samedi, mai 16, 2015

Bloc-Notes de la semaine du 11 au 17 mai 2015





- Rétroviseur – Amalgame et négociations - Riposte - Interpellation - .



La réforme du collège a été présentée au conseil des ministres du 11 mars dernier. Les premiers articles parlaient alors d’une réforme “fade” et manquant d’ambition… Deux mois après, on ne compte plus les prises de position et la polémique enfle encore. Ce bloc notes commence donc par un regard dans le rétroviseur pour tenter de comprendre la mécanique de l’emballement. La riposte des soutiens de la réforme semble enfin s’organiser et nous l’évoquerons aussi. On finira par un retour sur deux rapports évoquant la pauvreté et l’École. Mais finalement, on ne s’éloigne pas du débat tant ces deux rapports constituent une interpellation que nous devrions tous entendre.



Un regard dans le rétroviseur
Un texte fade avec de “fausses hardiesses... c’est ainsi que Marie-Estelle Pech et Caroline Beyer, journalistes au Figaro jugeaient le 8 mars dernier le projet de réforme du Collège présenté en conseil des Ministres le 11 mars dernier.
Le bloc-notes de cette semaine là relevait des tonalités assez voisines pour les quelques journalistes spécialisés qui s’intéressaient à ce sujet. Marie-Caroline Missir dans son blog sur L’Express.fr affirmait qu’ “il serait illusoire de prétendre sortir du statu quo dans lequel s’enlisent des générations de collégiens”. Sur Slate.fr, Louise Tourret était plus positive. Dans Le Monde, Mattéa Battaglia trouvait le projet intéressant mais s’inquiétait pour la mise en œuvre en 2016. Dans La Croix, François Dubet estimait que ““ La ministre est allée aussi loin qu’elle le pouvait sans prendre le risque d’une guerre civile dans le monde de l’éducation.”. C’était il y a deux mois, il y a un siècle...
Aujourd’hui, le même Figaro (Magazine mais avec les mêmes journalistes) titre sur “Les naufrageurs de l’École ” (je suis dedans...) et Valeurs Actuelles met Najat Vallaud Belkacem en couverture accompagnée du titre “La casseuse de l’École ”. On ne compte plus les tribunes d’intellectuels, pseudo-experts, sur le collège ou les programmes. Tout comme les interpellations dans l’hémicycle et dans les discours des politiques. La question est donc :  “Comment la réforme du collège, présentée en mars dans l’indifférence, est-elle devenue un archétype des débats à la française ? C’est-à-dire passionnel.” pour reprendre les termes de l’éditorial de Cécile Cornudet dans Les Échos.

Tentons une rétrospective tout en rappelant qu’il y a plusieurs logiques et plusieurs temps qui se mélangent. 
C’est d’abord l’histoire d’un conflit de légitimité et une question de rapport de forces syndical. Le premier acte se situe durant les négociations syndicales qui suivent la présentation du projet de décret à la fin mars. Face à la fermeté du ministère sur des points jugés essentiels, le 31 mars le SNES et d’autres syndicats quittent avec fracas les négociations. Le 10 avril, le Conseil Supérieur de l’Éducation, instance consultative représentant toutes les composantes de l’école et de la société, approuve à une large majorité (51 pour 25 contre) le projet de réforme du Collège. On pourrait croire alors, que l’affaire est réglée et que malgré les protestations habituelles la petite réforme va passer sans heurts. Mais le vote au CSE va agacer encore plus les syndicats enseignants hostiles qui, au regard des dernières élections, sont majoritaires dans la profession. Tout cela se traduit dans l’appel intersyndical à la grève pour le mardi 19 mai prochain. Et par une mobilisation du SNES qui tait d’éventuels débats internes pour faire bloc contre ce qu’ils considèrent comme une nouvelle remise en cause de leur représentativité. Faut pas provoquer le SNES...
La mobilisation contre la réforme est ensuite médiatique en venant sur le terrain des disciplines et en particulier du Latin. C’est le premier thème qui fait l’objet de tribunes dans la presse. Car, les “humanités” font toujours partie de l’imaginaire collectif autour de l’École “éternelle” et surtout de nombreux intellectuels (que les enseignants actuels ont su mobiliser) en sont issus. Il faut dire que la communication ministérielle sur le latin a été maladroite et s’applique à des enseignants qui aujourd’hui ont beaucoup évolué tant au niveau de la pédagogie que du public auquel ils s’adressent par rapport à l’image qu’on pouvait en avoir. La polémique va s’enclencher ensuite sur l’allemand avec même l’aide de l’ancien premier ministre. Cette polémique sur les contenus va évidemment s’amplifier après la publication le 10 avril 2015 des projets de programme pour l’ensemble des cycles 2, 3 et 4. Ces projets sont le résultat du travail du Conseil Supérieur des Programmes (CSP), créé par la loi de refondation de juillet 2013. Une instance indépendante voulue par Vincent Peillon pour sortir la fabrication des programmes de l’opacité et de l’intrusion du politique... Curieusement on ne va pas du tout s’intéresser aux programmes du Primaire mais se focaliser sur ceux du Collège et comme souvent sur les programmes d’Histoire. Cette matière a le rare privilège de déclencher les passions et d’être alourdie d’une forte charge identitaire qui empêche de la considérer comme une discipline scolaire comme les autres. La polémique repart alors de plus belle. Tout le monde médiatique se sent autorisé à donner son avis sur le collège et les programmes sans avoir lu les projets. C’est ce qui va amener la Ministre à parler de “pseudos intellectuels”, une expression qu’elle va payer cher et qui va exacerber encore plus la mobilisation des faiseurs d’opinion.
Et aux intellectuels “pseudo experts” de l’École s’ajoutent désormais les politiques. Après la dimension syndicale et médiatique, c’est la bataille politique qui devient le troisième niveau du débat. Pendant longtemps, la Ministre est bien seule dans son camp. Et cela laisse le champ libre aux polémiques et surtout à l’instrumentalisation politique du débat. On a vu d’abord les anciens ministres de l’Éducation (Chatel, Fillon, Bayrou,...) prendre la parole. Puis l’UMP Bruno Le Maire a lancé une pétition rassemblant près de deux cents parlementaires et a porté la critique à l’assemblée et dans plusieurs tribunes. Dans une déclaration vendredi, il déclare même souhaiter remplacer le collège unique par un collège diversifié” et il ajoute “Notre objectif ne doit pas être 80% d’une classe d’âge au baccalauréat, mais 100% avec un emploi. Sortons de Bourdieu !”. C’est en constatant que ce possible candidat à la primaire marquait des points sur ce terrain, et que le sujet devenait un angle d’attaque supplémentaire contre le gouvernement, que le président de l’UMP a décidé de joindre le mouvement. Nicolas Sarkozy a ainsi déclaré lundi 11 mai avec beaucoup de sous-entendus «dans le combat effréné pour la médiocrité, Christiane Taubira est en passe d'être dépassée par Najat Vallaud-Belkacem» et jugé cette réforme “désastreuse pour la République”.
Dans le camp gouvernemental, la mobilisation a tardé. Mais début mai, le Premier Ministre et le Président de la République ont manifesté leur soutien à la ministre de l’Éducation. «J’entends le concert des immobiles, ce sont souvent les plus bruyants, ceux qui, au nom de l’intérêt général supposé, défendent leurs intérêts particuliers, eh bien non, c’est terminé», a-t-il lancé, le mercredi 6 mai devant le Conseil Économique Social et Environnemental. Mais ce soutien est à géométrie variable et on peut craindre qu’il n’aboutisse à quelques renoncements notamment sur l’enseignement de l’histoire. Il faut souligner aussi comme nous le faisions déjà la semaine dernière que ce soutien est aussi à double tranchant car on est dans un contexte où n’importe quelle réforme provenant d’un gouvernement et d’un président dévalué est forcément critiquée au regard de ce mécontentement général. Surtout pour des enseignants qui sont peu réceptifs aux réformes alors qu’ils se sentent déclassés et désabusés.
On en est là aujourd’hui... 
Un “sondage” produit par Odoxa pour iTélé paru vendredi et portant sur 1025 personnes interrogées par Internet affirme que 61% des Français sont opposés à la réforme du collège notamment parce qu’elle proposerait un “nivellement par le bas”. Même s’il y a quand même une riposte (évoquée plus bas), le débat médiatique semble toujours disproportionné et dans l’excès. On a évoqué plus haut les couvertures du Figaro Magazine et de Valeurs Actuelles...
Et demain ? La bataille de l’opinion est aussi à gagner dans les salles des profs. Et la grève du 19 mai est un moment clé pour l’avenir de cette réforme Comme le dit l’éditorial des Échos : “Comment les enseignants vont-ils se mobiliser mardi ? C’est la question désormais cruciale : eux savent transformer une boule de neige en boulet de canon

Amalgame et négociations
Si vous voulez énerver (encore plus ?) un militant du SNES en ce moment, parlez lui d’“amalgame”. Car l’évolution du débat sur la réforme du Collège comporte aussi des effets pervers pour les premiers opposants. La tournure très politique du débat (élitisme vs égalité) et l’agglomération des mécontentements dans une manifestation improbable où des syndicats classés à gauche pourraient manifester avec l’UNI ou le SNALC contribue à brouiller le message du SNES et des autres syndicats classés à gauche.
Même s’il annonce une “grève importante le 19 mai, c’est dans ce contexte de brouillage qu’il faut entendre les différentes déclarations des responsables du syndicat majoritaire : “ Madame la ministre, reprenez les discussions car il y a des choses à faire au collège et on est prêts à les faire, et ne prenez pas les gens pour des imbéciles ”, a lancé mercredi le co-secrétaire général du SNES Roland Hubert. Et il ajoute : Ce n’est pas parce qu’on est contre qu’on est immobiles. Les profs ne sont pas tous des conservateurs invétérés. ”. Il récuse donc tout amalgame. “Expliquer que entre le Snes et les gens qui ont supprimé 80 000 postes en 5 ans il y aurait un accord... ça ne grandit pas les organisations qui jouent ce jeu, estime le même Roland Hubert. Dans une autre déclaration, Frédérique Rolet, co-secrétaire générale affirme : "Il est urgent d'arrêter le gâchis et de reprendre les discussions". Et elle précise : “On ne demande pas le retrait de la réforme mais la reprise des négociations sur ses points majeurs. Sinon on poursuivra le mouvement”.
On a vu que tout s’est enclenché, dans un bras de fer pour créer un nouveau rapport de forces, avec la rupture des négociations le 31 mars. Deux mois après, on y reviendrait... Reste à savoir jusqu’où elles peuvent aller et ce qui est négociable et non négociable , sachant que le décret n’a toujours pas été publié. Mais entre temps, les discussions sur une réforme “modeste” et “fade se sont transformées en une sorte de monstre médiatique et politique. Un débat hystérique et halluciné” (pour reprendre un titre de Médiapart) et dont l’issue est incertaine.

Riposte
Après la sidération de la première quinzaine, cette semaine a été marquée par la riposte des “pro-réformes”. L’évènement marquant a été la conférence de presse du lundi 11 mai par cinq organisations : SE-UNSA, SGEN-CFDT, FCPE, Education & Devenir, Cahiers Pédagogiques. On en trouve de nombreux échos dans la presse notamment avec une dépêche de l’AFP un long article dans Les Échos et un autre dans La Croix . Cette conférence de presse s’est traduite aussi par une lettre ouverte à la Ministre (qu’on peut lire sur notre site) .
Face à la déferlante des critiques , il faut signaler la couverture de Libération du 11 mai : “Et si elle avait raison ? avec un portrait de la Ministre. L’éditorial de Laurent Joffrin évoque à propos des débats une “accablante mauvaise foi”. Et le dossier rassemble plusieurs contributions dont une tribune de Jean-Pierre Obin , une autre de Maya Akkari et Caroline Veltcheff (Terra Nova) et des interviews de Marie Duru-Bellat, Nicolas Offenstadt , François Durpaire et de Paul Raoult (FCPE) . Toujours dans Libération, le lendemain on trouve une tribune de Philippe Pradel intitulée “Sur cette réforme, on a tout oublié du 11 janvier… sauf la caricature”. Il faut signaler aussi dans Le Monde du 12 mai une tribune collective de Maya Akkari, Christian Baudelot (sociologue), Laurent Bigorgne (directeur du think tank Institut Montaigne), Anne-Marie Chartier (historienne), Roger Establet (sociologue), François Dubet (sociologue), Dominique Julia (historien), Marc-Olivier Padis (directeur de la rédaction de la revue « Esprit »), Antoine Prost (historien), Thierry Pech (Terra Nova) et Benjamin Stora (historien). On pourra lire aussi l’avis de Claude Thélot dans La Croix et sans oublier l’excellente émission de La Grande Table sur France Culture avec Antoine Prost.
Au risque de l’immodestie, je signale aussi que j’ai produit une tribune dans AlterEco Plus et donné une interview pour La Vie .
Mais je voudrais finir cette revue de presse sur ce thème en citant quelques extraits du très bon texte d’Eunice Mangado-Lunetta dans le Huffington Post . Celle ci titre sa tribune “La préférence pour l’inégalité en référence au dernier livre de François Dubet. Elle s’étonne de l’abus de certaines expressions comme “Le spectre du nivellement vers le bas qui, notons-le au passage, effraie étonnamment bien plus que l'hémorragie scolaire que représentent les 140 000 sorties prématurées du système. À lire les réactions de certains, on suppute qu'au fond ils ne se sont jamais fait à l'idée d'un collège vraiment "unique". Sans doute perçoivent-ils derrière ce terme un égalitarisme justifiant une uniformité de l'offre opposée à la recherche permanente de distinction, marqueur de la course généralisée à l'armement scolaire qu'est devenu notre système scolaire.” Et elle ajoute : “La question de "à qui profite le collège" est aussi démocratique et sociale. N'y a-t-il pas à s'interroger sur le fait que la scolarité publique des collégiens, payée par nos impôts, soit aussi inégalitaire ? Qu'est ce qui justifie que 16% des élèves de 6e et de 5e se voient offrir la possibilité de rejoindre une classe bi-langue ? Sont-ils plus méritants que les autres, davantage dignes d'investissement ?Il ne s'agit pas ici d'opposer les enfants les uns contre les autres mais de comprendre en quoi refuser la généralisation de ces "avantages" bénéficiant aujourd'hui au petit nombre revient à défendre un système inégalitaire. […] Le Premier Ministre a récemment choqué avec sa référence à l'apartheid territorial, il y aurait matière à réfléchir aux mécanismes permettant à la communauté éducative, sous couvert de collège unique, de séparer et d'organiser des microsociétés d'élèves, de même niveau scolaire et social, selon le choix des options.

Interpellation
Cette interpellation on la retrouve chez Véronique Soulé dans sa chronique du Café Pédagogique. Elle nous rappelle, elle aussi, quelques réalités qu’on a tendance à oublier dans le débat actuel : “A la rentrée 2014, on a compté 15,8% de fils d’ouvriers qui arrivaient avec du retard au collège alors qu’ils n’étaient que 3,4% de fils de cadres. A moins de considérer que les premiers sont nettement moins intelligents que les seconds, c’est choquant. Les choses ne s’arrangent guère avec le collège - que l’on veut justement réformer. Toujours à la rentrée 2014, les fils d’ouvriers étaient 28,2% à avoir du retard à leur entrée en troisième contre 10,2% des fils de cadres. Si l’on prend les enfants d’inactifs, on atteint 41% pour les garçons et 35% pour les filles. Et ça ne vous interpelle pas ? Dans la même veine, le ministère de l’Education estime que parmi les «décrocheurs» qui sortent sans diplôme du système scolaire et qui risquent d’être voués, ensuite, à la précarité, 34% ont un père ouvrier, 31% un père employé et moins de 10% un père cadre supérieur ou ayant une profession libérale. Ca ne vous interpelle pas ?
Dans l’argumentation des opposants à la réforme du collège on entend souvent « On casse ce qui marche ». Et bien non, ça ne marche pas si bien que ça... Ou en tout cas pas pour tout le monde...
Ces indispensables rappels sont à relier avec la remise de deux rapports ce mardi. Jean-Paul Delahaye, inspecteur général de l’éducation nationale, a remis son rapport « Grande pauvreté et réussite scolaire » une sorte de testament pour celui qui fut directeur général de l’enseignement scolaire du temps de Vincent Peillon, le bras droit de l’ex-ministre de l’éducation. Ce rapport arrive comme un rappel : c’est d’abord pour les élèves les plus fragiles, dont le nombre n’a cessé de croître avec la crise, que la « refondation » de l’école a été engagée. “L’échec scolaire des plus pauvres n’est pas un accident. Il est inhérent à un système qui a globalement conservé la structure et l’organisation adaptées à la mission qui lui a été assignée à l’origine : trier et sélectionner ”, relève M. Delahaye. Le même jour l'avis présenté par Mme Marie-Aleth Grard (ATD Quart Monde) "pour une école de la réussite pour tous" a été adopté au Conseil Économique social et environnemental. Ces deux rapports sont complémentaires et d’ailleurs une partie des auditions ont été menées conjointement.

Pour finir cette (encore trop longue) revue de presse, je me permets de (re)donner cette phrase extraite du livre Les enfants de Barbiana, Lettre à une maitresse d’école, Mercure de France, Paris, 1968. Cette phrase résonne pour moi comme une interpellation permanente et l’indignation qu’elle suscite est une des principales motivations de mon engagement militant : « L’enseignement ne connait qu’un seul problème, les élèves qu’il perd... Vous dites que vous avez recalé les crétins et les paresseux. C’est donc que vous prétendez que Dieu fait naitre les crétins et les paresseux chez les pauvres... »

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot
















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