samedi, septembre 15, 2012

Formation des enseignants : changer le pansement ou penser le changement ?

Je ressens le besoin de revenir une nouvelle fois sur la question de la formation des enseignants et en particulier la formation initiale. D’abord parce que cela me tient particulièrement à cœur mais surtout parce que ce thème est au centre des débats dans le cadre de la refondation de l’École. Durant cette dernière période (la concertation s’achève à la fin du mois de septembre), les déclarations se multiplient. On a pu lire qu’il y avait un consensus sur la place du concours qui avait émergé des discussions. Je voudrais le remettre en question. La conférence des directeurs d’IUFM (CDIUFM) a publié sur son site plusieurs communiqués portant aussi sur ce point ainsi que sur le statut des ESPÉ supposés remplacer les IUFM dès l’an prochain. Là aussi, les affirmations qui sont faites méritent discussion. On propose des changements qui au final, ne changent rien... Car on a l'impression que devant l'urgence mais aussi et surtout les logiques d'appareil, on a peur d'inventer...


Vrai-faux consensus.
Plusieurs dépêches d’agence nous informaient qu’un consensus avait été trouvé au sein de l’atelier 4 sur la place du concours. Alors que les intentions initiales du ministère allait vers un concours en fin de M1, tous les syndicats nous disait-on étaient tombés d’accord pour dire que le concours devait être placé en fin de M2. Même s’il y avait, en principe, une certaine confidentialité aux travaux de la concertation…
Ayant participé aux travaux de cet atelier jusqu’au moment où les contraintes de la rentrée scolaire m’en ont empêché, je me sens autorisé à nuancer ces informations. Je ne suis pas certains qu’il se dégage un réel consensus. Ou alors celui-ci n’est qu’apparent. . Les uns font mine de lâcher sur la nature du concours et les autres pensent que ce qui est plus important que la place du concours c'est le contenu de celui-ci. Car il permet ensuite de changer la formation en amont. Mais lorsque on discute justement ensuite du contenu du concours, on s’aperçoit que les tensions reviennent entre ceux qui considèrent que c'est d'abord un concours qui doit valider des contenus disciplinaires rattachés à des masters ancrés dans les disciplines et ceux qui souhaitent qu'on y intègre une plus ou moins grande dimension “professionnelle” et pédagogique.


Deux scénarios.
En fait, plusieurs éléments sont liés : le statut des ESPÉ, la place du concours et la nature de celui-ci et donc la nature de la formation. On peut essayer de résumer cela sous la forme de deux scénarios.

1er scénario : on considère que les ESPÉ peuvent être des composantes universitaires des universités actuelles avec un faible degré d'autonomie et un fonctionnement calqué sur celui des UFR. A ce moment là, ce qui prévaut ce sont les masters délivrés par les universités et la formation précédant le concours même si elle est en partie assurée par les ESPÉ reste très disciplinaire et les concours eux-mêmes attachés fortement (pour le secondaire) aux disciplines d'enseignement traditionnelles. C'est le système qui nous éloigne le moins de la situation actuelle et qui est soutenu par un grand nombre de personnes et d’organisations. En tout cas, tous ceux qui ont soutenu la masterisation dans sa vision étroite et qui considère qu'un concours d'enseignement est d'abord rattaché à un champ disciplinaire. Mais aussi les présidents d’universités qui n’aimeraient pas voir ces structures s’éloigner de leur giron.
On notera que dans ce scénario ce qui prévaut ce n'est pas le concours mais le Master. Et on peut d'ailleurs se poser des questions sur l'avenir du concours (supposé sélectionner) dans un contexte de pénurie de candidats et ou l'enjeu sera plus d'attirer des futurs enseignants que de les trier...

2eme scénario: On fait des ESPÉ des établissements réellement autonomes (membres d'un PRES au même titre qu'une autre université, avec une structure unique dans chaque académie). Construits sur un modèle proche des “hautes écoles de pédagogie” suisses, ces écoles recruteraient par concours d’entrée, au plus tard à l’issue de la licence(même si on peut admettre un concours en M1), délivrant des masters professionnels à l’issue de deux années de formation Elle croiserait fortement les ressources en formation d’enseignants du primaire et du secondaire expérimentés, bénéficiant de formation de formateurs, et les ressources de laboratoires universitaires, appuyant des recherche-actions. Elles formeraient à tous les niveaux d’enseignement y compris pour l’enseignement privé sous contrat, comme à d’autres métiers de l’éducation. Elles incluraient une importante formation de formateurs, pour l’accompagnement des débutants, l’analyse de pratiques professionnelles.
C'est pour ma part, la position que je défends (et que le CRAP-Cahiers Pédagogiques défend également) même si celle ci a aussi ses inconvénients (on s'éloigne du modèle universitaire) et ses questions (quel lien avec la recherche ? quelle place pour les autres parcours?)
Ce scénario a cependant deux avantages.
Il rend plus logique l’autonomie financière et pédagogique de ces écoles. Le statut des ESPÉ est, me semble t-il, directement lié à la place du concours. Si on place en fin de M2 des concours très “disciplinaires”, il est plus logique alors que la formation se fasse dans les UFR et rien ne justifie de créer des structures spécifiques.
Par ailleurs, on peut considérer que le concours quel qu’il soit risque de “polluer” la formation professionnelle et universitaire en conduisant à des formes de bachotage et de récitation d’une supposée “doxa” pédagogique mal intégrée.

Cette question renvoie aussi aux missions des enseignants et à la manière dont on définit son métier. Comment construire une identité professionnelle nouvelle ? Une identité professionnelle qui ne se réfère pas uniquement à l’“amour de la discipline” comme c’est le cas aujourd’hui pour de très nombreux enseignants. C’est un des enjeux de la formation.
- Si l’on place le concours assez tôt (fin de L3) on peut alors proposer, en plus des apports liés à la discipline d’enseignement, une formation qui serait en partie commune à tous les enseignants : connaissance des sciences cognitives, sciences de l’éducation, docimologie… On peut aussi instituer des stages en classe et des retours sur les pratiques qui soient communs à plusieurs disciplines et niveaux d'enseignement. 
- Si le concours est placé plus tardivement, comme je le crains, il importe que ces éléments de connaissances soit malgré tout intégrés dans les masters et vérifiés dans les concours. Mais il faut bien admettre que la forme actuelle des concours rend plus difficile la prise en compte des éléments strictement professionnels.

Car la formation aux métiers de l’éducation ne peut s’évaluer que de façon qualitative, en acte, sur la durée. Une épreuve sur table, quel que soit le thème de la composition, le passage ponctuel devant un jury, quel que soit ses membres, ne suffira jamais a attester des compétences à gérer des groupes d’élèves, a organiser des apprentissages, à s’insérer dans le collectif d’une équipe éducative. À l’heure où, de l’école au lycée, on s’efforce d’imaginer des alternatives aux traditionnels examens pour mettre en place des contrôles en cours de formation, des évaluations de compétences en situations complexes, des outils comme les portfolios, il serait bien paradoxal que l’éducation nationale se contente de concours dans leurs formules actuelles pour juger de la capacité des candidats aux métiers de l’enseignement. L’examen final à l’issue des deux années de master postérieures au concours devrait prendre en compte cette exigence.


Quels formateurs ?
Rappelons d’abord qu’aujourd’hui les IUFM sont intégrés aux universités. Dans un contexte de pénurie, elles ont, bien souvent, procédé à un “dépeçage” des instituts devenus “écoles intégrées” en récupérant des moyens humains et des locaux. En terme d’organisation, l’intégration a conduit à imiter les pratiques universitaires avec tous leurs effets pervers (cloisonnement, luttes de clans,…) et à une plus grande connexion dans le recrutement des personnels
Les personnels qui travaillent aujourd’hui dans les IUFM ont changé. On y trouve de moins en moins de professeur des écoles et des lycées et collèges, et encore moins en “temps partagé”. On trouve en revanche de plus en plus de jeunes maitres de conférence qui ont trouvé là un point de chute sans que leur motivation première soit la pédagogie. Ces derniers sont aujourd’hui recrutés essentiellement sur leur excellence académique. C'est légitime. Mais on peut constater aussi que la maîtrise des courants pédagogiques et des principales recherches dans ce domaine (et pas seulement dans celui de la didactique de la discipline) est très aléatoire. Et cela contribue au développement d'une “vulgate" bien souvent très éloignée des thèses initiales. Et incidemment cela conduit aussi à ce qui a été beaucoup été reproché aux IUFM, c'est-à-dire une certaine "doxa" pédagogique s'accompagnant d'approximations.
Il y a peu de formation de formateurs. On peut alors constater des situations paradoxales où l’on en vient à faire des cours magistraux sur les méthodes actives… Or, il y a un principe d’homologie : les nouveaux enseignants enseigneront comme ils ont été recrutés et formés. La forme que doit prendre la formation est tout aussi importante que le fond.
Au risque de me fâcher avec bon nombre de mes collègues, je pense que les formateurs des ESPÉ ne peuvent être uniquement recrutés parmi les formateurs actuels des IUFM. Le statut des ESPÉ devrait ainsi inclure l’obligation d’avoir une proportion conséquente de professeurs “en temps partagé”. Ceux ci pourraient effectuer un tiers de leur service dans un établissement (pour tenir compte de la difficulté à gérer ces deux contraintes) et une moitié dans les ESPÉ. Ces enseignants pourraient ainsi faire mieux le lien entre la formation et le “terrain” et lever certaines critiques faites aux IUFM.
Mais la formation doit se faire aussi dans les établissements. Il serait souhaitable d’aller vers la création d'un statut de professeur-formateur dans le secondaire sur le modèle des "maitres formateurs" du primaire. D’une manière générale, il semble utile de considérer que c’est l’ensemble de l’établissement qui est formateur. On privilégierait alors l’accueil des stagiaires dans les établissements engagés dans des projets d’établissement forts et dans l’innovation.
Ces Écoles Supérieures du Professorat et de l’Éducation pourraient ainsi développer des partenariats et des conventions avec des établissements mais aussi avec les associations partenaires de l’École et les mouvements pédagogiques.


Inventons !
Je ne vais pas redévelopper ce que j’ai déjà pu écrire ici ou ailleurs sur la nécessité de penser la formation comme un processus continu ou sur l’importance de l’analyse de pratiques. On s’est limité ici à la question déjà complexe du statut des ESPÉ, de la place du concours et du contenu de la formation.
On ne parviendra pas à rebâtir la formation en reproduisant les structures actuelles ou passées des IUFM et de la formation à l’université. Et on ne pourra pas non plus le faire exclusivement avec les personnes qui travaillent actuellement dans les IUFM. Mais pour dépasser les blocages et les groupes de pression, il faudra arbitrer et trancher. Et il nous faudra surtout inventer...
Je ne suis pas sûr que la concertation soit une machine à fabriquer du consensus. Mais elle permet sûrement de voir où se situent les blocages et les lignes de tension.
Et surtout, cette période de concertation, amène tous les acteurs à réfléchir plus intensément et collectivement aux enjeux de l’école de demain. Il reste à souhaiter que les décisions politiques soient à la hauteur des enjeux.
Comme le rappelle une fameuse contrepèterie de Francis Blanche qui s'applique très bien à la refondation de l'école : “Il ne suffit pas de changer le pansement, il faut penser le changement...


5 commentaires:

jacques dubois a dit…

Entièrement d'accord avec tout ce que vous dites ! En espérant que cette concertation n'aura pas été vaine ...

Hattemer a dit…

J'espère aussi que cette concertation servira les intérêts du plus grand nombre. Merci pour votre article :)

Anonyme a dit…

Vos scénarios confondent deux dimensions: le contenu et le style de formation et l'organisation institutionnelle.
Je suis assez d'accord avec l'idée d'une sélection sur critères disciplinaires au niveau de la licence, puis une formation professionnelle à la pédagogie, mais aussi un prolongement de la formation diciplinaire, au niveau du Master.
Mais pourquoi en déduire que dans cette hypothèse les "Espé" doivent être extérieures à l'université ? Votre méfiance vis à vis de l'université est difficile à justifier. Les écoles d'ingénieurs universitaires, les écoles de droit devraient-elles être extérieures à l'université ? Cela n'a aucun sens. C'est au contraire l'intégration des formations professionnelles dans les universités qui est nécessaire. Ceci est encore plus vrai pour les enseignants que pour toutes les autres filières.

Watrelot a dit…

Si je suis "méfiant", c'est me semble t-il à raison. D'abord parce qu'on a bien vu dans la période récente comment les universités d'accueil ont “dépecé” les IUFM . Ensuite parce que, jusqu'à maintenant, les universités n'ont pas montré un intérêt pour la pédagogie. Et je crois que le fonctionnement des universités, tant le mode de recrutement que l'évaluation des enseignants, ne sont pas favorables à une organisation permettant de répondre aux besoins de la formation. Mais je peux me tromper....!

Anonyme a dit…


L'analyse de Philippe Watrelot s'avère être juste. Enseignant en IUFM, j'ai vu peu à peu les enseignements s'éloigner des réalités de terrain tant du premier que du seconde degré, la professionnalisation reculer et l'alternance n'être qu'une juxtaposition. Le concours en fin de master serait une catastrophe. Les étudiants aborderaient une myriade de champs académiques et se tourneraient vers les officines de préparation de concours in fine voire vers l'université car certaines ont déjà mis en place leur préparation payante: le beurre et l'argent du beurre...
La place du concours devrait être en L3 avec des modules de professionnalisation en amont et un master professionnel ensuite.
Enfin il faut laisser aux étudiants le choix entre un mémoire professionnalisant et un mémoire de recherche.

 
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