Un billet où il est question de valse, de moonwalk et de marche en avant...
Il y en en a pour qui c'est bientôt la rentrée, pour d'autres c'est
peut-être déjà la sortie...
Après le week-end où Benoît Hamon intervenait en compagnie d’Arnaud Montebourg à la fête de la rose de Frangy en
Bresse et disait ses réserves sur la politique économique menée par le chef de
l’État et son Premier Ministre, la réaction de ce dernier a été très rapide.
Manuel Valls a présenté la démission du gouvernement et a été immédiatement
chargé par François Hollande de constituer un nouveau gouvernement. Il est
fortement probable que Arnaud Montebourg en soit exclu et peut-être aussi
Benoit Hamon, même si le ministre de l’Éducation utilise l’argument de la
proximité de la rentrée pour préserver son poste. On évoque, comme pour le
précédent remaniement, le nom de Ségolène Royal à la tête d’un grand ministère
de l’Éducation, de la Jeunesse et de la Culture.
Même si cela me démange, il ne m’appartient pas ici
de prendre part au débat sur la politique économique qui a conduit à cette
crise ministérielle. On se contentera d’énoncer quelques considérations sur la
politique éducative à la lueur de cet épisode politique.
147 jours
C’est la durée du séjour rue de Grenelle pour Benoit
Hamon. S’il
n'est pas renommé à son poste mardi par le premier ministre, son passage au
ministère aura été un record de brièveté ministérielle.
Comme nous l’avions déjà évoqué dans un précédent billet en avril, pour l'éducation, c’est la.... valse (!) des
ministres. En l’espace de deux ans et demi depuis Chatel, ce sera le quatrième
qui sera nommé demain. Et on peut
compter 31
ministres depuis le début de la Ve République dont la plupart n’ont duré qu’à
peine deux ans.
Là où il faudrait de la continuité dans l’action,
au delà même des alternances politiques, c’est l’instabilité qui prévaut. C’est
d’autant plus dommageable alors que
le thème de la jeunesse était mis en avant comme l’axe central de la
politique durant la campagne présidentielle. Comme le souligne un fin
observateur de l’École depuis longtemps, Luc Cédelle, l’éducation, sujet lent,
reste suspendue au contexte politique, sujet versatile.
Car s’il y a bien un domaine où les effets d’une
politique ne se font pas sentir immédiatement c’est bien celui là.
D’abord parce que les décisions ont un effet sur
des jeunes qui sont en devenir. Ainsi les changements de programmes ou
d’horaires de cours n’auront d’effet sur les connaissances et compétences
éventuelles des élèves que bien plus tard. On ne raisonne même pas pour PISA
2015 mais pour 2018 et même plus tard encore !
Ensuite, on sait bien que les réformes dans le
système éducatif mettent beaucoup de temps avant de s’installer. Les
résistances au changement sont fortes. Et il importe d’avoir une volonté
politique forte pour les maintenir plutôt que de céder à la première critique.
La politique
du moonwalk.
Peut-on se risquer d’ores et déjà à un bilan de l’action de Benoit Hamon ? Il est peut-être un peu tôt d’autant plus que
sa période d’action a été très courte et placée sous le signe de
l’attentisme.
Il s'est en effet présenté
comme "le ministre de l'apaisement",
ce qui n'est pas exactement synonyme de volontarisme. Il a clairement été
nommé pour calmer le jeu après Vincent Peillon à qui on reprochait sa gestion
du dossier des rythmes.
Mais
au delà du changement de personnes, c’est aussi la dynamique de ce qu’on n’ose
plus appeler la “refondation” qui a semblé marquer le pas. La question des rythmes scolaires comme
nous le craignions a été en effet l’objet de crispations de toutes sortes. Les
résistances sont venues d’une partie des enseignants du primaire dans un
contexte de “malaise” lié à un sentiment de déclassement et attisé par les
surenchères politiques et syndicales. Elles sont aussi le produit de la
politisation du débat par le télescopage du calendrier avec les élections
municipales.
Durant
cette année scolaire, la loi sur la refondation de l’École, votée en juin 2013,
après un temps très (trop) long de discussion est rentrée dans une phase
d’application concrète. On a vu ainsi se mettre en place avec plus ou moins
de difficultés les ESPÉ, la
réforme de l’éducation prioritaire, le conseil supérieur des programmes avec
bien des avanies (démission, polémiques,..)... Les négociations sur le métier pourtant bien modestes ont été
présentées comme une étape “historique”. Mais pouvait-on faire plus alors que
les élections professionnelles approchent et bloquent aujourd’hui toute
avancée ?
Il
faut aussi évoquer le contexte budgétaire. La nécessité de trouver 50 milliards
d’économie pèse évidemment sur la priorité accordée à l’éducation et la
promesse de l’embauche de 60 000 postes et limite considérablement les marges
de manœuvre. Et bien sûr à notre niveau plus modeste de petite association,
cela nous fait craindre aussi que l’aide de l’État par la subvention, toujours
pas reçue à ce jour, ne soit pas à la hauteur des années précédentes.
Pour
finir, il faut dire que la morosité touche plus globalement l’ensemble des
français avec la stagnation du pouvoir d’achat et la montée du chômage et une
politique économique floue et mal perçue. Et cela n’est pas favorable à
l’esprit de réforme. Dans le domaine de l’éducation comme dans les autres...
Dans ce contexte, que pouvait faire "Benoît
le Bref" ? S’il est resté sur la lancée de ce qui avait été enclenché par son
prédécesseur, il a aussi produit un décret sur les rythmes supposé apaiser mais
qui reste très flou et dénaturant le sens initial, il a été très ambigu sur les
ABCD de l’égalité (enterrés ou généralisés ?), il a voulu lancer (bien mal)
un débat sur l’évaluation... Malgré des déclarations très généreuses sur son
souci de lutter contre les inégalités, on ne peut pas dire qu’il ait eu le
temps d’avancer tout en essayant d'en donner l’illusion. C’est ce que la chroniqueuse Mara Goyet avait appelé dans un de ses billets, la politique du moonwalk...
Les
ministres passent...
Est-ce si grave de ne pas avoir de ministre à une
semaine de la rentrée ? pourront se demander certains. D’abord il faut
savoir que la rentrée est préparée depuis longtemps (et avant même que Benoit
Hamon n’arrive). Ensuite, il faut rappeler qu’à côté d’un cabinet composé de
technocrates interchangeables et sûrs d’eux et peu au courant des spécificités
de l’éducation nationale, il existe ce qu’on appelle la “centrale”. La Dgesco
(direction générale des enseignements scolaires) représente la permanence de
l’État. Les conseillers ministériels passent, les hauts fonctionnaires
restent.
C’est à la fois un avantage et un inconvénient. On
peut le lire positivement dans la mesure où c’est ce qui fait que la machine
fonctionne malgré les avanies et grâce au sens du service public de l’ensemble
du personnel. Mais on peut aussi le lire négativement dans la mesure où cette
technostructure se retrouve avec une large autonomie face à des ministres qui
n’ont pas le temps de découvrir les dossiers et qui n’en sont souvent pas des
experts (sauf Peillon ?). Et cela peut contribuer alors à un certain
immobilisme bureaucratique face à l'absence de direction politique. C’est le danger...
J’ai déjà évoqué dans un texte de 2013 les “ erreurs et les blocages ” qui handicapaient la “refondation”. Je ne vais pas les redévelopper. Mais nous devons
constater que malgré les constats des sociologues et les comparaisons
internationales, l’École change peu. Le système bureaucratique et très
centralisé est peu favorable à l’innovation et à l’autonomie des acteurs. La critique du système éducatif est
prise par de nombreux enseignants comme une critique de leur propre travail.
D’autres se réfugient derrière l’attente d’une réduction des inégalités dans la
société pour se dispenser d’agir au quotidien dans leur classe. Quant à
l’opinion, à l’exception de quelques sujets vus sous l’angle pratique (“à
quelle heure, vais-je récupérer mon gamin à l’école”) elle semble peu
intéressée par les questions éducatives
Un peu plus de politique !
Durant son mandat, Benoit Hamon a été plus homme politique que ministre, il a fait plus de
politique politicienne que de parler d’éducation. Pourtant c’est très politique
l’éducation si on veut s’en donner la peine ! Mais de la vraie
politique, celle qui touche aux valeurs...
Car l’éducation, ça concerne tout le monde et on
touche de près les inégalités les plus fortes. Mais pas sûr que ça intéresse
vraiment l’opinion et encore moins la base électorale du PS (du moins ce qu’il
en reste !) composée de classes moyennes pour qui le maintien d’un noyau
dur d’élèves en difficulté et en échec n’est pas forcément un problème qui les
concerne. La démocratisation de l’École reste inachevée et on assiste même à
une panne de l’ascenseur social. Tout se passe comme si les derniers à avoir
bénéficié de cette massification de l’École avaient refermé la porte derrière
eux... Malheur aux vaincus qu’on entend assez peu sauf lorsque de temps en
temps des émeutes éclatent dans les cités “sensibles” loin des centres
villes...
Et si c'était le nouveau slogan de l'E.N. ? |
“Un militant n’est jamais endeuillé”, cette phrase de Daniel Hameline (Cahiers Pédagogiques n°164) me semble un bon moyen de conclure cette
réflexion. Certes, pour les militants pédagogiques, il peut y avoir de la
déception voire de l’amertume lorsqu’on observe le petit monde de l’éducation,
ses postures et ses blocages. A tel point qu’au CRAP-Cahiers Pédagogiques, nous
avons prévu d’intituler notre prochaine table ronde en Octobre “le changement, c’est maintenu ? ”.
Mais cette déception ne doit pas nous dispenser d’agir là où nous le pouvons.
Au contraire. Ne soyons pas semblables à ceux que nous blâmons et « qui sont revenus de tout sans jamais y être
allés ». A nous de “fatiguer le
doute”, contourner les blocages et chercher ensemble à améliorer notre
enseignement pour aller vers une école plus juste, plus efficace, inclusive,
bienveillante...
Philippe Watrelot
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