lundi, avril 03, 2017

Fillon et l’éducation : libéral et rétrograde

On croyait avoir tout dit sur le programme des “Républicains” sur l’École après les Primaires. Le programme de François Fillon semblait connu (et lisible sur son site ou annoncé dans une longue interview à SOS éducation) et il était déjà inquiétant. Mais on a l’impression qu’il s’est encore durci.
C’est à Besançon le 9 mars  (voir extrait de la vidéo en bas de ce texte) que le candidat a déroulé un programme encore plus radical fondé sur les suppressions de postes, le tri des élèves, le retour aux « fondamentaux » et même à l’uniforme. On en vient presque à se demander où se situent les différences avec celui de Marine Le Pen… Un programme démagogique et réactionnaire, bien loin de ce qu’il promouvait lorsqu’il était Ministre de l’Éducation Nationale. Il y a longtemps, très longtemps...






Changement de costume.
François Fillon a été Ministre de l’Éducation Nationale en 2004-2005. C’est sous sa responsabilité qu’est votée la deuxième grande loi d’orientation après la loi Jospin de 1989 et avant celle de 2013 dite « Loi de refondation». C’est cette « loi Fillon » qui va instituer le premier “socle commun” organisé en sept compétences. On y trouvait aussi confirmée la logique des cycles qui va à l’encontre des redoublements. Le socle commun se situait dans le prolongement du Collège unique de René Haby (1975) visant à donner à tous la même formation jusqu’à l’âge de seize ans.
Même si les historiens nous montrent que la Loi Fillon est surtout le produit de logiques qui échappaient en partie au Ministre en exercice (Consultation Thélot, recommandations européennes et du Haut Conseil de l’évaluation de l’École…) il n’en reste pas moins que le contraste est saisissant entre ce que mettait en place le ministre de l’éducation et ce que préconise aujourd’hui le candidat Fillon. Ce sont des propositions qui remettent même en cause l’héritage gaulliste.  À ce niveau là de reniement, c’est plus qu’un retournement de veste, c’est un changement de costume…


Les « pédagogistes prétentieux »
« Ces organisations qui bloquent depuis des années les réformes de l’École commettent un crime contre la jeunesse et elles devraient en répondre devant la société française. Ce n’est pas la compétence et le dévouement des enseignants qui est en cause ; c’est la démission de l’État devant les syndicats, c’est la dictature d’une caste de pédagogistes prétentieux, et ce sont des réseaux de pouvoir au sein de l’Éducation nationale qui sont responsables de ce désastre.»
C’est ce que déclare François Fillon lors d’un meeting à Lyon, 22 novembre 2016.
Mais ce ne sont pas uniquement des propos de tribune. On se souvient que François Fillon avait déjà parlé de “pédagogues prétentieux lors de l’ultime débat du premier tour de la primaire de la droite. Et cette phrase se retrouve presque telle quelle dans une longue interview que l’ancien premier ministre a donné au mouvement SOS Éducation. Il n’en est pas encore à parler d’ «assassins de l’École» mais on voit bien qu’il a lu le livre de Carole Barjon et qu’il appuie son discours sur la recherche de boucs émissaires qui seraient la cause de tous les maux de l’École. En cela, il est très proche de Nicolas Sarkozy qui ne cessait de s’attaquer aux méfaits de l’esprit de 68 et à sa « pédagogie folle» mais aussi du discours de Marine Le Pen qui reprend la même antienne.


Retour en arrière
« Abroger », «supprimer», « Réécrire », sont, comme pour d’autres candidats, des verbes qu’on trouve à plusieurs reprises dans le programme éducation. Dans son discours de Besançon, François Fillon confirme sa volonté de supprimer les principales réformes du quinquennat : rythmes scolaires, collège, programmes...
« Abroger la réforme du collège et revoir les programmes en les structurant autour de deux volets pédagogiques : 1. approfondissement des fondamentaux (français et mathématiques, sciences et histoire-géographie) ; 2. éducation physique et sportive et ouverture au monde (langues, éducation civique, numérique, enseignements artistiques, découverte professionnelle). » On annonce aussi le retour des classes bilangues et européennes. On est donc non seulement dans la fin de la réforme du collège (préconisée aussi par Marine Le Pen et  Jean Luc Mélenchon) mais avec les restructuration des programmes on est aussi dans l’abandon du socle commun tel qu’il existe.
« Laisser les collectivités territoriales décider de l’organisation du temps scolaire à l’école primaire. A ce titre, elles pourront revenir sur la réforme des rythmes scolaires et favoriser un temps pour les devoirs après la classe.» Autre phrase lue dans le programme du candidat de la droite et du centre. Mais pas seulement puisqu’on retrouve cette proposition chez Macron, le Pen et Mélenchon.
Quant aux programmes, c’est l’objet principal de la vindicte de F. Fillon. Il semble obsédé par l’enseignement de l’histoire et d’un “récit national” qui revient à de très nombreuses reprises dans ses interventions. Il range en effet dans ce qu’il appelle les “fondamentaux” les « grandes dates et grands personnages de l’histoire de la Nation » et il propose de « réécrire les programmes d’histoire et de français du collège sous l'autorité d'académiciens ». Et plus largement il propose de « supprimer le Conseil supérieur des programmes dont les choix et le langage jargonnant ne contribuent pas au redressement de notre système éducatif »
Plus largement, François Fillon souhaite donc que l’école transmette des savoirs fondamentaux. Il propose pour cela d’avancer la scolarité obligatoire à 5 ans au lieu de 6 pour « une année supplémentaire d’apprentissage à la lecture », « de consacrer les trois quarts du temps de classe à l’apprentissage de la lecture, de l’écriture, du calcul, des grands personnages et des grandes dates de France » et « de mettre fin à l’interdiction des devoirs à l’école élémentaire ».
A la fin de l'école comme à la fin du collège, une évaluation déterminerait le passage dans le niveau supérieur. Le brevet deviendrait un examen d'entrée au lycée. Pour le bac, on retrouve comme chez d’autres candidats (Macron) une volonté de simplification en se limitant à quatre épreuves écrites et le reste en contrôle en cours de formation.


Tri sélectif
On notera aussi la proposition de suppression des allocations de rentrée, allocations familiales et bourses aux familles d'élèves peu assidus - qui seraient renvoyés vers des établissements spécialisés dans la réinsertion scolaire. « Je veux que les élèves qui sont exclus définitivement par le conseil de discipline, soient inscrits dans des établissements adaptés afin qu’ils modifient leur comportement et se remettent sur la voie des apprentissages scolaires fondamentaux ». ”. En gros, ça s’appelle une filière poubelle...
L’apprentissage est également une notion essentielle de son programme car il propose de « mobiliser tout le pays en faveur de l’apprentissage à 15 ans et de redéployer les fonds destinés aux emplois aidés vers les aides aux entreprises pour favoriser l’embauche d’apprentis et pour augmenter leurs rémunérations » et ainsi « multiplier par deux le nombre de jeunes en alternance ».  Comme je l’ai déjà pointé dans d’autres textes, le problème c’est de savoir qui est orienté vers ces sections. Ce ne sont JAMAIS les enfants des catégories sociales les plus favorisées... Derrière le “goût” pour les études ou le travail manuel, se cachent les inégalités sociales...
Pour celui qui fut ministre de l’Éducation nationale entre mars 2004 et mai 2005 sous Jacques Chirac, la France « doit avoir un système éducatif promouvant les valeurs d’excellence et de mérite, à contre-courant de l’égalitarisme voulu par la gauche » comme il l’explique sur son site internet.
En instaurant un tri précoce, on ferme le champ des possibles. Derrière l’alibi du “mérite” on est dans l’acceptation du déterminisme social et une sorte de fatalisme : il y aurait les méritants et les autres... En oubliant que le mérite est une construction sociale et aussi un moyen de justifier les inégalités
On peut donc dire que ce sont les renoncements qui caractérisent ce programme et surtout le renoncement à l’ambition du collège unique avec la mise en place d’un tri sélectif précoce reniant l’héritage même de la loi Haby et du gaullisme.


Le choix du privé
« Si l'enseignement privé donne de bons résultats, nous n'avons aucune raison de vouloir nous en passer, et nous devrions même desserrer les carcans qui en limitent la portée. Depuis un quart de siècle, la part des établissements privés sous contrat est limitée à 20%. Il faut se poser la question de savoir s'il convient de revenir sur cette contrainte, surtout si l'on voit naître de plus en plus, dans toutes les couches sociales, une volonté de libre choix […]. Je soumets cette question à une réflexion qui prendra le temps qu'il faudra » Et plus loin dans le même discours (Besançon, le 9 mars), il évoque sa visite à une école du réseau Espérance Banlieues (privé hors-contrat) qu’il présente comme un modèle. « Dans les zones de revitalisation rurale et les zones urbaines sensibles, l’Etat soutiendra la création d’établissements publics ou privés indépendants et innovants », et il propose aussi de les aider  « L’Etat ne devra plus s’opposer à cette nouvelle offre éducative issue de la société civile ; il devra leur faciliter la tâche et les aider ».
Fillon veut favoriser le développement des établissements scolaires privés, en déplafonnant les fonds qui leurs sont alloués par l'État comme il l’exprimait déjà dans un passage de son livre "Faire", (Albin Michel octobre 2015).  On apprend enfin plus récemment qu’il compte aussi soutenir financièrement les écoles hors contrat (dans les zones sensibles) en utilisant une partie des 65 millions d'euros attribués aux associations d'éducation populaire.
Notons aussi, au passage que l’abaissement de la scolarité obligatoire à cinq ans au vu des règles de financement actuelles, pourrait mécaniquement conduire à verser jusqu'à 2 milliards d'euros en plus à l'enseignement privé.
On sait que François Fillon a pu organiser son rassemblement au Trocadero avec l’aide de Sens Commun, une sorte de “tea party” français. Or, ce mouvement qui a organisé les manifestations contre le mariage pour tous est aussi très proche des promoteurs des écoles hors contrat et de la Fondation pour l’École d’Anne Coffinier. Un prêté pour un rendu : une pratique courante chez celui qui a beaucoup d’amis pas si désintéressés que ça...


Uniformes et autorité
Costumes pour les uns, uniforme pour les autres…
« Moi je veux une école primaire qui transmette les valeurs et les savoirs fondamentaux. Je veux une école du respect et de l’autorité symbolisés par le port de l’uniforme », avait lancé François Fillon à l’université d’été des Républicains à la Baule, le 3 septembre dernier. Depuis la proposition, qui fleure bon la fausse nostalgie d’une école qui n’a jamais existé (il n’y a jamais eu d’uniforme obligatoire en France), est reprise à chaque meeting.
Mais en dehors de ce symbole, qu’y a t-il vraiment ? Pas grand chose... L’affirmation de la “restauration” de l’autorité est une posture qu’on agrémente de quelques affirmations telle que celle ci : « instaurer une évaluation du comportement de l’élève au collège afin de prendre en compte l’assiduité en classe, le respect des règles de l’établissement, le respect des autres et d’abord des professeurs et éducateurs, la politesse, l’attention aux élèves malades ou handicapés, la prise de responsabilité. »
L’autorité passe aussi par la sanction puisque le candidat de la Droite prévoit aussi l'exclusion des élèves qui perturbent la vie des collèges et des lycées, ainsi que des allocations familiales suspendues en cas d'absentéisme.


Autonomie et compétition pour des chefs d’établissements managers.
Un autre élément fort du programme porte sur l’autonomie des établissements. “Je revaloriserai les traitements des enseignants en tenant compte de leur mérite et en leur demandant d’être plus présents dans l’établissement. Je confierai progressivement aux chefs d’établissement du second degré le choix de leurs personnels...  ”, annonce t-il dans un de ses derniers discours.
La conception de l’autonomie qui se dégage des propositions de François Fillon est donc celle d’un pouvoir accru donné à des chefs d’établissements managers qui seraient non seulement doté du pouvoir de recrutement mais aussi de rémunération par des primes au mérite.
Il faut aussi relier cela à sa volonté de vouloir ouvrir le « carcan » de la sectorisation et donc de la carte scolaire. On dit vouloir « protéger la liberté des parents de choisir d’inscrire leurs enfants dans l’enseignement public ou l’enseignement privé ». Tout cela peut être lu comme une mise en concurrence des établissements.


Les enseignants sont des  fonctionnaires (qui créent de la dette)
Dans le programme d’austérité du candidat est prévue la suppression de 500.000 emplois de fonctionnaires et le retour à 39 heures pour la fonction publique. Logiquement, la moitié devrait être trouvée dans l'Education nationale. C'est cohérent avec l'allongement de 24% du temps de travail des enseignants en établissement promise par F Fillon. Il souhaite aussi repousser les examens sur tout le mois de juillet de façon à maintenir les cours sur l'ensemble de juin. Enfin, la polyvalence dans le secondaire (un seul enseignant pour les sciences et un seul pour les lettres et l'histoire géographie en 6ème et en 5ème ) est aussi un moyen de faire des économies.




Lors de la primaire de la Droite en novembre 2016, François Fillon était apparu déjà comme un des candidats les plus conservateurs sur bien des points. Depuis, il a encore durci son discours.
Dans le domaine de l’éducation en particulier, les points de convergence avec le programme de Marine Le Pen sont nombreux. C’est un projet rétrograde et passéiste et qui en vient même à renier des acquis de la Droite ( ! ) On peut y voir aussi une volonté libérale de mise en place d’une logique managériale et une  déconstruction du service public d’éducation  au profit du secteur privé.



Philippe Watrelot


Le discours de Besançon
9 mars 2017

Présidentielle 2017 : Les billets consacrés aux programmes éducation des candidats










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dimanche, avril 02, 2017

Bloc-Notes de la semaine du 27 mars au 2 avril 2017





- Innovations- Discipline – Élections - Butinages - .


Un bloc notes un peu particulier car il est équipé du tout-à-l’égo... Je suis impliqué en effet à divers titres dans trois rubriques sur quatre... Désolé pour ce télescopage.
On y parle innovation avec la remise de deux rapports sur ce thème, dont un que j’ai en grande partie rédigé. On évoque aussi les questions de discipline avec les contributions du conseil scientifique de la FCPE sur ce thème. On parle élections et comparaison des programmes. Et on finit par quelques lectures divers où on évoque une classe de CP, les SES et les inégalités sociales...



Innovation
Mercredi 29 mars se tenait la septième journée de l’innovation organisée par le Ministère de l’Éducation Nationale. Cette semaine a aussi été l’occasion de dévoiler deux rapports portant sur ce thème.
François Taddéi a rendu son rapport le 28 mars à l’occasion d’un colloque international sur le thème de la Recherche-Développement (R&D) dans l’éducation. Pour rédiger son rapport, François Taddei, accompagné de deux inspecteurs généraux, Catherine Becchetti-Bizot et Guillaume Houzel, est parti à la rencontre des acteurs du secteur éducatif, en France mais aussi à l'étranger. Le rapport présente dix propositions. “Toutes visent à construire une R&D permettant d'améliorer la qualité et l'efficacité du système éducatif, résume le biologiste. Il ne s'agit pas d'inventer LA pratique pédagogique ultime mais de créer tout un écosystème pour que les acteurs puissent s'approprier les pratiques inspirantes.
© Philippe Devernay / MENESR. 
Le rapport du Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative (Cniré), que j’ai eu l’honneur de présider pendant cinq mois, a été présenté le lendemain lors de la journée de l’innovation. Toutefois, les principales idées de ces deux rapports complémentaires étaient connues depuis une semaine lors d’un Facebook Live du 22 mars avec la Ministre de l’Éducation. On peut télécharger le rapport complet sur le site du Ministère ainsi qu’une synthèse de quelques pages. . Vous pourrez lire aussi un article dans The Conversation qui reprend le même thème mais en s’interrogeant surtout sur les pièges de l’innovation. Que dit ce rapport ? Comme il est délicat pour moi de résumer un travail dont je suis en grande partie responsable, je laisse Luc Cédelle dans La Lettre de l’éducation n°914 le faire : “Une originalité de ce texte, intitulé « Pour une école plus juste et plus efficace », est de prendre en compte la réticence de nombreux enseignante face à « l’injonction à l’innovation», perçue comme une menace pour l'identité professionnelle. Se démarquant de la façon dont l'enseignant innovant est souvent présenté en opposition à ses collègues, le Cniré met en avant « la dimension collective et institutionnelle qui permet aux projets de se développer, de se diffuser et de survivre à leurs initiateurs». L'établissement est donc le lieu « le plus adéquat» pour cultiver des «compétences collectives» et faire en sorte que l'innovation soit « débattue» et « partagée». Partisan d'un système « plus ferme sur les finalités et plus souple sur les procédures », le conseil privilégie « les changements à bas bruit» qui « s'appuient sur l'existant et les pratiques réelles plutôt que sur un modèle idéal et culpabilisant». Il relie l'innovation à la notion de «développement professionnel» et préconise de mettre fin à l'insuffisance de la formation continue. Il se conclut par une dizaine de propositions, principalement axées sur les modalités d'échanges au sein des équipes et de «fabrication des compétences collectives».


Discipline
La FCPE, une des deux grandes fédérations de parents d’élèves, a réactivé, il y a un an, son conseil scientifique pour accompagner la réflexion de ses adhérents. Une des missions de ce conseil (dont je fais partie), présidé par Laurent Mucchielli, est de produire des notes destinées à alimenter le débat public. Les deux premières ont déjà été publiées et elles ont eu un certain écho.
La première note est signée Benjamin Moignard. Ce maître de conférence à l'Université Paris Est Créteil et Co-directeur de l’Observatoire Universitaire International Education et Prévention (OUIEP) s'est penché sur l'exclusion scolaire et a passé au crible 76 établissements de la région situés en zone prioritaire notamment en Seine-Saint-Denis. Selon le chercheur, ce qui devait être une sanction exceptionnelle est devenue dans certains établissements une pratique quasi-quotidienne. Le ministère de l'Education nationale n'a pas de chiffre officiel. L'exclusion temporaire, il est vrai, peut être décidée par le chef d'établissement, seul, sans conseil de discipline. Mais le chercheur, lui, a fait le calcul : "Sept à 20% des élèves, selon les établissements, sont concernés." et il ajoute “Ce sont chaque jour les effectifs d'un collège entier d'élèves qui sont temporairement exclus certains mois.”. Dans les trois quarts des cas (74%), cette sanction – la plus grave avant l'exclusion définitive – punit en réalité "des formes d'insolence relativement mineures, des retards ou des absences, alors que les formes les plus dures, en particulier les violences physiques à l'égard des adultes ou des élèves, sont finalement minoritaires (11%)". Des travaux ont déjà démontré l'inefficacité, voire les conséquences négatives que peut générer cette mesure. C'est d'ailleurs ce dont fait état Benjamin Moignard dans son analyse, en expliquant qu'éloigner le collégien de son établissement de façon parfois répétée peut “aggraver le décrochage scolaire chez les élèves les plus fragiles”. Bien sûr, il faut comprendre ce qui pousse à cette pratique: “Il est bien évident qu'éloigner l'élève est moins coûteux en matière d'organisation que de l'accueillir en heures de colle mais le recours excessif à cette méthode traduit aussi l'exaspération du corps enseignant”. L'enquête soulève également la question des difficultés que rencontrent les profs qui ne parviennent plus toujours à trouver les réponses adaptées aux comportements perturbateurs successifs. Comment en effet marquer le coup et faire réagir le collégien si les sanctions qui se veulent "lourdes" deviennent monnaie courante ? “On ne peut pas se satisfaire de cette forme de déscolarisation instituée”, conclut Benjamin Moignard.
La deuxième note de ce conseil scientifique de la FCPE est signée Denis Meuret et a aussi à voir avec les questions de discipline. Le professeur (émérite) en sciences de l’éducation de l’Iredu (Univ. Bourgogne-Franche Comté) s’est appuyé sur les questions de contexte qui accompagnent les enquêtes PISA pour produire une analyse sur la discipline dans les classes françaises. Comme le précise le chercheur dans une interview à France Info : “e questionnaire Pisa ne demande pas aux élèves de 15 ans des pays développés si la discipline règne dans leur classe. Il leur pose des questions très concrètes. Y a-t-il du bruit dans la salle ? Le professeur doit-il attendre longtemps avant que les élèves se calment pour débuter le cours ? Grâce à ce questionnaire, Pisa 2015 a calculé un index de "climat de discipline" selon la fréquence de la situation évoquée. S'il y a du bruit à chaque cours, l'indice sera bas. S'il n'y en a jamais ou presque jamais, il sera haut. Les pays asiatiques ont de très bons indices de discipline. Les pays anglo-saxons aussi, alors qu'ils ne sont pas les plus répressifs dans les classes. L'indice français a chuté à partir de l'an 2000. Et il se trouve que, depuis 2012, la France est le pays où ce climat de discipline est le plus dégradé au sein de l’OCDE. ” La note a donné lieu à de nombreux articles : dans La Croix , VSD , Europe1 ou Le Parisien . Dans L’Express on demande également son avis à Eirick Prairat, philosophe de l'éducation et professeur à l'université de Lorraine, il estime que “pendant longtemps l'Éducation nationale a eu du mal à s'emparer de ces questions de discipline et n'en parlait que rarement dans les instituts de formation des maîtres”.
Est-ce que ces problèmes de discipline expliqueraient les résultats médiocres des jeunes français qui sont cette année à la 27ème place du classement Pisa? Denis Meuret indique qu'il est certain qu'"un bon climat de discipline a un impact positif sur les possibilités d'apprendre, même si, c'est loin d'être le seul facteur qui influence l'apprentissage". Pour preuve: certains pays dans lesquels les élèves réussissent bien à Pisa ont un indice de discipline qui n'est pas très bon, comme la Finlande. À l'inverse, d'autres pays où la discipline est très stricte ont, eux, un score moyen Pisa très faible.
Selon la dernière étude Pisa, seulement 41% des parents français ont discuté avec l’enseignant de problème de comportement de l’enfant de leur propre initiative alors qu’un espace doit être prévu dans chaque établissement pour les accueillir.


Élections
On ne peut échapper à l’inévitable rubrique sur les élections. Même s’il y a moins à dire que les semaines précédentes.
Peu de choses à se mettre sous la dent cette semaine du côté des candidats, hormis une interview de Emmanuel Macron dans L’Étudiant . Il y revient essentiellement sur ses propositions d’un bac simplifié avec seulement quatre matières obligatoires et un contrôle continu pour les autres matières. Il évoque aussi ses projets pour le supérieur.
On trouve aussi une analyse des projets très conservateurs de François Fillon pour l’enseignement de l’histoire sur le site Les Jours . Pour l’auteur de l’article “le fond idéologique de la vieille droite catholique, est toujours là ”.
On peut verser dans cette rubrique “élections” une analyse parue dans le n° spécial “Audit de la France” des Echos le 28 mars. Pour l'École, c'est la journaliste spécialisée Marie Christine Corbier qui fait le constat d'une École qui a fait des réformes mais avec des enseignants désabusés. Et elle pointe ce qui est, selon elle, le problème majeur : un "management catastrophique". Une question peu abordée par les candidats.
On a surtout droit cette semaine à des comparatifs. Dans La Croix on compare les positions des candidats sur la question des rythmes scolaires. Dans L’Obs c’est la question de l’autonomie des établissements qui donne lieu à une comparaison.
Le magazine Le Point offre sous forme d’une petite vidéo un comparatif assez complet qui accompagne un texte d’analyse.
Le Point (qui ne nous avait pas habitué à cela) nous offre aussi un article nuancé sur les “fondamentaux” qu'on nous met à toutes les sauces dans les programmes des candidats et tous les discours sur l'École. Louise Cunéo nous rappelle que la France est déjà le pays qui consacre le plus de temps en primaire à la lecture, l'expression écrite et la littérature, soit 37 % du temps d'instruction obligatoire contre 22 % en moyenne dans les pays membres de l'OCDE, selon l'étude « Regards sur l'éducation ». Des données qui indiquent qu'en matière d'apprentissages des fondamentaux, ne s'agit pas d'en faire plus, mais de le faire mieux.
Pour continuer les comparaisons, TFI a lancé une série cette semaine au sein de son journal sur “L'école des candidats". Les séquences assez bien faites détaillent les principales mesures de chacun des principaux candidats. François Fillon, Emmanuel Macron, Marine Le Pen, Jean-Luc Melenchon, Benoit Hamon , font tous l’objet d’une séquence vidéo qui résume les points principaux de leurs programmes.


Butinages
On pourra lire cette semaine le troisième épisode d’un reportage de Christel Brigaudeau dans Le Parisien sur une classe de Cours Préparatoire. Elle y montre les apprentissages en train de se faire, mais aussi les inégalités qui apparaissent. On pourra relire le deuxième épisode paru en décembre 2016 et le premier épisode à la rentrée en septembre 2016 . Un suivi au long cours qui est peu fréquent dans la presse.

Le sociologue Pierre Merle a été auditionné récemment par la commission mixte CSP/CNEE sur l'enseignement des SES (dont je fais partie). Il a repris un des points forts de son intervention sous la forme d'une tribune qui vient d'être publiée dans Le Monde.. Pour lui “L’enseignement de l’économie ne doit pas être au service d’intérêts particuliers” et il considère que l’avis récent de l’Académie des sciences morales et politiques préconise une vision réductrice de l’économie à la sphère domestique et de l’entreprise. On trouve aussi un long texte de Pierre Merle qui reprend ses idées sur le site Démocratisation scolaire

On terminera avec une interview de Louis Maurin de l’Observatoire des Inégalités dans Slate.fr . C’est un entretien qui donne à réfléchir et qui va au delà du seul thème de l’éducation pour questionner la manière dont notre société (et notamment les classes moyennes) a du mal à voir les inégalités. On y évoque quand même l’école avec notamment cette réflexion qui conclura notre bloc-notes : “Un système éducatif ne vise pas uniquement à produire l’excellence, il forme tout le monde. Il faut renverser notre mode de fonctionnement. L’école ne doit pas chercher à produire une élite soi-disant issue de tous les milieux (l’élitisme républicain, un mythe depuis le début) mais à faire progresser tout le monde, à ne laisser personne en chemin. Ce qui n’a rien d’incompatible avec des filières plus poussées. Mais il faut accepter d’en donner un peu moins à ceux qui ont déjà beaucoup et un peu plus à ceux qui ont peu. Regardez comment se lamentent les parents ultras diplômés dès qu’un de leur enfants soi-disant «s’ennuie» à l’école, et vous avez tout compris. Ou les tonnes de littérature sur nos pauvres «surdoués». C’est vrai que ceux qui dorment au fond de la classe, tout est de leur faute. Comme en plus une partie est d’origine immigrée…

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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samedi, avril 01, 2017

Ambition Centre-Ville


Comme chaque année, cette période est propice à des annonces sur des changements de cap dans ma vie.
Je ne peux pas rester sans rien faire. Après la fin de la présidence du Cniré, je souhaite faire porter mes efforts sur d’autres projets.
Je propose une innovation dans l’air du temps qui je l’espère correspondra aux attentes de nombreuses personnes. Avec le soutien de personnalités du monde des médias et de la finance, nous allons créer un réseau d’écoles hors-contrat appelé à essaimer dans la France entière. Ce réseau d’écoles va s’appeler « Ambition Centre-Ville ».
Il s’agira de proposer un enseignement d’excellence pour les meilleurs élèves dans des écoles, collèges et lycées qui seront dédiés à la promotion de ce que nous avons qualifié dans nos réunions de préparation de « méritocratie séparée ».
Alors que le thème de la mixité sociale revient à l’ordre du jour, nous voulons quant à nous préserver un développement séparé des élèves. « Le meilleur pour ceux qui ont les moyens » est un de nos slogans. Car si certains prônent le retour de la blouse, nous voulons pour les nantis, la fin du blues...
Ces écoles seront installées en centre-ville, elles proposeront un enseignement assuré par des professeurs garants de l’excellence académique propre à leur seule discipline. L’interdisciplinarité ainsi que tout ce qui pourrait ressembler à une approche « constructiviste » sera bannie de ces écoles. Le recours régulier à la note chiffrée et le retour du classement seront le moyen de construire une dynamique de saine émulation et même de compétition entre les élèves.
Nous sommes confiants sur nos possibilités d’attirer de nombreux enseignants séduits par ce projet.
Rejoignez nous pour construire ce projet innovant qui saura séduire ceux qui veulent le meilleur pour leurs enfants !

Philippe Watrelot
Le 1er avril 2017






Dernière minute : Il semblerait que ce projet ressemble beaucoup trop au système éducatif actuel, cela provoque le trouble chez certains de nos financeurs et notamment la célèbre Fondation pour l’instruction. Le projet est suspendu... jusqu’à après les élections.



Pour mémoire...
Mon "projet" de 2016
Mon "projet" de 2015

samedi, mars 25, 2017

Bloc-Notes de la semaine du 20 au 26 mars 2017





- École en campagne - Propositions – Discriminations - Radicalité – Butinages - .


Ce bloc notes de la semaine écoulée sera encore très politique. Et cela risque d’être ainsi pendant de longues semaines même si l’éducation est relativement peu présente dans cette campagne. On abordera successivement les programmes puis les propositions qui sont faites à ces mêmes candidats. On parlera aussi de la discrimination à travers deux exemples et on évoquera une enquête menée auprès de lycéens et qui aborde le thème sensible de la radicalité. On finira avec des lectures qui font du bien...


L' École dans la campagne
C’est en début de semaine qu’a été publié le livret thématique consacré à l’éducation de la France Insoumise. Cela complète les propositions qui étaient déjà formulées dans le livre programme de Jean-Luc Mélenchon L’avenir en commun”.
Je viens de consacrer un billet de blog à mon analyse de ces propositions . C’est un programme qui a des intentions très généreuses et promet de nombreux moyens. Mais dans le même temps, il considère que rien n’a été fait dans le bon sens depuis 2012 et promet d’abroger tout ce qu’il considère comme des “contre-réformes”. On trouvera aussi une analyse dans le Café Pédagogique ainsi que sur un billet de blog de Jean-Pierre Véran hébergé par Mediapart .
Nous avions déjà évoqué le programme d’Emmanuel Macron, il y a quelques semaines . On y revient avec une interview pour le site spécialisé VousNousIls . Il y affirme que la “ La question à laquelle nous devons répondre collectivement est la suivante « comment garantir à chaque élève une scolarité qui lui permette de se construire, de s’épanouir et de réussir ? ». C’est LA question qui doit guider nos choix ; l’intérêt des élèves et l’amélioration de la réussite de chacun doit être notre seule boussole”. Il fait également des propositions pour la formation initiale et continue et redit sa volonté de donner plus d’autonomie aux établissements.
La semaine a été marquée aussi par le grand débat sur TF1. L’éducation en a été le premier thème mais a été très vite expédié. François Fillon a reparlé de l’uniforme. Marine Le Pen a affirmé vouloir «supprimer l'apprentissage des langues d'origine». Ce qui lui a valu une réplique de Benoit Hamon : «Pour qu’il y ait la paix à l’école, encore ne faut-il pas la prendre en otage d’un débat assez nauséabond comme Marine Le Pen vient de l’illustrer sur les langues d'origine». Jean-Luc Mélenchon s’est, quant à lui, insurgé contre le “déclinisme morose qui parle de jeunes qui ne savent ni lire ni écrire ni compter”. On peut saluer la persévérance de ceux qui ont regardé jusqu’au bout...
L’autre évènement politique de la semaine a été l’émission politique de France2 consacrée à François Fillon. C’est l’enseignante et la chercheuse Laurence De Cock qui lui a été confrontée sur sa proposition de "réécrire les programmes d'histoire" à l'école afin d'être fier d'être français. À la fin de cet entretien, Laurence De Cock a offert un livre à François Fillon (même si elle ne lui a pas fait de cadeaux...). C'était un livre de Suzanne Citron : “Le mythe national - L’histoire de France revisitée”. dans lequel elle "fait une déconstruction très méthodique" de l'histoire de France, explique l'historienne. La fréquentation d’un article le présentant sur le site des Cahiers Pédagogiques a bondi au cours de la soirée ! Et le lendemain du face-à-face, les ventes de ce vieux livre tout juste réédité ont rapidement grimpé pour atteindre la 12e place des livres les plus achetés sur Amazon vendredi midi . Avant d'annoncer une rupture de stock et un réassort pour le 30 mars. Un destin inattendu pour ce livre et dont on peut se réjouir...
Parce qu’il n’y a pas que cinq candidats mais onze, je signale une rareté avec cet article du Journal des Femmes qui propose un analyse des propositions de TOUS les candidats. Pour savoir quel est le programme de Jacques Cheminade, Nathalie Artaud ou de François Asselineau pour l'éducation, c'est ici (et nulle part ailleurs !)
Pour finir sur ce chapitre politique, je signale un portrait paru dans Le Parisien. C’est celui d’ Aymeric qui est prof d'histoire-géographie à Fontainebleau. Il est militant du Front national et ne s'en cache pas... C’est un des articles qui a suscité le plus de réactions sur mon mur Facebook. Il ne laisse pas les enseignants indifférents.


Propositions
Les propositions et suggestions aux candidats sont nombreuses. C’est de saison…
Le site d’information en ligne Slate a demandé à des personnalités dont je fais partie (je ne suis pas "chercheur", je le redis en toute humilité) de formuler des propositions pour la présidentielle 2017. Parmi celles-ci on en trouve plusieurs qui concernent l'éducation, formulées par : Pierre Merle , Olivier Rey, Charles Hadji, Jean-Pierre Terrail, Agnès Florin et bien d'autres..... La proposition que je formule est simple. Il s’agit de créer une obligation de formation sous forme d’un droit rechargeable et d’un crédit d’heures. Chaque enseignant devrait ainsi se former et prouver qu’il a effectué une formation au cours des trois dernières années. La formation pourrait se faire auprès des services de formation du ministère ou d’association agréées.
Cette proposition se retrouve aussi sous une forme légèrement différente avec une dizaine d'autres dans le rapport du Conseil National de l’Innovation pour la Réussite Éducative dont j’ai présenté les grandes lignes dans un Facebook Live, mercredi 22 mars en même temps que les propositions de François Taddéi. Le rapport final sera communiqué lors de la journée de l’innovation du 29 mars Mais on peut d’ores et déjà découvrir les dix propositions de ce conseil dont je suis fier d’avoir animé les travaux.
On trouve aussi des propositions avec « Vers Le Haut ». Ce collectif qui regroupe 22 organismes (tels que le Secours catholique, L’Armée du Salut, Associations familiales catholiques, Associations familiales protestantes, Bayard, le Collège des Bernardins, les Scouts musulmans de France, Sos Village d’Enfants…) a interpellé lundi les candidats à l’élection présidentielle. Ils demandent à ces derniers de s’engager à organiser « des Etats généraux de l’Education » après l’élection présidentielle.
A l’occasion de l’élection présidentielle, Enfance Majusculeadresse aussi une lettre aux candidats afin que des mesures concrètes soient prises pour mieux protéger les enfants.
Un autre appel est lancé dans Le Figaro par 55 personnalités (moins une qui a retiré sa signature) pour soutenir les écoles Espérances Banlieues. Celles ci sont aussi soutenues par le candidat François Fillon. Trois enseignants (JC Buttier, L. DeCock et G. Chambat) dans un billet de blog sur Médiapart dénoncent la campagne menée par ce réseau d’écoles qu’ils qualifient de “rétrograde, autoritaire et qui sent bon le paternalisme et le néo-colonialisme ”. Pour eux,cette campagne fait un pas vers la principale revendication de ces réseaux : la mise en place du « Chèque éducation », c’est-à-dire la parité de financement entre le public et le privé. Attention Danger...


Discriminations
On a aussi parlé discriminations de tous ordre dans la presse cette semaine.
Une professeure d'un lycée professionnel de Seine-Saint-Denis a publié le 12 mars sur sa page Facebook (puis sur Libération) un appel "contre les discriminations en sorties scolaires" . Elise Boscherel raconte comment trois de ses élèves se sont fait contrôler par la police à la gare du Nord, à Paris, au retour d'un voyage scolaire. L'appel a été repris dans de nombreux articles dans la presse. L’enseignante souhaite une circulaire pour interdire tout contrôle sur des élèves dans le cadre d’une sortie scolaire.
Enfin une femme au programme du Bac L ! s’écrit Le Parisien. La nouvelle est d’abord parue sans bruit, au Bulletin officiel de l'Education nationale . Les deux livres au programme de littérature du bac 2018 seront «les Faux-monnayeurs», d'André Gide, et «la Princesse de Montpensier», de Mme de Lafayette. C'est donc la première fois, dans l'histoire du baccalauréat, que l'œuvre d'une femme figure au programme en terminale littéraire. C’est à une professeure de lettres d’un lycée du Val de Marne, Françoise Cahen (portrait dans L’Humanité) que l’on doit cette victoire contre une forme de discrimination. Dans sa pétition, lancée en mai 2016 et signée depuis par 20 000 personnes, Françoise Cahen s’indignait de ce sexisme : « À un type de classe composé en majorité de filles et des profs de lettres qui sont majoritairement des femmes, quel message subliminal veut-on faire passer ? »


Radicalité
Les sociologues Anne Muxel et Olivier Galland ont dévoilé lundi 20 mars les premiers résultats d’une étude qu’ils coordonnent auprès de plus de 7 000 lycéens de seconde dans quatre académies (Lille, Créteil, Dijon et Aix-Marseille) pour mieux comprendre les facteurs d’adhésion des jeunes à la radicalité politique et religieuse. On peut en lire une présentation très complète dans la revue du CNRS
La presse en a surtout retenu la dimension liée à la religion mais l'enquête va bien au delà. Ce que cette enquête montre c'est surtout que la majorité des lycéens est «imperméable» à la radicalité . Mais dans le même temps près de 1 lycéen sur 2 juge acceptable de bloquer les établissements pour s’opposer à des projets du gouvernement. Et pour 1 sur 5 environ – en majorité des garçons –, la violence politique peut trouver une justification, voire être une tentation.
 Sur la religion, 1 élève sondé sur 10 (11 %) adhère à ce que les chercheurs qualifient d’« absolutisme religieux ». Soumis à un questionnaire – le même dans la vingtaine d’établissements sur lesquels s’est concentrée l’enquête –, ces adolescents ont répondu à la fois qu’« il y a une seule vraie religion » pour eux, et que, dans l’explication de la création du monde, « c’est la religion qui a raison plutôt que la science».
Ce qui retient l’attention des chercheurs, c’est moins ce ratio que l’écart constaté entre les confessions : les lycéens musulmans interrogés sont trois fois plus nombreux (32 %) à adhérer à cet « absolutisme » que l’ensemble des lycéens sondés (10,7 %). Et cinq fois plus que les jeunes chrétiens (6 %).


Butinages
Comme chaque semaine, on termine avec une rubrique un peu hétéroclite destinée à signaler des documents intéressants repérés au gré de mes butinages sur Internet.

Et le premier document correspond vraiment à cette logique de serendipité qui caractérise cette rubrique. En effet Paris Match ne fait pas partie de mes lectures habituelles dans ma veille sur l’éducation. Je suis tombé dessus par hasard. Mais c’est pourtant dans Paris Match que l’on trouve le portrait de Caroline. Elle est professeure des écoles spécialisées dans un collège de refondation de l’éducation prioritaire (Rep+) des quartiers nord de Marseille. Malgré quelques questions un peu décalées, l’entretien est tout à fait intéressant et donne à voir et à entendre le quotidien d’une enseignante confrontée à des situations difficiles mais qui garde l’énergie et l’envie de faire apprendre.

Pour finir, laissons la parole à Olivier Rey qui s’agace de l’expression «revenir aux “fondamentaux” » dans un billet de blog hébergé par Le Monde : “Depuis que j’ai l’âge de voter (ça nous ramène au début des années quatre-vingt…), j’entends en effet à chaque échéance importante des déclinaisons sur le thème du « retour aux fondamentaux » à l’école. Cette antienne s’appuie sur une intuition raisonnable : on imagine sans mal les difficultés d’un jeune enfant dès lors qu’il ne maitrise pas les langages essentiels de l’école (lire, écrire, calculer).[…] Sur le fond, revenir aux fondamentaux c’est notamment postuler qu’il n’y a qu’en faisant du français qu’on apprend à écrire ou à s’exprimer, ce qui est contraire à la plupart des conclusions des recherches sur le sujet. C’est postuler que l’enfant est un être uniquement cognitif, une machine à apprendre, comme si la construction sociale et affective n’était pas consubstantielle à l’apprentissage. C’est souvent confondre la maitrise des langages avec la seule mémorisation-répétition des règles de ces langages. C’est l’exemple de ces idées qui apparaissent de bon sens, sauf qu’elles ne sont pas opérationnelles dans la vraie vie de l’éducation.

Bonne Lecture...



Philippe Watrelot

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Mélenchon et l’éducation : le gaucho-conservatisme ?







Jean-Luc Mélenchon parlait déjà d’éducation dans son livre programme : “L’avenir en commun”. Mais, cette semaine est sorti le livret de la “France Insoumise” dédié à ce thème. A la lecture de ce livret, on est frappé par l’ambiguïté de ce qui est proposé.
On y trouve énoncés un constat partagé à gauche et des intentions qui sont aussi communes. On veut combattre les inégalités à l’école et permettre l’émancipation. Mais le paradoxe est qu’on veut promouvoir la lutte contre les inégalités en rétablissant les recettes qui ont échoué à les combattre.
Les propositions sont donc, en fait, essentiellement conservatrices et proposent un retour à la situation d’avant 2012. Il s’agit de séduire des enseignants perturbés par les réformes et qui expriment leur malaise, en leur proposant le retour à une organisation pédagogique plus traditionnelle. 







De belles intentions 
« L’école de l’égalité et de l’émancipation » c’est le titre du livret. Et ce beau mot d’émancipation revient souvent dans les propos du candidat et de ses soutiens. Dans ce fascicule, on détaille (page 10) ce que cela signifie :« émanciper, c’est instruire, c’est qualifier, c’est affranchir l’individu de toute influence». 
On y insiste sur la dimension éducative de l’École : « elle  doit s’affirmer comme un espace de coopération et d’échanges et non de concurrence et de compétition. Creuset du peuple en formation, elle doit devenir le lieu de l’éducation à l’intérêt général où l’individu se prépare à l’exercice d’une citoyenneté enrichie de nouveaux droits. L’émancipation, individuelle et collective, est la boussole de notre projet éducatif.»
Et le texte se poursuit en insistant sur cette direction : « réussite scolaire et professionnelle, plaisir à apprendre, joie à fréquenter les bancs de l’école, accomplissement individuel.» Comment ne pas être d’accord avec ces belles intentions ? 
De même, on ne peut qu’adhérer à la volonté de combattre les inégalités sociales (pages 20 et 21) avec une école qui garantisse la mixité et la gratuité et une politique de l’éducation prioritaire renforcée.  


Des propositions  intéressantes 
De même, on trouve au fil des pages et des discours, des propositions intéressantes qu’on peut citer pêle-mêle. Elles cherchent à satisfaire toutes les catégories.

Jean Luc Mélenchon n’oublie pas qu’il a été Ministre délégué à l’enseignement professionnel (2000-2002) et les propositions pour ces filières sont très détaillées et ouvrent des pistes qui devraient permettre de revaloriser les bacs pro et technologiques. 
On propose de «  créer un statut des parents d’élèves délégué·e·s donnant droit à la formation et à  congé de représentation opposable à l’employeur  » et de renforcer la démocratie scolaire.

Il y a même des moments dans la lecture où j’ai l’impression que Jean Luc Mélenchon me parle directement ! « Nous aiderons au développement de la recherche en éducation et nouerons des partenariats entre l’éducation nationale et des mouvements pédagogiques agréées afin d’enrichir votre formation continue. » Ou encore plus loin : « instaurer un enseignement de sciences économiques et sociales obligatoire en seconde et un enseignement de philosophie de 2h hebdomadaires en terminale professionnelle ; intégrer une initiation au droit dans les programmes du collége et du lycée.»

Alors que le programme de la France Insoumise propose d’étendre la scolarité obligatoire de 3 à 18 ans, il préconise aussi de créer une école de la petite enfance – et non plus seulement « maternelle ». Elle tiendrait compte de la spécificité d’âges auxquels les pédagogies basées sur l’éveil ou les jeux doivent être renforcées. La scolarisation sera possible dès 2 ans et permettrait d’engager l’acquisition des savoirs tout en préparant un passage en douceur vers l’école élémentaire. 
On veut aussi créer et généraliser dans l'éducation nationale les professeurs d'éducation socioculturelle (inspiré de ce qui se fait dans l'enseignement agricole). Les professeurs qui animeraient une association culturelle bénéficieraient d’une décharge de trois heures. 

Dans un discours, Jean-Luc Mélenchon avait aussi évoqué la possibilité de renforcer le pré-recrutement des enseignants dès la terminale et en licence en payant ces étudiants qui se destinent au métier (dans un système proche des anciens IPES ou écoles normales). Il propose aussi de faciliter la reconversion vers le métier d’enseignant.
Pour la gestion des personnels, le candidat propose aux professeurs :
« dans  le  premier  degré,  un  temps  autogéré  pour  un  travail  collaboratif  avec  vos  collègues » et évoque aussi pour « celles et ceux d’entre vous qui parviennent au terme de leur carrière de pouvoir, sur une base volontaire, [de] se consacrer au suivi des élèves en difficulté, à la coordination des projets de l’établissement et à la formation des enseignant·e·s stagiaires ».

On fera quand même remarquer que certaines orientations présentées ici comme nouvelles, sont en fait le renforcement ou la poursuite de mesures déjà mises en œuvre dans le cadre de la loi de refondation. C’est le cas du dispositif « Plus de maîtres que de classes », les espaces parents ou bien encore l’éducation critique aux médias. D’autres mesures semblent convergentes avec celles de Benoit Hamon comme la volonté d’inclure l’enseignement privé dans la carte scolaire ou encore le « soutien scolaire gratuit par le service public d’éducation ». On retrouve aussi cette convergence (y compris avec E. Macron) dans la promesse d’une réduction des effectifs d’élèves dans les écoles d’éducation prioritaire. 


Des “moyens” !!!
Le programme comporte aussi de nombreuses promesses d’embauches, de revalorisation et  de baisse d’effectifs. Les équipes du candidat affirment que tous ces aspects quantitatifs ont été l’objet d’un chiffrage précis. Une émission spéciale de 5 heures visible sur YouTube détaille tout cela. Mais comme l’a dit le candidat dans son style inimitable : « et la bêtise, combien ça coûte ? »
En ce qui concerne la rémunération, J-L Mélenchon propose de  : « revaloriser le traitement de 7 % pour rattraper le gel du point d’indice gelé entre 2010 et 2016 » et de confier ensuite aux négociations aves les organisations syndicales la poursuite de la revalorisation. On propose aussi de doubler le nombre de postes ouverts à l’agrégation interne. 
Le programme de la France insoumise prévoit aussi de recruter 60.000 enseignants supplémentaires mais aussi 8.000 cpe et 6.000 personnels médicaux et sociaux. Tous ces éléments représenteraient selon les estimations un budget supplémentaire d'au moins 10 milliards.
Mais ce n’est pas tout. On prévoit aussi de dédoubler les cours de maths et de français au Collège. Et, comme nous l’avons déjà évoqué, on prévoit aussi de réduire la taille des classes en éducation prioritaire. 
Avec toutes ces promesses, on se demande même si les 60.000 créations de postes annoncées suffiraient...


Retour vers le passé
« restaurer », « rétablir », « abroger », « supprimer »…, ces verbes sont très présents dans le programme éducation de Jean-Luc Mélenchon... Il s’agit d’un projet de rupture avec la “refondation de l’École” mise en place depuis cinq ans. On peut même dire que pour les rédacteurs de ce programme, il n’y a guère de différences entre ce qui s’est passé sous le quinquennat Sarkozy et celui de Hollande. Ils sont tous les deux à mettre dans le même sac...
Ainsi, Paul Vannier, un des rédacteurs de ce fascicule ne cesse de parler de « quinquennat du mensonge» et de « contre-réformes». Les créations de postes n'ont pas eu lieu. Et les dispositifs mis en place détruisent l'école. 
La rhétorique est bien connue. On use et on abuse d’un vocabulaire dénonçant le libéralisme, la marchandisation et le néo-management et de supposées ruptures d’égalité pour défendre une conception très traditionnelle de l’enseignement. 
Dans la lettre de J-L Mélenchon aux enseignants, on dénonce aussi « l’idéologie du socle commun » qui « défait » « le lien aux savoirs ». Plus loin au nom de « l’école de l’égalité » le candidat affirme qu’il abrogera « les contre-réformes du lycée et du collège mais aussi le décret Peillon sur les rythmes scolaires ». On évoque aussi la volonté de « replacer les disciplines au cœur des apprentissages ». On rétablit le redoublement conçu comme « un droit à favoriser ». Le candidat s’engage en même temps à « garantir le principe de la liberté pédagogique » et à « mettre fin à l’évaluation par compétences ».  
Le discours peut être séduisant pour de nombreux enseignants. L’objectif est clairement de s’appuyer sur le « malaise enseignant » pour conquérir ce vote en reprenant un discours de déploration et de refus des réformes. Mais c’est au final une conception des apprentissages et de la pédagogie très conservatrice qui est prônée ici. 


On a le sentiment que la réponse aux difficultés de l’École réside essentiellement dans l’augmentation des “moyens”. Le programme insiste aussi beaucoup sur la satisfaction  d’un grand nombre de revendications catégorielles. Tout cela peut séduire de nombreux enseignants dont, par ailleurs, on loue l’expertise et l’engagement. Cela peut aussi en déconcerter d’autres. 
Mais la question est de savoir si le retour à une école d’avant est la meilleure réponse pour répondre aux défis de la lutte contre les inégalités. Le paradoxe est dans la combinaison d’un discours radical couplé à un maximalisme dans les revendications avec des positionnements de défense d’une école figée et crispée et de conceptions pédagogiques conservatrices. 

Ph.Watrelot


Pour compléter 
L’analyse de François Jarraud dans le Café Pédagogique
Un billet de blog de Jean-PierreVéran sur Mediapart



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Présidentielle 2017 : Les billets consacrés aux programmes éducation des candidats











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Ajout du 26/03/03 à 12h30 
Mon billet de blog sur le programme "Éducation" de JL Mélenchon suscite de vives réactions. Je suis bien obligé de constater que je n'ai pas eu de réactions de même nature après mes billets sur Le Pen, Macron et Hamon... 
Je ne suis pas surpris de ces réactions passionnées et excessives. Je vais m'auto-citer en reprenant un message sur Facebook du 10 mars : 
Bon… plus les élections vont s’approcher et plus la campagne va se durcir… Dans la vraie vie et a fortiori sur les réseaux sociaux. […] Le problème c’est que, souvent dans ces moments de tension, les militants abolissent un peu trop l’esprit critique et le sens de la nuance pour réagir de manière binaire et agressive. «Un militant, c'est un militaire qui porte son uniforme à l'intérieur» disait Ambrose Bierce…
Je redis ici que j'ai essayé de faire un billet balancé et nuancé. Tout le début de mon billet recense les propositions intéressantes de ce programme. 
C'est effectivement le terme de "gaucho-conservatisme" qui ne passe pas et qui est vécu comme une insulte par certains militants. 
Deux éléments de réponse sur cet aspect : 
- conservateur n'est pas synonyme de "réactionnaire". Et que je sache “conservateur" n'est pas une insulte. 
- je redis ici que j'ai beaucoup de respect pour les militants de la France Insoumise (et je suis en sympathie avec beaucoup d'idées) mais je pensais pouvoir mener une analyse du programme éducatif sans que ceux-ci ne se sentent méprisés ou agressés.

La manière de répondre de certains sur Twitter (je pense en particulier à Paul Vannier) est de me renvoyer à un positionnement politique voire intéressé. Pour le dire autrement, je serais un "soutien inconditionnel de la ministre" et qui "dévoie la pédagogie au service de la politique". 

Je trouve cela désolant (pour ne pas dire plus…). Je ne suis pas encarté. Je milite en revanche depuis 35 ans dans des mouvements pédagogiques et des associations complémentaires (Ceméa puis CRAP-Cahiers Pédagogiques). Je pense avoir été assez constant dans mes positions et mes valeurs. Et c'est au regard de celles-ci que je me positionne. Quand je trouve que certaines réformes, malgré leurs limites et leurs imperfections, vont dans le bon sens, je le dis et je le soutiens. Quel que soit le gouvernement. 
Me réduire à un "fan" de la ministre ou me considérer comme un "arriviste" est proprement insultant au regard de mon parcours.



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