dimanche, avril 13, 2014

Bloc Notes de la semaine du 7 au 13 avril 2014



- Garder le rythme… ? - Le changement c’est maintenu ? - Déjà parti, une fois déjà là… - Bel exemple pour la jeunesse !- .



Le bloc notes de cette semaine s’interroge évidemment sur la suite de ce qu’on n’ose même plus appeler la refondation. Y a t-il toujours la même volonté politique après le départ de Vincent Peillon ? On reviendra aussi sur la personne et l’action de ce ministre “déjà parti, une fois déjà là”…
Et nous finirons comme d’autres l’ont fait avant nous par une réflexion sur l’exemplarité des hommes politiques.



Garder le rythme… ?
Dans la revue de presse du mardi 8 avril, Laurent Fillion notait que c’était à 15h48 (deux minutes d'intervention après vingt-huit minutes de discours) que le nouveau 1er ministre Manuel Valls avait abordé les questions de l’éducation. On peut même en trouver sur le site de Matignon, le verbatim . Le voici : “Investir dans l’école de la République, dans ses enseignants, et pour ses élèves, c’est réinvestir la République de sa mission première : chaque enfant, peu importe son milieu social, doit bénéficier des mêmes opportunités. Depuis deux ans, nous avons engagé une refondation de l’école : réforme des métiers, rétablissement de la formation des maîtres, lutte contre l’échec scolaire, priorité donnée au primaire, relance de la scolarisation des moins de trois ans. Le redressement de l’école doit être poursuivi. L’aménagement des rythmes scolaires est une bonne réforme car avec elle beaucoup plus d’enfants ont accès à des activités périscolaires, sportives, culturelles très complémentaires de l’éducation donnée par les enseignants. 93% des communes s’y sont déjà engagées. Cependant, j’ai entendu les remarques de bonne foi venant des élus. Ainsi, le cadre réglementaire sera assoupli après les concertations nécessaires avec les enseignants, les parents et les élus. Ce qui doit compter et nous rassembler, c’est la réussite des élèves, partout en France.
On sait que cette avant-dernière phrase a été l’objet de plusieurs interprétations. Et qu’il a fallu ensuite des précisions de la part du service de presse du Ministère de l’Éducation Nationale pour indiquer qu’ “Il n’y aura ni report, ni retrait, ni libre choix, toutes les communes passeront aux nouveaux rythmes à la rentrée, le décret sur la nouvelle semaine scolaire n’est pas modifié. Simplement, on va étudier au cas par cas, au niveau du terrain, les communes ayant des difficultés. Si elles ont des projets innovants mais qui n’entrent pas dans le cadre du décret, on pourrait assouplir”.
Ça laisse quand même une impression de cafouillage et d’acrobaties sémantiques. Sans trahir un secret, il semble bien que la question de l’abandon/dénaturation de la réforme des rythmes ait été sur la table dans la phase de préparation du discours de politique générale. Plusieurs acteurs de l’éducation (dont le CRAP-Cahiers Pédagogiques ou la FCPE ) ont averti durant le week-end dernier sur le signal politique très négatif que cela envoyait. Au final, la réforme est maintenue mais on ne comprend pas mieux le message : si c’est pour appliquer la réforme en septembre comme prévu, à quelques exceptions près, à quoi bon annoncer un «assouplissement» en grande pompe à l’Assemblée nationale ? C’est Véronique Soulé de Libération qui pose sur son blog la question en ces termes et appuie là où ça fait mal. Elle poursuit : “pourquoi faire un tel geste si l’immense majorité des communes —92% selon Hamon, 93% selon Valls— est finalement prête ? Sur les 7% à 8% restants, 2 à 3% auraient des problèmes quasi insurmontables pour passer aux quatre jours et demi, et 4% à 5% seraient des résistants «idéologiques», proches de l’UMP. Fallait-il en faire autant pour si peu ? Enfin, le gouvernement aurait-il eu peur d’une mobilisation de l’UMP, requinquée par les municipales ? Aurait-il voulu prévenir un nouveau tollé des maires, d’autant qu’il va couper la moitié des dotations aux collectivités locales ?
Que le retour à la semaine de 4,5 jours ait posé et pose toujours des problèmes, on ne peut le contester. Il faudrait en effet que le ministre donne des instructions fermes auprès de son administration pour qu’il y ait plus de souplesse ( !) Mais surtout, on voit bien que cette “Valls-hésitation” a ouvert une brèche dans laquelle s’engouffrent les nouveaux élus UMP (Le Monde). Jean-François Copé a en effet lancé un appel ses troupes : «Je recommande à tous les maires, UMP ou pas, d'avoir le courage de refuser cette réforme. » Au passage, bel exemple pour la jeunesse que des élus qui refusent d’appliquer les lois… Mais nous y reviendrons…

Avec le changement de ministre et ces atermoiements, on est bien confronté à une question de rythme(s).
“Rythmes scolaires” bien sûr qui ont absorbé beaucoup d’énergie peut-être au détriment des autres chantiers du Ministre. Mais plus globalement, c’est la question du rythme des réformes qui est posée dans le domaine de l’éducation qui ne semble plus être la priorité comme elle était énoncée au début du quinquennat et durant la campagne.
Pourtant, en matière de Valls, il est important de garder le rythme !

Le changement c’est maintenu ?
Les contraintes budgétaires existent, mais la priorité à l’éducation demeure. J’en serai le gardien” : pour l’une de ses toutes premières apparitions dans le grand amphi de la Sorbonne à l’occasion du lancement de la réforme de l’éducation prioritaire, Benoît Hamon, a tenu à rassurer tous ceux qui s’inquiètent. “Je ne serai pas le ministre des abandons”, a-t-il ajouté. Il a laissé entendre qu’il tiendrait la promesse des 54 000 postes créés durant le quinquennat, malgré les économies drastiques annoncées au sein de l’Etat.
Mais les craintes sont nombreuses. Dans un article de Challenges intitulé “parmi les ministres ‘manager‘ de Valls : Benoît Hamon”,  le journaliste lui voit un chemin semé d’embûches : “il devra faire avaler aux syndicats la pilule du plan d’économies de 50 milliards d’euros de François Hollande. Car l’Education risque de perdre son statut de sanctuaire: moins de créations de postes que prévu et un serrage de vis supplémentaire pour les quelque 841.000 enseignants.”. Même tonalité chez Marie-Caroline Missir dans L’Express qui s’interroge “l'école est-elle encore une priorité ?
La priorité à l’éducation ne se résume pas à la promesse des 60 000 postes. Mais elle y contribue. Un petit point sémantique au passage avant de faire le point : il serait plus juste de parler de RE-création de postes car c’est oublier un peu vite la casse du quinquennat précédent…
Une très bonne infographie publiée dans L’Express permet de voir où nous en sommes. Le magazine (en s’appuyant sur le site “performance publique” ) a fait les comptes: à la rentrée 2014, environ 40% des postes promis auront été ouverts. Ce qui laisse encore environ 12 000 recrutements supplémentaires à faire en 2015, 2016 et 2017. En fait l’essentiel a été absorbé par le rétablissement de l’alternance dans la formation des enseignants (en Master 1 et l’an prochain en M2). En revanche pour les postes de titulaires, 3184 enseignants (primaire, secondaire, public et privé confondus) ont été recrutés en 2013. 94,4% des postes prévus d'ici 2017 restent à pourvoir. C’est ce décalage dans le temps qui contribue au scepticisme dans les salles des profs et des maîtres qui ne voient pas venir les renforts attendus et subissent même des suppressions de postes. Un sentiment qui risque d’être renforcé quand on sait que l’année scolaire prochaine devrait connaître une poussée démographique . En primaire, ce sont 35.600 élèves de plus qui devraient arriver à la rentrée 2014 puis 23.400 à la rentrée 2015. Dans le second degré (collège et lycée), la Depp prévoit 27.500 élèves de plus à la rentrée 2014, puis une augmentation de 29.500 élèves à la rentrée 2015. C'est surtout le lycée qui devrait être concerné, avec 24.000 élèves de plus à la rentrée 2014, puis 49.000 lycéens supplémentaires à la rentrée 2015, année où le collège devrait perdre 19.500 élèves. Dès l’entrée en fonction de Benoît Hamon, et malgré ses affirmations répétées , les syndicats ont fait part de leurs craintes.
Mais la “refondation” (ce mot a t-il encore un sens ?) ne peut se résumer à une promesse quantitative imposée par Hollande durant la campagne sans concertation avec son futur ministre. La loi votée en juin 2013 lançait plusieurs pistes : réforme des programmes, de la formation, des statuts et des métiers, éducation prioritaire… La plupart de ces chantiers sont ouverts mais on sait bien qu’il ne suffit pas de bonnes intentions. La continuité de l’action suppose des moyens mais aussi une volonté politique réaffirmée face aux inerties de toutes sortes. On constate que pour l’instant, le cabinet de Benoît Hamon semble ressembler beaucoup à celui de Vincent Peillon. Est-ce une bonne chose ? On peut se dire en effet que c’est un signe de continuité. Mais on peut aussi se demander comme le fait Maryline Baumard dans son blog du Monde si cela ne place pas le ministre “en position d’élève face à ses directeurs”. Il faudrait se rappeler au niveau de l’administration centrale qu’il ne suffit pas de décider dans un bureau pour que les choses se mettent en place comme par magie dans chaque établissement. Et que “le diable est dans les détails”. Car une autre inertie est celle de l’administration intermédiaire, elle même, qui reste souvent très conservatrice et rigide.
Les autres difficultés viennent également des positions syndicales. On peut craindre une surenchère radicale jusqu’aux élections professionnelles qui ont lieu à l’automne prochain. Le SNES-FSU tenait son congrès à Marseille au début du mois. Pour Bernadette Groison, secrétaire générale de la FSU, ainsi que le rapporte le site Touteduc la fédération doit “"continuer à proposer, négocier, débattre, agir avec les personnels et travailler au rassemblement des forces. Réformateurs contestataires en quelque sorte.”. Mais dans le même temps, les co-secrétaires généraux du SNES fixent des limites très rigides à ne pas franchir. Ne pas négliger le second degré, remise à plat de la réforme du lycée, engager une revalorisation des salaires, réaffirmation du caractère national de la gestion de l’École, pas d’‘école du socle” … Dans certains écrits on lit même une remise en cause de la charte des programmes produite par le CSP dans une logique pourtant consensuelle. On trouve rassemblés la plupart de ces impératifs dans une lettre au Ministre qu’on peut lire sur le site du syndicat .
On sait bien ce que sont les postures syndicales, dans un “camp” comme dans l’autre (car les accusations en retour ne sont pas plus constructives). Cela fait malheureusement partie du jeu et des surenchères pré-électorales. La tâche de Benoît Hamon, qui affirme vouloir mettre ses pas dans ceux de son prédécesseur, va être de marcher sur une ligne de crête. Entre les tentations gouvernementales de sacrifier la priorité à l’éducation et les accommodements syndicaux face aux risques de conflits sociaux.
Notez sur vos cahiers de textes et autres agendas : «Je ne serai pas le ministre des abandons» Soulignez trois fois en rouge... (non, en rose...)

Déjà parti, une fois déjà là…
Certains écrivent des lettres au nouveau ministre, d’autres en écrivent à l’ancien… C’est une très belle lettre que Sébastien Rome a écrit sur son blog à Vincent Peillon . Une lettre empathique et nuancée. J’en retiens surtout ce passage : “Tu savais que tu ne resterais pas ministre et qu’une réforme en éducation, aucun ministre n’en voit son effet véritable. Il reste au ministre à agir de telle manière que ce qui est posé doit se poursuivre malgré soi, sans soi. D'une manière parodique, on peut dire que le “Dasein” du ministre, c’est d’être pour agir et d’agir tel que l’on ne sera plus ministre. Être un ministre déjà parti, une fois déjà là. Peut-être est-ce une manière de le rester dans les esprits ? ”. Et notre collègue de détailler les pistes ouvertes par le ministre et que nous avons déjà évoquées : la qualité de l’accueil du temps périscolaire et le travail en partenariat, la formation des enseignants, les statuts et le métier des enseignants… Un beau texte que je vous invite à lire.
On trouve une tonalité assez voisine chez Maryline Baumard qui se demande : “Peillon victime ou bénéficiaire du remaniement ?”. Pour celle qui a été une observatrice au plus près de l’action ministérielle : “Peillon est-il de ces séducteurs qui pensent que dans l'amour, le meilleur, c'est quand on monte l'escalier? Il a probablement adoré la campagne présidentielle, pendant laquelle il s'est préparé à ce ministère. Il a sûrement aimé aussi lancer plusieurs chantiers; et puis, l'intellectuel s'est peut-être lassé. Il a été étonné de l'énergie qu'il lui a fallu déployer, pour faire adopter la réforme des rythmes scolaires qu'on croyait consensuelle. Il a fallu reculer devant la fronde des profs de classes prépas, et d'autres contestations se profilaient. Il sait manier le verbe, mais les réformes structurelles qu'il a commencées à entreprendre ne peuvent pas produire rapidement des effets positifs. N'a-t-il pas vu l'opportunité de s'en aller en douceur, tout en réussissant à se faire regretter, plutôt que d'être un ministre sans résultats très spectaculaires à court terme, et obligé de décevoir sur les conditions de travail et les rémunérations, faute de crédits?”.
C’est bien là, la question. Et c’est ma nuance avec le texte de Sébastien Rome auquel j’adhère pour l’essentiel. L’action politique c’est aussi le suivi de l’action, sa mise en œuvre au quotidien, la patience, les compromis tout en gardant le cap… “Fatiguer le doute” pour reprendre une expression fétiche de Vincent Peillon (empruntée à Jaurès), ça demande du temps… Ça demande de mettre les mains dans le cambouis… Comme le dit lui même Sébastien Rome . : “c’est en cheminant que l’on fait le chemin. ”.
Pardon de m’auto-citer, mais dans une tribune publiée il y a une semaine , je m’interrogeais voulait-il vraiment rester ? ”. Préserver sa carrière, sa “trace” cela ne me semble pas à la hauteur du personnage et j’ose espérer que ce ne sont pas les raisons principales de son départ. Une fois la loi votée tout restait à faire. Son engagement dans la campagne européenne, même s’il était intellectuellement compréhensible dans un souci de légitimité démocratique, a été très mal ressenti. Y compris dans le camp réformiste où l’on a eu l’impression d’un abandon en rase campagne.
Sans me risquer trop à un parallèle hasardeux, nous savons bien dans nos classes qu’il ne suffit pas d’édicter des règles de vie au début de l’année, d’énoncer des consignes ou de construire de beaux dispositifs d’apprentissages pour que ça marche, il faut une vigilance de tous les instants pour que cela fonctionne et qu’on parvienne à ses objectifs.
Et alors qu’on est qu’au début du chemin et qu’il reste tant à faire, et qu’il faut lutter pour ne pas être désabusé, je vous livre mon sentiment en une formule : Il s’en va, nous on reste…

Bel exemple pour la jeunesse !
Comment demander à nos enfants de se conduire convenablement dans une classe si les députés se conduisent comme des abrutis devant tous les français? ”. C’est Luc Ferry ancien ministre de l’éducation qui s’exprime ainsi . Le philosophe, intermittent de la politique, qui avait décidé d'écouter, mardi, le discours de politique générale du premier ministre a été choqué par le bruit qui régnait dans l'hémicycle. Il écrit aussi sur son compte Facebook «Je regarde Vals (sic) à l'Assemblée: qu'un premier ministre, de droite ou de gauche, peu importe, ne puisse pas parler devant des adultes, des parlementaires, sans que ces gens vocifèrent comme des malades mentaux, c'est consternant». En dehors du fait que ce n’est pas gentil pour les malades mentaux qui, eux, n’y peuvent rien, en tant qu’éducateur, on ne peut qu’adhérer aux propos de l’ancien ministre.
Un discours très voisin chez Mara Goyet dans son blog du Monde.fr . Elle fait une proposition qui pourrait s’intégrer dans un module « gestion de classe » à l’ESPÉ “On pourrait, et c'est là la mesure que je propose, obliger l'Assemblée à accueillir les enseignants stagiaires. Pour un jour (il y a beaucoup de stagiaires), pour une session d'une heure (plus cela provoquerait des démissions). Opération commando : on les lâcherait au milieu des députés et ils devraient chercher à les calmer, à imposer le silence, à leur apprendre à écouter les autres, ne pas manger ses crottes de nez, ne pas envoyer de texto, ne pas lire le journal, ne pas bavarder, ne pas se lever, hurler, tempêter, crier, s'agiter. Ils devront aussi convaincre ceux qui prennent la parole d'être moins chiants. […] Ce serait gratuit […] . Efficace. Pertinent. Rassurant : ce serait le pire moment de leur carrière d'enseignant. Après, leur stage dans la cité du Buis joli des 8000 de Chantevache-les-Iris semblerait aux jeunes enseignants une promenade de santé. Les députés, eux, "subiraient" un peu d'autorité et en seraient apaisés. Ils seraient délivrés du fardeau de ces élans tyranniques de toute-puissance qui les minent une fois réunis et seraient plus efficaces dans leur métier.”.
Et puisque son nom a été évoqué mardi à l’assemblée, on pourrait leur donner à commenter cette phrase de Pierre Mendès-France « Toute politique n’est pas sale, toute action n’est pas vaine ». Prenez une feuille, vous avez trois ans pour y répondre…

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot


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