dimanche, octobre 27, 2019

Le foulard qui rend fou...




Vignette extraite de la BD de Remedium Timoris
Et c’est reparti ! Il a suffi de la manœuvre d’un élu RN au conseil régional de Bourgogne demandant à une femme accompagnant une sortie scolaire de sortir ou de retirer son voile pour que tout le monde et le ministre de l’éducation en premier se précipite sur ce sujet. 
Et ce qui n’aurait pu être qu’un fait divers venant d’un extrémiste qu’il fallait blâmer, fait diversion. La baisse des postes dans l’Education Nationale ? Le foulard ! La souffrance au travail d’un grand nombre d’enseignants ? le foulard ! Le gel du point d’indice et la revalorisation qui se fait attendre ? Le foulard, vous dis-je ! 
Le ministre condamne mezza voce ce qui s’est passé et rappelle que le voile n’est pas « souhaitable » dans notre société car il serait un signe de communautarisme et une atteinte à la laïcité.

Pas de dissertation sur la laïcité...
Je ne vais pas ici me lancer dans une énième contribution sur la définition de la laïcité (avec ou sans adjectifs). Je n’en ai ni l’envie ni la prétention même si par mes études et mes voyages j’ai quelques idées sur le sujet. Je voudrais juste me situer sur le plan de l’École et des pratiques des enseignants au quotidien. 
Juste un mot cependant sur ma définition de la laïcité en une formule triviale :  je me fous du religieux ! Chacun peut croire ce qu'il veut et je le respecte même si pour ma part je ne crois pas/plus.  En ce qui concerne le voile, je suis comme beaucoup interpellé par ses formes les plus extrêmes qui peuvent me mettre mal à l’aise pour le choc culturel et l’image de la femme que cela renvoit. On peut y voir alors le signe d'une certaine domination. Mais je ne vais pas faire le "bonheur" ou "sauver" des gens malgré eux (on sait ce que ça a donné dans l'histoire)  et ma position au quotidien c'est celle du respect des croyances et des cultures au sein de la société française. 


...mais du pragmatisme.
Mais revenons au cas des sorties scolaires qui a déclenché ce torrent de déclarations. Je crois qu'en l’espèce on oublie de faire preuve de pragmatisme. On prend les parents qui sont disponibles et dans certains quartiers si on "interdisait" à celles qui portent un foulard (et beaucoup le font de leur plein gré !) il n'y aurait plus de sorties... On transforme le « souhaitable » en impossible. 
Que choisir ? Pierre Mendes France disait que gouverner ce n'était pas choisir la meilleure mais la moins mauvaise des solutions. 
Je préfère faire des sorties même si c'est avec des femmes avec foulard ! Et je pense que les intégrer à la vie de l'école et "faire alliance" pour donner une image positive de l'École ne peut être que profitable pour la réussite des élèves et leur découverte de l'altérité. C'est cela le pragmatisme. 
Bien sûr, au nom de principes avec lesquels il ne faudrait pas transiger, on va me rétorquer que ce bout de tissu est un symbole et un moyen pour une frange radicale de l'islam de porter un débat et une remise en cause de la démocratie. C'est possible et j'ai pu voir dans mon lycée de banlieue des actions qui semblaient concertées de jeunes filles qui portaient toutes en même temps l'abaya à la grille du lycée. Oui, ces manoeuvres existent, il ne s'agit pas de sombrer dans l'angélisme (!) et être vigilant tout en ne dérivant pas vers le complotisme permanent. 
Mais dans le cas de ce foulard qui rend fou, il y a aussi un bon nombre de femmes qui le portent comme le rappel d'une origine ou un signe d'une foi tranquille. Pourquoi au nom de quelques dérives devrait-on arriver à cette forme de punition collective ? Ce n'est pas en tout cas aux enseignants, directeurs d'école et chefs d'établissement d'évaluer le degré de prosélytisme des parents ! 


Pourquoi cette folie française ?
Pour finir, je voudrais m’interroger sur les raisons de l’excès de ce débat bien français. Je  formule plusieurs hypothèses...

Première hypothèse : j'ai l'impression que ceux qui supportent le moins le "foulard" sont ceux qui en voient le moins. C’est le cas dans des zones rurales où ils sont très rares mais où la question de la perte d'identité culturelle semble vive. Mais les plus virulents sont des bourgeois qui ont une faible connaissance des quartiers et ont en tête un grand nombre de stéréotypes. Il se trouve que ce sont aussi ceux là qui ont la parole dans les médias. 
Pour ma part, des dames avec des foulards j'en croise tous les jours, dans mon immeuble, au marché, dans mon RER... Je les vois avec leurs enfants, leurs maris, aux réunions parents-profs... Je n'ai aucune raison d'avoir "peur" ni de me sentir agressé. Je vois aussi des jeunes filles pleines de contradictions qui arrivent avec un foulard à l'entrée du lycée, le retirent et dévoilent quelquefois des décolletés ! Si je cite cette anecdote c'est pour montrer que le réel est bien plus complexe que les "grands principes" et les débats binaires dont la France est friande. 

La deuxième hypothèse c'est que le "voile", plus encore qu'un symbole religieux, est le signe de l'échec de la politique d'intégration à la française. Le communautarisme ? Il faudrait peut être le questionner au regard de l'échec de trente ans de politiques de la ville et de creusement des inégalités qui n'ont fait que renforcer les ghettos. 
 C'est peut-être ce reproche permanent de la faillite de la promesse républicaine que certains ne veulent pas voir ? 

On peut en effet réfléchir, en éducateur, sur les « valeurs de la République » qu’on nous demande de transmettre. Mais, comme j’ai déjà eu l’occasion de l’exprimer (y compris dans les plus hautes instances), plutôt que de les asséner comme un catéchisme ( ! ) il s’agit surtout de les faire vivre au quotidien dans nos classes et nos établissements. Ces valeurs de la République, elles sont faites d’égalité et de reconnaissance de l’autre (altérité) ainsi que de solidarité. Et l’École a un rôle essentiel à jouer comme vecteur de la mobilité sociale et de la lutte contre les déterminismes et les « assignations à résidence ». C’est ce que j’ai qualifié plus haut, de promesse républicaine et démocratique. Et celle ci est remise en cause aujourd’hui et n’est plus effective.

On ne peut s’indigner contre le communautarisme et les "quartiers" sans se demander si nous avons fait tous les efforts, consacré tous les moyens nécessaires, interrogé nos pratiques d'enseignants,  pour faire de cette promesse une réalité. La démocratie doit  être un effort constant pour garantir l’égalité et la cohésion sociale
« Ce qui caractérise la vraie démocratie, ce n’est pas de reconnaître des égaux mais d’en faire » disait Gambetta (1838-1882). Ce n’est pas, en tout cas, en s’agitant autour d’un bout de tissu qu’on y parviendra...


Philippe Watrelot
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2 commentaires:

Jean-Paul L. a dit…

Ma mère, femme de pasteur "fondamentaliste" respectait scrupuleusement le texte de l'apôtre Paul tiré de l’épître aux corinthiens (1 Cor. 11: 3-15):

"Je veux cependant que vous sachiez que Christ est le chef de tout homme, que l’homme est le chef de la femme, et que Dieu est le chef de Christ. Tout homme qui prie ou qui prophétise, la tête couverte, déshonore son chef. Toute femme, au contraire, qui prie ou qui prophétise, la tête non voilée, déshonore son chef, c’est comme si elle était rasée. Car si une femme n’est pas voilée, qu’elle se coupe aussi les cheveux. Or, s’il est honteux pour une femme d’avoir les cheveux coupés ou d’être rasée, qu’elle se voile. L’homme ne doit pas se couvrir la tête, puisqu’il est l’image et la gloire de Dieu, tandis que la femme est la gloire de l’homme. En effet, l’homme n’a pas été tiré de la femme, mais la femme a été tirée de l’homme; et l’homme n’a pas été créé à cause de la femme, mais la femme a été créée à cause de l’homme. C’est pourquoi la femme, à cause des anges, doit avoir sur la tête une marque de l’autorité dont elle dépend.Toutefois, dans le Seigneur, la femme n’est point sans l’homme, ni l’homme sans la femme.Car, de même que la femme a été tirée de l’homme, de même l’homme existe par la femme, et tout vient de Dieu.Jugez-en vous-mêmes, est-il convenable qu’une femme prie Dieu sans être voilée ? La nature elle-même ne vous enseigne-t-elle pas que c’est une honte pour l’homme de porter de longs cheveux, mais que c’est une gloire pour la femme d’en porter, parce que la chevelure lui a été donnée comme voile ?"

Ma mère avait toujours la tête couverte à l'extérieur de la maison (et pas seulement lors des offices). Comme elle détestait le foulard, elle ne portait que des chapeaux, c'est plus chic...
Bon, d'un autre côté, je n'ai jamais vu ma mère accompagner une sortie scolaire (en ce temps-là, d'ailleurs, les sorties scolaires étaient rares).
Les autres membres féminines de la congrégation portaient des foulards. Mon père avait fini par juger que cette coutume était stupide et n'incitait plus les femmes de sa "paroisse" à le faire. Il s'était même faire mal voir de ces collègues pasteurs pour cette position "progressiste" et quasi blasphématoires ! Vers la fin de sa vie, il soutenait l'égalité entre les hommes et les femmes dans l'exercice des "ministère", position que l'église catholique n'a pas encore prise !
Bref, à cinquante ans d'écart (eh oui !) le même débat, les mêmes arguments. Mais personne n'aurait interdit à ma mère de porter son chapeau lors de sorties scolaires, alors même qu'il s'agit clairement d'une signe religieux de soumission à dieu et aux hommes (mâles) - voir citation plus haut...

Mariya a dit…

Merci pour cet article très complet.

 
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