vingt ans de carrière peut gagner jusqu'à 5 000 euros », indique un responsable finlandais. Mais à salaire élevé, exigences élevées. Pour faire en sorte que l'élève s'épanouisse, l'enseignant doit déployer tout un éventail de méthodes pédagogiques. Le deal est donc clair : des salaires élevés mais un engagement important et la reconnaissance de toutes les dimensions du métier. C’est ce qui a été raté en France avec la “revalo” de 1989. Saura t-on évoluer cette fois ci ? Réponse la semaine prochaine (et plus bas dans cette chronique)
Cette question salariale a aussi une incidence sur le recrutement des nouveaux enseignants. Pour Robert Gary-Bobo, cité plus haut, “La dévalorisation des carrières modifie évidemment les choix individuels d’une manière lente mais inexorable. Les concours sélectionnent de plus en plus de personnes qui valorisent le temps libre et la sécurité de l’emploi. […] Pour ces personnes, le temps libre est la contrepartie de leur modeste salaire. ”.
Il faut bien constater que malgré une légère remontée le nombre de candidats aux concours d’enseignement a tendance à baisser ces dernières années. En 2012 le nombre de candidat par poste était de 3,4… contre 7,8 six ans plus tôt . Les éléments d’explication sont nombreux : la réforme de la masterisation, qui a rallongé pour beaucoup la durée d’études avant d’accéder au métier, la suppression d’une réelle formation initiale et plus globalement la dévalorisation des métiers enseignants (absence de revalorisation salariale, image dégradée et attaques répétées de certains hommes politiques). Au total ce sont 16% des postes proposés au concours 2013-1 qui n’ont pas été pourvus dans le secondaire. Ainsi proposer des postes supplémentaires ne résoudrait pour l’instant qu’en partie le problème : il faut aussi trouver des candidats.
Et il faut aussi leur proposer une formation initiale et continue de qualité. Or, aujourd’hui, des doutes commencent à poindre sur la qualité et l’efficacité des nouveaux dispositifs de formation dans les ESPÉ. Il n’est pas trop tard pour faire évoluer ce qui se met en place. Là aussi un “choc de simplification” s’impose !
Ce rappel est aussi l’occasion d’évoquer la mémoire d’André Ouzoulias, qui vient de décéder et dont ce fut le dernier combat. Le meilleur moyen de lui rendre hommage est de relire son entretien (réalisé il y a quelques semaines) avec Luc Cédelle où il nous alertait sur les dangers du dispositif de formation qui se met en place. Non pas pour le plaisir de la critique mais de manière constructive avec l' "optimisme de l'action"..
Les statuts vacillent…
“Accord en vue sur le statut des enseignants” titre Les Échos. Le ministre de l'Education souhaite obtenir le feu vert définitif des syndicats d'enseignants mercredi prochain, jour où ils sont tous conviés au ministère pour clore les discussions engagées en novembre. Daniel Robin, cosecrétaire général du SNES-FSU, le syndicat majoritaire, parle d'une réunion « conclusive », tandis que le secrétaire général du SE-Unsa, Christian Chevalier, prédit que « ça va déboucher ». Les Échos nous rappelle que Vincent Peillon a relancé les négociations stoppées en décembre, après le report de la réforme des professeurs de classes préparatoires. Sauf problème de dernière minute toutes les parties prenantes devrait signer et cela devrait permettre d’arriver à un nouveau décret, destiné à dépoussiérer des textes datant de 1950.
Ces décrets de 1950, maintes fois attaqués, jamais abrogés sont évoqués par Marie-Christine Corbier dans le journal Les Échos . La journaliste détaille la méthode suivie par Vincent Peillon. Le ministre s'est attaqué aux textes avec une méthode radicalement différente de ses prédécesseurs : pas question de toucher aux sacro-saintes heures de service. « Pourquoi reposer des questions dont nous savons que la réponse est non ? », confiait Vincent Peillon cet été. Et comme le souligne l’article, si dans l'aboutissement de sa réforme, la méthode Peillon a compté, « les syndicats savent aussi qu'il vaut mieux réformer maintenant qu'en 2017 sous un gouvernement de droite ».
Sur quoi reposent ces négociations ? L'un des enjeux est l'organisation du "bloc 3", c'est à dire l'indemnisation des activités exercées sur la base du volontariat (professeur principal, la charge de gérer un projet pédagogique d'équipe, le numérique...). Celles-ci sont actuellement rémunérées en heures supplémentaires, sans discussion au conseil pédagogique et au conseil d'administration sur leur répartition. Ces indemnités représenteraient quelque 30 millions d'euros. L’habileté est donc que les statuts ne sont pas attaqués mais contournés. Mais le texte redéfinit malgré tout le métier des enseignants en prenant en compte tout ce qu'ils font en dehors de leurs heures de cours - travail en équipe, conseil de classe, accompagnement des élèves, échanges avec les parents… En fait : officialiser ce que les enseignants font déjà !
Restent d’autres chantiers et notamment une réelle égalité entre les enseignants du primaire et du secondaire, ou encore l’évolution des métiers de la formation, mais si l’on aboutit à ce que l’opinion enseignante évolue sur ce que sont ses missions et fasse coïncider le discours et la réalité des pratiques, on aura déjà fait pas mal bouger la culture enseignante et la conception du métier !
Genre et vigilance…
Si nous n’avions pas parlé du “genre” dans cette revue de presse, nous n’aurions pas été complets. De nombreuses contributions et tribunes continuent à alimenter le flux médiatique. On s’attardera sur deux informations qui nous semblent mériter notre vigilance collective.
C'est un article de Mediapart qui a révélé le 6 février dernier que le gouvernement ferait la chasse au mot «genre» dans ses publications, circulaires, etc. L’information est reprise dans L’Humanité . Des intervenants voient leurs conférences et formations en milieu scolaire annulées au dernier moment, des sites officiels seraient “toilettés” pour éviter le mot jugé provocateur. Une tribune signée d’un collectif de plusieurs chercheuses et chercheurs parue dans Le Monde dénonce une “désolante capitulation gouvernementale ”.
Autre information qui doit nous inciter à la vigilance : à Angers, mardi dernier, des élèves de 4e du collège (privé) Saint-Martin n'ont pas pu assister à la projection du film Tomboy. Des représentants de la Manif pour tous menaçaient d'empêcher les élèves d'aller au cinéma. C’est un article de Ouest-France qui nous l’apprend. C’est l’occasion de rappeler que l’avis et les pratiques pédagogiques de très nombreux enseignants du “privé” est loin des caricatures faciles. Une enseignante d’histoire-géographie dans ce collège « catholique et républicaine » résume assez bien la position des enseignants « Notre philosophie, faut-il le rappeler à ces militants anti-mariage pour tous, est d’ouvrir le regard de nos élèves, d’éveiller leur esprit créatif et critique. ». A Angers, comme ailleurs, dans le privé comme dans le public…
Plaisir
Toute la semaine, le journal Le Monde a proposé une série intitulée “PISA-Choc” (qu’on peut parcourir sous forme d’une synthèse interactive sur le site du journal. Deux mois après la publication de l’enquête PISA, nous sommes en effet loin des réactions unanimes et de l’avalanche d’articles qui ont suivi et qui n’ont duré que quelques jours… Et après, plus rien… L’initiative du journal est donc la bienvenue et les questions évoquées dans ce dossier méritaient d’être posées. Parmi les nombreux articles, plusieurs sont notables et méritent d’être relus.
En clôture de cette série, Vincent Peillon est interviewé par par Maryline Baumard et Mattea Battaglia . On lui demande de revenir sur les questions posées tout au long de la semaine. C’est bien sûr l’occasion de démentir à nouveau l’information sur le gel de l’avancement et aussi les rumeurs qui ont circulé sur l’ABCD de l’égalité. On retiendra surtout de cet entretien une affirmation pédagogique forte : “Il n'est pas possible de réussir à l'école sans sérénité, sans plaisir, sans confiance et sans motivation. Alors arrêtons d'opposer plaisir et effort. On peut être plus exigeant lorsque les élèves prennent du plaisir à apprendre que lorsqu'ils souffrent. ”.
Le “plaisir”, voilà un autre mot qui ne doit pas être tabou ni expurgé de l’École mais au contraire mis en exergue. Là aussi, les pédagogues doivent être vigilants…
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
Ce(tte) œuvre est mise à disposition selon les termes de la Licence Creative Commons Attribution - Pas d’Utilisation Commerciale - Partage dans les Mêmes Conditions 3.0 France.
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