- Manif- Mobilisation - Programmes – Comment en est on arrivé là ? - Et après ? -
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Le bloc notes revient surtout sur cette fin de semaine avec la manifestation des anti-réforme du collège qui a donné lieu à une forte mobilisation en amont et le vote négatif du CSE contre les programmes. Comment en est-on arrivé là ? Quelles seront les suites ? Ce sont les questions que nous nous poserons.
Manif
Samedi 10 octobre était le jour prévu pour la manifestation nationale des opposants à la réforme du collège 2016. D’après les premières informations et les éternelles querelles de chiffres, le cortège national rassemblerait 8300 personnes selon la police et 15 à 20 000 selon les organisateurs.
Venus de toute la France à l’appel de l’intersyndicale, la manifestation réunit un assemblage hétéroclite tant au niveau syndical que politique. Voici ce que décrit Caroline Beyer dans Le Figaro : “Le SNALC souvent classé à droite battra le pavé samedi après-midi, aux côtés du Snes, syndicat majoritaire du second degré, de FO, SUD et la CGT. […] Aux côtés des professeurs, le cortège de ce 10 octobre comptera des associations, de la Société des agrégés à l'association des professeurs d'allemand (Adeaf), menacés par la suppression des classes bilangues, en passant par les défenseurs des langues anciennes. […] Seront aussi présents l'UNI, syndicat étudiant de droite, et le Parti de gauche, fondé par Jean-Luc Mélenchon. Enfin, sont attendus les parents d'élèves. Et si les grandes fédérations, à droite comme à gauche, n'appellent pas à défiler, certaines sections locales ne l'entendent pas ainsi. L'antenne marseillaise de la FCPE, grand soutien de la ministre au niveau national, sera présente.” A cette liste déjà longue il faut rajouter que “Debout la France”, (avec JP Brighelli comme délégué à l’éducation) manifestait également. On aura donc eu Nicolas Dupont Aignan et Pierre Laurent physiquement présents dans le même cortège, ce qui est assez inédit...
Dans L’Obs Caroline Brizard cite Frédérique Rolet, co-secrétaire générale du SNES-FSU qui se fixe un objectif astucieusement prudent pour cette journée rassemblant des manifestants de toute la France : “Si nous sommes 10.000 dans la rue, je serai contente ”. Si c’est le chiffre (symbolique) de 16 000 manifestants martelé par les organisateurs dans les réseaux sociaux qui s’impose, le SNES aura alors des raisons d’être satisfait après des grèves qui avaient été, quant à elles, bien modestes. Même si le nombre masque une hétérogénéité importante tant au niveau des soutiens que des revendications .
Mobilisation
Dans les jours qui ont précédé cette manifestation, la mobilisation a été intense. Et pas toujours avec subtilité.
Première forme de mobilisation : les tribunes. Le samedi 4 octobre dernier, le JDD.fr publie une tribune intitulée “Une réforme du collège? Non, une contre-réforme”. Signé essentiellement par des universitaires latinistes et des hellénistes, le texte fustige l’“égalitarisme” et l’ “évaporation des disciplines”. On peut citer aussi dans le même sens une interview de Charles Coutel dans Le Figaro qui considère qu’avec la réforme du Collège “«L'égalité d'accès aux savoirs est bafouée» ”. On peut évoquer aussi un billet du président de la FCPE 13 dans L’Express à contre courant de sa fédération qui estime quant à lui que la réforme menace la mixité sociale. L’Humanité n’est pas en reste avec le portrait d’une collègue qui enseigne le français et le latin dans un établissement de l’Eure et qui expose les raisons pour lesquelles elle sera dans la manifestation ce samedi. Face à ces nombreux textes, on trouvera un point de vue favorable dans L’Obs et une tribune parue elle aussi dans le JDD.fr signée par le chercheur Philippe Meirieu, spécialiste des Sciences de l’Education, Liliana Moyano, présidente de l’association des parents d’élèves FCPE, les syndicalistes Christian Chevalier (SE-Unsa) et Frédéric Sève (Sgen-Cfdt) mais aussi Marie-Claude Cortial, présidente d’Education & Devenir et enfin Philippe Watrelot, président du Crap-Cahiers Pédagogiques (pour une semaine encore...). Ils disent vouloir “saluer la réforme du collège”. “Il y a, disent-ils, en effet, un vrai courage politique à s'attaquer ainsi à un angle mort des politiques scolaires. Institué en 1975, le "collège unique" a contribué à la massification scolaire mais n'a pas tenu ses promesses de démocratisation. ”Tous insistent aussi sur la formation continue, rappelant que "l’interdisciplinarité, comme l’approche éducative globale, ne se décrètent pas d’en haut". Et soulignent la place à accorder aux parents, "acteurs essentiels de la réforme".
Il n’y pas eu que des tribunes dans la presse. On a vu aussi des manœuvres moins subtiles. Ainsi, une intervention de Florence Robine devant les personnels de direction de l’académie de Rouen a été largement utilisée par les opposants à la réforme du Collège. On trouve un storify de cette rencontre avec des extraits soigneusement choisis ainsi qu’un compte-rendu écrit mais surtout une vidéo (je vous donne le lien vers la version longue) dont le montage qui circule sur les réseaux sociaux à l’initiative d’un syndicat est tel que le petit texte de présentation concède que ce sont des “morceaux choisis, avec malice sans doute, d'une présentation de #college2016 à Caen ”. On utilise donc des propos sortis de leur contexte pour laisser penser que F. Robine considère que “pour apprendre on a pas forcément besoin des enseignants”. Et on va évidemment crier au mépris ressenti et surjouer l’indignation.
C’est aussi ce qui se passe avec l’initiative malheureuse de l’académie de Toulouse qui selon l’AEF organiserait un pré-repérage des établissements défavorables à la réforme du collège où la mise en place des formations à la réforme s’annonce « complexe ». Ce qui, immanquablement, conduit, certains dans le climat actuel à parler alors de “flicage” et de “fichage” des enseignants.
Le climat est donc très tendu et les clivages semblent profonds. On a pu le vérifier aussi avec ce qui s’est joué mercredi et jeudi dernier.
Programmes
Les nouveaux programmes ont, en effet, été rejetés par le Conseil Supérieur de l’Éducation après deux jours de travaux. Ces textes ont recueilli 18 voix pour, 21 contre et 12 abstentions a indiqué le ministère, précisant qu’étaient représentés 51 membres sur 97 au moment du vote. Ont notamment voté "Contre" les syndicats d’enseignants SNES-FSU, FO, SNEP, CGT et SNALC. Les syndicats SE-Unsa, Sgen-CFDT, SNIA-IPR, SNPDEN ainsi que les fédérations de parents d’élèves PEEP et APEL (privé) ont voté "Pour" tandis que le SNUipp-FSU, la fédération de parents FCPE et les organisations d’étudiants Unef et Fage se sont abstenus. Le ministère s’est empressé de rappeler que les précédents programmes de 2008 avaient été rejetés par 38 voix contre, 9 pour et 3 abstentions.
Évidemment il faut rappeler que ce n'est qu'un vote indicatif. La ministre peut passer outre (ce ne serait pas la 1ère fois) et c'est ce qu'elle fera certainement. Mais cela va compliquer la communication et surtout la mise en œuvre. Alors même que le cabinet annonçait vouloir "rassurer, rassembler, apaiser" après le marathon des réformes.
Comment en est-on arrivé là ?
Comment en est-on arrivé là ? La question mérite d’être posée si on veut ensuite tenter de sortir de la situation par le haut et dépasser les blocages.
Un article du JDD.fr rappelle que si la réforme dérange c’est parce qu’elle remet en cause des horaires disciplinaires (et donc des conditions de travail) établies depuis longtemps et notamment pour les enseignants de langues et de lettres classiques. Il évoque aussi les enseignement interdisciplinaires qui “font particulièrement tiquer une partie des syndicats, dans un pays où le corps professoral se distingue par un attachement très fort à un professeur et/ou une discipline, même si ce type d'enseignement est pratiqué (de manière ponctuelle) dans nombre d'établissements. ”. Enfin, il y a aussi la crainte d’une autonomie des établissements qui se fasse au détriment d’une supposée égalité républicaine.
Il y aussi certainement un effet de masse avec la conjonction de la réforme sur les quatre niveaux du collège et des programmes sur l’ensemble des cycles. Cela peut sinon angoisser du moins inquiéter... Cela donne l’impression d’une certaine urgence. Une urgence réelle dans la mesure où 2017 approche...
Si l’on revient un peu en arrière à l’échelle du quinquennat, on a perdu un an dès 2012 à cause des craintes de Jean Marc Ayrault qui a imposé une grande concertation à Vincent Peillon alors que beaucoup de travail avait été fait en amont de la présidentielle et qu'on pouvait bénéficier d'un "état de grâce"... On a aussi perdu du temps avec la discussion sur le projet de loi sur la refondation. Dans les calendrier initiaux, elle devait être votée en décembre 2012 elle ne le sera qu’en juillet 2013. On a aussi perdu beaucoup d'énergie avec la réforme des rythmes proposée en premier parce qu'on pensait que tout le monde était d'accord après la concertation lancée par Chatel. Elle a été marquée par la frilosité de l'exécutif (Premier Ministre et Président de la République) et est rentrée en collision avec les municipales. Et du coup on a pas consacré le temps et l'énergie pour les autres réformes qu'il aurait fallu lancer bien plus tôt et auxquelles il aurait fallu accorder bien plus de soin et d'attention...
Mais plus globalement, il faut tenir compte d’une situation qui remonte à bien plus loin et qui est, d’une certaine façon, aussi le produit du quinquennat précédent. Il s’agit d’un sentiment général de déclassement social qui se trouve confirmé par toutes les études sur les salaires des enseignants. Cela se combine avec l’impression que le métier se dégrade malgré la promesse des (re)créations de postes. Dans ces conditions il est difficile d’être favorable à un changement et cela conduit plutôt à une crispation. Même si beaucoup savent et ressentent que le système éducatif va mal et pourrait être amélioré.
Enfin, les positions de chacun vis-à-vis de la réforme ne tiennent pas forcément à la réforme elle-même mais peut-être davantage à la position politique que chacun peut avoir vis-à-vis du gouvernement.... Pour certains, toutes les réformes venant de ce gouvernement sont mauvaises et ils ne considèrent pas le champ de l’éducation indépendamment de l’ensemble de la politique gouvernementale.
Et après ?
La situation devient complexe pour le gouvernement alors que se profilent les élections régionales et un risque de défaite. La manifestation va t-elle faire évoluer la ministre ? Que va t-il se passer ? La ministre n'a pour l'instant pas évoqué d'éventuel retrait du texte même après les trois journées de grève en mai, juin et septembre : "La réforme a été adoptée et elle s'appliquera." Mais les syndicats hostiles répètent qu'elle ne pourra pas être appliquée dans les faits si les profs refusent de suivre les directives, une fois dans leur classe. On évoquait la semaine dernière les pressions de certains collègues sur les enseignants qui acceptaient de devenir enseignants référents pour la réforme du collège. Il y a de nombreux refus pour les formations liées à la réforme du collège, et en particulier celles organisées pendant les vacances de la Toussaint, les 19 et 20 octobre pour la plupart des académies. Le Snes-FSU a même appelé, dans plusieurs académies, les enseignants à boycotter ces formations.
L’accompagnement des collèges risque d’être complexe dans cette situation de guérilla et d’obstruction. Et le Ministère, les services rectoraux et certains chefs d’établissement n’arrangent pas les choses en proposant une approche très restrictive du temps de stage et une conception descendante de la formation.
Dans la tribune parue dans le JDD.fr que j'ai co-signée et que nous évoquions plus haut, il est rappelé que “la formation continue doit tenir les promesses attendues par les équipes pédagogiques en partant de leurs besoins, de leur histoire, de leurs projets et en leur permettant d’inventer les moyens pour atteindre les objectifs nationaux. Il faut leur faire confiance et leur laisser du temps pour qu'elles puissent fixer des priorités de mise en œuvre, pour qu'elles puissent mettre en place des outils pertinents de suivi des acquis que les élèves et les parents puissent s'approprier ”.
Faute d'effort côté formation, le ministère se donne presque les moyens de rater sa réforme. Face au conservatisme et au cynisme ambiant, l’enjeu est pourtant énorme.
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
4 commentaires:
<< Face au conservatisme et au cynisme ambiant, l’enjeu est pourtant énorme.>> L'enjeu, c'est rien, le néant, une absence de réforme, finalement, de ce point faible où tout le monde souffre, le collège. Et ensuite, la droite, dure… théorisant l'échec sociale et l'échec scolaire, pour la sélection… J'ai la nette impression d'assister à un suicide collectif, dans le cynisme, le conservatisme le plus puissant, tu le dis remarquablement bien.
Pourquoi ne serait pas possible de se mobiliser pour des expériences positives, avec du sens pour l'avenir de la société, pour le construire ensemble plutôt que de se référer à de vieilles lunes mortiferes, plutôt que de s'accrocher à des statu quo désespérants, plutôt que de refuser le pari de la jeunesse et de l'intelligence ?
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Monsieur, je voudrais bien croire que tous les partisans et les artisans de cette réforme sont de bonne foi, et à vrai dire je le crains, mais quand je lis cette phrase dans votre texte : "Enfin, il y a aussi la crainte d’une autonomie des établissements qui se fasse au détriment d’une supposée égalité républicaine", je suis forcé de réviser mon opinion. Que voulez-vous dire par "supposée égalité" ? Qu'il s'agit d'une fiction ? D'un mythe entretenu par des nostalgiques d'un âge d'or qui n'a jamais existé ? Voyez-vous, ce qui est fatiguant dans ce débat sur l'école qui ne sait jamais se renouveler et où chacun s'affronte à coups de slogans, de postures et de caricatures, c'est qu'il créé un contexte permanent de tension qui empêche tous les acteurs de tirer profit des arguments et des expériences de leur supposé adversaire, et qui favorise finalement la généralisation de la médiocrité. Au point que j'hésite même à vous adresser ces lignes de peur d'être également caricaturé. Je le fais pourtant, car je ne peux pas laisser passer votre habile tournure concernant la "supposée égalité républicaine" qui serait, fictivement selon vous, remise en cause par l'autonomie des établissements. Je ne peux pas laisser cela sans réponse car vous semblez dénier ici la réalité. Tout d'abord, l'égalité républicaine est proclamée : elle est de droit, non de fait. La qualifier comme vous le faites de "supposée" suggère qu'elle n'est pas effective ; mais elle ne l'est pas davantage que tout droit, dont le concept n'implique pas qu'il soit effectif pour être un droit, ni qu'il ne soit pas réalisé pour cesser d'être un droit. Je ne développe pas davantage ce point et suppose que vous me l'accordez. D'autre part, il ne faut pas confondre l'égalité avec l'uniformité : que tous les élèves bénéficient d'un égal accès à l'instruction ne signifie pas que les programmes doivent entraver la liberté pédagogique en vue de s'assurer de manière obsessionnelle que tous les élèves reçoivent exactement le même enseignement. Nous devons au contraire nous réjouir que cela ne soit pas le cas, que ce soit pour le meilleur ou hélas parfois pour le pire. Mais cela ne remet pas en cause le principe d'égalité : tous les élèves doivent jouir d'un accès égal à l'instruction et à la plus haute culture. Or si l'autonomie des établissements peut s'accorder avec ce principe d'égalité concernant les modalités qui permettent d'adapter des exigences élevées à des contextes et des publics différents (il serait sot de nier que c'est nécessaire), dans les faits, l'autonomie conduit à supprimer l'égalité entre les élèves et à les soumettre aux particularités de leur lieu de résidence, ne serait-ce qu'en les privant ici du même horaire que là, ou en les privant ici des mêmes contenus que là. [...]
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[...] J'en fais moi-même l'expérience à mon niveau d'enseignement (celui des classes terminales de lycée, puisque j'y enseigne la philosophie) : les élèves (alors qu'ils sont soumis au même examen anonyme) ne bénéficient pas selon les établissements où ils sont scolarisés du même horaire, et l'autonomie des établissements qui est en réalité l'autonomie des chefs d'établissements conduit même dans certains cas à les priver de l'horaire réglementaire, ce contre quoi il est difficile de lutter eu égard aux pouvoirs exorbitants dont jouissent dorénavant les chefs d'établissement, couverts dans tous leurs actes par une puissante hiérarchie qui, sauf exception, prend par principe leur parti. Alors, quand vous suggérez que l'autonomie des établissements ne nuit pas à l'égalité républicaine dont vous insinuez à cet effet qu'elle est fictive, vous ne commettez rien de plus qu'une pétition de principe, et accessoirement un déni de la réalité. J'aimerais savoir comment dans ces conditions vous pensez pouvoir déplorer les polémiques et les affrontements stériles, et souhaiterais que vous reconnaissiez la part de chacun, dont la vôtre, dans cette impossibilité de dialoguer que mon ami Denis Kambouchner a également et éloquemment déploré mais dans un autre but que celui d'entretenir l'impasse, à savoir justement celui d'en sortir. Cordialement.
René Chiche, professeur de philosophie
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