samedi, novembre 28, 2020

Rémunération des enseignants : « revalorisation » ou clopinettes ?


Lundi 16 novembre, le ministre de l’éducation a annoncé plusieurs mesures concernant les rémunérations des enseignants et notamment une « prime d’attractivité ». Les titres dans la presse parlent de « revalorisation ». Le terme est-il justifié ? 

On peut d’abord rappeler quelques évidences : 

  • Une prime n’est pas du salaire. 
  • Agir sur l’attractivité n’est pas un réel moyen de rattraper le retard. 
  • Une augmentation qui ne concerne que 30 % des enseignants n’est pas une revalorisation. 

Pour qu’on puisse parler de revalorisation, il faudrait un effort durable et global. Sinon, on court le risque d’amplifier la désespérance d’une profession déjà bien malmenée. 


Annonces 

à la recherche de la revalo perdue ...
Les déclarations du ministre se situent dans un double contexte. Il y a d’abord des négociations salariales qui avaient été entamées dans le cadre de la réforme des retraites. Les rémunérations actuelles des professeurs, déjà faibles mais désavantagées par l’absence de primes auraient été encore plus défavorisées. Le ministre a aussi lancé un Grenelle de l’éducation qui devrait se conclure en février 2021

Le budget 2021 du ministère a été augmenté de 400 millions d'euros (500 millions en année pleine). L’annonce du 16 novembre indique qu’environ la moitié de cette enveloppe sera utilisée pour les enseignants en début de carrière, « afin de favoriser l'attractivité du métier d'enseignant ». 

« La prime bénéficiera à 31 % des enseignants » (y compris CPE et psychologues de l'éducation nationale), « durant les 15 premières années de carrière pour les personnels titulaires et sera dégressive en fonction de l'ancienneté », précise le ministère.

A partir de mai prochain, un enseignant débutant gagnera ainsi 100 euros nets de plus par mois. Un contractuel en début de carrière gagnera 54 euros nets de plus chaque mois. La prime ne concerna pas en revanche les profs à partir de 15 ans d'ancienneté. 

Le ministère de l’éducation nationale prévoit aussi d’autres mesures grâce à cette enveloppe de 500 millions (en année pleine) – dévolue aux augmentations. Le taux de promotion à la hors classe, un grade de fin de carrière, passera ainsi de 17 % à 18 % ; 1 700 enseignants supplémentaires en bénéficieront chaque année. Une enveloppe de 21 millions d’euros de primes pour les directeurs d’école, accordée à titre exceptionnel en 2020, va également être pérennisée – selon des modalités de répartition qui restent à définir. Enfin, le ministère a confirmé l’annonce d’une prime de 150 euros par an destinée à tous les enseignants pour amortir et remplacer leur équipement informatique. 


Attractivité

Les statistiques sont imparables. Les inscriptions aux concours d’enseignement sont en baisse sensible. Le métier d’enseignant n’attire plus. Les étudiants en master comparent les salaires qu’ils peuvent espérer en étant prof avec ceux de leurs camarades ayant le même niveau d’études et ayant un emploi dans d’autres domaines. Un professeur des écoles (bac +5) gagne 72 % de ce qu’il pourrait escompter avec son niveau de diplôme s’il travaillait ailleurs que dans l’Education nationale.

Rappelons aussi que la comparaison peut se faire aussi avec nos voisins. Les salaires des enseignants français sont inférieurs de 7 % en début de carrière à la moyenne des pays de l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Tous niveaux confondus, les enseignants français gagnent 22 % de moins que la moyenne des pays développés, surtout en début et milieu de carrière, les salaires remontant en toute fin. Les enseignants français gagnent près de 28 000 euros brut par an dans le primaire, contre 29 900 pour la moyenne des pays de l’OCDE. Les profs de lycée français en début de carrière gagnent, eux, 29 400 euros, contre 32 423 euros pour la moyenne des pays de l’OCDE. L’écart se creuse ensuite, en milieu de carrière : par exemple, après 15 ans d’ancienneté, un prof de collège gagne en France 35 550 euros, contre 43 107 euros pour la moyenne de l’OCDE.

Même si la perte d’attractivité n’est pas due seulement aux salaires (d’autres pays avec des salaires plus élevés ont aussi une baisse des candidatures) mais aussi aux conditions de travail et au prestige qui y est associé, c’est cependant un élément déterminant. 

Travailler sur les débuts de carrière, réduire le temps de passage d’un échelon à l’autre semble donc une nécessité. Mais cela ne peut se réduire à une prime même si celle ci est toujours bonne à prendre pour les collègues qui en bénéficieront. 


Un tiers des enseignants

Car l’annonce du ministre crée aussi du dépit. Tous ceux qui ont plus de 15 ans d’ancienneté se sentent floués. Cette prime ne concerne que 31% des enseignants. Or, la réalité du déclassement n’est pas réservée qu’aux débuts de carrière. 

Entre 2000 et 2018, le salaire des enseignants qualifiés et ayant 15 ans d’ancienneté a augmenté dans la moitié des pays de l’OCDE. L’Angleterre, la France et la Grèce font figure d’exception : le salaire des enseignants y a diminué de respectivement de 3 %, jusqu’à 6 % et 17 %. En France, c’est notamment le gel du point d’indice depuis dix ans qui explique cette diminution.

Ce qui signifie que l’augmentation de la masse salariale dans la Fonction publique n’est due qu’aux passages d’échelon. 

Des études évaluent la perte de pouvoir d’achat entre 20 et 40 %. Un jeune enseignant touchait deux fois le Smic au début des années 1980, contre 1,3 fois aujourd’hui. 

De fait, la prime annoncée ne compensera même pas, la perte de pouvoir d’achat due à l’inflation... Si un enseignant à l’échelon 5 n’avait pas changé d’échelon entre temps il lui faudrait 234 euros en plus par mois rien que pour rattraper l’inflation depuis 2010,. 

La bamboche, ce n’est pas pour demain...


Le chantier des inégalités

On l’a vu, la faible rémunération ne concerne pas que les débuts de carrière. Elle masque aussi des inégalités profondes au sein du monde enseignant.  

Il y a eu une mini polémique en septembre 2019 quand certains journalistes, à la suite d’une mauvaise lecture des statistiques de l’OCDE avaient titré que les enseignants français n’étaient pas moins bien payés que leurs collègues du reste de l’OCDE. Or, ils avaient confondu la moyenne (tirée vers le haut par quelques profs de prépa bien payés) et la médiane qui montre que les enseignants sont globalement en dessous de la norme européenne. On avait pu aussi, à cette occasion, constater la forte hétérogénéité au sein du monde enseignant avec notamment des professeurs des écoles faiblement rémunérés et exclus des quelques rares primes qui existent dans le monde de l’éducation. 

En choisissant d’accorder la même prime aux trois corps de l’enseignement – professeurs des écoles, certifiés, agrégés –, le ministre répond à une demande des organisations syndicales. Car il ne faudrait pas que cette première étape bien modeste fasse oublier les écarts de rémunération entre les différents degrés et niveaux (professeurs des écoles, certifiés, agrégés). Et là, le chantier est immense ! 


Clopinettes, rattrapage ou  revalorisation ? 


Le ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, affirmait en février 2020  que les hausses de salaires « ne seraient pas des clopinettes » . « L’objectif c’est que nous soyons au cours de la décennie 2020 un des pays qui paye le mieux ses professeurs », insistait-il en parlant d’un « cycle d’augmentations comme il n’y en a pas eu dans le passé ».

Il est certain que le rattrapage des retards accumulés ne peut se concevoir sur un seul budget, qui plus est, en période de crise sanitaire et économique. Mais, justement, ce contexte incite à la prudence voire la méfiance des enseignants. « Les promesses n’engagent que ceux qui y croient » dit un célèbre  adage. Et le ministre nous a habitué à tordre la réalité des chiffres dans un sens qui l’arrange. Alors que l’École a besoin de retrouver optimisme et attractivité, l’absence de visibilité sur une montée en charge au-delà de 2021 empêche les personnels de se projeter sur l’indispensable revalorisation complète des carrières et la correction des écarts de rémunération.

Enfin, même s’il serait indécent de dire que 500 millions sont dérisoires, il n’est peut être pas inutile de rappeler les propos d’Emmanuel Macron lui même à Rodez, le 3 octobre 2019 (avant la crise sanitaire et économique et le « quoi qu’il en coûte ») : « Si je voulais revaloriser, c’est 10 milliards. On ne peut pas mettre 10 milliards demain, c’est vos impôts. ». On n’est donc pas dans les mêmes ordres de grandeur... ! 

Si ce ne sont pas des clopinettes, ces annonces restent des mesurettes...


Donnant-donnant 

Même si le ministre ne cesse de dire qu’il se situe dans une démarche pluri-annuelle, la stratégie qu’il développe et qui était annoncée dans ses livres est globale. Il s’agit de profiter de cette occasion pour transformer le métier d’enseignant. 

Il y a donc la question des contreparties en embuscade. S’il affirme que  « les évolutions qui se dessinent sont positives pour tous ; ce doit être gagnant-gagnant », c’est surtout du donnant-donnant. Il ne semble pas avoir abandonné l’idée de conditionner une partie des augmentations à l’idée de mérite et de profiter de la pseudo « revalorisation » pour redéfinir les missions ou « imposer des tâches supplémentaires aux enseignants » selon les discours. 


On oublie, qu’avant même de redéfinir le métier (ce qui n’est pas illégitime si cela se fait dans une vraie négociation), il faudrait déjà redonner confiance aux enseignants. 

Nous sommes arrivés à un point tel que toute idée de changement, de réforme n’est plus audible par la profession tant que le préalable de la rémunération et d’une meilleure considération n’est pas réglé. 

Car il faudrait aussi répondre à tous les aspects du malaise. Celui-ci est également lié aux conditions de travail et à la gouvernance. Sortir des injonctions contradictoires et verticales, donner un réel pouvoir d’agir, c’est aussi important. Et cela n’a pas de prix ! 


Philippe Watrelot

Ce texte est paru initialement sur le site d'Alternatives Économiques : 

Salaire des enseignants : revalorisation ou entourloupe ? (décembre 2019) 




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