Depuis que j’ai commencé à enseigner (en septembre 1981),
j’ai vu se succéder 14 ministres. Il y en a eu 30 en tout depuis le début de la
5ème. Seul un ministre (Ch.Fouchet) a duré cinq ans de 62 à 67
c'est-à-dire l'équivalent d'une scolarité du primaire. Sinon la moyenne c’est
deux ans…
Évidemment je garde un attachement particulier pour Alain
Savary. Non pas parce qu’il fût le premier mais parce que l’action (et la
réflexion) qu’il a engagé a eu, me semble t-il, un effet durable et positif sur
l’évolution de l’École. Mais je partage le constat fait par Antoine Prost dans
son dernier livre (“Du changement dans l’École” – Seuil) qui déplorait le
manque de continuité dans l’action éducative.
Que restera t-il de l’action de Vincent Peillon ? A
t-il été un bon ministre ? Il est trop tôt pour le dire. Des réformes ont
été engagées mais seront elles poursuivies ? Car au delà de la personne,
c’est d’abord la continuité de la politique qui est en jeu. L’élection
présidentielle s’est jouée en partie sur la priorité à la jeunesse. Mais la
promesse était surtout quantitative (60 000 postes) et destinée à ramener au
bercail de la gauche, des enseignants qui s’étaient dispersés dans l’élection
précédente. Mais sur un plan qualitatif, on ne peut pas dire que François
Hollande ait jamais manifesté une appétence particulière pour la pédagogie
(dans tous les sens du mot d’ailleurs…).
Vincent Peillon s’était préparé à la fonction et avait
entamé des consultations/négociations dès l’année 2011. Mais après une période
de relatif consensus, il s’est heurté assez rapidement aux difficultés. Sans
vouloir jouer les “Philippulus le
prophète”, j’avais tenté dans un billet de blog du début de 2013 de
recenser déjà les
erreurs et les blocages. Ce
billet reste, me semble t-il d’actualité et les verrous identifiés alors
semblent encore plus grippés aujourd’hui.
Avant de parler du bilan et des enjeux pour la suite, il
faut quand même revenir sur l’homme. Enseignant lui même, formateur, Vincent
Peillon connaissait son sujet, il est arrivé au ministère avec une vraie vision
et une envergure intellectuelle qui a donné un a priori favorable au moment de
sa nomination.
Et puis surtout, il a parlé de pédagogie ! Ses
discours étaient revigorants après des années de technocrates et
politiciens sans autre horizon que la calculette. Et la notion de “refondation”
qu’il a forgée et portée se voulait une synthèse habile entre la nécessaire
évolution du système et une référence aux valeurs qui sont au fondement de la
République et de la démocratie. Et une réponse aux enjeux du XXIe siècle pour
reconstruire une école juste et efficace
Il fut donc un ministre de la Parole. La Politique a besoin
aussi de cet outil pour indiquer le chemin. Il fut aussi un ministre de
l’action car, lorsqu’on regardera dans le rétroviseur (en amont…) on constatera
que les chantiers qu’il a engagé sont importants. La loi de programmation et d’orientation
est une étape importante et qui peut être féconde. Reste à savoir si l’élan de ce qu’on n’ose plus appeler la
refondation sera poursuivi… Et si, au final il en restera plus qu’une simple
restauration.
“Refondation” a été un mot piégé car il a pu susciter de
grands espoirs. On a pu reprocher à Vincent Peillon une certaine
grandiloquence. Et des réalisations marquées, elles, par des compromis et donc qui
ont pu êtres lues comme trop modestes.
Les compromis ont du d’abord être passés avec Matignon et
l’Élysée. C’est Jean-Marc Ayrault qui a, semble t-il, imposé une concertation
durant l’été 2012 par crainte de blocages syndicaux. Alors que les négociations
menées préalablement montraient qu’on aurait pu avancer plus vite. Cela a
retardé le calendrier de la refondation qui n’a pu être votée finalement qu’en
juin 2013. Et par ricochet, cela a télescopé la réforme des rythmes avec les
municipales. Et cela a donné aussi des arguments supplémentaires à ceux qui plaidaient
pour une concertation de l’ensemble des personnels avant le vote de la loi. Paradoxalement,
c’est cette attente qui a favorisé l’expression des postures syndicales et les
blocages qui se sont remis en place très vite après la fenêtre de tir du début
du quinquennat.
Si le parti socialiste s’était doté dans son projet d’un
volet conséquent sur l’éducation, si Vincent Peillon avait travaillé sur les
premières mesures, on peut cependant se demander si la mise en œuvre concrète a
été vraiment efficace. Autrement dit, le cabinet a il été à la hauteur ?
Marqué par un certain turn over, on y
retrouve l’éternel poids des technocrates, interchangeables, sûrs d’eux,
impatients et peu au fait des subtilités du système. Cela a particulièrement
été sensible dans le cas des rythmes scolaires mais aussi dans le dossier de la
formation. Dans ce cas précis, la complexité a été renforcée par la
co-existence de deux ministères à part égale. Et c’est le Ministère de
l’enseignement supérieur qui a imposé sa loi à un Ministre de l’éducation
accaparé par une réforme des rythmes dont on ne soupçonnait pas la difficulté.
On a souvent dénoncé ici-même, le poids de la hiérarchie
intermédiaire de l’éducation nationale. Ces différentes catégories (inspection, administration centrale, présidents
d’université, certains chefs d’établissement) n’ont pas tous intérêt à voir
changer l’École. Car cela remettrait en question des “territoires” et aurait
des enjeux de pouvoir. Le système a donc une force d’inertie et de résistance
qui a bien souvent contribué à l’empilement des dispositifs et même la
perversion de ceux ci. Le maintien d’une partie de cette hiérarchie qui avait
appliqué avec zèle et un certain autoritarisme les réformes Darcos et
Chatel et en particulier les
programmes de 2008 dans le primaire, a contribué aussi à l’agacement des
enseignants et notamment des professeurs des écoles
Car l’autre facteur de blocage qui n’avait peut être pas été
assez apprécié en haut lieu, c’est la “frustration
relative” chez les enseignants. Après cinq ans de sarkozysme, de
suppression de postes et de rigueur budgétaire, couplé avec un profond
sentiment de déclassement, le monde enseignant est plus épuisé et désabusé que
désireux de changement. C’est ce sentiment qui l’a emporté et qui a bloqué en
grande partie les réformes. D’autant plus que cela se combine avec une impasse
économique. Avec la promesse des 60 000 postes durant la campagne, François
Hollande avait tout mis sur la table. Et il ne restait plus aucune marge de
manœuvre pour une réelle revalorisation pourtant nécessaire. Et pourtant 60 000
postes, si on les rapporte au nombre d’établissements, ça fait juste (un ou
deux) enseignants en plus…
Selon toute vraisemblance, Vincent Peillon, à qui l’Élysée
reprochait sa gestion du dossier
des rythmes, ne voulait poursuivre qu'à la condition que le pacte de
responsabilité n'affecte pas la programmation et les fameux 60000 postes. Il
n'aurait pas, semble t-il, obtenu cette garantie. Dans le contexte plus global
de la sanction de la politique du gouvernement, cela n’en est que plus
inquiétant. On peut penser aussi que les résultats aux municipales n’enterrent,
à coup de dérogations et d’aménagements, la réforme des rythmes. Mais
voulait-il vraiment rester ?
Déception, goût amer, frustration, sentiment d’abandon… Pour
les pédagogues convaincus de la nécessité de changer l’école, les sentiments
sont nombreux après ce remaniement. Il y a évidemment une déception et une
crainte que l’élan déjà entamé par les résistances et la force d’inertie ne se
perde complètement. On sait que souvent après une phase de réforme et de
tensions, le ministre suivant est nommé pour “pisser sur les braises”(expression de Jack Lang après l’épisode Allègre).
Cela ne préjuge en rien de l’action de Benoit Hamon. On notera que son
ministère retrouve le champ de l’enseignement supérieur qui n’avait pas été
accordé à son prédécesseur. Cela peut permettre de relancer une meilleure
coordination dans le domaine de la formation. Son passage à l’économie sociale
et solidaire l’a peut-être convaincu du rôle clé que peuvent jouer les
associations et en particulier dans la mise en œuvre des projets de territoire.
Les chantiers ont été ouverts : il faut maintenant mettre en musique les
dispositifs et s’assurer de la continuité de l’action. Saura t-il s’imposer
face aux pressions et surtout aux inerties de toute sorte ?
On peut surtout espérer qu’au delà des réformes venues d’en
haut, on fasse confiance à la capacité des acteurs de l’école à engager des
changements “à bas bruit” dans leurs classes, dans leurs établissements…
Changer l’école, comme le disait un vieux slogan bien oublié, c’est ici et
maintenant…
Philippe Watrelot
« Ce n’est pas toujours en allant de mal en pis que
l’on tombe en révolution. Il arrive le plus souvent qu’un peuple qui avait
supporté sans se plaindre et comme s’il ne les sentait pas les lois les plus
accablantes, les rejette violemment dès que le poids s’en allège. Le régime
qu’une révolution détruit vaut presque toujours mieux que celui qui l’avait
immédiatement précédé et l’expérience apprend que le moment le plus dangereux
pour un mauvais gouvernement est d’ordinaire celui où il commence à se réformer.
Il n’y a qu’un grand génie qui puisse sauver un prince qui entreprend de sauver
ses sujets après une oppression longue. Le mal qu’on souffrait patiemment comme
inévitable semble insupportable dès qu’on conçoit l’idée de s’y soustraire. »
Alexis de Tocqueville L’ancien Régime et la Révolution. 1856
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