lundi, mars 16, 2020

Peut-on critiquer son ministre et utiliser des outils non homologués en temps de crise?



« Je vous plains. Faire de la politique quand les Français sont angoissés. Etre incapables de s'unir au moment où il faut s'unir. Il n'y a plus de mots. Franchement : face à l'adversité et à une situation compliquée, il faut juste faire preuve d'un peu de bienveillance.»
« tellement, tellement facile d'ironiser dans ces circonstances et de caricaturer jusqu'à l'absurde
Voici deux exemples de messages reçus (l’un sur Twitter émanant d’un soutien inconditionnel du ministre, l’autre sur Facebook émanant d’une journaliste) qui posent une question stratégique et morale. 
Cela m’interpelle parce que le 13 mars, j’écrivais sur Facebook : « je sais bien que les rézosocio sont l'espace du sarcasme, de la critique et la revendication… mais je me dis qu'il y a des moments où il vaut peut-être mieux faire passer l'intérêt des élèves avant tout... On reprendra les discussions sur les divergences après. Non ? » Et les messages cités plus haut me reprochent un flagrant délit de contradiction. 



J'entends la critique mais je voudrais cependant faire valoir deux arguments.

Le premier c’est de rappeler qu’il y a sarcasme gratuit et critique constructive. Il est plus légitime de critiquer lorsqu’on fait par ailleurs des propositions et que l’on donne des éléments pour avancer. Cela a toujours été la position du mouvement pédagogique dont je suis aujourd’hui un simple adhérent après en avoir été un dirigeant. On trouvera sur son site un article qui donne de précieux conseils aux parents pour accompagner leurs enfants. Pour ma part, j’ai essayé de recenser et de diffuser les outils disponibles pour enseigner à distance
La critique me semble donc légitime lorsqu’on fait par ailleurs des propositions constructives. Mais cette nuance semble échapper à beaucoup de personnes en situation de pouvoir qui ne voient les choses que de manière binaire : avec moi ou contre moi... 
Le ministre de l’éducation et une bonne partie de sa hiérarchie (et ses soutiens les plus virulents) se situent clairement dans cette logique clivante. Et c’est bien dommage...

Deuxième argument : si l’on peut admettre l’imperfection et faire preuve d’indulgence face à une situation inédite , il faut alors qu’en face on fasse preuve d’humilité...
Depuis plusieurs jours, le ministre affirmait « Tout est prêt » avec une assurance exagérée.  Pointer aujourd’hui que rien ou presque ne fonctionne correctement, est ce mal ? 
Si M. Blanquer était moins péremptoire et un peu plus modeste dans son expression, il ne se prendrait pas toute cette ironie (bien méritée) en retour.

C’est une évidence : nous sommes face à une situation inédite et en grande partie imprévisible. Les choses s’ajustent au jour le jour. C’est très français de « refaire le match » et de critiquer a posteriori telle ou telle décision. Et puisqu’on parle  de match, on peut  dire qu’en ce moment dans notre beau pays, ce ne sont plus « 60 millions d’entraineurs » que nous avons mais 60 millions de virologues et spécialistes en épidémie... 
L’humilité de tous s’impose tout comme l’indulgence. Mais quoi qu'il en soit, la période s’accommode mal de l’arrogance technocratique. 


«L’ENT est en panne», « la classe virtuelle ne marche pas » ces messages et d’autres du même genre sont les plus nombreux sur les réseaux sociaux fréquentés par les enseignants. 
On voit alors surgir des débats sur les moyens à utiliser pour assurer la continuité pédagogique. Faut-il attendre que les informaticiens « réparent » les sites et s’assurent de la robustesse des connexions. Il faut y croire. 
Mais en attendant, que faire ? Certains refusent avec énergie d’utiliser les solutions « privées » au nom de la lutte contre la marchandisation. D’autres ou les mêmes mettent en avant  le non respect de la RGPD (protection des données). Cette éthique de conviction est tout à fait légitime. Mais quoi qu’il en soit, il faut répondre à l’angoisse (plus importante qu’on ne le pensait) d’élèves et de parents face à ces difficultés à assurer la continuité pédagogique. 

Pour ma part, ce lundi 16, la visioconférence  que je prévoyais par la plate forme "ma classe virtuelle" n'a pas pu se faire car celle ci ne fonctionnait pas. C’est donc un élève (eh oui, ils savent des choses que nous ne savons pas...) qui a proposé une solution sur une plate forme privée ! Et depuis, pour maintenir le contact, je communique avec eux par WhatsApp ! 

On est en train de faire de la philo appliquée : quels arbitrages entre éthique de conviction et éthique de responsabilité ?  Doit-on se dispenser d'agir si les principes ne sont pas respectés ? Ou doit-on accepter de se salir les mains pour agir malgré tout ? (de toutes façons il y a le gel hydro-alcoolique...) 
Je crois qu'il y a un principe de réalité qui nous oblige. Si les solutions non-marchandes ne fonctionnent pas, alors utilisons les autres. Sans être dupes et avec vigilance mais parce qu'il y a des  urgences qui s'imposent. 
De toutes façons le défi pour nous tous, ce sont les élèves loin de l'école pour plein de raisons... Dans cette situation inédite n'accentuons pas la fracture avec l'école avec l'accumulation de préalables et des principes trop rigides. 

Comme je le disais dans un autre texte, cette crise inédite est révélatrice des tensions qui traversent le système éducatif et le monde enseignant. Elle montre surtout à travers le foisonnement des initiatives et des échanges entre enseignants que ceux ci sont loin d’être les affreux individualistes comptant leurs heures que l’on décrit quelques fois. On voit surtout des valeurs partagées faites de coopération, de mutualisation et de sens du service public. 


Ph. Watrelot


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Chronique éducation de Philippe Watrelot est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution - Pas d'Utilisation Commerciale - Pas de Modification 4.0 International.

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