2017 approche... et avec elle vient le temps des bilans. François Hollande avait fait de la jeunesse et de l’éducation une des priorités de son quinquennat. Il est donc légitime de se livrer à un bilan de la refondation de l’École. Si on reprend l’expression utilisée par François Hollande lors de l’émission télévisée « Dialogues Citoyens », jeudi 14 avril : est-ce que pour l’Éducation “ça va mieux” ?
Nul doute que dans les semaines et
les mois qui viennent de nombreux commentateurs se livreront à cet exercice éminemment
politique du bilan. A commencer par la ministre elle-même. En effet, les 2 et 3
mai prochain, sont prévues des “journées de la refondation” qui se tiendront au
Palais Brongniart à Paris. Présence des trois ministres successifs, public choisi, interventions bien cadrées, même si
le pire n’est jamais sûr on peut craindre que ce bilan soit vu comme une
opération de com’…
Pourtant confronter les bilans est réellement
nécessaire. Je m’y risque. Il sera évidemment partiel (et partial !). On y
retrouvera mes obsessions et mes convictions déjà exprimées à plusieurs
reprises sur mon blog et dans mes interventions médiatiques. C’est la vision
d’un militant pédagogique qui a vu tout cela d’assez près avant de prendre du
recul mais qui reste engagé et vigilant.
Comme ce texte est un peu long je
vous propose un découpage en trois épisodes (sur trois jours). Premier épisode :
à la recherche du slogan perdu...
La mémoire courte
Avant de faire le bilan de la refondation et du quinquennat, il faut
peut être remonter plus loin encore. Il faut en effet rappeler (pour ne pas avoir la mémoire courte) le bilan de la présidence Sarkozy et de ses ministres de l’éducation
Xavier Darcos et Luc Chatel. Suppressions de 80 000
postes, des Rased, de l’accueil des moins de 3 ans, de la formation en
alternance des enseignants, baisse de la dépense intérieure d’éducation, passage
à la semaine de quatre jours ou encore fragilisation de la carte scolaire…
Il faut rappeler que la suppression des RASED et le passage à la semaine
de quatre jours relevaient de la même logique budgétaire. En réduisant le temps
de travail des élèves mais pas des enseignants, l’objectif était de faire
basculer les deux heures ainsi libérées vers de l’aide et ainsi dans une sorte
de billard à trois bandes de se débarrasser des RASED (qui avaient pourtant une
fonction d’aide bien spécifique et qui demandait une réelle expertise). À
l’époque, combien de personnes dans les rues pour défiler contre la semaine de
quatre jours ?
Même s’il y avait un fondement idéologique, c’est aussi une logique
budgétaire qui avait présidé à la “réforme” de 2010 ayant abouti à la
suppression du mi-temps pour les enseignants stagiaires. Il s’agissait
d’économiser précisément 9 567 équivalents temps plein en obligeant les
enseignants débutants à travailler à temps plein. Je me souviens encore de la
rentrée 2010 et des ravages de ces nouveaux enseignants “jetés
comme des frites dans l’huile bouillante” pour reprendre une expression de Xavier Darcos lui-même. À l’époque,
combien de personnes dans les rues pour défiler contre la quasi suppression de
la formation ?
On pourrait rajouter également à cette évocation du passé l’élaboration
des programmes du primaire de 2008. Des programmes dont on ne connait toujours
pas les auteurs, fabriqué dans le secret des cabinets ministériels et qui
remplaçaient les programmes de 2002 qui avaient recueillis quant à eux, un
large accord. Là aussi, peu de protestations à part celles des “désobéisseurs”.
Pour clore ce voyage dans un passé pas si lointain, il faut aussi
rappeler que peu de temps après la mise en place de la semaine de quatre jours (en
2008) le gouvernement s’est rendu compte que cela posait un problème de rythmes
scolaires. Une conférence nationale sur les rythmes scolaires désignée par Luc
Chatel en 2010 remettait le 4 juillet 2011 un rapport d’orientation qui faisait l’unanimité. Tout le
monde (syndicats, partis, partenaires...) était d’accord pour revenir à 5
matinées. Mais devant la proximité de l’élection présidentielle, le ministre
s’est empressé... de ne rien faire et de refiler le bébé à son successeur.
Retards à l’allumage
La loi de refondation de l’École a été publiée au Journal Officiel le 8 juillet 2013 après un vote définitif le 25 juin 2013. Soit plus d’un an après l’élection
de François Hollande.
J’ai à plusieurs reprises dans mes chroniques, montré qu’on avait au moins perdu un an et demi dans la mise en œuvre de
la réforme aussi bien pour la loi, initialement prévue pour décembre 2012 que
pour le travail sur les programmes.
Deux éléments ont plombé le début de la refondation. Alors que Vincent
Peillon avait préparé cette partie
du programme avec les syndicats avant même l’élection, “on” (JM Ayrault ?)
lui a imposé une concertation pendant l’été puis ensuite une nouvelle phase de
discussion avec les syndicats.
Et puis il y a surtout l’idée de commencer par la réforme des rythmes
(qui n’est pas dans la refondation). Comme on l’a vu plus haut, le terrain
était pourtant bien balisé. Il y avait en 2011 une forme d’unanimité qui
pouvait faire espérer une issue rapide à ce dossier. Dans une interview
au Nouvel Obs, Christian Forestier ancien recteur et coprésident du comité de
pilotage de la Conférence nationale sur les rythmes scolaires parle à propos de
cette querelle des rythmes d’un “ concentré de mauvaise foi et d’hypocrisie ”
et rappelle qu’il y avait un accord total des différents acteurs sur la
nécessité de revenir à une semaine de 4,5 jours et de repenser d’ailleurs
l’ensemble du rythme scolaire. Y compris chez les maires de droite et chez les
représentants syndicaux…
À la place on s’est embourbé dans des revendications qui exprimaient
surtout le malaise des enseignants du primaire et une résistance à changer de
nouveau sans voir leur situation financière s’améliorer.
Car à côté de ces problèmes de calendrier, on peut aussi évoquer paradoxalement
la promesse des 60.000 postes comme une des “erreurs” ou en tout cas un
handicap de la refondation. En promettant, presque par surprise, ces
(re)créations de postes, François Hollande a pu faire revenir vers son
électorat des enseignants qui avaient pris de la distance. Mais en annonçant un
tel chiffre, il se créait aussi une contrainte forte sur le plan budgétaire.
Pour le dire autrement, dans le contexte du moment après cette annonce il n’y
avait plus rien à “dealer”, plus de marge de manœuvre et en particulier en
termes d’augmentation de salaires. Or, comment motiver des enseignants
(notamment du primaire) durement éprouvés par les années Sarkozy et qui
ressentent très vivement un fort
sentiment de déclassement ?
Il est toujours facile de "refaire le match” et de pointer les
erreurs de tel ou tel, après coup. On peut admettre cependant qu'il y a eu une
erreur d'appréciation des difficultés concrètes de mise en œuvre et de prise en
compte notamment du malaise enseignant dans ce début de quinquennat. Et, de
manière systémique, cela a impacté tout le reste de la dynamique de la
refondation. La réforme des rythmes a mobilisé une grande partie de l’énergie
du ministère ce qui a eu un effet désastreux sur d’autres aspects qui aurait
requis plus de vigilance comme la reconstruction de la formation ou la mise en
œuvre de la réforme des programmes. Lorsqu’elle a pris un tour politique, elle
a engendré les premières reculades et donc un signal de faiblesse. Elle a aussi
causé la perte de Vincent Peillon et son remplacement par Benoit Hamon avant
que celui-ci ne soit lui aussi remplacé par Najat Vallaud Belkacem. Beaucoup de
temps et d’énergie perdus et des ambitions revues à la baisse...
De la refondation aux “réformes”
Le comité de suivi chargé d'évaluer l'application de la loi Peillon de
2013 (présidé par le député Yves Durand) rendait son rapport annuel au Parlement le mercredi 13 janvier 2016. “Le
problème majeur, soulignait le
rapport, est
l'insuffisance de l'appropriation de la cohérence de la loi par les
enseignants, par l'affadissement et la parcellisation de son application. De
plus, le fait que la mise en œuvre des nouveaux programmes n'arrive que trois
ans après la promulgation de la loi nuit à sa portée. ”
Je partage cette analyse, je l’ai déjà écrit, il a manqué un slogan à la
refondation. La loi d’orientation de 89 est souvent résumée par l’expression
“l’élève au centre” (alors même que cette expression n’y figure pas). La loi
d’orientation de 2005 est, quant à elle, associée à la notion de “socle
commun”. Et pour la loi de 2013…?
Les finalités ont été diluées par la réforme des rythmes (qui ne relevait
pas de la loi) et par des créations de postes en grande partie absorbées par
une forte démographie non anticipée et sont "peu visibles pour les
enseignants comme dans l'opinion".
On n’a pas assez insisté, à mon avis, sur la nécessité de lutter contre
les inégalités et de combler le fossé qui existe avec les élèves des milieux
populaires les plus en difficulté. “On a démocratisé l’accès à l’école sans démocratiser la réussite dans
l’école.” nous
rappelait Philippe Meirieu dans une interview au Monde (le 24 janvier 2015).
Les résultats de PISA à la fin de l’année 2013 n’ont pas créé le choc
suffisant.
Un slogan pour l'École ? |
Vincent Peillon était pourtant un
ministre à la parole souvent lyrique qui avait trouvé cette formule habile et
ambitieuse de la “Refondation”. “Refonder” ce n’est pas réformer, c’est à la
fois plus et mieux que cela. Mais dans quel but ? Dans les discours qu’il
a pu faire, il évoquait la volonté de dépasser le clivage
« Pédagogues/Républicains » et de reconstruire une École qui intègre
et donne sa chance à tous. Mais cette volonté s’est perdue assez vite dans les
sables des compromis et des concessions. Et la refondation s’est alors transformée
en une succession de réformes sans vision globale.
On a vu cependant une tentative de
redonner du sens avec les suites des attentats de janvier 2015. Le jeudi 22 janvier , Najat Vallaud
Belkacem, du perron de Matignon, annonçait “Onze mesures pour une grande mobilisation de l'École pour les valeurs de
la République”.
On y trouvait aussi bien la volonté très 3ème
République de “Renforcer la transmission des valeurs de la République”
et de “Rétablir l’autorité des maîtres et les rites républicains” que
des mesures plus éducatives et pédagogiques comme la création d’un “parcours
citoyen” de l’école primaire à la Terminale ou la nécessité de renforcer le
lien avec les parents ou encore la lutte contre le décrochage. Mais la mesure
la plus intéressante est la mesure 8 “renforcer les actions contre les déterminismes
sociaux et territoriaux” qui veut réformer la carte scolaire. Elle
rejoignait des déclarations de Manuel Valls quelques jours plus tôt qui
fustigeait avec des mots très forts l’ “apartheid social”. Cette mesure
donnera lieu quelques mois plus tard à une expérimentation de réforme de la
carte scolaire qui reste pour l’instant bien modeste.
Pour être tout à fait complet sur
cette question des finalités de la refondation, il faut cependant citer cette interview surprenante par sa
radicalité et sa franchise de Najat Vallaud-Belkacem pour Le Point le 20 avril 2015 : “Tout le monde est d'accord pour déplorer les faibles résultats et
les inégalités qui se creusent au collège. Mais lorsqu'il s'agit d'offrir à
tous les collégiens les mêmes perspectives de réussite et donc de tirer tout le
monde vers le haut et pas seulement quelques-uns, on nous parle
systématiquement de "nivellement par le bas". Alors, oui, ces débats
le confirment une fois de plus : il y a bien une différence essentielle entre
les progressistes et les conservateurs. Les premiers combattent les inégalités
quand les seconds en théorisent la nécessité. Ce qui me guide, moi, c'est le
souci de démocratisation de la réussite. Je ne me satisfais pas qu'un élève sur
quatre ne maîtrise pas les compétences attendues en français à la fin du
collège. Je ne me satisfais pas que la corrélation entre le milieu
socio-économique et la performance des élèves soit bien plus marquée chez nous
que dans la plupart des autres pays de l'OCDE. [...] Ce qui est frappant, c'est
que ce débat sérieux et profond - élitisme dynastique versus élitisme républicain
qui suppose qu'on rebatte vraiment les cartes en offrant de mêmes chances de
réussite à chacun - n'est jamais mené de façon franche, en tombant les masques.
Les défenseurs d'un système inégalitaire et de reproduction sociale ne vous le
diront jamais frontalement, sans doute parce qu'ils perçoivent ce que leur
position peut avoir d'intenable dans un pays amoureux d'égalité. Alors, ils
recourent à une stratégie désormais bien rodée : multiplier les contre-vérités
pour embrouiller les esprits et faire douter de la réforme. Il suffit de la
lire pour dégonfler leurs accusations, mais ils savent pouvoir compter sur le
fait que peu prennent malheureusement le temps de le faire.”
Pourquoi ça bloque ?
Cette déclaration est intéressante parce qu’elle montre que les
objectifs de justice sociale ne sont pas oubliés par la Ministre. Mais on y
voit aussi les limites des discours incantatoires car comme elle le reconnait
elle même personne ne dira jamais frontalement qu’il est pour la défense d’un
système inégalitaire. Tout le monde est évidemment pour l’égalité (du moins
dans les idées) et même les syndicats les plus conservateurs mettront en avant
des valeurs de justice, d’égalité des chances, de méritocratie...
J’ai
souvent dit et écrit que le mot de réforme est un mot piégé car,
implicitement, il induit que tout
ce qui précédait est bon à mettre “à la réforme”. Dans un métier qui est vécu
bien (trop) souvent sur le mode de l’intime, et où il est de fait difficile de
dissocier le geste professionnel et la personne, la critique du système
éducatif est vécue par certains comme une remise en cause personnelle. On l’a vu
encore récemment avec le débat sur la réforme du Collège où beaucoup ne voient
pas en quoi il faudrait faire évoluer un système où chacun a le sentiment de
bien faire son travail.
Comment remettre en cause un système qui vous a fait réussir ?
Cette difficulté on la trouve aussi chez les cadres intermédiaires de l’Éducation
Nationale. Il y a là aussi une force d’inertie qui conduit à reproduire l’existant
plutôt que d’innover. Les enjeux de pouvoir et les querelles de territoire sont forts dans
un système qui reste essentiellement bureaucratique. Ce système génère ses
effets pervers : force d’inertie, faible adaptabilité aux situations locales,
lourdeur des contrôles… Il contribue aussi à l’infantilisation et la
déresponsabilisation des acteurs … La question de la gouvernance est un des
angles morts de la refondation.
Parler de refondation était
habile de la part de Vincent Peillon car cela permettait de contourner
cette difficulté et même d’offrir par ce vocabulaire lyrique une synthèse
susceptible de plaire à la fois aux pédagogues qui veulent faire évoluer
l’école et aux “républicains”. Mais l’effet pervers de l’usage d’un tel mot
c’est de créer une attente forte (“refonder” ce n’est pas rien…) et de
s’exposer à la critique devant la modestie des mesures mises en œuvre. C’est
peut-être aussi ce qui est en train de se passer. Ce n’est pas par hasard si aujourd’hui
on parle plus d’une succession de “réformes” plutôt que de “refondation”...
C’est la preuve qu’avec le temps les ambitions de départ ont été
confrontées aux compromis et aux renoncements et qu’on manque d’une visibilité
d’ensemble. On est toujours à la recherche du slogan perdu...
Rappel de la série de trois billets :
1 commentaire:
Bonjour,
j'étais enseignant en éducation prioritaire et depuis 2012 je suis chargé de mission académique pour l'éducation prioritaire. J'ai suivi de très près les débats autour de la loi de refondation puis ceux ceux sur les rythmes, la refondation de l'EP, le socle, les programmes, la réforme du collège et après une lecture très attentive je trouve l'ensemble très cohérent et pour moi le "slogan" est évident : "TOUS PEUVENT RÉUSSIR"
Pascal Sientzoff
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