Je ne suis pas un « spécialiste » de la laïcité...
Je suis juste un prof de SES qui enseigne et vit en banlieue depuis toujours. Je travaille dans la ville où je suis né et où j’ai fait mes études. J’habite dans la commune juste à côté, dans un immeuble où se côtoient des personnes de toutes origines. Je croise des femmes avec le voile, certaines élèves le retirent juste à l’entrée du lycée. Nous sommes confrontés quelquefois à des problèmes avec certains élèves mais il y a eu peu d’incidents en 2015 ni au moment de l’assassinat de Samuel Paty. Je ne veux donc pas faire des généralités et encore moins de grands discours.
J’enseigne les sciences sociales et ce qui se passe avec ce qu’on désigne à tort (selon moi) comme la laïcité ressemble fort à ce qu’on appelle une « panique morale ». Selon Stanley Cohen, l’inventeur de ce concept, une « panique morale » surgit quand « une condition, un événement, une personne ou un groupe de personnes est désigné comme une menace pour les valeurs et les intérêts d'une société ». L'un des aspects les plus marquants des paniques morales est leur capacité à s'auto-entretenir. La médiatisation d'une panique tendant à légitimer celle-ci et à faire apparaître le problème comme bien réel et plus important qu'il ne l'est en pratique. La médiatisation de la panique engendrant alors un accroissement de la panique (fiche Wikipédia).
Si on faisait aussi un peu de science politique, on pourrait souligner que cette mise à l’agenda par des « entrepreneurs de morale » s’inscrit, c'est une évidence, dans un calendrier politique et relève donc de l’instrumentalisation (et de la diversion)...
On peut également s’interroger sur l’état d’une société, la nôtre, qui a tant de mal avec la diversité au point de la voir comme une menace. On peut enfin réfléchir sur la faillite de la promesse républicaine qui conduit à des phénomènes d’exclusion et donc de « séparatisme » sur lesquels prospèrent les extrémistes de tous poils. C'est peut-être le reproche permanent de cet échec que certains ne veulent pas voir ?
J’ai l’impression que cette « panique morale » est formulée pour l’essentiel par des gens vivant dans les beaux quartiers et qui ont des idées très arrêtées. Alors que beaucoup d’enseignants sont au contact tous les jours avec cette réalité que certains voient de loin. Nous y travaillons, nous y vivons…
Et cela nous conduit non pas à un relativisme, dont on nous accuse, mais à un pragmatisme qui nous permet de gérer le quotidien.
Prenons un seul exemple. Interdire les sorties scolaires aux accompagnatrices voilées ? Mais c’est juste condamner les élèves dans beaucoup de cas à l’absence de sorties et renvoyer ces femmes à leur isolement !
Il ne s’agit pas de nier que des situations inquiétantes existent. Elles doivent faire l’objet d’une réponse laïque déterminée. Mais cela suppose un examen raisonné de la réalité, pas son instrumentalisation.
Le rapport Obin repris par le Ministre s’inscrit dans cette logique. On veut expliquer la laïcité à des enseignants supposément ignorants... Ce qui est faux.
Mais quelle laïcité ? On ne peut nier qu’il y a un débat sur la manière de l’envisager et qu’ici une conception cherche à l’emporter sur une autre. Il serait souhaitable qu’on s’en tienne aux textes fondateurs et qu’on évite de tomber dans l’inculcation paradoxale d’un « catéchisme » laïc excluant et la détection des pensées non conformes comme le laisse craindre la nouvelle épreuve de recrutement des concours d’enseignement. Nous n'avons pas besoin d'une police de la pensée mais qu'on nous fasse "confiance".
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Et puisqu’on s’inquiète du « séparatisme », il faudrait que le système éducatif et la Nation prennent cette question à bras le corps en s’attaquant aux causes bien plus qu’à ses manifestations. Le séparatisme est aussi géographique et social et il est le produit des inégalités face à l’école. C’est là que devrait se situer l’enjeu principal de notre travail et de notre vigilance.
PhW
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Ajout du 16 juin 2021
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