Je propose dans ce court billet quelques réflexions sur ces
deux journées de la refondation de l’École (2 et 3 mai 2016) auxquelles j’ai
assisté en partie. Une évocation de ce que j’y ai ressenti et une réflexion sur
la réception de cet évènement dans les médias et dans l’opinion.
“Professionnels de la profession”
Ce lundi matin 3 mai, en me préparant pour aller au lycée,
j’ai mis une cravate dans ma poche...
Puis je suis allé au lycée faire cours (de SES) à mes élèves
de Terminale de 8h30 à 10h30. Il ne reste plus qu’une trentaine d’heures pour
finir le programme et donc chaque heure compte !
Un article
du Monde parle dans son chapô de présentation d'une opération séduction “en
direction des enseignants”. Ce n’est pas tout à fait exact. Tout simplement
parce que des enseignants au palais Brongniart, il n'y en avait pas... Ou très
peu. Car ce lundi, quand je suis
arrivé à la pause du matin, la
vision de toutes ces personnes qui prenaient un café ou discutaient dans le
grand hall de la Bourse m’a rappelé en effet les souvenirs de la concertation
de la refondation. On y retrouvait les mêmes membres de la technostructure de
l’Éducation Nationale, parlementaires, élus locaux, chercheurs, responsables
syndicaux ou associatifs... On était donc entre “Professionnels de la
profession” (comme aurait dit Godard). Et peut-être que c'était cela finalement
l'objectif premier de cet évènement : confronter ces personnes aux résultats de
ce processus dont ils avaient été partie prenante.
Hé ho les profs ? où étiez vous ? Ben, pas invités et dans les
classes... Surtout en ce jour de reprise de la zone C. On peut aussi déplorer la
faible place des associations, syndicats et mouvements pédagogiques dans les
tables rondes. Et ne parlons pas des parents et des élèves...
Symboliquement (et donc en termes de communication), cette
très faible représentation des enseignants pose problème. Car, il aurait été
bon de ne pas laisser qu'aux prescripteurs et aux cadres chargés d’appliquer
cette refondation, l'exclusivité d'en parler durant cet évènement ! Et cela ne
fait que renforcer aussi l’image d’une structure bureaucratique avec pour
résultante une sorte de méfiance réciproque entre l’administration de
l’Éducation Nationale et les enseignants eux mêmes.
Point d’étape ou coup
de com’?
Les journées sur les réformes dans l’Education: point
d’étape ou coup de com? titre
l’AFP (et Libération) . La réponse est : les deux !
C’est bien une
opération de communication assumée très clairement par Hollande dans son
intervention du lundi soir (qu’on
peut revoir ici). Il l’évoque à la fin en conclusion (à 31’). Il en
plaisante : « Quand on ne fait pas
de communication c’est rare qu’on la fasse pour vous» et il ajoute même,
toujours sur le ton de la plaisanterie « si
on attend que les compliments, on est pas toujours satisfait, si on attend les
critiques, on peut avoir son lot...», tout en se défendant : «il ne s’agit pas de repeindre la réalité»
Le lancement de la “refondation” en 2012, s’était accompagné
de “grands messes” à la Sorbonne. Il y a donc une certaine logique à reproduire
cela presque quatre ans après. D’autant plus qu’il fallait aussi peut-être essayer
de redonner sens et cohérence à une politique publique dont on avait perdu le
“fil rouge” à cause des retards accumulés et d'une certaine tendance à la
procrastination politique...
F.Hollande parle d'une obligation de “rendre des comptes” et ça peut sembler légitime. Personnellement,
je ne vois pas en quoi on peut dénier à un exécutif quel qu’il soit le droit de
présenter ce qu'il a fait. Il reste ensuite aux opposants et aux critiques à se
saisir de cette mise à l'agenda pour apporter des contradictions et des
nuances. C’est le jeu démocratique, et c’est ce qui a commencé à être
fait !
Des sous et du temps
Si “opération séduction”, il y a eu, elle s’est surtout
exprimée mardi soir avec le
discours de Manuel Valls, annonçant la revalorisation de l’indemnité de
suivi et d’accompagnement des élèves (ISAE) destinée aux enseignants du primaire.
Ce n’était plus vraiment un scoop car l’essentiel avait déjà été dévoilé par la
Ministre quelques jours auparavant dans une
interview au JDD. Cette ISAE passera à 1200 euros à la rentrée 2016, ce qui
la met à égalité avec l’ISOE qui est une indemnité équivalente pour les
enseignants du secondaire. On a déjà rappelé dans
de précédents billets l’écart de rémunération entre ces deux catégories
d’enseignants pourtant aujourd’hui recrutées avec le même niveau de diplôme.
Rappelons que l'ISAE a été créée en 2013 alors que l'ISOE a
été créée en 1990. Aujourd’hui tous les syndicats se réjouissent de
l’augmentation de l’ISAE. Même si certains d’entre eux font remarquer que tous
n’étaient pas présents lors de la signature du protocole de création de l'ISAE le 30 mai 2013...
Évidemment, il ne s’agit pas d’une revalorisation salariale
au sens strict, ce n’est pas non plus complètement pris en compte dans le
calcul de la retraite de base (mais uniquement dans la retraite additionnelle de
la Fonction Publique). Évidemment cela ne compensera pas la baisse du pouvoir
d’achat accumulée... Mais il faut aussi replacer cela dans le contexte du dégel
du point d’indice (0,6 % en juin et 0,6 % en mars). Et rappeler également que dans
le cadre des négociations PPCR (Parcours professionnel, carrières et
rémunérations) on prévoit une intégration progressive des primes et indemnités des
fonctionnaires dans leur salaire à partir de janvier 2017.
Certains ne manqueront pas de voir dans cette annonce un acte de clientélisme à un an des élections
présidentielles. D'autres (ou les mêmes...) y voient une remise à niveau
normale et attendue entre les enseignants du primaire et ceux du secondaire. Et
en effet cette mise à niveau est plus que nécessaire. Mais il est certain que le
moment choisi, à un an des élections, renforce la conviction des premiers et
réduit la portée de l’acte. Dans
ce sujet comme dans bien d’autres,
l'une des plus grandes défaillances de ce quinquennat, c'est la maîtrise du
temps...
Hééééé, hoooooo... ?
Quand on est attentif, comme je le suis depuis tant d’années,
à l’opinion publique enseignante exprimée dans les réseaux sociaux mais aussi
dans les établissements, on se dit que l’“opération séduction” est loin d’être gagnée...
Au delà des excès et de la surenchère de certains activistes
de Twitter, il est clair que l’état d’esprit des enseignants reste marqué par
une certaine défiance et beaucoup de désillusions. Je l’ai souvent écrit, il y
a un fort sentiment de déclassement chez les enseignants et celui-ci ne peut se
résoudre uniquement par une augmentation des revenus même si elle est
nécessaire.
Il faut aussi dépasser la “méfiance réciproque” que j’évoquais
plus haut et faire plus confiance aux enseignants. Un des participants à une
table ronde rappelait cette belle phrase de la sociologue Françoise Lantheaume prononcée
lors de nos assises de la pédagogie en 2014 : « Moins prescrire l’idéal et mieux soutenir l’existant ». L’organisation
et la composition de ces deux journées au Palais Brongniart sont le signe qu’il y a
à faire de nets progrès dans le “ménagement”
(la faute est volontaire) des enseignants et dans la gouvernance de cette
structure. Les mouvements sociaux actuels nous montrent qu’il y a une crise de
la représentation et des corps intermédiaires. L’éducation nationale n’échappe
pas à ce constat et à la nécessité de rétablir la confiance.
Il peut y avoir une certaine autonomie des champs d’action et de leur appréciation. On peut concevoir qu’il y ait des réformes qui aillent dans le bon sens dans l’éducation et même admettre que tout cela prend du temps pour en faire sentir les effets. Mais il est clair aussi que le « vote enseignant » (si tant est qu’il existe) ne se déterminera pas uniquement sur ce seul sujet. Il y a, il y aura, une appréciation globale de la politique sur tous ses aspects qui ne se réduira pas à la question : « est-ce que dans l’éducation, ça va mieux ?».
Il peut y avoir une certaine autonomie des champs d’action et de leur appréciation. On peut concevoir qu’il y ait des réformes qui aillent dans le bon sens dans l’éducation et même admettre que tout cela prend du temps pour en faire sentir les effets. Mais il est clair aussi que le « vote enseignant » (si tant est qu’il existe) ne se déterminera pas uniquement sur ce seul sujet. Il y a, il y aura, une appréciation globale de la politique sur tous ses aspects qui ne se réduira pas à la question : « est-ce que dans l’éducation, ça va mieux ?».
Philippe Watrelot
J'ai participé le mercredi 4 mai 2016 à l'émission de France Culture “Du grain à moudre” qui avait pour thème “Refondation de l'école : que reste-t-il d'une ambition ?
Les autres invités étaient Florence Robine (Dgesco) et Renaud Fabre (ex-conseiller à la cour des Comptes)
On peut réécouter l'émission où je reprends des éléments de ce billet de blog ainsi que des trois précédents
J'ai participé le mercredi 4 mai 2016 à l'émission de France Culture “Du grain à moudre” qui avait pour thème “Refondation de l'école : que reste-t-il d'une ambition ?
Les autres invités étaient Florence Robine (Dgesco) et Renaud Fabre (ex-conseiller à la cour des Comptes)
On peut réécouter l'émission où je reprends des éléments de ce billet de blog ainsi que des trois précédents
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