- Réforme du collège – Décryptage : de l’explicite... – …à l’implicite... -
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Le bloc notes aurait pu être encore plus long ! On aurait pu parler de plein d’autres choses encore : du débat sur le collège dans les réseaux sociaux, du “jargon”, des contenus, des colonies de vacances...
Plein de sujets délaissés au profit d’une analyse sur la réforme du collège. On essaiera en particulier de se livrer à un décryptage des enjeux explicites et implicites qui se jouent autour de ce projet.
Réforme du Collège
Le débat sur la réforme du collège fait rage. Et il se double d’un débat sur les contenus enseignés à partir des projets présentés par le Conseil Supérieur des Programmes.
La Ministre de l’Éducation fait face à une opposition multiple y compris venant de son propre camp. Et les critiques semblent se succéder avec à chaque jour un nouveau sujet de polémique. Les revues de presse des jours précédents en ont rendu compte. On a vu d’abord monter au créneau les défenseurs des langues de l’antiquité (latin et grec) qui se sont fortement mobilisés et ont pu obtenir quelques assurances et concessions. Ensuite, c’est l’enseignement de l’allemand qui a été l’objet de toutes les attentions avec même le renfort d’un ex-premier ministre (et ex prof d’allemand) et la crainte d’un conflit diplomatique avec l’Allemagne (!). L’enseignement de l’Histoire est aussi l’objet de nombreux débats. Dans le climat délétère du moment, on s’alarme même d’un “enseignement de l’Islam” obligatoire... Dernièrement, on vient de publier une nouvelle tribune, cette fois ci pour alerter sur la disparition du russe. Après Mme Merkel, va t-on voir Wladimir Poutine s’immiscer dans le débat sur le collège ? Bref, tout le monde semble s’alarmer, le “politique” s’en mêle et personne ne fait dans la nuance à commencer par les médias eux mêmes qui regorgent de tribunes incendiaires et de reportages trop souvent peu nuancés. Le déclinisme a de beaux jours devant lui et tout aussi inquiétant, on voit resurgir avec force les attaques contre ceux qui sont qualifiés de “pédagogistes”, forcément délirants, nécessairement coupés du terrain, jargonnants (nous y reviendrons dans un autre billet) et destructeurs de notre belle école que tout le monde nous envie...
Pendant ce temps, les syndicats enseignants hostiles à la réforme préparent la grève et les manifestations du 19 mai prochain et sont à l’offensive avec des argumentaires prêts à l’emploi et une mobilisation concertée et excessive sur les réseaux sociaux . De l’autre “côté”, on va trouver aussi une mobilisation pour expliquer la réforme. D’abord sur le site du Miistère mais aussi sur plusieurs sites syndicaux (UNSA ou SGEN-CFDT ). Sur le plan politique, le soutien peut être trouvé aussi dans un communiqué d’EELV et une tribune collective parue dans Libération et signée par Patrick Bloche et ses collègues socialistes de la Commission des Affaires culturelles et de l’Education de l’Assemblée nationale.
Décryptage : de l’explicite...
Pour comprendre la teneur du conflit, il faut d’abord partir des raisons formulées explicitement (dans le communiqué commun) mais aussi essayer d’aller plus loin pour comprendre la virulence du débat.
Le communiqué commun cite comme principale raison que la réforme est « fondée sur l’autonomie des établissements et la multiplication des hiérarchies intermédiaires sous l’autorité du chef d’établissement » et le texte ajoute que « Sans répondre aux véritables besoins du collège, cette réforme ne ferait en outre, si elle était mise en œuvre en 2016, qu’engendrer davantage d’inégalités entre les élèves, aggraver les conditions de travail des personnels, mettre en concurrence personnels, disciplines et établissements ». EPI c’est tout ? On notera que ce communiqué commun ne dit rien en tant que tel sur l’interdisciplinarité et les Enseignements Pratiques Interdisciplinaires (EPI). Pourtant c’est objectivement, là aussi un sujet de conflit. On reproche à ces enseignements (15% de l’emploi du temps) de se faire au détriment des disciplines et d’imposer une démarche aux enseignants contre la liberté pédagogique. La troisième raison, c’est bien sûr celle de la “menace” contre certains enseignements que nous évoquions plus haut : le latin et le grec, l’allemand et les autres langues hormis l’espagnol et l’anglais. Une quatrième raison est également évoquée. C’est celle de la précipitation de la réforme prévue pour 2016 et avec, disent ses opposants, un manque de concertation en amont. On pourrait rajouter à cette liste un cinquième motif de mécontentement avec les nouveaux programmes. Mais on s’éloigne du seul sujet du collège.
Ce sont donc les raisons explicites du conflit. On peut revenir sur certains points.
En ce qui concerne l’autonomie des établissements vue comme un danger de mise en concurrence, j’ai déjà longuement développé une analyse dans un précédent bloc-notes. On peut simplement rajouter qu’il y a de quoi être surpris (surtout de la part de syndicats) par le manque de confiance en l'action collective que semble exprimer un refus qui s'appuie de ce qu'on résume un peu rapidement par “autonomie des chefs d'établissements" alors qu'on pourrait parler de liberté d'action et de responsabilisation des équipes pédagogiques.
Sur l’interdisciplinarité, là aussi, la critique est multiple et montre bien que le front du refus est hétérogène (c’est peut être aussi pour cela que ce n’est pas mentionné explicitement dans le communiqué commun). Chez certains, on nous dit que “ça se fait déjà” mais on refuse aussi ce qui est vécu comme une soustraction aux horaires disciplinaires. Chez d’autres (ou les mêmes) on se place sur un plan didactique en considérant qu’il faudrait d’abord s’assurer des “fondamentaux” avant de commencer à croiser des disciplines et que, donc, les élèves sont trop jeunes pour ça. On oublie alors que l’approche pluridisciplinaire est, de fait, pratiquée au Primaire et que cela n’empêche pas d’apprendre bien au contraire. D’une manière plus générale, cette “pédagogie des préalables” semble oublier que pour créer du sens et de la motivation, il peut être utile de partir de situations complexes qui ne sont pas réductibles à une seule discipline. Mais cela suppose ensuite des apports disciplinaires solides et bien maitrisés pour nourrir les apprentissages. Loin d’être un “moins”, l’interdisciplinarité est alors un “plus” et n’est en rien une remise en cause des disciplines, bien au contraire. C’est aussi l’occasion de mieux construire des compétences en partie transversales et d’amener les enseignants à plus encore collaborer et faire un travail d’équipe.
La crainte de voir certains enseignements menacés est... une crainte... Pas une certitude (sauf à lire l’avenir dans une boule de cristal). On a ici deux versions qui s’affrontent. Celles du Ministère et celles de certains syndicats et associations de spécialistes. On se situe ici dans une logique double qui est à la fois celle de la défense des conditions de travail sachant que le risque de voir le nombre d’élèves par classe augmenter est réel et une logique plus complexe et honorable que je qualifierai de “messianisme disciplinaire” : chaque enseignant (ou presque) est convaincu que sa discipline est un apport essentiel et incontournable à la construction de la culture de chaque élève...
Sur la question des délais et de savoir si 2016 c’est trop court, un seul regard sur le calendrier électoral nous apprend que l’année 2017 suit 2016... C’est donc maintenant ou jamais... Et réclamer un délai supplémentaire revient en fait à reporter la réforme aux calendes... grecques...
…à l’implicite...
Pour expliquer une telle virulence, il faut peut-être aller au delà des raisons objectives et explicites. Même si le terrain est miné et qu'on ne manquera pas de m’accuser de sur-interpréter ou de me livrer à du “mentalisme”...
D’abord il faut constater que, mine de rien, cette “petite” réforme pose quand même des questions qui fâchent et appuie là où ça fait mal (la preuve !). En effet, derrière tout cela, on retrouve des conceptions différentes du métier d’enseignement et de la définition de son identité professionnelle. On l’a souvent écrit ici même, pour beaucoup d’enseignants du secondaire, l’identité professionnelle se définit par la discipline d’enseignement (le SNES a produit un clip très intéressant à ce sujet). Cela peut être très structurant et positif car cela contribue à construire une réflexion sur la science et sur sa pratique professionnelle. Mais le risque est double. D’abord celui de tomber dans le “messianisme disciplinaire” décrit plus haut : “hors de ma discipline point de salut !”. Et surtout cela amène à considérer comme secondaires toutes les autres dimensions du métier d’enseignant : les travaux interdisciplinaires, l’accompagnement et tout ce qui a trait à la vie de la classe. En particulier, l’interdisciplinarité : c’est “pour de faux”. Ce n’est pas le cas de tous les enseignants évidemment et ces éléments d’analyse peuvent apparaitre comme réducteurs. Mais il me semble utile de les prendre en compte pour expliquer une partie de la fronde actuelle et surtout la virulence de certaines réactions.
Pour continuer dans la même veine du décryptage de l’implicite, il faut aussi revenir sur la conception individualiste du métier d’enseignant. La co-intervention, le travail en équipe ne sont pas des choses aussi fréquentes que cela. Et cela est souvent/quelquefois vécu comme un regard intrusif dans l’intimité de la classe. Une réforme qui tend à “imposer” cela (même si c’est pour 15 à 20% du temps) peut être alors mal ressentie d’autant plus qu’elle se heurte aussi à une culture anti-hiérarchique assez forte qui voit le supérieur comme une menace à sa liberté.
Bien sûr, il ne s’agit pas avec ces quelques remarques de tomber dans une sorte de psychologie sommaire de l’enseignant. Il convient de rappeler que nous sommes tous différents avec des histoires et des rapports au métier distincts. Mais surtout, il ne faut pas oublier que ces caractéristiques sont largement le produit d’une construction et d’un système. Elles sont le produit du mode de recrutement, des concours et de la formation initiale, de la rémunération... Elles sont renforcées par un système qui jusque là a souvent été une structure bureaucratique et infantilisante.
Et puis, les enseignants ne sont guère différents du reste de la société (même si certains le croient !). Et les réactions à la réforme montrent les limites d’un changement de système. Comme le soulignent plusieurs articles et en particulier Libération ou Louise Tourret dans Slate.fr Najat Vallaud-Belkacem s’attaque (un peu) aux filières dites d’excellence, qui garantissent à certains enfants (et à leurs parents) d’être dans «la meilleure classe» du collège. Bien sûr, on trouvera des exemples réels et incontestables pour montrer que non, tel ou tel enseignement n’est pas élitiste. Mais comme l’écrit Louise Tourret : “au vu des résultats globaux de l'école française, est-ce vraiment sur l'allemand et les langues anciennes qu'il faut porter son attention? Si les moyens ne sont pas extensibles à l'infini, pourquoi ne pas les concentrer davantage sur les élèves en difficulté? ou du moins sur les pédagogies qui permettent de réduire les inégalités? ”
C’est l’impensé de la réforme. Derrière les critiques qui s’indignent que l’on remette en question ces filières d’excellence (alors qu’on offre l’enseignement des langues à tous), derrière ceux qui crient au “nivellement par le bas”, on a le sentiment qu’il y a des choses qui ne sont pas dites clairement. Tout le monde vous dira bien sûr qu’il souhaite la réussite de tous les élèves. A commencer par nos intellectuels et nos éditorialistes : mais comment critiquer un système qui vous fait réussir ? Comment peuvent-ils penser la difficulté scolaire ? Les plus démunis sont-ils ceux à qui on offre des tribunes ? En fait, on a l’impression que notre société, notre école est “shootée” à l’élitisme républicain et à la sélection. Avec une “préférence pour l’inégalité” pour reprendre le titre du dernier livre de François Dubet . Car, ne l’oublions pas alors que le débat semble s’embourber, ce n’est pas comme si notre École allait bien ! N’ayons pas la mémoire courte et ayons le sens des priorités.
C’est finalement cette urgence qu’on retrouve dans cette interview surprenante par sa radicalité et sa franchise de Najat Vallaud-Belkacem pour Le Point le 20 avril 2015 : “Tout le monde est d'accord pour déplorer les faibles résultats et les inégalités qui se creusent au collège. Mais lorsqu'il s'agit d'offrir à tous les collégiens les mêmes perspectives de réussite et donc de tirer tout le monde vers le haut et pas seulement quelques-uns, on nous parle systématiquement de "nivellement par le bas". Alors, oui, ces débats le confirment une fois de plus : il y a bien une différence essentielle entre les progressistes et les conservateurs. Les premiers combattent les inégalités quand les seconds en théorisent la nécessité. Ce qui me guide, moi, c'est le souci de démocratisation de la réussite. Je ne me satisfais pas qu'un élève sur quatre ne maîtrise pas les compétences attendues en français à la fin du collège. Je ne me satisfais pas que la corrélation entre le milieu socio-économique et la performance des élèves soit bien plus marquée chez nous que dans la plupart des autres pays de l'OCDE. [...] Ce qui est frappant, c'est que ce débat sérieux et profond - élitisme dynastique versus élitisme républicain qui suppose qu'on rebatte vraiment les cartes en offrant de mêmes chances de réussite à chacun - n'est jamais mené de façon franche, en tombant les masques. Les défenseurs d'un système inégalitaire et de reproduction sociale ne vous le diront jamais frontalement, sans doute parce qu'ils perçoivent ce que leur position peut avoir d'intenable dans un pays amoureux d'égalité. Alors, ils recourent à une stratégie désormais bien rodée : multiplier les contre-vérités pour embrouiller les esprits et faire douter de la réforme. Il suffit de la lire pour dégonfler leurs accusations, mais ils savent pouvoir compter sur le fait que peu prennent malheureusement le temps de le faire.”
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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