Je lis ici ou là que, si les critiques sont vives en ce moment et qu'on assiste à un "prof-bashing" c’est parce que les enseignants ont un « devoir d'exemplarité ». Ils sont des fonctionnaires et à ce titre représentent l’État ce qui suppose des devoirs. Il n’est pas anodin de noter que cette notion est au cœur de l’article 1 de la mal nommée « Loi pour une école de la confiance». Cette critique n’est donc pas neutre.
Mais cette référence à une exemplarité individuelle ou collective est critiquable et dangereuse. C'est ce que je voudrais dire en quelques mots.
Je vais enfoncer une porte ouverte : la fonction publique est faite d'individus. Et ce sont ces individus qui reçoivent ces injonctions. Penser une institution comme un tout homogène sans se demander comment les individus qui la constitue y évoluent et composent avec les normes, avec quelle marge de manœuvre c'est méconnaitre tout l'apport de la sociologie des organisations. Et par ailleurs, on sait bien que la difficulté réside dans le fait que la critique de l’institution, ce sont des individus qui la reçoivent et la prennent « pour eux » personnellement.
Après l’enfoncage de porte ouverte, une confession : je ne suis pas "exemplaire". Quelquefois, je parle "mal" en classe, j'oublie de remplir immédiatement le cahier de textes, je critique la politique éducative sur les réseaux sociaux.
Enseigner est un métier, pas un sacerdoce ni même une "mission".
Je pense que la "nécessité d'être exemplaire" est une impasse qui cause de nombreux effets pervers.
Je vais faire un petit parallèle avec la psychanalyse. Le psychanalyste Winnicot a développé le concept de "mère suffisamment bonne" pour contrer l'injonction faite aux mères à être parfaites qu'il voyait comme un objectif inatteignable et culpabilisateur.
J'essaie de dire la même chose à propos de l'exemplarité. Avec un tel objectif, on ne le sera jamais assez...
Et c'est aussi la porte ouverte à de nombreuses dérives en matière de contrôle (que j'essayais de pointer dans ma “confession” plus haut) : qui décide de cette exemplarité ? Y a t-il des degrés dans l’exemplarité ou est-ce un absolu ? Que se passe t-il si on n'est pas exemplaire ? A partir de quelle proportion faut-il faire porter le chapeau à toute une profession?
Et puis pour être exemplaire, il faut qu'on donne aux enseignants les moyens de l'être. L'institution a t-elle été "exemplaire" elle aussi ?
J'utilise souvent cette image en interview pour à la fois déculpabiliser et montrer le poids des contraintes qui s'imposent à nous : les enseignants sont comme les musiciens du Titanic, ils jouent du mieux qu'ils peuvent pendant que le bâteau coule...
Mais attention, si l’exemplarité est un piège, la défense inconditionnelle de la profession en est un autre. Tout comme les agriculteurs criant à l'«agri-bashing» dès qu'on questionne leurs usages immodérés des engrais, les manifestations des forces de l'ordre rejetant en bloc toutes critiques des policiers, montrent assez bien les limites et les impasses d'un corporatisme étroit refusant la critique interne. Les enseignants ne doivent pas tomber dans ce même piège.
Il faut évidemment déconstruire ces statistiques sorties de nulle part qui circulent et la stratégie de transfert de culpabilité qui est à l’œuvre (dans un précédent texte, je parlais de « mistigri ») . Il faut aussi chercher à expliquer les raisons structurelles qui conduisent à la démotivation et à ces absences. Mais il est aussi assez sain pour un corps social d’admettre que comme dans tout métier (qui ne peut être un sacerdoce), il y a des personnes qui peuvent être défaillantes et ne pas correspondre aux standards de la profession.
Pour finir, proposons une formulation nuancée. Je préfère donc qu'on dise que les enseignants font leur métier du mieux qu'ils peuvent dans les conditions qui leur sont données. Ils ont le sens du service public et c'est d'ailleurs ce qui les fait tenir face aux injonctions souvent contradictoires et à l'impréparation.
Pas besoin d'être exemplaires (et encore moins des saints ou des super-héros !), juste des professionnels.
PhW
1 commentaire:
N'ayant pu suivre ailleurs que le début de vos échanges avec une députée qui se faisait le héraut de l'exemplarité, j'ajoute ici une petite remarque.
Entre l'institution dans son ensemble et les individus qui y travaillent, il y a encore des groupes.
Dans les écoles (j'imagine que des choses semblables se seront déroulées dans le secondaire), une bonne part de ce que nous aurons vu fonctionner correctement sera né, non seulement, d'engagements individuels mais encore du partage rapide d'expériences que la situation a favorisées.
Là où j'exerce, et certainement dans beaucoup d'autres écoles, nous nous sommes approprié des outils au fur et à mesure que certains les essayaient, nous les racontaient et nous les expliquaient de vive voix. J'ai eu, pour ma part, la chance considérable d'être entraîné par un groupe de collègues ayant des goûts et des compétences variées.
Aurais-je été seul ou isolé dans un établissement, il est possible que j'aurais eu à être compté au nombre des "disparus".
A lire certaines tribunes, il faudrait imputer à l'absence de contrôle des enseignants de telles disparitions. Outre le fait que nos IEN avaient bien d'autres priorités pour résoudre les problèmes surgis de l'impréparation ministérielle, on peut aussi penser que cette absence de contrôle n'est que pour peu de chose dans le décrochage enseignant et qu'elle a plutôt favorisé des apprentissages et partages d'explorations aussi rapides que pragmatiques.
Il faudrait d'ailleurs nuancer le terme "absence".
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