Je me suis inscrit sur Facebook et Twitter en avril 2009. Dans l’optimisme et la naïveté des débutants, j’écrivais ceci sur mon blog : « Ce qui est fascinant avec ces outils qu’on qualifie de “réseaux sociaux” c’est la rapidité et la facilité avec laquelle on peut diffuser de l’information et créer des liens entre les personnes.».
Dix ans après, en aout 2019, je titrais un nouveau billet consacré à ma vie numérique : « 10 ans de réseaux sociaux : je t’aime, moi non plus...». Les sous-titres résumaient assez bien l’évolution de mon ressenti et de mon analyse : «Persona, “homme de paille” et ennemi de proximité», « Une armée de procureurs et de commissaires politiques », « Le règne du ressenti et de l’indignation permanente », « Pourquoi tant de haine et de passion ? », « Bulles informationnelles et biais de confirmation » …
Entre temps, j’avais fait connaissance avec les trolls et surtout les haters auxquels j’avais consacré un long texte en novembre 2015 : « Twitter et les enseignants : du gazouillis aux dégueulis...»
Quinze ans après.
Nous sommes en novembre 2024. Qu’est-ce qui mérite un nouvel article ?
Pour ma part, j’ai continué plus ou moins à faire la même chose malgré le passage à la retraite, c’est-à-dire faire de la veille sur l’actualité éducative et tenter de gérer le forum que la diffusion de ces infos génère et de temps en temps, diffuser mes propres réflexions.
Mais au cours de ces dernières années, on a assisté à la conjonction de plusieurs phénomènes qui ont eu une influence sur nos vies numériques et la mienne en particulier.
C’est d’abord la montée de l’agressivité qui saute aux yeux. Les « échanges » ou plutôt les interactions, sont de plus en plus polarisés. L’ère des réseaux sociaux signe l’acte de décès de la nuance. Et la fin de la tolérance en est un dommage collatéral. Twitter, devenu X, a toujours été plus propice à cette agressivité. La brièveté des messages (malgré le passage à 260 caractères et la pratique du « thread ») et dernièrement le rôle de l’algorithme ont fortement contribué à cela. Mais on voit se développer aussi cette agressivité sur Facebook et même Linkedin ( !).
On est aussi rentré dans l’ère de l’hyper-susceptibilité. Est-ce un bien ou un mal ? C’est le signe qu’on n’accepte plus des abus de langage et que les normes sont en train de changer. Mais bien souvent cette réactivité est excessive car elle part d’une lecture trop rapide et d’un manque de nuances. Elle met aussi le ressenti devant l’argumentation
Cette tendance s’appuie sur une autre qui est l’enfermement dans des bulles informationnelles. On a déjà beaucoup écrit sur le développement des biais de confirmation renforcé par les algorithmes des réseaux. Bien loin de favoriser les échanges et la découverte, ils enferment et ne font que renforcer les opinions déjà établies. Je résume cela par une formule, qui est la mise à l’envers du credo de Saint-Thomas : « je ne vois que ce je crois » !
Ceci est à relier aussi à une autre tendance lourde qui est l’évolution des pratiques d’information. Ma génération (j’ai 65 ans) s’informe encore prioritairement avec la presse écrite et les journaux télévisés. Mais, de plus en plus, les internautes s’informent (ou croient s’informer) autrement. On va trouver l’info sur quelques sites ou chaînes ou bien sur quelques comptes X. Au passage on y perd le pluralisme et le débat contradictoire ainsi que la nuance. Comment se faire une vraie opinion en lisant que le chapô d’un article ou une info prémâchée par un influenceur ? Il y a de quoi être très inquiet pour l’avenir de la presse.
Trop de réseaux…
Même si tout cela était déjà en germe dès leur création, les réseaux ont vu ces effets (pervers ?) s’accélérer récemment.
La prise de contrôle de Twitter par Elon Musk est un évènement majeur. Il a clairement voulu en faire un outil politique au service de ses idées. La campagne présidentielle américaine le montre bien. Beaucoup ont voulu quitter le réseau mais celui ci bénéfice d’une position quasi-monopolistique et d’un effet de dimension qui le rend encore incontournable malgré les modifications qui le rendent de moins en moins favorable à l’échange. L’introduction récente et par défaut de l’onglet « pour vous » où l’algorithme vous propose des comptes auxquels vous n’êtes pas abonné n’est pas un gage de diversité mais bien au contraire un redoutable outil idéologique.
Du côté de Facebook, dans une moindre mesure, on connait la même évolution qui oriente ce que les internautes vont regarder. La connexion avec Instagram et les courtes vidéos que sont les « reels » contribue aussi à développer la pratique addictive du scrolling.
Face à ces évolutions on a vu se développer des alternatives. Mastodon, Threads, BlueSky se veulent des plates-formes qui proposent des usages différents. Je me suis inscrit sur tous ces réseaux. Mais il faut bien constater qu’ils ne remplissent pas la même fonction de tribune que X. Celui-ci reste encore aujourd’hui le lieu d’expression politique et aussi malgré tout de contre-pouvoir. Chacun de ses nouveaux réseaux semble avoir une spécificité qui en montre aussi les limites. Mastodon semble être le vecteur d’une expression plus radicale que les autres. Sur Threads, on raconte beaucoup sa vie. Et BlueSky est un peu la maison de retraite de Twitter où les discussions sont certes plus apaisées mais où on retrouve cette logique de l’entre soi évoquée plus haut. Trop de réseaux tue le réseau et la diversité des échanges.
Au départ, je souhaitais mener la même activité de veille de l’actualité sur ces nouveaux supports, mais j’y ai renoncé. Cela demande un effort trop important pour un faible impact.
Arrivé à ce stade de la réflexion, on peut s’interroger sur l’intérêt de rester sur tous ces réseaux de moins en moins sociaux. On vient d’en montrer les évolutions néfastes. Et cela a un effet sur ma pratique. Avec l’âge je réagis moins à la provocation et j’évite de surenchérir. Je « bloque » (ou je rends « muet ») aussi beaucoup plus. Alors que je prône le pluralisme des opinions et de l’information, il m’arrive de me lasser quand on m’interpelle pour la énième fois en s’indignant de la publication de telle ou telle source...
Malgré tout, si je continue, c’est parce que les échanges continuent à nourrir ma réflexion. Il y a quinze ans je m’étonnais qu’on puisse utiliser le terme d’«amis» pour des contacts numériques sur Facebook. Aujourd’hui, je dois admettre que cela est justifié pour des personnes que je n’ai pourtant jamais vues.
Mais n’oublions pas que si nos vies sont de plus en plus numériques, cela ne doit pas nous faire négliger la sociabilité « à l’ancienne ». Et si le débat d’idées se fait aussi de plus en plus par le clavier, le militantisme c’est aussi et surtout dans la rencontre directe et dans la rue…
PhW le 4 novembre 2024
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