- Collège – Épi c’est tout ! - Socle – Verrous... va t-on ? -
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Le bloc notes revient sur une semaine très chargée. On pouvait nourrir quelques inquiétudes sur les deux sujets majeurs : le collège présenté mercredi en conseil des ministres et le socle commun voté jeudi (au CSE). Mais, même si on peut rester sur sa faim, les choses vont plutôt dans le bon sens. Tout en identifiant clairement les verrous qui peuvent bloquer la dynamique.
Collège
Mercredi en conseil des Ministres, Najat Vallaud-Belkacem a présenté son projet de réforme du collège. Dès le début de la semaine, malgré l’embargo demandé aux journalistes qui avaient déjà le dossier de presse, on a pu voir filtrer quelques informations. La presse généraliste s’est surtout focalisée sur le projet de démarrer la deuxième langue vivante dès la cinquième. On a eu moins d’articles consacrés au dispositif qui semble pourtant plus important à savoir les enseignements pratiques interdisciplinaires (EPI). Les journalistes spécialisés ne s’y sont pas trompés quant à eux et ont proposé des analyses sur les enjeux de cette réforme du collège pour les élèves et pour les professeurs avec l’apport de plusieurs spécialistes de l’éducation.
On trouvera sur le site du Ministère une présentation (bien faite) de la réforme avec pour titre “Mieux apprendre pour lieux réussir”. La ministre s’est beaucoup dépensée pour présenter sa réforme avec plusieurs interviews comme celle donnée au Parisien et à la presse régionale ou encore à Europe1 . On trouvera des présentations synthétiques dans la plupart de vos journaux. Dans L’Express, ou sur le site VousNousIls ou encore Le Monde ... Dans 20minutes on résume le projet présenté en cinq points :
- Une deuxième langue vivante dès la 5e
- Interdisciplinarité et travail en groupe à travers les EPI
- Renforcer et moderniser l’apprentissage des savoirs fondamentaux (20 % du temps pour les “nouvelles modalités d’enseignement”)
- Un suivi personnalisé renforcé
- Favoriser l’épanouissement personnel et l'apprentissage de la citoyenneté (pause méridienne d’une heure et demie, développement d’un média dans chaque collège)
Notons que ce projet présenté mercredi dernier fera ensuite l’objet de négociations syndicales dans les trois semaines suivantes. Alors ? Vraie réforme ou toilettage ? Sur ce point les avis divergent. Chez les journalistes spécialisés comme chez les experts. Marie-Caroline Missir dans son blog sur L’Express.fr est assez pessimiste. Selon elle, si on ne touche pas à la carte scolaire, au statut des enseignants et à la continuité école-collège, “il serait illusoire de prétendre sortir du statu quo dans lequel s’enlisent des générations de collégiens”. Un avis assez négatif aussi au Figaro chez Marie-Estelle Pech et Caroline Beyer. Leur article conjoint titre sur les “fausses hardiesses d'un texte fade ”. Dans une vidéo sur le site du journal Le Monde , la journaliste spécialisée Mattéa Battaglia trouve quant à elle le projet ambitieux mais s’interroge sur sa faisabilité puisque tout doit être mis en oeuvre à la rentrée 2016. Sur Slate.fr, Louise Tourret adopte une tonalité plus positive et estime que si la réforme permet que la sixième ne soit plus un choc pour les enfants c’est déjà en soi un élément important.
Les experts interrogés dans la Presse sont eux aussi circonspects mais mettent l’accent sur les pistes d’évolution. Ainsi pour Éric Charbonnier (expert à l’OCDE) interrogé par Les Échos “La réforme du collège n’est pas particulièrement novatrice ” notamment parce qu’elle évite de bousculer le statut des enseignants et qu’elle n’aborde pas la question de l’éducation prioritaire. François Dubet dans La Croix est sur un optimisme mesuré. “ La ministre est allée aussi loin qu’elle le pouvait sans prendre le risque d’une guerre civile dans le monde de l’éducation. [...] Si elles se saisissent de la marge de manœuvre supplémentaire accordée, les équipes pourront, dans un cadre commun, s’adapter davantage aux différents profils des élèves”. On retrouve une analyse assez voisine du sociologue dans une autre interview sur AlterEco Plus ou il estime que “«La réforme du collège va dans le bon sens, même si elle n’est pas radicale»”. Patrick Rayou dans une interview à L’Humanité insiste sur la nécessité de travailler sur la liaison école-collège et la prévention du décrochage. En résumé, on peut donc dire que la réforme du collège n’est pas révolutionnaire mais peut offrir des pistes intéressantes pour faire évoluer les pratiques.
C’est en somme ce que dit le communiqué du CRAP-Cahiers Pédagogiques !
C’est en somme ce que dit le communiqué du CRAP-Cahiers Pédagogiques !
EPI c’est tout... !
Un jour il faudra consacrer un billet à cette propension de l’éducation nationale à se muer en “manufacture des sigles”. Quoi qu’il en soit ces enseignements pratiques interdisciplinaires apparaissent comme la mesure le plus emblématique de cette réforme. Même si cela a un air de déjà-vu pour ceux qui se rappellent des itinéraires de découverte (IDD) ou pour les plus anciens les “10%”. À compter de la rentrée 2016, les élèves de collège, surtout en cinquième, quatrième et troisième, bénéficieront donc chaque semaine de quatre à cinq heures d'enseignement interdisciplinaire. «Ils permettront aux élèves de comprendre le sens de leurs apprentissages en les croisant, en les contextualisant et en les utilisant pour réaliser des projets collectifs concrets», explique le ministère. Ces projets s'inscriront dans huit thèmes de travail «correspondant aux enjeux du monde actuel»: développement durable ; sciences et société ; corps, santé et sécurité ; information, communication, citoyenneté ; culture et création artistiques ; monde économique et professionnel ; langues et cultures de l'Antiquité ; sciences et société; mathématiques, physique et histoire.
Les médias ont fait l’effort d’ aller voir ce qui se faisait déjà dans ce domaine . Et pour les militants pédagogiques comme ceux du CRAP, la lecture de la presse de ces derniers jours donne un peu le sentiment de prendre des nouvelles des amis... C’est le cas avec le reportage du Parisien au collège Clisthène de Bordeaux. Un collège dont on nous dit qu’il a “inspiré la réforme”. Le Monde propose une visite au collège Louis-Pasteur de Mantes-la-Jolie (Yvelines) où les matinées sont consacrées à un « tronc commun » d’enseignement en classe entière, correspondant aux deux tiers du temps scolaire, et les après-midi consacrés à des « enseignements modulaires » mêlant une ou plusieurs disciplines. Et surtout dans Libération , on va prendre des nouvelles de nos amies du projet Neo Alta au sein du collège Anatole France des Clayes-sous-Bois (Yvelines). On y combine les disciplines dans des projets et on accompagne les élèves avec des “groupes d’apprentissage” (en abrégé, ça donne Grapp.... !).
Avec la question de l’autonomie, l’interdisciplinarité est un des points de friction qui risquent de peser dans les négociations syndicales. Si les syndicats réformistes (SE-UNSA, SGEN-CFDT) y sont favorables, cela ne va pas de soi pour d’autres syndicats. «Ce n’est pas un remède magique, et la structuration disciplinaire doit rester la base de l’enseignement», affirme ainsi Roland Hubert, cosecrétaire général du Snes. Il s’agace des propos de la ministre qui veut lutter contre la passivité et l’ennui chez les collégiens, «un discours convenu» et éloigné des réalités, selon lui. Jean-Rémi Girard du SNALC s’inquiète du temps qui va être alloué aux EPI: «On a déjà du mal à boucler les programmes.». Dans L’Humanité, Frédérique Rolet co-secrétaire général du SNES considère qu “Il y a longtemps que les pratiques des enseignants sont en évolution. L’interdisciplinarité existe déjà et permet aux collégiens d’appréhender les différentes approches d’une même notion. Mais l’enseignement des notions de chaque discipline est incontournable pour que les élèves puissent les croiser… Nous avons besoin d’horaires disciplinaires suffisamment importants pour que les élèves acquièrent ces savoirs. ” Et par ailleurs elle s’inquiète de l’autonomie “Autant les équipes ont besoin d’autonomie pour accompagner la diversité des élèves et pour trouver les meilleurs moyens de les motiver, autant l’autonomie des établissements risque d’entraîner le renforcement des inégalités.”
Derrière les positionnements syndicaux sur l’interdisciplinarité, il y a une question identitaire. Ce qui définit l’enseignant du secondaire par rapport à son collègue du primaire, c’est sa spécialisation. Et la construction de l’identité professionnelle repose fortement sur cet attachement à la discipline d’enseignement. Dans les enquêtes menées sur le sujet, c’est à une forte majorité que les enseignants déclarent être devenus profs “par amour de leur discipline”. Et ce n’est pas l’organisation actuelle de la formation initiale des enseignants dans les ESPÉ qui va vraiment changer les choses !
Socle
L’autre gros morceau de la semaine, c’est le vote jeudi dernier par le Conseil supérieur de l’éducation du projet de socle commun .
L’instance consultative regroupant tous les représentants de la communauté éducative a adopté le nouveau socle avec une forte majorité. 38 voix Pour (SE-Unsa, Sgen-CFDT, FCPE, PEEP, UNL,...) ; 7 Contre (CGT, Sud, Snalc) et 16 Abstentions (dont la FSU). La discussion précédant le vote final a donné lieu aussi à un certain nombre d’amendements. En particulier on y a réintroduit une partie sur l’évaluation qui avait disparue dans une des dernières versions.
Comme l'écrivait Mila Saint-Anne dans la revue de presse du vendredi 13, on peut déplorer que la Presse n’ait pas consacré autant d’articles qu’au collège à ce sujet du socle pourtant aussi important. Il est vrai que les enjeux sont moins immédiatement visibles dans la mesure où il ne s’agit que d’un “programme des programmes” pour reprendre l’expression du président du Conseil Supérieur des Programmes, Michel Lussault. Ce n’est donc qu’une première étape (comme le rappelle VousNousIls), la suite se jouera dans les nouveaux programmes de la scolarité obligatoire. Ceux-ci seront soumis au vote du CSP (Conseil supérieur des programmes) le 26 mars, puis soumis à consultation des enseignants, avant adoption à l’été 2015. Notons aussi, que tout comme la réforme du collège, tout cela sera mis en place à la rentrée 2016.
Verrous et leviers...
“Nouveau socle, nouveaux programmes et nouvelle organisation du collège : tous les leviers sont ainsi réunis pour permettre aux élèves de mieux apprendre et mieux réussir.”. C’est la conclusion de l’article sur le socle commun publié sur le site personnel de Najat Vallaud Belkacem . La ministre est dans le discours performatif et est tout à fait dans son rôle. Mais si “tous les leviers sont réunis”, encore faut-il que les principaux acteurs s’en saisissent. Et on peut aussi identifier un certain nombre de verrous...
Dans un article qui cerne bien les enjeux Mattea Battaglia du journal Le Monde identifie l’un d’entre eux qui nous ramène de nombreuses années en arrière. En effet, pour elle et pour de nombreux observateurs de l’École, remettre en chantier le collège “ revient à trancher une question laissée en suspens depuis la création du collège unique (1975) : celui-ci doit-il être le prolongement de l’école ou la préfiguration du lycée ? ”. C’est aussi ce que dit à sa manière François Dubet dans La Croix lorsqu’il qualifie le collège de “monstre pédagogique” et pointe la contradiction au coeur du collège unique : “ À sa création, il y a quarante ans, on a décidé que tous les élèves suivraient un même parcours jusqu’à la 3e. On a donc prolongé la logique de l’école primaire jusqu’au terme de la scolarité obligatoire. Mais on a conçu ce collège comme le premier cycle du lycée « classique », avec des enseignants qui passent le même concours, le Capes, et appartiennent au même corps…” Il y a là une contradiction jamais levée depuis même si le socle commun avec sa logique démocratique (puisque 100% des élèves doivent l’avoir) met un peu plus à mal la logique de sélection durant la scolarité obligatoire .
Mais il y a le socle et les statuts...
Quand on s’intéresse à l’histoire du système éducatif, on sait aussi que lors de la création du collège unique la question s’est posée de savoir qui devait enseigner en collège. On a créé à l’époque un statut, celui des PEGC, avec des anciens instituteurs polyvalents. L’idée était de réduire le nombre d’intervenants au collège pour éviter une trop grande rupture avec le primaire. Mais cela s’est heurté à la logique syndicale car cela remettait en cause les champs de syndicalisation des deux principaux syndicats (le SNI de l’époque et le SNES) et remettait en cause l’identité professionnelle des enseignants comme nous l’avons évoqué plus haut.
Autre verrou, autre risque, celui du refus de l’autonomie. Cela part d’une idée tout à fait noble : celle de l’égalité républicaine. Mais au nom de cette belle idée on peut aussi ne pas voir les inégalités réelles et refuser l’autonomie dans les établissements en mettant en avant le risque de ne pas voir la même chose se faire partout. Certes, cela suppose que l’autonomie soit bien celle des équipes et du “pouvoir d’agir” et pas une autonomie “managériale”. Le risque existe mais ce serait faire injure de penser que les personnels de direction ne soient pas eux aussi pénétrés de l’esprit de service public. Toute autonomie ne conduit pas a priori à la concurrence et aux dérives brandies comme des épouvantails pour justifier le refus du changement.
Derrière le débat sur les disciplines que nous avons déjà évoqué se cache peut-être un autre verrou essentiel : celui de notre capacité à travailler en équipe. Il ne s’agit pas ici pour l’enseignant que je suis, et qui s’inclut dans la critique, de tomber dans le travers de la culpabilisation et du reproche facile. Car, on peut se demander si nous avons été formés au travail en équipe. Et si le système tel qu’il fonctionne aujourd’hui le favorise. Il s’agit cependant de s’autoriser à le faire.
Il faut aussi dépasser le clivage stérile cherchant à opposer les disciplines et le travail interdisciplinaire, les connaissances et les compétences. On a besoin pour lutter contre les inégalités de construire des apprentissages solides qui ne soient pas qu’une simple récitation oubliée le lendemain de l’interrogation, c’est l’enjeu des compétences. Et pour cela, il faut mettre les élèves face à des tâches complexes et construire de la cohérence et de la complémentarité entre les enseignements pour leur donner du sens. “Comment, moi, enseignant de ma discipline (et fier-e de l’être !) je peux contribuer à construire des compétences en partie spécifiques et en partie partagées avec d’autres disciplines ? ” Voilà ce que pourrait-être la question que chaque enseignant pourrait se poser dans le collège de demain.
Un collège, une école, un lycée où on n’oublie pas que l’enjeu majeur c’est de lutter contre les inégalités et de construire un système éducatif plus juste.
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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1 commentaire:
Vous écrivez (je coupe les passages où je considère que vous faites manifestement fausse route, ne voulant pas le discuter) : "Il faut aussi dépasser le clivage stérile cherchant à opposer les disciplines et le travail interdisciplinaire, les connaissances et les compétences. On a besoin pour lutter contre les inégalités de construire des apprentissages solides qui ne soient pas qu’une simple récitation oubliée le lendemain de l’interrogation [...] “Comment, moi, enseignant de ma discipline (et fier-e de l’être !) je peux contribuer à construire des compétences en partie spécifiques et en partie partagées avec d’autres disciplines ? ” Voilà ce que pourrait-être la question que chaque enseignant pourrait se poser dans le collège de demain. "
Ce paragraphe est très intéressant, et à mettre en lien avec la réforme en cours. Car il semble bien que ce qui caractérise la mise en place des EPI soit précisément cette opposition factice que vous dénoncez. En effet, dans le cadre d'une volonté sincère de promouvoir des marges d'autonomie pour les établissements et les équipes, on aurait pu efficacement faire l'économie de la création, à nouveau, d'un immense machin technocratique que tous les établissements et les enseignants de France vont devoir mettre en oeuvre le doigt sur la couture du pantalon, quasiment du jour au lendemain. La passion française pour les chaînes de commandement autoritaires trouve encore là une expression déplorable.
Une autre manière de procéder, certainement plus efficace, aurait été de laisser les heures consacrées à ces machins à l'initiative totale des équipes, qui auraient pu décider localement de s'investir dans des projets,d es enseignements communs, ou bien simplement de proposer, dans le cadre du questionnement que vous indiquez, plus de mathématiques et de français aux élèves, dans un cadre moins contraint par les programmes, ce qui aurait certainement localement contribué bien plus efficacement à l'acquisition de compétences larges chez les élèves que l'application contrainte d'un projet venu d'en haut.
On s'interroge sur les raisons pour lesquelles les mouvements et individus, vous en premier lieu, qui font mine depuis des années de défendre l'autonomie ne sont pas vent debout contre l'idée même d'un déploiement uniforme dans tous les établissements de France d'un même enseignement selon les mêmes modalités, sans aucune marge pour les équipes souhaiteraient s'organiser autrement, alors même que l'échec absolu des réformes passées tentant des mises en œuvre sur cette modalité est patent.
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