samedi, octobre 24, 2015

Top 8 des phrases qu’un(e) président(e) du CRAP doit subir sur les réseaux sociaux (et ailleurs)


J’ai quitté mes fonctions de président du CRAP-Cahiers Pédagogiques le 19 octobre 2015. Lors de la petite fête qui a terminé la journée, j’ai fait un discours où je faisais des listes (« les huit choses que j’ai apprises au CRAP », « les huit phrases qui ont du casser les pieds des adhérents », « les huit objets qui symbolisent ces années ») Pourquoi huit ? Parce que je suis resté huit ans président de cette belle association.
« Y en a un peu plus, je vous le mets quand même ? » dirait mon boucher... Voici donc une nouvelle liste de huit. Une liste inédite, que je n’ai pas proposée dans mon discours de fin de mandat, mais qui peut résumer aussi ces huit années et surtout les deux dernières où les réseaux sociaux se sont emballés...




1 « Hu, Hu, Hu,  vous savez ce que ça veut dire CRAP en anglais… ? »
Ben non, évidemment on est complètement ignares et on ne connait pas l’anglais...
Plus sérieusement l’association qui a pour nom complet “Cercle de Recherche et d’Actions Pédagogiques” est née en 1963 pour accompagner la revue “Cahiers Pédagogiques” née quant à elle en décembre 1945. A cette époque, on se contrefichait de savoir ce qu’un sigle pouvait bien dire dans une autre langue. Et c’était très bien comme ça !
Nous sommes fiers de cet héritage et à vrai dire le côté “happy few” (tiens c’est de l’anglais...) et la “connivence culturelle” de ceux qui font cette sempiternelle remarque nous fait sourire plus qu’elle nous agace. Elle est tellement symptomatique de ce que peuvent être certains profs...
On aurait pu changer le nom et par exemple inverser “Recherche” et “Action” mais nous ne sommes pas muets… comme des CARP !



2 « De toutes façons vous n’enseignez pas, vous ne connaissez pas le terrain »
En fait, on n’est pas même pas humain, on vient de la planète Mars...
C’est la grande rengaine... Comme si une pensée différente devait forcément être renvoyée à une forme d’étrangeté. Il y a une vraie difficulté à concevoir qu’on puisse partager les mêmes conditions de travail et avoir des jugements et des opinions dissemblables.
Il y a aussi l’idée qu’un représentant d’association est forcément une sorte de notable assis et éloigné du sacro-saint “terrain”. Ça en dit long sur l’image des corps intermédiaires. Quand on est président d’association, on ne fonde pas son analyse uniquement sur sa propre expérience mais aussi sur la réflexion collective qui se fait au sein du mouvement avec des enseignants du primaire, du collège, du lycée, de l’université. etc.
Et au passage, il faut rappeler que pour ma part je suis prof en lycée (de banlieue) depuis 33 ans où j’enseigne les SES et que la nouvelle présidente du CRAP-Cahiers Pédagogiques enseigne, quant à elle, les SVT dans deux collèges.



3 « vous êtes naïfs, vous ne voyez pas les intentions cachées et où tout cela nous mène ? »
Autre version : on ne vient pas de la planète Mars, les pédagos sont des illuminati, on fait partie du complot...
Après le refrain sur le “terrain”, le couplet sur le complot... Il est toujours plus confortable de combattre des ennemis qu'on s'invente.
A tout prendre, en tout cas, je préfère la naïveté au cynisme de ceux qui sont revenus de tout sans jamais y être allé. Paradoxalement, alors qu’ils en ont dénoncé la présence chez certains de nos élèves après Charlie, une forme de complotisme est très à la mode aussi chez les enseignants : l’OCDE aurait pour objectif de décérébrer les élèves pour les préparer à devenir des salariés employables et exécutants.   
Philippulus le Prophète
On a eu droit récemment à une autre version avec la réforme du collège dont le but ultime était de détruire la culture française et même la civilisation occidentale ! Mais on va m’accuser de faire ce que je déplore c’est-à-dire caricaturer. Je préfère terminer ce point en rappelant que l’avenir est d’abord ce que l’on en fait. Et qu’avant de crier à un hypothétique complot, il faut croire en l’action collective et militante.



4 « Ca se dit démocrate et ça pratique la censure sur Twitter/Facebook ? »
La chasse aux trolls est ouverte et en vérité je suis le fils caché de Kim Jong Un...
Oui, j’ai “bloqué” un certain nombre de personnes sur ces deux réseaux sociaux et je continuerai à le faire. 
Bien faire et laisser braire
Prenons une métaphore pour exprimer la manière dont je vois leur fonctionnement et surtout Twitter. Vous êtes dans une grande salle comme par exemple la salle des profs de mon lycée (200 personnes), c’est la pause, vous parlez avec des collègues avec qui vous avez plus d’affinités quand tout à coup un autre qui vous casse les pieds cherche à s’incruster dans la conversation en vous infligeant son avis et même en étant impoli. Qu’est ce que vous faites ? vous pouvez l’écouter poliment mais vous pouvez aussi utiliser des stratégies pour éloigner cet importun qui vous agresse.
L’essentiel de ce que je fais sur les réseaux sociaux peut être assimilé à de la “veille” (et c’est pas demain que je vais arrêter de faire de la veille...) : je diffuse des liens vers ce que disent la presse et différentes sources sur l’actualité de l’éducation. J’ai quelquefois l’impression que quelques personnes font de la veille sur ma veille... au point de me reprocher la diffusion de tel ou tel article. Dans d’autres cas récents, c’était sur ce que j’écris moi même. Je ne suis pas ennemi du débat mais je ne pense pas que l’on puisse “débattre” en 140 caractères.  Et bien souvent cela s’apparente plus à du harcèlement voire à de l’agression ou de l’insulte. Alors, oui, il m’arrive de “bloquer”, cela veut dire simplement que je n’ai pas envie d’interagir avec la personne. Comme cela peut arriver dans la vraie vie...



5 « je trouve que ce que vous dites sur les enseignants est méprisant, je me sens insulté »
Bien sûr, une bonne partie de mes copains sont enseignants, je le suis moi même mais au fond je les méprise tous...
Se sent méprisé, se sent insulté,  qui veut bien l’être...
Je ne suis pas responsable de la manière dont mes propos sont reçus même si je fais attention à la manière dont je m’exprime. J’ai de toutes façons l’impression que dans le contexte actuel, je posterai même des photos de petits chats que certains pourraient trouver cela insultant ou méprisant ! En tout cas, je suis certain que le billet que vous êtes en train de lire aura cet effet !
Dans un contexte de morosité générale et de “déclassement” des enseignants, je crois que la difficulté tient au fait que la nécessaire critique du système éducatif est ressentie par quelques uns comme une attaque personnelle contre chaque enseignant . Or, je continue à le dire, on peut faire son métier du mieux que l’on peut dans un système qui dysfonctionne...



6 « Vous êtes des donneurs de leçons qui savez tout mieux que tout le monde »
Donner des leçons c’est une maladie professionnelle... C’est pas un peu ce que font tous les enseignants ?Et puis ce qui est curieux c'est que ce reproche est fait par ceux qui savent déjà à quoi vont mener les réformes...
C’est la suite logique du point précédent. La moindre parole peut aussi être interprétée comme un point de vue surplombant. Le « pédago » est vu alors comme quelqu’un qui dérange et qui remet en question les manières de faire de son interlocuteur (et donc l’agresse).  On a aussi la version “hard” de ce ressenti avec l’accusation de “secte” que certains n’hésitent pas à employer pour qualifier le CRAP.
Pourtant comme tous les collègues de notre association, si j’ai des convictions je n’ai pas de certitudes. A mon sens, la démarche du pédagogue est plutôt celle de l’expérimentation : on cherche, on explore des pistes d’action et on les confronte au regard critique de soi même et de ses collègues. La fonction des Cahiers Pédagogiques depuis leur création a été celle ci : rendre compte des pratiques des enseignants et donner des éléments d’analyse. Non, on ne sait pas mieux que tout le monde, on se questionne, on discute collectivement et sans dogmatisme ! J’en suis convaincu... mais ce n’est pas une certitude !




7 « De toutes façons vous êtes des soutiens inconditionnels du gouvernement vous et tous les syndicats “jaunes” »
et je prends mes instructions directement auprès de la ministre...
Il y a une vieille culture anti-hiérarchique dans l’Éducation Nationale : on y aime pas les chefs... Et on a tendance à les voir comme une sorte de “patronat” qui s’attaque à nos conditions de travail. C’est quelquefois vrai. Mais la comparaison trouve ses limites. Car il peut y avoir aussi en partage le sens du service public.
“Réformiste” n’est ni un gros mot, ni une insulte. On peut aussi considérer  que toutes les réformes ne sont pas a priori néfastes. Et faire ainsi la part des choses entre celles qu’on peut combattre et celles dont on pense qu’elles peuvent aller dans le bon sens sous certaines conditions. On peut aussi appeler cela du “soutien critique”.  
Il est malheureusement plus facile d’appliquer des grilles de lecture partisanes et un rejet global du gouvernement au risque d’avoir la mémoire courte...




8 « vous êtes des bisounours qui ne voyez  pas les difficultés»
mais non on est des extraterrestres... ! ou alors des bisounours teigneux...
Bisounours teigneux...
Le procès en “bisounoursitude” est devenu un grand classique des reproches faits à ceux qui essaient d’avoir une vision positive de l’École. Le nécessaire esprit critique s’est mué aujourd’hui en un cynisme stérile qui condamne toute initiative, tout changement, en accumulant les conditions et les effets pervers. On se trouve face à une combinaison de procrastination collective et de prophétie auto-réalisatrice qui n’est pas propre au monde de l’éducation et qui constitue une bonne partie du “malheur français”.

Il ne s’agit pas de nier les difficultés mais de les affronter.  Mon espoir c’est celui de tout militant qui est de voir aboutir ce pourquoi il se bat. Antonio Gramsci parlait « du pessimisme de la raison et de l’optimisme de l’action ». J’ai l’espoir que nous parvenions à une école plus juste qui permet de lutter vraiment contre les inégalités sociales et qui soit plus efficace en faisant plus confiance aux enseignants.  
Et je sais que les enseignants ont la capacité de se saisir de ces marges de manœuvre pour agir, innover, faire réussir tous les élèves et construire l’école de demain. Le pessimisme est presque une faute professionnelle ! Etre optimiste et croire dans les effets de son action, c’est finalement ce qui devrait caractériser tout enseignant...

Philippe Watrelot
ex-président du CRAP-Cahiers Pédagogiques 
Le 24 octobre 2015




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3 commentaires:

Laurent Fillion a dit…

Point n°7 : dans l'Education Nationale, un "jaune" est quelqu'un qui se déclare satisfait de voir les idées pour lesquelles il milite depuis longtemps reprises dans un projet gouvernemental. Un "bon militant" est celui qui, par posture, combat ses propres idées, ses propres valeurs une fois qu'elles sont proposées par la hiérarchie

Luc Bentz a dit…

Excellent billet Philippe, même si au fond je sais que tu es un Illuminati infiltré depuis la planète Mars où vous êtes tous des genres de Bisounours de couleur jaune ayant juste changé de forme pour embobiner la population.
M... ! Que fait David Vincent ? Où est-il passé ?

armand CHANEL a dit…

je ne connais pas la teneur des autres bouquets de 8, mais bravo pour celui-ci !

 
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