Du 2 au 5 novembre se tient à Poitiers la première biennale internationale de l’éducation nouvelle organisée par six mouvements et associations pédagogiques (CEMEA, Crap-Cahiers Pédagogiques, Fespi, ICEM-Pédagogie Freinet, FI-CEMEA et GFEN). Je vais évidemment participer à cet évènement qui va rassembler près de 250 personnes.
C’est pour moi une évidence tant cela correspond à mon
histoire personnelle. J’ai milité aux Cemea pendant une vingtaine d’années (dès
l’âge de 18 ans) et je suis devenu ensuite adhérent du CRAP-Cahiers
Pédagogiques. Pendant ma présidence de cette association, j’ai contribué à
entretenir et construire des réseaux avec les autres mouvements pédagogiques et
associations complémentaires de l’école pour renforcer ce qui nous rassemble au
delà des logiques d’appareils. C’est donc un courant de pensée qui se réunit à
Poitiers et aussi un peu une famille qui se retrouve.
Je vais essayer durant ces quelques jours, dans la mesure du
possible, de rendre compte des débats. Les tweets, pollués par les haineux et
limités par les contraintes techniques ne me semblent pas le bon moyen de faire
partager les travaux et mes réflexions. C’est donc le bon vieux format du
billet de blog que je vais utiliser.
Avant même le début de ces rencontres, commençons par
revenir sur cette expression curieuse d’«éducation nouvelle», son histoire, son présent et les défis à relever...
Une éducation pas si
nouvelle.
Avec vous vu le très beau documentaire “Révolution
école” ? Ce film de Joanna Grudzinska, basé sur de nombreuses archives
inédites, retrace l’histoire de la Ligue internationale de l’Éducation nouvelle durant l’entre
deux-guerres. Ces rassemblements
internationaux rassemblent à l’époque des pédagogues et des pédagogies toujours
bien connues aujourd’hui, Montessori, Steiner, Freinet, A.S. Neill (Sumerhill),
Janusz Korczak...
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En fait, cette réflexion sur l’éducation commence dès la fin
du 19ème siècle mais elle trouve une acuité plus importante après le
traumatisme de la Première guerre mondiale (ce que montre très bien le documentaire
“Révolution école”). C’est bien un projet politique qui s’exprime autour des
idées d’émancipation, de coopération et de solidarité.
« L’éducation nouvelle
prépare, chez l’enfant non seulement le futur citoyen capable de remplir ses
devoirs envers ses proches et l’humanité dans son ensemble, mais aussi l’être
humain conscient de sa dignité d’homme. » (principe du groupe français d’éducation nouvelle)
C’est aussi l’idée forte que chaque individu est éducable et
capable si on lui en donne les moyens. Ce que résume très bien le premier des
« principes qui guident notre action » formulé en 1957 par Gisèle de
Failly, l’une des fondatrices des CEMEA : «Tout être humain peut se développer et même se transformer au cours de
sa vie. Il en a le désir et les possibilités. » On retrouve aussi la même
idée dans le slogan du GFEN « Tous
capables » ou dans le postulat d’éducabilité formulé par Philippe
Meirieu. Cela semble aujourd’hui une évidence ? Pas si sûr, à l’heure où
le fatalisme social et l’idéologie des dons ou du mérite individuel fait un
retour en force.
“Agir” c’était l’autocollant que j’avais mis à l’arrière de
ma première voiture alors que j’étais animateur de centre de vacances et
formateur (à l’époque on disait encore instructeur) aux CEMEA. C’était un des
slogans de ce mouvement et j’en aimais la polysémie. D’abord évidemment parce
que je me définis comme un militant ou un « activiste » en tout cas
quelqu’un qui ne se résigne pas à un état de fait et qui cherche à faire advenir
une situation meilleure. Mais aussi parce que l’activité est au cœur de la
pédagogie nouvelle. L’enfant est un être social et il apprend par la
coopération et la confrontation à des situations et des expériences
personnelles et collectives. L’enjeu pour l’enseignant, l’éducateur, c’est de
créer un « milieu », des dispositifs qui permettent de construire ces
apprentissages. Faire apprendre plutôt que « transmettre ». Aujourd’hui
encore, cela ne va pas de soi. La passivité, l’inculcation,
l’ « école assise » pour reprendre une vieille expression, revêtent
de nouveaux atours mais continuent à être la règle dans bon nombre de
classes.
Une autre caractéristique essentielle de l’éducation
nouvelle c’est l’idée que l’éducation est globale. On envisage l’enfant dans
toutes ses dimensions et pas seulement l’élève. L’éducation ne peut être
seulement « scolaro-centrée ». C’est la raison pour laquelle, les
associations complémentaires de l’école sont une partie importante de ce réseau
et de ce courant de pensée. C’est pour cela que les centres de vacances et de
loisirs, les activités péri-scolaires ou culturelles ont été investis par les
militants de l’éducation nouvelle.
Des idées vivantes et
menacées
Les mouvements d'éducation nouvelle ont donc une histoire.
Mais ils ont aussi un présent. Mais le fait même que le qualificatif
« nouveau » soit toujours utilisé pose question et montre bien que
leurs valeurs restent précaires . Dans ces temps troublés où les repères
habituels ne sont plus toujours pertinents, où le populisme éducatif se
développe et où la « réforme » est vue comme une menace et la remise
en cause d’un certain nombre d’acquis, les risques sont nombreux pour
l’éducation nouvelle.
Le premier risque est de se transformer en une sorte de
musée de la pédagogie ou de « réserve d’indiens ». C’est un réel
danger qui est renforcé par les attaques contre les « pédagos ». On
risque alors dans les mouvements pédagogiques de cultiver une sorte de repli et
d’entre-soi rassurant pour se protéger. La pureté cultivée en circuit fermé
conduit au complexe de l’assiégé et du « juste » avec parfois une
forme d’arrogance. L’enjeu c’est celui de l’ouverture et de l’engagement dans
le monde, dans la société. Le système éducatif a besoin des militants de l’éducation nouvelle partout
où il est question de lutter contre l’échec scolaire, l’évaluation et la
sélection précoces, l’activité sans but ni sens...
Comme le dit le
slogan du CRAP « changer l’école pour changer la société, changer la
société pour changer l’école » on ne peut envisager l’un sans l’autre. Ce
que dit aussi cette citation de Celestin Freinet : « Nous ne
comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle sans se
soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école ; mais nous
ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent, activement ou
plus souvent passivement, hélas ! pour l’action militante, et restent dans leur
classe de paisibles conservateurs, craignant la vie et l’élan, redoutant
l’apparent désordre de la construction et de l’effort.» (Célestin Freinet,
L’Éducateur prolétarien n° 1, oct. 1936)
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L’autre danger est paradoxalement celui de l’établissement. Comme je
l’ai déjà souligné dans
des billets précédents, il y a vis-à-vis de la pédagogie
« nouvelle », une sorte d’inversion des valeurs. Ce discours “pédago”
qui était un discours de rébellion du temps de Freinet (obligé de quitter l’EN
pour mener à bien son projet) est
devenu aujourd’hui un discours “officiel”. On peut considérer qu’il ne s’agit
que d’une vulgate mal digérée et plaquée sur une structure qui reste
bureaucratique et rigide mais il est clair que les mots et les concepts qui
étaient ceux de l’éducation nouvelle sont aujourd’hui aussi ceux du ministère,
de l’inspection, de l’OCDE… Et donc le pédagogue n’apparait plus comme le
“rebelle” mais, aux yeux de certains, au contraire comme l’allié objectif du
pouvoir.
Cela a pour effet que le conservateur peut se tailler à bon compte un
costume de rebelle face à l’institution. Et cela fait malheureusement sens pour
des enseignants qui ont toujours vécu leur métier comme un métier indépendant
et individualiste et avec beaucoup de méfiance à l’égard de la hiérarchie.
L’enjeu c’est de conserver (ou de retrouver) cet esprit d’innovation et
de rébellion tout en agissant aussi pour transformer l’école, ici et
maintenant. La radicalité révolutionnaire peut aussi conduire à un splendide
isolement évoqué plus haut.
Enfin, l’éducation nouvelle s’incarne aujourd’hui dans des
mouvements et associations qui comme toutes les structures sont confrontés au
manque de moyens, à des problèmes de subventions, de vente de leurs
« produits », d’emplois etc. En d’autres termes, les problèmes de
« boutique » et les logiques économiques peuvent l’emporter sur la
nécessité du débat d’idées et la réflexion sur les pratiques. Pour avoir été
président d’association, je peux témoigner que ce risque est grand que
l’urgence l’emporte sur l’essentiel.
Il s’agit de se doter des moyens de l’autonomie financière
(et donc aussi politique) pour éviter de tomber dans la course aux subventions
et à une recherche de ressources chacun pour sa propre “boutique” qui fasse
oublier la réflexion collective. A cet égard, il faut saluer cette initiative
de créer une biennale qui montre que la réflexion pédagogique est bien vivante.
Des défis pour demain
Les mouvements d'éducation nouvelle ont donc une histoire.
Ils ont un présent. Il faut aussi écrire leur avenir.
Gisèle de Failly, déjà citée, écrivait : « Les fondateurs de l'éducation nouvelle ont
eu, dès l'origine, ce souci de souligner que leurs réflexions, les idées
auxquelles ils aboutissaient étaient valables fondamentalement, mais qu'elles
étaient non seulement susceptibles de progresser et de s'enrichir, mais qu'il
était indispensable et inévitable qu'elles se transforment ».
La réflexion pédagogique ne peut se complaire dans le passé
même si celui-ci est une boussole indispensable. Il lui faut tenir compte des
évolutions actuelles.
Il ne s’agit pas ici pour moi, de préjuger de ce qui se dira
durant cette biennale. Mais il me semble qu’il faut aujourd’hui répondre à un
certain nombre de défis qui ne se posaient pas dans les mêmes termes il y a
cent ans...
En premier lieu c’est la question de la lutte contre les
inégalités qu’il faut sinon re-questionner du moins reformuler. C’est ce que
nous invite à faire François
Dubet dans un texte récent, qui me semble un bon point de départ à la réflexion. Alors que le ministre
actuel ne cesse d’évoquer pour le critiquer, l’ « égalitarisme »
et semble privilégier une approche individuelle des inégalités au détriment de
la prise en compte des inégalités sociales, il est important que nos mouvements
se reconstituent une réflexion sur cette question.
Les neurosciences semblent être devenues aujourd’hui la
nouvelle panacée et l’horizon indispensable de l’ « efficacité »
pédagogique. L’éducation nouvelle s’est toujours appuyée sur les travaux de la
recherche. D’ailleurs il est intéressant de constater que bon nombre de
concepts mis en avant par les recherches récentes ne font que confirmer les
intuitions des grands pédagogues. Comment intégrer ces nouveaux apports sans
tomber dans le scientisme et en laissant le dernier mot aux praticiens pour
mettre en œuvre une pédagogie qui n’oublie pas les autres sciences mais aussi
les valeurs
J’ai beaucoup agi et écrit autour de la question de l’innovation. Je ne vais pas ici y revenir longuement. Mais cet aspect doit être
lui aussi redéfini alors que le terme devient un repoussoir pour une bonne
partie de l’opinion enseignante. Et cela, nous renvoie aussi à la définition du
périmètre de cette innovation. Ce qui semble se développer aujourd’hui c’est
tout un secteur privé qui prospère sur les lacunes et les difficultés du
secteur public à se réformer. Cette question n’est pas neuve. Il faut rappeler
que dès l’origine, une partie de l’éducation nouvelle s’est faite dans des
écoles privées. Il faut donc clarifier nos positions sur la marchandisation de
l’école sans anathèmes mais avec fermeté redire notre attachement à une école
publique qui évolue au service de tous...
Philippe Watrelot
Le jeudi 2 novembre 2017
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Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.
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Les billets consacrés à la Biennale internationale de l’éducation
nouvelle
Billet n° 1 : Vous
avez dit éducation nouvelle ?
Billet n° 2 : Sciences
et pédagogie
Billet n° 3 : Education
nouvelle, innovation, formation
Billet n° 4 : Une première biennale mais pas la dernière
Billet n° 4 : Une première biennale mais pas la dernière
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