En juin 2016, à la suite d’une demande portée par les
syndicats d’enseignants et l’association disciplinaire, les programmes de
Sciences économiques et Sociales de seconde sont allégés. Jusque là, les
enseignants devaient traiter en 1h30 par semaine, huit questions (sur les 10
inscrites au programme) et cinq obligatoirement, on passe alors à six questions dont
quatre obligatoires.
C’est le chapitre sur le marché qui perd son caractère obligatoire. Cela déclenche une polémique orchestrée par l’ancien patron Michel Pébereau membre du Conseil National Éducation Économie (CNEE) et de l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP).
La ministre décide alors de créer une commission mixte rassemblant des membres du CNEE et du Conseil supérieur des programmes (CSP) pour produire un « avis sur les compétences et connaissances que doit maîtriser un élève ayant suivi un enseignement de SES au lycée ».
C’est le chapitre sur le marché qui perd son caractère obligatoire. Cela déclenche une polémique orchestrée par l’ancien patron Michel Pébereau membre du Conseil National Éducation Économie (CNEE) et de l’Académie des sciences morales et politiques (ASMP).
La ministre décide alors de créer une commission mixte rassemblant des membres du CNEE et du Conseil supérieur des programmes (CSP) pour produire un « avis sur les compétences et connaissances que doit maîtriser un élève ayant suivi un enseignement de SES au lycée ».
Cette commission aurait du initialement rendre son rapport en décembre 2016.
Après des manœuvres d’obstruction (démission de membres du CNEE dont M.
Pébereau) le travail de cette instance originale n’a pu démarrer qu’en janvier
2017 et le rapport sera finalement remis en octobre 2017 après une quarantaine
d’heures d’audition (et un changement de ministre...).
J’ai fait partie de cette commission, invité par le CSP. Si j’ai déjà écrit sur ma vision des SES, je voudrais ici plutôt faire part de ma réflexion sur la fabrique des programmes à la suite de ce travail.
J’ai fait partie de cette commission, invité par le CSP. Si j’ai déjà écrit sur ma vision des SES, je voudrais ici plutôt faire part de ma réflexion sur la fabrique des programmes à la suite de ce travail.
Le buzz, les polémiques et les programmes
J’ai déjà évoqué dans un autre article les attaques récurrentes contre les SES. On a d’ailleurs
un peu l’impression d’une réédition de ce qui s’est produit dans les années
2000 avec les mêmes protagonistes à la manœuvre. Les SES partagent
avec l’enseignement de l’Histoire le triste privilège d’avoir un statut
particulier dans le débat sur l’École avec le même procès en “idéologie” et des
groupes de pression qui s’intéressent de très près à cet enseignement.
Il est d’ailleurs significatif qu’on ait cru bon de créer
une commission ad hoc alors que c’est
normalement du seul périmètre du Conseil Supérieur des Programmes de
s’intéresser à la fabrication des programmes.
Le point de départ de la polémique, cette fois ci,
trouverait sa source dans la décision en juin d’alléger le programme de seconde
en ne rendant plus obligatoire le chapitre sur le marché. On peut dire que
cette indignation a été surjouée d’autant plus quand on sait que l’académie des
sciences morales et politiques (présidée par Michel Pébereau) s’était
auto-saisie d’une (nouvelle) réflexion sur les manuels de SES dès le mois de
mars...
Ce qui est intéressant c’est aussi de constater qu’après ce buzz qui a conduit à la saisine, les
excès sont retombés. Les travaux de l’ASMP ont montré que les manuels lus par
des universitaires et des économistes d’entreprise étaient globalement reconnus
comme sérieux et rigoureux. De même les recommandations formulées sont beaucoup
plus mesurées que le laissait présager l’emphase du début.
Mon propos n’est pas ici de revenir sur le détail des
reproches mais plutôt de comprendre comment les polémiques médiatiques et le
travail des groupes de pression interférent sur la fabrication des programmes.
Les ingrédients sont à peu près toujours les mêmes. On a d’abord une lecture
partielle et partiale des manuels qu’on confond avec les programmes. On a même
une double illusion d’optique puisqu’on confond aussi les manuels avec les
pratiques réelles des enseignants en classe. Ensuite, on s’appuie sur des
réseaux et des institutions qui permettent de médiatiser le débat. On peut
faire appel, selon les cas et les disciplines, au « bon sens » ou à la «déconnexion avec la réalité» pour justifier la critique des programmes. Le
reproche d’ « idéologie » est aussi très fréquemment utilisé. Mais
ce reproche peut être facilement retourné. « L’idéologie, c’est l’opinion de mon adversaire » disait
Raymond Aron. Il ne s’agit pas de « faire aimer » l’entreprise (tout
comme il ne s’agit pas de faire « aimer la France »). L’enjeu est de
donner des outils conceptuels pour bien la comprendre.
Au final, une polémique sur les programmes repose sur une
mécanique alimentée par une méconnaissance des pratiques des enseignants, une
remise en cause de la légitimité des instances chargées d’élaborer les
programmes au nom d’une supposée “expertise” qui souvent n’a rien à voir avec
l’école.
En tout cas, cet épisode nous montre bien la nécessité d’une
instance indépendante des groupes de pression et même du pouvoir politique dans
la fabrication des programmes.
Les experts, les
profs et les élèves
La polémique a en effet été lancée par des personnes issues du
monde de l’entreprise. Durant nos auditions nous avons aussi entendu de
nombreux universitaires.
En tant qu’enseignant en exercice en lycée, seul de mon
espèce, mon étonnement a été de constater qu’un débat en cachait un autre. Tous
ceux qui croyaient parler d’économie et faisaient des recommandations sur ce
sujet parlaient en fait, sans le savoir et sans en avoir une réelle connaissance, de pédagogie en s’appuyant sur des
présupposés implicites (et très discutables…) de ce que sont les mécanismes
d’apprentissage et les jeunes de quinze à dix-huit ans...
L’excellence académique ou la position institutionnelle
n’est en rien la garantie d’une expertise dans le domaine éducatif.
On a l’impression que, le plus
souvent, les programmes sont construits sous forme d’injonctions et
d’énumérations de concepts à transmettre. Or, il faudrait que les programmes se préoccupent
plus de ce que les élèves « apprennent » (vraiment) que de ce que les
enseignants « transmettent ».
Le décalage entre le prescrit et le réel est un grand classique
du fonctionnement des institutions. Cela agit à deux niveaux : au niveau
des élèves comme nous venons de l’évoquer mais aussi au niveau des enseignants.
Ma conviction est qu’on ne peut bouleverser la culture propre à un groupe
professionnel trop brusquement. C’est d’ailleurs pour cela qu’un programme est
souvent une forme de palimpseste : on réécrit sur un document déjà
existant et on le modifie progressivement.
Quelle autonomie des
disciplines scolaires ?
Les SES souffrent d’un défaut aux yeux de plusieurs de ses
critiques: c’est une discipline « bâtarde ». Elle s’est construite il y a cinquante
et un ans sur une logique de croisement des disciplines et de
pluri-disciplinarité. J’ai souvent et longtemps dit et écrit que le mot le plus
important pour définir la discipline et le plus difficile à faire vivre
était la conjonction : « sciences économiques ET sociales». Les SES
n’existent pas dans l’enseignement supérieur où l’on trouve de l’économie, de
la sociologie, de la science politique, etc.
Ce débat est certes aujourd’hui un peu dépassé et tous les
enseignants de SES s’accordent sur le fait qu’il y a ces trois disciplines de référence et sont très soucieux de la
rigueur scientifique et de rester informés des débats et des progrès dans ces domaines.
La légitimité des SES est d’abord liée à cet ancrage disciplinaire. Les
différentes générations de programmes ont marqué de plus en plus ce lien avec
des champs disciplinaires distincts même s’ils subsistent des « regards
croisés ».
Mais le débat sur l’identité des disciplines scolaires
demeure pertinent et mérite toujours d’être posé.
Pour certains, une discipline scolaire se définit parfois
comme une version allégée et simplifiée d’une discipline enseignée à
l’université. Dans la mesure où le système éducatif s’est construit par le
haut, une bonne partie des disciplines de l’enseignement secondaire long auraient
été conçues comme des préparations à des enseignements universitaires. C’est ce
que certains appellent de manière abusive, la “transposition didactique.”
Mais cela est loin d’être évident pour toutes les
disciplines. Et l’histoire ou la comparaison internationale nous montrent que
les frontières entre enseignements sont mouvantes. Certaines disciplines ont
été scolaires avant d’être universitaires : la grammaire, la technologie,
la géographie, l’éducation physique, les arts, la musique ont été des
disciplines scolaires avant de devenir des disciplines universitaires. Dans ses
travaux sur l’histoire des disciplines scolaires, André Chervel (La culture scolaire. Une approche historique, Paris, Belin,
1998), montre que celles ci sont des constructions qui répondent à une
diversité de logiques et aux impératifs de chaque époque. Les disciplines sont
donc des ensembles flous et mouvants. Il montre aussi que celles ci sont
autonomes et ont leur logique propre face aux disciplines universitaires.
Quelle est l’autonomie des disciplines scolaires par rapport
aux disciplines universitaires ? Doivent-elles en être le parfait décalque ou peut-on concevoir
une originalité et une spécificité des disciplines scolaires ? Ces
questions ne se posent évidemment pas que pour les SES mais elles prennent une
acuité particulière pour un enseignement confronté depuis longtemps à des
tensions au sein de l’enseignement de l’économie et à des débats sur la place
des autres sciences sociales.
Quelle place pour le
lycée aujourd’hui ?
Au delà de la question de l’autonomie des discipline
scolaires, se pose celle de la place du lycée aujourd’hui dans le cursus
scolaire.
L’enseignement des SES au lycée est-il un enseignement de
« culture générale » (ou plus précisément pour éviter les ambigüités
éventuelles du terme un « enseignement de culture commune »), ou
est-il un enseignement préparant aux études supérieures alors que la
technostructure de l’EN répète comme un mantra « Bac-3 / Bac +3 » ?
Cette question a été posée à plusieurs reprises au cours des
premières auditions. Certains considèrent que les disciplines scolaires ont une
très faible autonomie par rapport aux disciplines universitaires et qu’elles
tirent leur légitimité de cette connexion forte. Et dans cette perspective ils voient
l’orientation d’une manière assez mécanique : faire de l’économie dans le secondaire conduirait à faire
de l’économie dans le supérieur. D’autres
considèrent que le lycée ne peut se réduire à une propédeutique et qu’il a une fonction spécifique de formation
du citoyen et de culture commune complémentaire de ce qui se fait au socle
commun au collège et au primaire. Ce débat n’est pas de pure théorie, il est
très pratique car il pose notamment la question de l’évaluation terminale (autrement dit le bac)
mais aussi celle de la réalité de l’orientation post-bac.
Pour ma part, je considère qu’il faut placer le curseur dans
une position médiane : il ne s’agit pas seulement de former le bachelier
mais aussi le citoyen.
Qu’est-ce qu’un bon
programme ?
La saisine initiale demandait un « avis sur les compétences et connaissances que doit maîtriser un élève
ayant suivi un enseignement de SES au lycée ».
Cette demande n’a pas forcément été au cœur de nos travaux car
d’autres questions et notamment la place des SES en Seconde ont (beaucoup trop)
occupé la réflexion. De plus, il ne s’agissait pas dans cette commission d’être
dores et déjà dans un travail de confection de nouveaux programmes ni même
d’évaluation détaillée des programmes actuels. Toutefois, on peut remarquer que
si des allègements ont été effectuées (en 1ère et Terminale dès 2013
et en 2016 pour la 2nde ) c’est bien parce que se pose un problème
de « lourdeur » des programmes : 85 notions à maîtriser en Première et 77 en Terminale . Comme
c’est le cas pour d’autres, le programme de SES se définit essentiellement par
les notions, d’où l’expression souvent utilisée de “dérive encyclopédique”.
Plusieurs personnes auditionnées ont aussi souligné le fait que cette approche
notionnelle se faisait au détriment de la compréhension des mécanismes et de la
relation entre ces différentes notions. De plus, cet empilement laisse peu de
marges de manœuvre aux enseignants.
Une anecdote avant de poursuivre cette réflexion sur les
programmes. J’avais été frappé il y a quelques années par la présentation qui
avait été faite du système éducatif néo-zélandais par une enseignante de ce
pays. À un moment, elle sort de son sac, une petite brochure assez fine et nous
la présente comme étant l’ensemble des programmes de la scolarité obligatoire
dans son pays. Je n’ose imaginer l’épaisseur qu’aurait le même document pour
notre propre pays !
Se demander ce qu’est un bon « programme » c’est
donc aussi et surtout se demander ce qui est faisable et faire confiance aux
enseignants. Mais, cela ne peut fonctionner que si on questionne et fait
évoluer les modalités d’évaluation.
Qu’évaluer ?
Le constat qui est revenu à plusieurs reprises est que le baccalauréat
pouvait être amélioré : les épreuves actuelles favorisent un peu trop le
bachotage et la récitation au détriment de la réalisation de tâches plus
complexes. Une évolution des épreuves du bac pourrait être l’occasion de plus
mettre l’accent sur les capacités d’analyse et de synthèse, sur
l’argumentation, sur la résolution de problèmes, la recherche d’informations,
éventuellement le travail de groupe. On pourrait ainsi développer les
compétences utiles pour favoriser l’“esprit d’entreprendre” (ce qui serait un
moyen de sortir par le haut de cette polémique).
Au risque de provoquer, je pense que l’école et en
particulier les enseignants de SES peuvent contribuer à développer l’esprit
d’entreprendre (et pas seulement d’ « entreprise »). Mais pas par l’inculcation d’un « catéchisme ». Il faut constater que l’école est trop souvent encore dans la
transmission de haut en bas de savoirs incontestables, la faible valorisation
de l’initiative et du travail collectif. Si l’on veut que l’école encourage
l’esprit d’"entreprendre", il faut au contraire qu’elle valorise et développe
l’autonomie des élèves, leur prise d’initiative, leur sens critique, aussi bien
individuellement qu’en groupe, car une "entreprise" qui réussit n’est pas seulement
une aventure individuelle mais le fruit d’un projet collectif.
Une autre piste intéressante pour l’évaluation nous renvoie
à ce qui fait la spécificité de la pédagogie des SES depuis sa création :
l’usage de documents (textes et statistiques). Mais aussi à ce qui est au cœur
de la démarche scientifique des savoirs de référence : le traitement des
données. Cela est en effet présent aussi bien en économie qu’en sociologie ou
en sciences politiques. Faire travailler les élèves (et évaluer leurs
compétences acquises) autour de ces questions correspond à des pratiques déjà
en vigueur chez les enseignants de SES et leurs collègues de mathématiques. A l’heure
des fake news et de la remise en
cause de toute information, au moment aussi où la maîtrise des données devient
un enjeu non seulement économique mais aussi politique, c’est une direction de
travail pour les enseignants et un atout non seulement dans la formation du
bachelier futur étudiant mais aussi du citoyen.
Il ne s’agit pas de « refonder » l’enseignement
des sciences économiques et sociales mais de se (re)concentrer sur ce qui est vraiment fondamental : la
compétence des élèves à questionner la société et à en comprendre les
déterminants, à décrypter l’actualité et les données , à prendre part au débat
citoyen en maîtrisant l’argumentation et la synthèse. Cela n’exclut pas les
connaissances bien au contraire puisque les compétences ne sont, au final, que
des savoirs mis en action. Mais cela permet de recentrer les apprentissages et
leur évaluation et de redonner de la marge de manœuvre aux enseignants.
Alors qu’une réflexion va s’engager sur ce point, nous
devons constater (et ce n’est pas propre aux SES que notre système éducatif est
largement piloté par l’aval et donc la nature des épreuves terminales. Si l’on
veut que la pédagogie évolue ou qu’elle retrouve sa place dans un système moins
contraint, on ne pourra faire l’économie d’une réflexion sur les épreuves
certificatives, c’est-à-dire le baccalauréat.
Intéresser les élèves
est-il une finalité ou un point de départ ?
La structuration d’un programme renvoie aussi à une question
implicite : celle de la manière de rentrer dans les apprentissages. L’idée
souvent répandue est qu’il faudrait d’abord passer par les fondamentaux avant
de complexifier ensuite. Cette approche linéaire de l’apprentissage semble
relever du bon sens. Mais la pédagogie est quelquefois
« contre-intuitive ».
Sans rentrer dans un débat épistémologique et didactique, on
peut rappeler que c’est bien souvent le fait que les apprentissages permettent
de répondre à des “questions vives”, à des questions qui font sens pour les
élèves et déclenchent la curiosité. C'est en abordant des objets complexes qui
ont du sens qu'on va ensuite pouvoir approfondir les concepts et pas l'inverse.
Les apprentissages, y compris dès le primaire, sont souvent un aller-retour
entre le simple et le complexe. Les "fondamentaux", c'est comme si on
disait aux élèves qu'avant de jouer de la musique il faut qu'ils fassent au
moins trois ans de solfège!
C’est aussi la raison pour laquelle la pluridisciplinarité
n’est pas un supplément mais un élément clé de la compréhension et de la
motivation. Un bon exemple en est donné par l’entreprise. Le reproche qui a
souvent été fait aux SES c’est de ne pas assez en parler. Or, l’entreprise est
partout dans les programmes, mais dispersée dans plusieurs chapitres et
raccrochée à plusieurs approches scientifiques. On pourrait recomposer les
chapitres pour rassembler des questions éparses et les rendre plus visibles.
Au delà du cas particulier des SES, c’est
notre manière de faire les programmes qui est questionnée. Des questions sont
bien souvent négligées ou implicites comme celle des manières de concevoir les
apprentissages ou encore les ressorts de la motivation.
Une discipline
exemplaire
On le sait, les questions d’éducation sont toujours ou
presque des questions systémiques. A partir d’un point qu’on croit particulier
et spécifique, on peut tirer le fil de l’ensemble du système...
La saisine sur les SES en a été une parfaite illustration. C’est
un bon analyseur du système qui a
permis de soulever de très nombreuses questions qui dépassent le cadre initial :
- quelle organisation générale du lycée (quelles
filières ? quels objectifs ?)
- qu’est-ce qu’une culture commune ?
- qu’attend t-on des élèves ?
- qu’est-ce qu’un bon programme ?
- Qu’est-ce qu’une discipline scolaire ?
J’ai essayé de répondre plus haut, aux derniers points.
Les questions qui sont posées avec ce débat récurrent sont
celles de l’indépendance des programmes par rapport aux lobbys de toutes
sortes, de la finalité de l’enseignement (faut-il faire aimer l’entreprise —ou
la patrie — ou délivrer des connaissances qui permettent de comprendre ? )
et enfin, comme je l’ai déjà dit, celle de l’autonomie et de la logique propre
des disciplines scolaires qui ne peuvent être un simple décalque des savoirs
savants et universitaires. Ces questions là, au final, intéressent toutes les
disciplines.
Derrière le débat sur les SES, il y a, aussi un débat pédagogique
bien plus large qui nous renvoie à la manière dont on apprend et dont on fait
rentrer les élèves dans les apprentissages et dont on les motive. C’est aussi
la question de l’évaluation terminale qui est posée dans la mesure où elle
détermine la pédagogie en amont.
Sur les deux premiers, qui nous ont beaucoup occupé, le
danger était de faire « payer » à une discipline les contradictions
de l’ensemble de la réforme du lycée de 2009-2010. Par exemple, les cours en
Seconde sont un vrai/faux enseignement d’exploration mais cela résulte de
compromis boiteux refusant une place dans le tronc commun que les SES subissent
sans en être responsables. On voit là que la place d’une discipline est le
résultat de rapports de force et de stratégies souvent complexes. De même le
lycée « Descoings-Chatel » n’a pas réussi à faire disparaitre la
hiérarchie des disciplines qui était pourtant au cœur du projet. L’une des
limites du rapport est qu’il raisonne à « système constant » mais il
est bien clair qu’une réforme du lycée reposerait le problème autrement. Mais
cela est une autre affaire...
La participation à une telle instance est un des exercices
les plus complexes que j’ai pu faire au cours de ces dernières années (bien
plus que la présidence du Cniré !). C’est un exercice ingrat fait de patience, d’écoute
et de négociation voire de diplomatie. Je sais pertinemment que cela expose et
qu’on y prend plus de coups que de compliments.
Le rapport final est un texte
de compromis et nuancé et à l’heure où on aime les débats binaires et ranger
les gens dans des cases dont il est difficile de sortir (surtout dans le tout
petit monde des SES...) on court
le risque d’un mésusage et d’une mauvais interprétation. Il faut l’assumer même
si on peut le regretter à l’avance.
Mais cela a été aussi un moment intéressant pour plusieurs
raisons. D’abord parce que cette instance m’a permis de fréquenter des
personnes de qualité et de frotter mes arguments aux leurs et d’éprouver mes propres
analyses et mes convictions. Ensuite parce que les auditions m’ont donné une
vision plus large des questions concernant cette matière que j’enseigne depuis
36 ans et pour laquelle je suis formateur depuis plus de dix ans. Enfin, parce
que cette expérience que j’ai acceptée avec circonspection et inquiétude m’a
permis d’apprendre et, à ma modeste place, de ne pas rester spectateur et de contribuer au débat et à l’action...
Note : ce rapport sur l'enseignement des SES n'a pas encore été remis au Ministre. Si malgré cela, je m'autorise ce billet ici même c'est pour deux raisons :
- Il a "fuité"(et je le déplore) et deux articles de presse (Café Pédagogique, Le Monde) en parlent déjà. Le rapport est donc déjà commenté.
- je ne m'exprime pas ici sur le rapport lui même mais sur ses “à-côté" et tout ce que m'inspirent les travaux menés durant tous ces mois. Il va de soi que ces considérations se font à titre purement personnel et n'engagent en rien l'ensemble de la commission.
Une version "courte" de ce billet de blog est parue dans le n°3 du Magazine de l'Éducation
- AJOUT DU 11 DÉCEMBRE : le rapport a (enfin) été mis en ligne sur les pages du Conseil Supérieur des Programmes. Je n'ai pas d'informations sur sa remise "officielle" au Ministre. Étant enseignant et militant, je suis habitué aux causes perdues (!). Mais il n'empêche que, si on ne tenait aucun compte de ce rapport dans un futur travail sur les programmes de SES, il y aurait de quoi être déçu devant si peu de considération pour le travail accompli... Et il y aurait aussi de quoi être inquiet !
Philippe Watrelot
Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
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