vendredi, juin 11, 2021

Grenelle de l'Education : tout ça pour ça


Mercredi 26 mai, 17 heures, retransmission de la conclusion du Grrrrand Grenelle de l’Education consacré aux métiers de l’enseignement. J’avais beau ne pas m’attendre à grand-chose, j’ai quand même été déçu. 
Avant d’enfin entendre la parole du ministre, il a fallu déjà subir une interminable table ronde avec une brochette d’inspecteurs généraux et de directeurs. On nous a rappelé que ce grand barnum, déclenché après l’assassinat de Samuel Paty en octobre 2020, avait rassemblé de nombreuses personnes pour redéfinir le métier d’enseignant et la gestion des ressources humaines.

On a, ce faisant, oublié de rappeler que curieusement, les principaux intéressés, c’est-à-dire les enseignants, étaient peu présents dans ces groupes de travail. On a oublié, aussi, de rappeler que ce dispositif a servi à contourner – voire court-circuiter – les discussions avec les organisations syndicales. Au point que certaines ont quitté les commissions.

Puis Jean-Michel Blanquer a parlé. Il a déroulé « douze engagements »issus de 438 propositions élaborées durant les trois mois de dispositif, ainsi que dans un colloque scientifique qui a donné lieu à un rapport rendu en janvier (rédigé par Yann Algan).

Le ministre a conclu en parlant d’une revalorisation « historique » et de « changements systémiques ». En fait, ni l’une ni l’autre ne méritent ces qualificatifs. Jean-Michel Blanquer a surtout fait de la com’ politique et tenté d’éviter certains pièges à quelques mois des élections. Il a aussi laissé pas mal de zones d’ombre et d’incertitudes.

 

700 millions… ou 400 ?

La plupart des commentaires portant sur le Grenelle de l’Education mettent en avant le chiffre de « 700 millions d’euros consacrés à la revalorisation ». Il faut dire que c’est par ce chiffre qu’a commencé la litanie de douze « engagements » par laquelle Jean-Michel Blanquer a conclu de ce Grenelle de l’éducation. Regardons-y de plus près.

Dans le détail, on voit déjà que ce n’est pas de 700, mais de 400 millions d’euros qu’il est question. En effet il y en a 100 qui sont destinés à faire la soudure pour la rallonge précédente, car la somme prévue n’était pas suffisante. Deux cents autres millions étaient contraints, puisqu’ils financent la complémentaire santé des enseignants (à hauteur de 25 % dès 2022 et 50 % en 2024). Cet ajout était indispensable pour se mettre au niveau des autres salariés.

Reste les 400 millions de « primes » qui correspondent aux mêmes 400 millions déjà accordés en 2021. La reconduction de la prime d’attractivité est comptée dans cette enveloppe, elle devrait perdurer ensuite avec une extension au milieu de carrière.

Si on raisonne en paie mensuelle, c’est 100 euros supplémentaires en début de carrière et 36 euros pour les milieux de carrière. Ce n’est « pas rien ». Mais ce n’est tout de même pas grand-chose...

Malgré tout, cela fait vingt-cinq ans qu’une augmentation de ce niveau n’avait pas été annoncée. Mais, si on rapporte au plus d’un million d’agents de ce ministère, cela n’a rien « d’historique » et cela ne concerne qu’un tiers des personnels.

Ce que vise Jean-Michel Blanquer avec ces mesures, ce sont surtout les débuts de carrière. Il annonce ainsi vouloir rejoindre « le peloton de tête des pays qui rémunèrent le mieux leurs enseignants ». L’objectif est donc de renforcer l’attractivité pour ce métier, alors que dans le même temps de nombreux concours d’enseignements ne font pas le plein de candidats.

Les salaires des enseignants français sont en effet inférieurs de 7 % en début de carrière à la moyenne des pays de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE). Tous niveaux confondus, les enseignants français gagnent 22 % de moins que la moyenne des pays développés, surtout en début et milieu de carrière, les salaires remontant en toute fin.

Mais, comme nous l’avions déjà pointé, le problème de l’attractivité du métier d’enseignant n’est pas tant dans la comparaison avec d’autres pays (avec des conditions de travail différentes d’ailleurs) que dans la comparaison avec les rémunérations des titulaires d’un diplôme bac +5 équivalent. Il y a quelques années, l’OCDE avait calculé qu’en France, un(e) professeur(e) des écoles gagne 72 % de ce qu’il ou elle pourrait escompter avec son niveau de diplôme s’il ou elle travaillait ailleurs que dans l’Education nationale. Au collège, un(e) professeur(e) français(e) gagne 86 % du salaire de ses camarades d’université. Et au lycée, 95 %.

Avec la revalorisation de 2021, les profs n’atteignent pas le salaire médian des autres bac +5. Asma Benhenda, économiste spécialisée sur ces questions, estime dans une interview à Mediapart que pour y parvenir il faudrait une hausse d’environ 380 euros brut par mois.

 

Revaloriser le début de carrière… Et après ?

On peut lire ici ou là qu’il est normal que l’on commence par les plus jeunes. Un jeune enseignant touchait deux fois le Smic au début des années 1980 contre 1,3 fois aujourd’hui. Mais est-il normal qu’un enseignant voie ensuite son salaire progresser uniquement par le passage d’un échelon à l’autre ? Le « glissement vieillesse technicité », autrement dit la revalorisation à l’ancienneté, est bien commode pour faire oublier le gel du point d’indice depuis 2010 (hormis une hausse de 1,2 % en deux fois en 2016 et 2017). Et pour masquer la perte de pouvoir d’achat qui touche tous les fonctionnaires.

Or, on le voit bien, les mesures annoncées sont centrées uniquement sur l’attractivité en début de carrière, pas sur la masse des fonctionnaires déjà en poste. La technique utilisée par le ministre fait penser à ces publicités pour des opérateurs téléphoniques qui font des offres alléchantes pour les nouveaux abonnés, mais se rattrapent sur les tarifs de ceux qui le sont déjà !

« La deuxième partie de ce quinquennat doit être celle d’une révolution des ressources humaines », a par ailleurs affirmé le ministre, parlant même d’une programmation pluriannuelle. Mais un quinquennat, ça dure cinq ans et on est déjà à la quatrième année ! Et les promesses n’ont pas de sens dans une telle période.

C’est là que se situe la principale astuce de communication de Jean-Michel Blanquer. Outre l’importance du chiffre annoncé (que nous avons dégonflée), il reporte à « plus tard » une augmentation dont il n’aura peut-être plus la responsabilité.

C’est peut-être aussi ce qu’a pu se dire le ministre en pensant aux échéances électorales. Car, il a évité de s’avancer trop loin sur les sujets qui pouvaient donner lieu à des discussions difficiles avec les organisations syndicales et susciter plus que de la « grogne » (!) chez les enseignants.

En effet, la tentation était forte d’associer les augmentations de rémunérations à une redéfinition des obligations de services ou du temps de travail. Autrement dit, la rengaine du « travailler plus pour gagner plus » et des contreparties. On y a échappé. Même s’il évoque dans l’engagement n °8 la possibilité pour les enseignants d’occuper des « fonctions mixtes » (référents, appui à la direction, formation, etc.), cela a plus à voir avec une meilleure gestion des carrières qu’à une conditionnalité.

Mais, le risque existe toujours. Et il faut rappeler que les 400 millions d’euros effectivement consacrés à la revalorisation sont bien des « primes » et pas une augmentation indiciaire. Il y a encore beaucoup d’incertitudes sur ces primes. Certaines seront pérennisées comme la prime d’attractivité, mais d’autres seront spécifiques à certaines fonctions et feront l’objet de négociations avec les organisations syndicales. Les enseignants doivent-ils donc se transformer en chasseurs de primes pour espérer être justement rémunérés ?

 

 

Un Grenelle Potemkine

« Tout ça pour ça ? », se demande-t-on finalement. Forcément, quand on qualifie de « Grenelle » en référence aux accords de 1968, un gros barnum médiatique sans consistance véritable, cela crée forcément de la frustration. Ce n’est en rien « historique ».

Evidemment, « 700 millions » c’est un chiffre qui claque et qui peut abuser l’opinion qui pourra conclure, comme souvent, que les profs ne savent que râler. Reste qu’au-delà des postures, on peut reconnaître des avancées (notamment sur les directeurs d’école), tout en pointant les insuffisances et les faux-semblants. Il y a des avancées, mais tout cela peut très vite s’arrêter puisque, pour l’heure, rien n’est gravé dans le marbre.

Ce n’est pas non plus une révolution « systémique ». Les propositions très disruptives que l’on trouvait dans son livre-programme, Jean-Michel Blanquer les a écartées. Les annonces qu’il fait relèvent d’une plus grande souplesse de la gestion des ressources humaines, même si on peut avoir quand même des inquiétudes.

Le plus notable c’est que, contrairement à ce qu’on pouvait craindre de ce « Grenelle », les syndicats ne sont pas sortis du jeu. Le ministre a, à plusieurs reprises, rappelé que la concrétisation des mesures se fera dans le dialogue social. Alors que le macronisme se caractérise par la négation des corps intermédiaires, c’est peut-être la meilleure nouvelle de ce Grenelle.


Philippe Watrelot le 31 mai 2021

 



Cet article a été initialement publié le 2 juin 2021 sur le site d’Alternativives Économiques


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