- Macron et l’éducation - Préconisations – L’économie et l’Académie- Butinages - .
Qu’avons nous au menu de ce bloc notes ?
Le plat de résistance est politique avec le programme d’Emmanuel Macron dont nous analyserons la partie consacrée à l’éducation tout en déplorant que le débat en soit réduit à des questions annexes. Nous accompagnerons cela de quelques préconisations de saison. Avant de nous intéresser à l’économie, dont on fait tout un fromage... Et nous finirons par un dessert gourmand avec quelques lectures diverses et variées... Bon appétit.
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Macron et l’éducation
Jeudi 2 mars, le programme d’Emmanuel Macron a été révélé. Le candidat l’a présenté à la presse notamment dans un long entretien au Parisien et mis en ligne sur son site .
Comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi même je signale que j’ai consacré un billet de blog à l’éducation dans le programme de En Marche . Vous pourrez lire aussi des analyses de ce programme éducatif dans Le Monde ou dans Le Figaro . Pour Aurélie Collas dans Le Monde , “Le programme d’Emmanuel Macron sur l’éducation puise dans deux rhétoriques sur l’école. D’un côté, celle de François Hollande, de Vincent Peillon et de ses successeurs Rue de Grenelle : « investir », donner la « priorité » au primaire et aux zones d’éducation prioritaire (ZEP) pour lutter contre l’échec scolaire et les inégalités sociales. Des principes inscrits au cœur de la loi de refondation de l’école de 2013. De l’autre, la promesse d’une autonomie accrue des établissements, y compris en matière de recrutement des enseignants. Et la remise en cause, plus ou moins partielle et implicite, de la réforme des rythmes scolaires et de celle du collège. ”.
Si on rentre dans le détail des principales mesures, le candidat propose la création de « 4 000 à 5 000 » postes sur le prochain quinquennat – alors qu’il compte supprimer 120 000 postes de fonctionnaires. L’objectif principal est de limiter à 12 élèves dans les ZEP la taille des classes de CP et CE1 – actuellement, la moyenne est de 22,7 élèves en ZEP. Mais comme ces créations de postes ne seront pas suffisantes, il redéploierait également entre 6000 et 10.000 postes des 60.000 créés sous le quinquennat de François Hollande. En ce qui concerne le collège, Emmanuel Macron affirme qu'il réintroduira «le principe des classes bilangues». Il annonce également «des parcours européens» et un véritable enseignement du latin et du grec. Dans Le Figaro , on apprend que dans un livre à paraître le 8 mars, deux journalistes affirment que Brigitte Macron, la femme du candidat, ancienne professeure de Français et lettres classiques dans un lycée privé parisien, «aimerait voir les heures d'EPI (enseignements pratiques interdisciplinaires) supprimées et celles de français et de maths rétablies». Pour le lycée, il n’y a pas vraiment d’annonces, hormis celle d’une réforme du baccalauréat avec seulement quatre matières obligatoires à l’examen final. Mais quand sait l’importance dans l’opinion de ce rituel, nul doute que cela suffise à alimenter la machine à polémiques.
Mais pourtant, ce n’est pas là dessus que l’attention s’est focalisée. Comme on pouvait le craindre, c’est la proposition d’interdire les portables qui est la plus commentée et suscite le plus de réactions. Ainsi , dans L’Obs, “François”, principal de collège affirme qu’il est pour les portables à l’École et que “interdire c’est impossible”. Pour lui, il vaut mieux éduquer qu’interdire. dans L’Obs, un prof de maths va même plus loin puisqu’il affirme qu’il utilise cet outil en classe. Que ce soit dans L’Express ou dans le Midi Libre , les avis d’enseignants et de chefs d’établissements sont mitigés et dubitatifs. Rappelons enfin que cette interdiction est déjà prévue par le Code de l’Éducation (loi du 12 juillet 2010 – art.183)
Plutôt que “de discuter de la pertinence ou non de cette mesure, on peut se poser la question du niveau d'importance de cette proposition (qui figure en 2ème position dans la plaquette du programme) par rapport à des questions comme l'autonomie, la priorité au primaire ou même la réforme du bac... ” (voilà maintenant que je m’auto-cite...). On a l’impression d’un “clin d’oeil” rétro destiné à complaire à une partie de l’électorat et qui fait diversion. Encore une fois, comme je l’ai déjà dit à plusieurs occasions, le débat sur l’École mériterait mieux.
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Préconisations
Voici venu le temps des préconisations...
Avant celle du Conseil National de l’Innovation pour la Réussite Éducative (qu’évidemment tout le monde attend...), d’autres y vont de leurs propositions pour alimenter le débat sur l’Éducation.
C’est le cas du Conseil National d’Évaluation du Système Scolaire (Cnesco) qui publie “30 préconisations pour améliorer l’éducation en France”. Comme le résume Libération, il s’agit d’une sorte de best of des recommandations issues des 21 rapports publiés par le Cnesco au cours de ses trois premières années d’existence, mobilisant en tout quelque 200 chercheurs. En fait comme le pointaient déjà les rapports du comité de suivi de la Refondation (présidé par le député Yves Durand), le Cnesco est sorti un peu de son périmètre initial. D’instance chargée d’évaluer le système éducatif, il s’est transformé en une sorte de think tank allant bien au delà de sa mission initiale. Nathalie Mons, sa présidente, le définit comme «un lanceur d’alerte en éducation». On pourra découvrir des propositions qui sont dans l’air depuis longtemps, comme une obligation de formation continue, un “professeur des apprentissages fondamentaux”, des classes de CP-CE2 à effectifs réduits pour les élèves défavorisés, ou une obligation de mixité dans les objectifs et l’évaluation des établissements. A lire... et pas seulement par les candidats ou leurs équipes... !
Dans le bloc-notes de la semaine dernière, j’évoquais une tribune publiée dans The Conversation par trois formateurs. Intitulée “Un scandale tranquille : des enseignants toujours aussi mal formés ”, les trois auteurs y détaillaient les dysfonctionnements et contradictions de la formation. Ils reviennent avec une deuxième tribune consacrée cette fois ci aux préconisations . Ils proposent, entre autres, de réformer le concours de recrutement, de former autrement et de mieux construire l’alternance entre la formation et l’enseignement ainsi que le lien avec la recherche.
On peut aussi ranger dans la catégorie des préconisations, la tribune de Joanie Cayouette-Remblière dans Alternatives Économiques . Cette jeune chercheuse vient de sortir un livre «L’école qui classe» (PUF, 2016) dont je conseille à tous la lecture. Intitulée “ Et si on s’attaquait aux vraies causes des inégalités scolaires ? ”, la sociologue détaille d’abord les causes des inégalités scolaires. Pour elle “les inégalités sociales à l’école sont avant tout le produit d’inégalités de réussite – autrement dit de « chances d’apprendre » inégales.”. Elle identifie trois faisceaux explicatifs à ces inégalités de réussite. Le premier concerne l’écart entre les manières de penser, de parler et de travailler des élèves de classes populaires, d’une part, et les exigences de la forme scolaire, d’autre part. Le deuxième concerne la variété des conditions de scolarisation et donc la mixité. Le troisième renvoie aux mobilisations et découragements des élèves.
A partir de ce constat, elle propose quatre pistes d’évolution. D’abord, “il conviendrait de réfléchir à une manière de mieux expliciter les exigences du travail scolaire”. Ensuite, supprimer le redoublement pour s’obliger à réfléchir à une alternative plus efficace. Elle propose également, tout comme la tribune évoquée précédemment, un recrutement plus tôt des enseignants et une évolution de leur formation. Et enfin, elle n’oublie pas que les inégalités sont aussi hors de l’École et qu’il faut évidemment les combattre en luttant contre la précarité, le chômage, le mal logement, etc. “La question scolaire est donc également une question sociale, et les politiques qui tendent à accroître les inégalités et la précarité ne pourront que se répercuter sur le devenir scolaire des enfants.”
Ce qui est intéressant avec toutes ces préconisations, comme avec celles qui sont à venir, c’est qu’il y a une certaine convergence. Au delà des clivages partisans et des postures, on pourrait espérer voir émerger une dynamique qui permettre d’améliorer le système. On peut rêver ?
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L’économie à l’académie
Il est toujours délicat, pour moi, de faire le commentaire d’évènements d’une actualité où je suis fortement impliqué. C’est le cas ici, avec la réflexion sur les programmes de sciences économiques et sociales (SES). Je rappelle que je suis membre du groupe composé par le Conseil Supérieur des Programmes (CSP) et le Conseil national éducation économie (CNEE) chargé d’en faire le bilan et de tracer quelques pistes d’évolution.
Lundi 27 février se déroulait la deuxième réunion de l’Académie des Sciences Morales et Politiques, présidée par Michel Pébereau et consacrée aux programmes de SES et à “L’enseignement de l’économie”. La première portait sur les constats et la deuxième était destinée à faire des propositions. J’étais présent à cette matinée où sont intervenus quatre personnes. Trois d’entre elles ont proposé des pratiques pédagogiques (études de cas, “jeux sérieux” ou approche des comptes et des concepts par la construction d’une mini-entreprise) présentées comme des “nouveautés” destinées à améliorer l’enseignement de l’économie. Même si tout cela se fait déjà en SES...
Mais de préconisations plus précises, il n’y en eut point. Le président de l'académie, l'ancien PDG de la banque BNP- Paribas Michel Pébereau, a indiqué que celle-ci réservait ses propositions pour son audition par la commission mixte CSP/CNEE. Ces deux instances doivent remettre fin mars-début avril un avis à la ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem sur "les thématiques, les concepts et les mécanismes jugés incontournables au regard des objectifs" de l'enseignement de SES.
Pour en savoir plus sur cette journée, on pourra lire un compte rendu dans Le Figaro ou encore, si on le souhaite, le compte rendu fait par François Jarraud dans le Café Pédagogique (même si celui-ci témoigne dans son compte rendu d’un sens de l’exhaustivité et du «journalisme » assez contestable). On peut aussi profiter d’un regard décalé et ironique en écoutant le moment Meurice sur France Inter . Le journaliste-humoriste de l’émission « si tu écoutes j’annule tout » était présent et nous livre quelques interviews des participants dont il a le secret... Mieux vaut en rire, en effet...
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Butinages
Comme chaque semaine, on termine avec une rubrique un peu hétéroclite destinée à signaler des documents intéressants repérés au grès de mes butinages sur Internet. Aujourd’hui, je vous propose un rab’ de politique, un brin de prospective, une pincée de pédagogie, et un peu de lecture...
On évoquait la semaine dernière la dernière étude du Cevipof (SciencesPo) sur le vote des fonctionnaires et en particulier les enseignants. Cette semaine un autre chercheur Laurent Frajerman , lui répond et complète son analyse. On pourra lire cela sur le site de l’Institut de Recherche de la FSU où il montre que le “glissement” vers le centre du vote des enseignants n’est pas aussi simple que cela. Selon lui, “s’il ne faut pas exclure une clarification ultérieure, ils se déterminent en fonction de leurs craintes pour le second tour et d’un désir global d’alternance”. Il reprend aussi cette analyse dans une interview à Libération
Marie-Caroline Missir revient sur un phénomène qu’elle avait déjà évoqué dans l’émission Rue des Écoles et qu’elle développe dans une chronique sur ÉducPros . Si depuis une dizaine d’années l’enseignement supérieur apprend à compter avec les fonds d’investissement, ils ont aujourd'hui un nouveau terrain d’investissement : l’enseignement primaire et secondaire. La journaliste décrit ces stratégies portées par des investisseurs internationaux : “Comment expliquer cet appétit des fonds pour l’enseignement primaire et secondaire ? Ceux-ci tablent sur une perception très dégradée de l’enseignement public par les parents et sur la saturation de l’enseignement privé sous contrat, majoritairement catholique, qui ne peut absorber les demandes des familles. Ils anticipent donc un « marché » pour un enseignement totalement privé, souvent cher, où les pédagogies alternatives type « Montessori », le bilinguisme ou le numérique sont utilisés comme un produit d’appel pour les parents. ”.
Dans une logique voisine, je conseille la lecture d’une série d’articles du spécialiste de l’éducation Graham Brown-Martin qui décrit et analyse “The Uberification of teaching”. C’est en anglais, mais ça mérite l’effort de le lire...
Dans The Conversation , on lira avec beaucoup d’intérêt , un article d’Irène Pereira sur le grand pédagogue brésilien Paulo Freire. Décédé, il y a vingt ans ce penseur est aussi un activiste qui a notamment développé une pédagogie d’alphabetisation pour les adultes. Mais il est surtout connu pour son livre Pédagogie des opprimés (paru en 68 et qui fut traduit en France par Maspero en 1974). Ce livre sera suivi en 1996 de Pédagogie de l’autonomie (Eres, 2013). Irène Pereira nous montre combien sa pensée mérite aujourd’hui d’être redécouverte et approfondie.
On termine avec une vidéo extraite du journal de France3 . La lecture obligatoire et pour tout le monde, c'est le dispositif mis en place dans ce collège de Banon, petit village des Alpes-de-Haute-Provence. Les enfants du collège, mais aussi les personnels et les profs consacrent tous les jours un quart d'heure à la lecture. Ce projet global à l’échelle d’un établissement a été aussi l’objet d’un reportage sur TFI . Ce dispositif qui a suscité énormément de commentaires positifs sur les réseaux sociaux est bien plus une innovation sur le climat scolaire que sur la lecture proprement dite. Tout un établissement orienté autour d'un but commun c'est cela qui crée une identité forte et qui va bien au delà de la (re)découverte du plaisir de la lecture.
Bonne Lecture...
Philippe Watrelot
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