dimanche, juin 29, 2014

Bloc-Notes de la semaine du 23 au 29 juin 2014





- Évaluation – Moral des enseignants – ABCD décédés - .



Le bloc notes de cette semaine revient sur trois évènements. D’abord la réflexion sur l’évaluation annoncée par Benoit Hamon en début de semaine et qui a suscité de nombreux commentaires. Ensuite la publication par l’OCDE de l’enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS 2013) qui nous amène à une réflexion sur le moral des enseignants. Enfin, les déclarations qui laissent penser à un abandon du dispositif des ABCD de l’égalité. En attendant les annonces la semaine prochaine de ce qui devrait les remplacer. Ou pas...



Évaluation
La semaine a donc été marquée par les annonces de Benoit Hamon à propos de l’évaluation. C’est le mardi 24 juin que le Ministre annonçait dans une interview au Parisien l’ouverture d’une conférence nationale sur l’évaluation des élèves . Comme l’ont pointé mes collègues chroniqueurs de la revue de presse depuis ce jour, le débat semble cependant bien mal parti. Car les titres des articles et certains éditoriaux semblent avoir une vision très réductrice du sujet. Et les sondages supposés refléter l’opinion publique confirment la difficulté à mener un débat documenté et rigoureux sur ce sujet sensible. Loin de la recherche du consensus souhaité par le ministre.
Les titres des journaux sont très réducteurs. Hamon s’attaque aux mauvaises notes qui découragent les élèves titrait le Huffington Post (le titre a été changé depuis). Pour les Échos, Benoît Hamon veut en finir avec les notes . On sera beaucoup plus indulgent pour tous les jeux de mots autour de l’évaluation“sans fausse notes” ou qui décernent un “mauvais point pour les notes”...En revanche, réduire le débat à l’interdiction des mauvaises notes est caricatural. Car cela conforte certains éditorialistes qui s’emparent de cette question pour en faire un thème supplémentaire dans leur critique conservatrice du gouvernement. Ainsi, on peut lire des tribunes où on parle de “démagogie” et d’une école “Bisounours” ou digne de l’“école des fans de Jacques Martin”. Avec implicitement l’idée que la note seule permettrait de dire la vérité sur le niveau et que la disparition des notes serait une étape de plus vers la baisse des “exigences”.
Pour démonter et répondre à un grand nombre d’objections, on pourra se rendre sur le blog de Jean-Michel Zakhartchouk ou sur celui de Laurent Fillion , qui, l’un comme l’autre, argumentent et apportent un peu de nuance dans ce débat qui en manque. On peut peut-être rajouter à ce que disent mes collègues que l’“exigence“ tant mise en avant par les conservateurs elle est surtout chez ceux qui ne se contentent pas du fatalisme de la note mais considèrent que l’évaluation doit être d’abord au service des apprentissages et de la remédiation plutôt que dans une logique du classement et de la sélection. Cela ne veut pas dire qu’il faut bannir la sélection de l’école mais simplement la tenir à sa place et faire en sorte qu’elle n’intervienne pas partout et trop tôt. Plus que la question des notes en elle-même, c’est plutôt celle de la finalité de l’évaluation qui doit être posée. Et c’est effectivement une véritable révolution culturelle qui doit s’opérer tant tout notre système est imprégné à tous les niveaux de cette logique normative de la sélection.
Selon Marie-Caroline Missir, dans L’Express repenser l'évaluation, c'est repenser l'identité du professeur. Et elle rapporte les propos d’un recteur (anonyme) qui s’interrogeait mardi dernier "Mais que va faire Benoît Hamon dans ce guêpier de la notation?". On trouve la même critique chez Maryline Baumard dans Le Monde qui s’interroge : “Benoît Hamon a-t-il bien évalué… les risques ?. ” Elle pointe les risques politiques alors que celui ci se veut le “ministre de l’apaisement” et elle ajoute : “en faisant de cette discussion un objet politique et non scientifique, le ministre affaiblit la réflexion qu'il souhaite. Benoit Hamon a ouvert ce dossier de l'évaluation contre l'avis de la direction générale de l'enseignement scolaire, contre celui de l'inspection générale et sans le Conseil national d'évaluation du système éducatif (CNESCO). ”.
Sans être aussi pessimiste sur l’issue de ce débat, on peut espérer que la conférence nationale qui vient d’être désignée et qui est présidée par le scientifique Etienne Klein puisse faire avancer à la fois l’opinion des enseignants (et éventuellement leurs pratiques...) et aussi l’opinion publique. En France, il y a 64 millions d’experts de l’École... Et si cette opinion reste aujourd’hui encore crispée sur la notation considérée comme simple et lisible, les idées évoluent lentement... Même si le débat semble mal engagé, on peut espérer que la réflexion évolue. Nous essayerons en tout cas, pour notre part, d’y contribuer.

Moral des enseignants
L’autre sujet de la semaine nous a été fourni par l’OCDE qui vient de publier les résultats de son Enquête internationale sur l’enseignement et l’apprentissage (TALIS 2013) . Il s’agit de la plus grande enquête internationale jamais réalisée sur ce sujet sans commune mesure avec les sondages sur 600 personnes souvent évoqués dans la Presse. Plus de 100 000 enseignants (dont 3 000 en France) et chefs d’établissement du premier cycle de l’enseignement secondaire – originaires de 34 pays et économies, et sélectionnés sur la base d’échantillons représentatifs – y ont participé.
L’enquête TALIS révèle que plus de 90% des enseignants, en moyenne (et en France), sont satisfaits de leur travail, et que près de 80 % des enseignants en France choisiraient à nouveau, si c’était à refaire, d’exercer leur métier. Mais... 42% des enseignants en France pensent que les avantages d’exercer cette profession ne compensent pas ses inconvénients (contre seulement 23 % pour la moyenne TALIS). Plus inquiétant encore – et c’est le chiffre le plus marquant de l’enquête TALIS pour la France –, seuls 5 % des enseignants estiment que l’enseignement est une profession valorisée par la société (contre 31% en moyenne dans l’enquête TALIS).
D’autres enquêtes complètent ce sentiment de malaise chez les enseignants. Comme le syndicat UNSA qui a fait paraître en fin de semaine un "baromètre des métiers de l’éducation" , destiné à faire le point sur la perception des métiers et de leurs contraintes par les principaux protagonistes. Si comme dans l’enquête Talis, l’écrasante majorité des personnels déclare aimer leur métier (94%) et être heureux de l’exercer (83%) Les autres réponses montrent bien un état d’esprit plutôt négatif : la préoccupation première des collègues reste bien le pouvoir d’achat (priorité absolue pour 62 % des répondants contre 59% en 2013) et seulement 21 % des personnels se disent en accord avec les choix politiques faits dans leur secteur d’activité.
Ce qui est notable dans l’enquête Talis (et qui est confirmé dans le baromètre de l’Unsa) c’est le décalage entre le sentiment de déclassement des enseignants français et leur appréciation personnelle voire intime de leur métier. On peut d’ailleurs s’interroger sur la réalité de ce sentiment de dévalorisation car d’autres enquêtes ont montré que les français avaient une bonne opinion des enseignants. Mais quoi qu’il en soit, les enseignants français se sentent dévalorisés alors qu’ils affirment par ailleurs aimer leur métier. Cela nous ramène à ce que disait le sociologue François Dubet dans une interview pour Rue89 : “Pour avoir des enseignants qui vous parlent très positivement de leur métier, il faut leur parler en tête à tête. Il faut qu’un individu vous parle de l’intimité de son boulot. La parole collective, elle, est toujours négative. On ne demande plus d’augmenter les salaires parce que le travail avec les élèves est important, mais parce qu’il est épouvantable  !
Cette combinaison d’enquêtes ainsi que les chiffres sur les difficultés de recrutement des enseignants peuvent laisser penser à un malaise profond des enseignants. "Les enseignants, ceux qui préparent à l’avenir, semblent ne plus avoir foi dans l’avenir de l’Ecole. Ils engrangent du ressentiment. Un vent mauvais souffle dans les écoles" écrit ainsi le principal rédacteur du Café Pédagogique. Mais il est toujours schématique de voir le milieu enseignant comme homogène. Il est difficile d’attribuer à l’ensemble des 800 000 enseignants un même état d’esprit. “Les” enseignants, ça n’existe pas, il y en a de toutes sortes et de toutes opinions et ce qui est notable aussi ce sont les écarts de conditions de travail et de rémunérations qui perdurent aujourd’hui.
Comment sortir de cette déploration ? La solution est-elle dans la revalorisation salariale ? Cette question se pose quand on lit cet extrait du rapport PISA :« Dans les pays où le PIB par habitant est supérieur à 25 000 euros, dont la France fait partie, il existe une corrélation entre le niveau de salaire des enseignants et la performance globale du système éducatif. ». Or l’enseignant français est moins bien payé que ses voisins. En France, le salaire hors indemnités diverses, après quinze ans d’exercice, est de 8 % supérieur au PIB par habitant. En moyenne, dans les pays de l’OCDE, il est de 29 % supérieur à la richesse du pays par tête. Mais suffirait-il de mieux payer les enseignants pour qu’ils fassent leur métier autrement et de manière plus enthousiaste ? En d’autres termes, est-ce un préalable ou la résultante ? Dans la plupart des pays le “deal” semble clair : des salaires élevés mais un engagement important (bien plus d’heures de cours et de présence) et la reconnaissance de toutes les dimensions du métier. C’est ce qui a été raté en France avec la “revalo” de 1989 où la lutte syndicale en a fait un préalable. Et au final, sans qu’il n’y ait eu de réelles contreparties et évolutions. Le salaire, s’il est un élément de la considération de la société à l’égard de ses enseignants, ne peut, me semble t-il, à lui seul permettre une transformation du métier d’enseignant.
Éric Charbonnier, expert éducation de l’OCDE, dans son blog hébergé par Lemonde.fr met aussi l’accent sur la formation dans l’appréciation du métier. on peut, en tout cas, construire une formation qui évite les désillusions et permette de construire son métier de manière plus large. Car, à mon sens ce qui crée la souffrance et le sentiment de délcassement c'est souvent le double sentiment de faire un métier différent de celui qu'on pensait faire ou pour lequel on a été recruté (fortement marqué par l’identité liée à sa discipline d’enseignement) et le sentiment du "travail empêché". Et se prémunir ainsi contre les deux maladies professionnelles de ce métier : la culpabilité et le cynisme.
Autre voie de revalorisation : sortir d’un système bureaucratique et créateur de routines et d’inertie peu propices au changement. Produit de l’histoire, le système éducatif français est pyramidal et centralisé. La déconcentration ne doit pas être confondue avec la décentralisation. Ce système génère ses effets pervers : force d’inertie, faible adaptabilité aux situations locales, lourdeur des contrôles… Il contribue aussi à l’infantilisation et la déresponsabilisation des acteurs et donc d’une certaine manière à la déploration.
Mais si on peut faire le constat d’une « culture professionnelle enseignante » marquée par un certain pessimisme et un esprit critique, cque nous avons appelé la « déploration » n’est pas forcément partagée par tout le milieu et masque des actions modestes, “à bas bruit” qui font malgré tout changer l’école. Mais comme le malaise enseignant est souvent mis en avant dans les médias et les expressions publiques, il fait système et apparaît comme le sentiment dominant sauf dans les paroles privées. Il n’est pas pour autant une fatalité mais le produit d’un système et d’une formation qui peuvent évoluer.

ABCD
La semaine dernière nous alertions sur le risque de remise en cause du dispositif des “ABCD de l’égalité” par le ministre. Pour L’Express comme pour Le Monde , les dernières déclarations de cette semaine le confirment : “le gouvernement abandonne les ABCD”. Et effectivement, c’est ainsi que le message est reçu par les mouvements extrémistes qui ont manipulé et créé les rumeurs durant l’année scolaire et qui se réjouissent de cet abandon.
On ne renoncera pas à l'ambition, mais on s'apprête à en renouveler les modalités, en misant sur la formation des enseignants, en respectant leur liberté pédagogique ” affirme t-on au ministère en promettant un « plan d'action » pour lundi 30 juin. “Ce que nous annoncerons demain est très ambitieux, plus que l'étaient les ABCD de l'égalité, qui ne concernaient que 275 écoles, qui n'étaient qu'une expérimentation” a insisté Najat Vallaud-Belkacem sans en dire davantage sur les intentions du gouvernement.
On a cependant l’impression que, malgré tout, les opinions sont déjà faites aussi bien du côté des mouvements d'extrême droite et des opposants au mariage homosexuel que du côté des défenseurs de l’égalité entre hommes et femmes. La ligne de crête entre “apaisement” et renoncement est étroite...

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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