dimanche, mai 24, 2015

Bloc-Notes de la semaine du 18 au 24 mai 2015





- Grève : combien ? – Pourquoi ? – Et après ? - Programmes – Journal lycéen - .



Le bloc notes revient sur une semaine agitée. Mardi, avait lieu la grève intersyndicale contre la réforme du collège. On évoquera la sempiternelle bataille de chiffres et surtout les enjeux de ce conflit. Mais la question majeure est surtout celle de la suite des évènements. La publication du décret au lendemain de la grève va t-elle être vue comme la fin d’une séquence ou au contraire une provocation ? Sans compter que les polémiques se poursuivent aussi sur les programmes.





Grève : combien ?
Alors, 27,61% ou 50% ?
La grève du mardi 19 mai a donné lieu à la traditionnelle bataille de chiffres sur la participation. Entre le ministère qui évalue la participation à 27,6 % et le SNES et les autres syndicats, qui parlent, eux, de plus de 50%, la marge est grande. Libération rassemble dans un même graphique près de 15 ans de manifestations enseignantes et qualifie cette dernière de “mobilisation dans la moyenne.
La polémique sur les chiffres est toujours la même. La méthode de comptage repose sur une remontée par les chefs d’établissement des constatations d’absence à la première heure de cours de la matinée. Autrement dit, si vous n’avez cours que l’après-midi, vous n’êtes pas compté dans ce premier chiffre communiqué vers 10h. Et si vous n’avez pas cours le mardi, tant pis (ou tant mieux, c’est selon...) : vous n’êtes pas gréviste... 
Si vous voulez en savoir plus sur cet aspect très technique, vous pouvez aller lire un article du chercheur Laurent Frajerman de l’institut de la FSU qui explique tout cela très bien et fait quelques propositions pour améliorer le système.
Quoi qu’il en soit, au soir de ce mardi 19 mai, les avis étaient mitigés. La mobilisation n’était pas aussi forte qu’annoncée. Et les initiateurs de la grève disaient “rester mobilisés et annonçaient une journée d’action le 4 juin prochain en soirée dans les collèges, sans grève ni manifestation. Les partisans de la réforme, quant à eux, pouvaient l’interpréter positivement et considérer que l’opinion des enseignants n’était pas aussi hostile que les dernières déclarations pouvaient le laisser penser. Mais, loin de tout triomphalisme mal venu, les raisons du conflit ne peuvent pas pour autant être négligées.

Pourquoi ?
On a suffisamment parlé dans les revues de presse et dans ce bloc-notes au cours de ces deux derniers mois des sources du conflit pour ne pas revenir trop longuement sur les raisons de la grève. Le communiqué commun appelant à la grève avait pour principal motif l’autonomie des établissements et “la multiplication des hiérarchies intermédiaires sous l’autorité du chef d’établissement ”. C’était là le dénominateur commun à tous les syndicats rassemblés. Mais on sait bien que selon les cas, d’autres motifs étaient évoqués : l’interdisciplinarité, la “perte” des heures disciplinaires, les “menaces” sur certains enseignements,…
On sait bien que les conflits sociaux sont des phénomènes complexes et que l’on ne fait pas grève pour une seule raison. Et souvent même pour des raisons implicites où le projet contesté sert de révélateur à un malaise plus profond. Interrogé par Le Monde, le chercheur André D. Robert expliquait que “ les profs font partie de cette gauche déçue par la politique du gouvernement.”Et il ajoutait :“Compte tenu de leur état d’esprit actuel, de leur réelle souffrance au travail, ainsi que de la crainte récurrente de la nouveauté dans le second degré, on peut peut-être tabler sur une mobilisation de 30 à 40 % d’entre eux. ”. Un article paru dans le JDD.fr nous donne des pistes concordantes. Intitulé “Je suis prof de français, plus jamais je ne voterai PS” il rassemble des témoignages d’enseignants recueillis en banlieue parisienne, les autres dans le Nord-Pas-de-Calais, en Rhône-Alpes, en Bretagne… Amertume, mépris ressenti, attaques contre leur identité professionnelle, craintes de perte d'heures et de menaces sur leur statut et leur liberté, refus plus global chez certains de la politique gouvernementale,... Au delà du projet de réforme lui même, les vraies raisons de la grève sont donc à chercher aussi dans un positionnement politique mais surtout dans un sentiment de déclassement et un certain malaise.
Et même si la mobilisation de mardi n’a pas été à la hauteur des annonces des syndicats qui appelaient à la grève, il est bien clair qu’on ne peut nier ce sentiment. Car il est un des verrous majeurs de la mise en œuvre réelle et effective de la réforme dans les établissements et dans les classes. Si l’on veut que les enseignants ne soient pas le problème mais une partie de la solution, il faut tenir compte de ce ressenti.

Et après ?
Mais le mercredi matin, on apprenait que le décret sur le collège venait de paraitre au Journal Officiel. Selon plusieurs sources, cette décision aurait été imposée à la Ministre par Manuel Valls qui s’étonnait que le décret n’ait pas encore été publié. Et en effet il y avait une certaine légitimité à publier le décret après le vote du CSE. Mais alors, juste après le CSE... Car s’il est donc abusif de dire que le gouvernement "passe en force", cette publication au lendemain de la grève pose problème, me semble t-il. À court terme, cela permet de se reconstruire une posture de fermeté en bombant le torse et en montrant que la volonté de réforme est forte (au passage cela serait mieux passé s'il n'y avait pas eu des reculades sur plein d'autres sujets...) 
. Mais à long terme, c'est oublier qu'une réforme quelle qu'elle soit, et a fortiori celle ci, suppose sinon l'adhésion du moins l'absence d'hostilité de la part des acteurs chargés de la faire vivre. Dans le cas présent, le risque est que cela soit vécu comme une provocation. Si on veut que la réforme résiste à la force d'inertie, il est indispensable de reconstruire la relation avec les syndicats et les enseignants.
Les réactions à cette annonce sont diverses. Les syndicats dénoncent en effet une provocation 
mais redoutent une politisation encore plus grande du débat. Le SNES réclame plutôt une renégociation qu’un retrait. . La droite 
s’est en effet emparée de ce dossier et cherche encore plus l’instrumentalisation de ce conflit avec en plus une concurrence entre Bruno Le Maire (très en pointe sur ce sujet) et Nicolas Sarkozy. À 
la gauche du PS, on s’inquiète des conséquences électorales d’une telle décision.
Pour la ministre, 
 (dont la popularité reste forte dans l’opinion) l’enjeu est de relancer la dynamique de la négociation mais sur les textes d’application. C’est d’ailleurs ce qu'elle a déclaré le mercredi 20 mai Il fallait publier ce décret pour passer à l’étape suivante, les textes d’application, qui permettront de répondre aux inquiétudes ”. A propos de l’autonomie elle a réaffirmé que “C’est bien l’ensemble de l’équipe pédagogique qui participera à définir ces enseignements en autonomie ”. “ Si vous ne publiez pas le décret, quand est-ce qu’on avance ? ”, a demandé la ministre, rappelant que la réforme doit entrer en vigueur à la rentrée 2016 et requiert des “ mois d’accompagnement et de formation ”des enseignants.
Et en effet, il faudra un fort accompagnement, dans les établissements, qui s’appuie sur la mutualisation des pratiques et la construction collective. C’est ce que dit, en substance, 
le Conseil National de l’Innovation et de la Réussite Éducative (CNIRÉ) dans un avis sur la réforme du Collège. C’est ce que dit aussi un 
communiqué du CRAP-Cahiers Pédagogiques .
L'avenir de la réforme du collège dépend de la levée d'un certain nombre d'inquiétudes mais surtout de la capacité à dépasser les postures, de part et d’autres ...

Programmes
Mais les polémiques sont loin d’être terminées. Et en particulier sur les programmes qui font l’objet d’une consultation nationale jusqu’à la mi-juin.
Le débat est toujours très vif en particulier sur les programmes d’histoire : Tribunes, émissions de télévision ,… Et toujours les mêmes excès et caricatures. Il l’est moins sur les autres disciplines mais des critiques commencent à poindre.
Deux acteurs de ce travail sur les programmes — Denis Paget, membre du Conseil Supérieur des Programmes et Patrick Rayou responsable de l’élaboration des programmes du cycle 4 (5ème, 4ème, 3ème) — signent une tribune dans Le Monde pour appeler à “un débat lucide sur les programmes ”. Ils estiment que les polémiques actuelles “révèlent la difficulté à admettre l'idée d'une culture scolaire commune, définie comme un « socle de connaissances, de compétences et de culture ». Or toute culture scolaire procède nécessairement d'une sélection drastique des savoirs et des compétences et ne peut se penser comme la simple addition de disciplines savantes. [...] Lire les projets de programmes en se limitant à la discipline dont on est spécialiste constitue pour toutes ces raisons un prisme nécessaire mais insuffisant pour juger de ce qu'il faut ou non enseigner et de la façon dont il faut le faire.” Et ils rappellent également que ces projets ne sont pas ceux des services du ministère mais ont été élaborés par des par des groupes composés d'universitaires, de membres des corps d'inspection, de formateurs d'enseignants et de professeurs en exercice. Ils concluent en invitant chacun à faire des critiques constructives sur ces programmes.
Une analyse et une critique constructive, c’est ce que propose le site des Cahiers Pédagogiques qui rassemble sur une page l’avis d’enseignants qui ont lu attentivement ces projets et proposent leurs analyses sur des programmes qui ne concernent pas que le collège mais aussi le Primaire. Le droit d’expression ne s’use que si on ne s’en sert pas !

Journal lycéen
Une transition plus ou moins habile pour parler de la presse lycéenne. Plusieurs enseignants du lycée Marcelin-Berthelot de Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne), ont décidé d’exercer leur droit de retrait, jeudi 21 mai, en soutien à l’un de leurs élèves. Rédacteur en chef de la « Mouette Bâillonnée », le journal lycéen de l’établissement, Louis, 17 ans, est depuis le mois de janvier sous le coup de menaces de mort. En cause, son choix, de publier un numéro spécial en hommage aux victimes des attentats de janvier.
Dès le lendemain de la diffusion de La Mouette, le lycéen était la cible de menaces anonymes. Dans la boîte aux lettres du journal, il découvre une enveloppe contenant la « une » du journal, sur laquelle ont été agrafés une croix gammée, un cercueil et une menace de mort. Aussitôt, le lycéen dépose une plainte au commissariat de Saint-Maur, qui ouvre alors une enquête. Au total, Louis a reçu sept menaces de mort depuis janvier, dont deux comportant une ou plusieurs balles.
Reçus au rectorat de Créteil, ses professeurs ont demandé « la protection de l’élève » ainsi que de faire passer « un message fort » à l’auteur ou aux auteurs des menaces.
Depuis cette médiatisation, l’affaire a pris une autre dimension. Les pouvoirs publics, jusque là relativement discrets, ont pris la mesure de l’affaire et les soutiens s’expriment de toutes parts.
Etant très attaché au droit d’expression et ayant animé pendant de nombreuses années un journal lycéen, je dis toute ma solidarité à Louis et à tous ceux qui font vivre cette indispensable presse lycéenne. “Faire vivre les valeurs de la République”, c’est aussi cela...

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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