lundi, décembre 03, 2018

Les lycéens, c’est comme le dentifrice...

Lycéens à Manosque - La Provence


« Les lycéens, c’est comme le dentifrice, une fois que c’est sorti c’est difficile de les faire rentrer… » Cette phrase célèbre (prononcée semble t-il par Christian Forestier, un pilier des cabinets ministériels) résume une des angoisses récurrentes des ministres. Elle annonce des manifestations incontrôlables (!) et des reculades sur les réformes. 
Va t-on vers une mobilisation des lycéens ? Je ne suis pas un spécialiste de ces questions mais on peut faire une série de remarques qui laissent penser que ça pourrait bien prendre si on n'y prend garde...



D'abord, il est intéressant de se pencher sur la cartographie de ces premières mobilisations. D'habitude, ce sont plutôt les lycées parisiens et des grands centres urbains qui s'agitent. Là, on voit les petites villes et aussi les banlieues qui se mobilisent dans une répartition géographique assez voisine de celle des gilets jaunes. Pour l'expliquer, il faut s'attarder sur l'organisation de la réforme des lycées. Les lycées doivent proposer les enseignements obligatoires et ils disposent ensuite, dans le cadre de l'autonomie, d'une "marge" pour proposer les enseignements optionnels. Mais cette marge est contrainte et seuls les plus gros lycées peuvent jouer sur les économies d'échelle liées à leur taille pour proposer un grand nombre d'enseignements. De plus, s'ils ne peuvent pas trouver un enseignement dans un lycée donné, les élèves des grands centres urbains pourront trouver un autre lycée pas trop loin qui le proposera. 

Or, ce n'est pas le cas, des petites villes et des lycées ruraux : de petite taille et isolés, ils ne pourront pas tout proposer. Et cela risque de renforcer les inégalités territoriales. C'est en tout cas ce que craignent les lycéens de ces zones géographiques déjà frappées par toute une série d'inégalités. Il peut donc y avoir une convergence avec les revendications des gilets jaunes. 



Ensuite, on peut s'étonner que la mobilisation se fasse seulement maintenant alors que ParcourSup date de l'an dernier. Je fais l'hypothèse qu'il y a un an, on n'en saisissait pas tous les enjeux. C'est vraiment avec la mise en place de la réforme du lycée que ParcourSup devient la colonne vertébrale du dispositif. Et ce que les élèves commencent à percevoir c'est que, outre le caractère très sélectif, on s'achemine vers un système relativement rigide (contrairement à l'objectif initial) et aboutissant à une orientation précoce. Autrement dit, dès quinze ans et la fin de la seconde on te demande de savoir plus ou moins ce que tu veux faire...Et en plus tu n'as pas trop le droit à l'erreur...

Cela crée de l'angoisse et on sait qu'il n'y a pas loin de l'angoisse à la révolte. Ce sentiment peut aussi être renforcé par l'impression d'impréparation qui se dégage de cette réforme ainsi que par son urgence et sa précipitation pour cause d'impératif politique. On ne connait pas encore les programmes de Terminale et encore moins les "attendus" des universités. Les lycéens, encore plus que l'an dernier, ont le sentiment d'être des "cobayes"...



Enfin, la méthode Blanquer est assez proche de la méthode Macron : verticalité, passage en force, refus des corps intermédiaires. Je ne sais pas si les lycéens le perçoivent mais les profs (qui pourraient -un jour - se mobiliser...), eux, commencent à s'en rendre compte. On est dans une sorte de mépris technocratique et d'injonctions verticales qui ne tiennent pas compte des réalités du terrain et de la nécessité de la concertation. On veut avancer vite au mépris des corps intermédiaires pour cocher les cases des promesses électorales tenues. 2021 année du premier bac "Blanquer" est un an avant 2022, année électorale. Et face à cette surdité du pouvoir, les mêmes causes peuvent produire les mêmes effets...

Pourtant, on aurait du entendre ces signaux d'une évolution de l'opinion. #pasdevague avait déjà été une première alerte. Alors que beaucoup de ceux qui s'exprimaient évoquaient des questions de management et de gestion des ressources humaines et de besoin de considération, la seule réponse fut une réponse sécuritaire et où les élèves étaient considérés comme des dangers potentiels. Ce ressenti d'un certain mépris et d'un déni peut, là aussi, être le ferment d'une mobilisation. 



Dessin d'Aurel paru dans Le Monde

Je ne suis pas devin. Mais qui a prévu que l'accumulation des inégalités et des injustices allaient s'exprimer à partir d'une augmentation des carburants pour évoluer vers un mouvement social plus global ? Pas grand monde... 

Dans le contexte actuel qui est très mouvant, on ne peut donc rien prédire mais on voit qu'il y a quand même des raisons qui peuvent aboutir à une mobilisation. 

Le dentifrice est prêt à sortir...




Philippe Watrelot
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Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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