Ce texte a été
publié dans le numéro
511 des Cahiers Pédagogiques en février 2014. Il s’insère dans
un dossier intitulé “Observer la
classe” coordonné par Brigitte Cala et Hélène Eveleigh. Si je le republie
aujourd’hui sur mon blog c’est pour deux raisons.
D’abord, il me
permet de (re)faire de la publicité à ce numéro qui me semble toujours utile
aussi bien pour les formateurs que pour les stagiaires eux-mêmes. Et au final,
pour tous les enseignants qui sont amenés à un moment ou un autre à accueillir
un stagiaire et à se mettre au fond de la classe.
Et puis ce texte peut
trouver sa place dans les ressources pour les formateurs que j’essaie de
rassembler dans une « bibliothèque idéale » (à paraitre) comme
je l’avais déjà fait pour les enseignants débutants en 2016.
PhW
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Avez-vous déjà pratiqué la conduite
accompagnée ? Lorsqu’on est à côté d’un jeune conducteur, on s’aperçoit
qu’on devient plus expert soi-même, qu’on réapprend des choses qu’on avait
oubliées. On requestionne aussi ses pratiques : est-ce que je regarde bien
aussi souvent dans le rétroviseur qu’on le devrait, est-ce que je mets bien les
mains où il faut sur le volant ? Inversement, celui ou celle qui apprend à
conduire vous observera avec beaucoup plus d’attention lorsqu’il ou elle sera à
vos côtés et que vous serez vous-même en train de conduire. Il en va de même
pour l’observation en classe.
La multiplication des stages avec la réforme
de la formation fait qu'il y a de plus en plus d'enseignants qui accueillent
des personnes au fond de la classe et qui vont eux-mêmes assister à des cours.
La généralisation de cette pratique est, me semble-t-il, un vecteur de progrès
pour l'école. Pour être depuis huit ans formateur en temps partagé, j’ai acquis
la conviction que se placer en situation de formateur et d’observateur aide à
être un meilleur enseignant soi-même. La capacité à se décentrer, à interroger
sa propre pratique, le dialogue avec des collègues, tout cela est très
favorable à l’évolution des pratiques pédagogiques. Je souhaite à tous les
enseignants de devenir tuteurs et d’accueillir des enseignants débutants dans
leur classe !
L’observation, ça profite à tout le
monde : l’observateur et l’observé. Et au final, aux élèves eux-mêmes.
Quand je suis au fond de la classe
Je ne peux pas tout observer ! C’est
déjà le premier constat que l’on peut faire et presque une évidence.
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Il semble évident d’observer un enseignant
en train de faire cours. On s’attache à sa posture, son déplacement dans la
classe, son utilisation de l’espace et des différents outils à sa disposition
(le tableau, le vidéoprojecteur, les supports qu’il utilise, etc.). On peut
s’intéresser aussi aux interactions avec les élèves : la manière dont il
ou elle donne les consignes, les questions qu’il ou elle pose, les
interventions auprès des élèves, etc.
Mais au final, quand je suis au fond de la
salle, ce qui m’intéresse le plus et ce qui est peut-être le plus formateur,
c’est d’observer les élèves ! Regarder comment ils travaillent ou ne
travaillent pas. Les stratégies mises en œuvre avant de se mettre (vraiment) au
travail, les interactions qui n’ont rien à voir avec le cours, les clins d’œil,
les communications non verbales, l’usage du portable, les petits mots échangés,
etc. Mais aussi les difficultés à comprendre les consignes, les questions que l’on
n’ose pas poser et que l’on demande au voisin, les erreurs que l’on peut faire,
l’attente de la venue de l’enseignant, etc.
Tout cela a déjà un effet sur votre
pratique. À moins d’avoir un égo surdimensionné, on ne peut s’empêcher de se
dire que si ça se produit dans ce cours, ça doit aussi se produire dans le
vôtre. Et évidemment, ça interroge sur sa manière de faire et amène à se
demander si soi-même on est suffisamment attentif à tous ces signes de l’ennui,
de la procrastination ou de la difficulté qui nous apparaissent si évidents
lorsqu’on est au fond de la classe.
La cape d’invisibilité d’Harry Potter
Mais, on me dira que cela n’est pas
possible, que les élèves savent bien que vous êtes là et ne se comportent donc
pas comme d’habitude. Ce n’est pas possible.
Eh bien si. C’est une expérience sans cesse
renouvelée, mais quand on est au fond de la classe, c’est comme si on revêtait
la cape d’invisibilité d’Harry Potter : au bout de quelques minutes, on
devient transparent, invisible. Les élèves ne vous voient plus, ne
s’intéressent plus à vous (c’en est même frustrant).
L’expérience est d’ailleurs identique
lorsqu’ils sont filmés. On pourrait croire que l’attrait d’une caméra va
changer leur comportement ou amplifier les attitudes. Il n’en est rien. Le
visionnage des petites séquences produites dans le cadre de la plateforme de
vidéos Néo-pass@ction le prouve bien.
L’influence de l’observateur sur l’attitude des élèves est assez faible.
Ce n’est qu’un point de vue
Mais si je suis invisible, cela veut-il dire
que je suis neutre ? Et objectif ? Non.
Lorsque je suis au fond de la classe, j’y
viens avec un projet. Le plus souvent, il s’agit d’observer l’enseignant. On a
vu plus haut que ce n’était pas forcément le plus intéressant. Mais même dans
cette observation-là, il faut se méfier de ses réactions et considérer que l’on
n'est évidemment pas objectif.
L’illusion d’optique est souvent trompeuse.
On peut conclure par exemple à une « forte participation » des élèves
en constatant que les questions fusent et que le dialogue est constant entre
les élèves et la classe. Jusqu’à ce qu’on se rende compte qu’en fait, si on
compte et qu’on fait donc une mesure plus objective, il n’y a que cinq ou six
élèves en tout et pour tout qui sont intervenus, à plusieurs reprises mais
toujours les mêmes. Je conseille donc à celui ou celle qui se trouve au fond de
la classe de se lancer dans la mesure de faits relativement objectifs tels que
le nombre d’intervenants ou encore le nombre de minutes de paroles de
l’enseignant et des élèves ou du temps laissé au travail autonome des élèves.
Les résultats sont quelquefois édifiants.
On peut avoir la même illusion d’optique à
propos des apprentissages : se dire que la classe a compris à partir de
quelques réponses qui vous font croire que, collectivement, les notions ont été
assimilées. Sauf que « la classe », ça n’existe pas. Et qu’il y a en fait une
collection d’individus qui ne sont pas semblables, qui ont des profils
d’apprentissages différents et que les réponses de quelques-uns ne doivent pas
masquer les difficultés ou l’incompréhension des autres. C’est pour cela qu’il
est intéressant d’observer les élèves et non le professeur. Et c’est aussi pour
cela que l’observation est utile pour remettre en question les éventuelles
certitudes du professeur qui se croit confirmé.
Observer, c’est bien, en parler, c’est
mieux. Une observation de classe n’a de sens, selon moi, que si elle
s’accompagne d’un temps de parole et d’échange entre les deux personnes
impliquées. Ce que l’on appelle l’« entretien d’explicitation » renvoie à toute
une méthodologie que je ne reprendrai pas ici. Je me bornerai à quelques pistes
et quelques principes. Ceux-ci sont valables, quel que soit le statut de la
personne observée : professeur débutant observé par un enseignant confirmé
ou l’inverse. Il me semble important, dans la perspective d’un entretien, de
commencer d’abord par situer ce qui vient de se passer dans une routine et dans
une pratique professionnelle. Mes deux questions rituelles qui ouvrent
l’entretien lorsque je vais visiter des stagiaires sont les suivantes : « Comment situer cette séance par rapport au quotidien des séances avec
cette classe : habituelle, meilleure, moins bonne que les autres ? Et
pourquoi ? » ; « Les objectifs fixés
pour cette séance ont-ils été atteints ? Si non, pourquoi ? »
Ces deux questions ont le mérite de renvoyer
pour la première à une approche presque statistique des séances de cours. On
peut essayer de situer sa pratique dans une norme et une variance vis-à-vis de
cette norme. La deuxième nous rappelle que nous avons toujours des objectifs
(implicites et si possible explicites) par rapport à une pratique de classe. Et
qu’il est bon d’évaluer la séance par rapport à ce critère.
Et puis, ces questions ont surtout
l’avantage de donner d’abord la parole à l’observé et de lui donner la priorité
de la réflexivité. Mais, bien vite, elles vont être suivies des remarques et
des observations de l’observateur. Celui-ci offre un miroir à l’autre, l’amène
à mettre l’accent sur des choses, des gestes qui semblent évidents et ne pas,
ne plus, mériter d’être questionnés. Il offre aussi la possibilité d’un
décentrage trop souvent absent d’un métier qui se vit sur le mode de l’intime.
Un miroir, certes, mais un miroir qui
réfléchit. Avec l’autre, parce qu’enseigner est un métier qui s’apprend. Tout
le temps et collectivement.
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