vendredi, juillet 21, 2017

Un miroir, ça réfléchit (observer la classe)



Ce texte a été publié dans le numéro 511 des Cahiers Pédagogiques en février 2014. Il s’insère dans un dossier intitulé “Observer la classe” coordonné par Brigitte Cala et Hélène Eveleigh. Si je le republie aujourd’hui sur mon blog c’est pour deux raisons.

D’abord, il me permet de (re)faire de la publicité à ce numéro qui me semble toujours utile aussi bien pour les formateurs que pour les stagiaires eux-mêmes. Et au final, pour tous les enseignants qui sont amenés à un moment ou un autre à accueillir un stagiaire et à se mettre au fond de la classe.

Et puis ce texte peut trouver sa place dans les ressources pour les formateurs que j’essaie de rassembler dans une « bibliothèque idéale » (à paraitre) comme je l’avais déjà fait pour les enseignants débutants en 2016.
PhW

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Avez-vous déjà pratiqué la conduite accompagnée ? Lorsqu’on est à côté d’un jeune conducteur, on s’aperçoit qu’on devient plus expert soi-même, qu’on réapprend des choses qu’on avait oubliées. On requestionne aussi ses pratiques : est-ce que je regarde bien aussi souvent dans le rétroviseur qu’on le devrait, est-ce que je mets bien les mains où il faut sur le volant ? Inversement, celui ou celle qui apprend à conduire vous observera avec beaucoup plus d’attention lorsqu’il ou elle sera à vos côtés et que vous serez vous-même en train de conduire. Il en va de même pour l’observation en classe.

La multiplication des stages avec la réforme de la formation fait qu'il y a de plus en plus d'enseignants qui accueillent des personnes au fond de la classe et qui vont eux-mêmes assister à des cours. La généralisation de cette pratique est, me semble-t-il, un vecteur de progrès pour l'école. Pour être depuis huit ans formateur en temps partagé, j’ai acquis la conviction que se placer en situation de formateur et d’observateur aide à être un meilleur enseignant soi-même. La capacité à se décentrer, à interroger sa propre pratique, le dialogue avec des collègues, tout cela est très favorable à l’évolution des pratiques pédagogiques. Je souhaite à tous les enseignants de devenir tuteurs et d’accueillir des enseignants débutants dans leur classe !

L’observation, ça profite à tout le monde : l’observateur et l’observé. Et au final, aux élèves eux-mêmes.


Quand je suis au fond de la classe
Je ne peux pas tout observer ! C’est déjà le premier constat que l’on peut faire et presque une évidence.
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Il semble évident d’observer un enseignant en train de faire cours. On s’attache à sa posture, son déplacement dans la classe, son utilisation de l’espace et des différents outils à sa disposition (le tableau, le vidéoprojecteur, les supports qu’il utilise, etc.). On peut s’intéresser aussi aux interactions avec les élèves : la manière dont il ou elle donne les consignes, les questions qu’il ou elle pose, les interventions auprès des élèves, etc.
Mais au final, quand je suis au fond de la salle, ce qui m’intéresse le plus et ce qui est peut-être le plus formateur, c’est d’observer les élèves ! Regarder comment ils travaillent ou ne travaillent pas. Les stratégies mises en œuvre avant de se mettre (vraiment) au travail, les interactions qui n’ont rien à voir avec le cours, les clins d’œil, les communications non verbales, l’usage du portable, les petits mots échangés, etc. Mais aussi les difficultés à comprendre les consignes, les questions que l’on n’ose pas poser et que l’on demande au voisin, les erreurs que l’on peut faire, l’attente de la venue de l’enseignant, etc.

Tout cela a déjà un effet sur votre pratique. À moins d’avoir un égo surdimensionné, on ne peut s’empêcher de se dire que si ça se produit dans ce cours, ça doit aussi se produire dans le vôtre. Et évidemment, ça interroge sur sa manière de faire et amène à se demander si soi-même on est suffisamment attentif à tous ces signes de l’ennui, de la procrastination ou de la difficulté qui nous apparaissent si évidents lorsqu’on est au fond de la classe.


La cape d’invisibilité d’Harry Potter
Mais, on me dira que cela n’est pas possible, que les élèves savent bien que vous êtes là et ne se comportent donc pas comme d’habitude. Ce n’est pas possible.
Eh bien si. C’est une expérience sans cesse renouvelée, mais quand on est au fond de la classe, c’est comme si on revêtait la cape d’invisibilité d’Harry Potter : au bout de quelques minutes, on devient transparent, invisible. Les élèves ne vous voient plus, ne s’intéressent plus à vous (c’en est même frustrant).
L’expérience est d’ailleurs identique lorsqu’ils sont filmés. On pourrait croire que l’attrait d’une caméra va changer leur comportement ou amplifier les attitudes. Il n’en est rien. Le visionnage des petites séquences produites dans le cadre de la plateforme de vidéos Néo-pass@ction le prouve bien. L’influence de l’observateur sur l’attitude des élèves est assez faible.


Ce n’est qu’un point de vue
Mais si je suis invisible, cela veut-il dire que je suis neutre ? Et objectif ? Non.
Lorsque je suis au fond de la classe, j’y viens avec un projet. Le plus souvent, il s’agit d’observer l’enseignant. On a vu plus haut que ce n’était pas forcément le plus intéressant. Mais même dans cette observation-là, il faut se méfier de ses réactions et considérer que l’on n'est évidemment pas objectif.
L’illusion d’optique est souvent trompeuse. On peut conclure par exemple à une « forte participation » des élèves en constatant que les questions fusent et que le dialogue est constant entre les élèves et la classe. Jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’en fait, si on compte et qu’on fait donc une mesure plus objective, il n’y a que cinq ou six élèves en tout et pour tout qui sont intervenus, à plusieurs reprises mais toujours les mêmes. Je conseille donc à celui ou celle qui se trouve au fond de la classe de se lancer dans la mesure de faits relativement objectifs tels que le nombre d’intervenants ou encore le nombre de minutes de paroles de l’enseignant et des élèves ou du temps laissé au travail autonome des élèves. Les résultats sont quelquefois édifiants.
On peut avoir la même illusion d’optique à propos des apprentissages : se dire que la classe a compris à partir de quelques réponses qui vous font croire que, collectivement, les notions ont été assimilées. Sauf que « la classe », ça n’existe pas. Et qu’il y a en fait une collection d’individus qui ne sont pas semblables, qui ont des profils d’apprentissages différents et que les réponses de quelques-uns ne doivent pas masquer les difficultés ou l’incompréhension des autres. C’est pour cela qu’il est intéressant d’observer les élèves et non le professeur. Et c’est aussi pour cela que l’observation est utile pour remettre en question les éventuelles certitudes du professeur qui se croit confirmé.
Observer, c’est bien, en parler, c’est mieux. Une observation de classe n’a de sens, selon moi, que si elle s’accompagne d’un temps de parole et d’échange entre les deux personnes impliquées. Ce que l’on appelle l’« entretien d’explicitation » renvoie à toute une méthodologie que je ne reprendrai pas ici. Je me bornerai à quelques pistes et quelques principes. Ceux-ci sont valables, quel que soit le statut de la personne observée : professeur débutant observé par un enseignant confirmé ou l’inverse. Il me semble important, dans la perspective d’un entretien, de commencer d’abord par situer ce qui vient de se passer dans une routine et dans une pratique professionnelle. Mes deux questions rituelles qui ouvrent l’entretien lorsque je vais visiter des stagiaires sont les suivantes : « Comment situer cette séance par rapport au quotidien des séances avec cette classe : habituelle, meilleure, moins bonne que les autres ? Et pourquoi ? » ; « Les objectifs fixés pour cette séance ont-ils été atteints ? Si non, pourquoi ? »
Ces deux questions ont le mérite de renvoyer pour la première à une approche presque statistique des séances de cours. On peut essayer de situer sa pratique dans une norme et une variance vis-à-vis de cette norme. La deuxième nous rappelle que nous avons toujours des objectifs (implicites et si possible explicites) par rapport à une pratique de classe. Et qu’il est bon d’évaluer la séance par rapport à ce critère.

Et puis, ces questions ont surtout l’avantage de donner d’abord la parole à l’observé et de lui donner la priorité de la réflexivité. Mais, bien vite, elles vont être suivies des remarques et des observations de l’observateur. Celui-ci offre un miroir à l’autre, l’amène à mettre l’accent sur des choses, des gestes qui semblent évidents et ne pas, ne plus, mériter d’être questionnés. Il offre aussi la possibilité d’un décentrage trop souvent absent d’un métier qui se vit sur le mode de l’intime.
Un miroir, certes, mais un miroir qui réfléchit. Avec l’autre, parce qu’enseigner est un métier qui s’apprend. Tout le temps et collectivement.


Ph.Watrelot 





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