[Ajout 2013 : une version actualisée et complétée de ce billet est parue en aout 2013 sur ce blog , vous pouvez la trouver en suivant ce lien]
L’année qui vient de s’écouler a été marquée par plusieurs actions au sein de l’Éducation Nationale. Parallèlement à l’action des enseignants chercheurs, un autre front portait sur la “masterisation” ou plus précisément sur la réforme de la formation. Mon propos n’est pas ici de revenir en détail sur le fond de cette réforme. Disons que celle-ci est dictée essentiellement par des objectifs budgétaires et aura pour conséquence d’entraîner, à mon sens, une régression de la formation des enseignants. Cette année scolaire qui vient risque donc d’être celle de la fin des IUFM et d’une formation commune et transversale à tous les niveaux d’enseignement. Alors que l’idée que l’enseignement était un seul et même métier qui s’apprend faisait son chemin, on s’achemine vers une distinction entre le primaire et le secondaire. En ce qui concerne les professeurs de lycée et collège, la tendance lourde est à un repli didactique au détriment de la pédagogie. Alors que le métier nécessite de plus en plus une vision globale, un travail en équipe et une formation à de multiples compétences, c’est bien à une régression qu’on risque d’assister malgré le slogan illusoire de la “revalorisation” liée à la masterisation…
Mais arrêtons là ce coup de gueule pour se concentrer sur l’essentiel du propos de ce billet. Comme je l’ai déjà fait les années passées, je propose dans un deuxième post une ”revue des sites” aux enseignants (jeunes ou moins jeunes) qui vont débuter dans ce nouveau métier, et qui se demandent peut-être comment se préparer. Je voudrais cette année l’assortir de conseils. L’âge venant, je me sens autorisé à le faire en m’appuyant sur ma triple expérience d’enseignant en lycée (c’est ma 29ème rentrée) de formateur à l’IUFM et de militant pédagogique. Mais ces remarques sont évidemment discutables. Il n’y a pas de dogme et encore moins une seule manière d’enseigner.
Raisonner en tension
On a trop souvent opposé la didactique et la pédagogie, la maîtrise des connaissances et la relation pédagogique, l’autorité et la spontanéité, l’effort et le “ludique”, l’individuel et le collectif…
Plutôt que de penser en opposition, j’invite les enseignants à raisonner en tension. C’est-à-dire à considérer que notre métier est un “pilotage fin” où il faut “tenir les deux bouts de la corde” et placer le curseur entre les deux pôles d’un axe.
La réflexion didactique et la pédagogie ne s’opposent pas, elles sont complémentaires. Tout le monde (ou presque) conviendra qu’il ne suffit pas de posséder des connaissances pour parvenir à les faire acquérir. Mais il faut aussi admettre que si un professeur ne maîtrise pas les connaissances disciplinaires, ça risque d’être le bazar dans sa classe… Cette nécessité de combiner plusieurs exigences se résume d’ailleurs assez bien dans le schéma du triangle didactique.
De même, il nous faut sans cesse naviguer entre l’organisation - prévision du contenu du cours et la nécessité de laisser une place aux questions et à la spontanéité des élèves. On aurait tort aussi d’opposer l’effort et le “ludique”, si apprendre est évidemment un effort, cela ne signifie pas pour autant qu’il faut que cela soit une souffrance… Nul ne peut contraindre à apprendre, on ne peut donc faire l’économie de la motivation des élèves.
On pourrait poursuivre longtemps la liste de ces fausses oppositions qui pervertissent le débat autour de la pédagogie. Au final, cela nous montre surtout que l’acte d’enseigner est une succession de micro-décisions et de choix stratégiques. Et qu’il importe donc d’avoir une attitude réflexive sur sa propre action. Se préparer à ce métier passe donc d’abord par cette démarche de réflexion sur les décisions que vous aurez à prendre. Et le plus souvent cette démarche est plus efficace quand elle est collective.
Premières séances…
“Tout se joue dès la première heure” est une des imbécillités trop souvent répétée pour effrayer les nouveaux collègues. Ce n’est pas vrai. Même s’il faut admettre que les premières semaines sont capitales pour installer un climat et des règles propices aux apprentissages, tout ne se joue pas à la première heure. De la même façon qu’on ne juge pas quelqu’un dès le premier regard, la relation avec une classe se construit dans une certaine durée et une succession de “tests”.
Par les paroles dites mais aussi toute la communication non-verbale (voix, posture, gestes, habillement, …), vous adressez des messages. Bien souvent c’est plus la manière dont les choses sont dites qui compte que ce qui sera dit vraiment !
Dire ce que l’on va faire et faire ce que l’on a dit est une exigence de clarté du fonctionnement et de respect vis à vis des élèves. Il peut être utile d’annoncer clairement les règles que l’on va suivre (sans se donner trop de contraintes non plus…) et s’y tenir. Les élèves apprécieront cette “prévisibilité” mais… s’empresseront dans le même temps de la tester…
D’une manière générale, il est important de donner aux élèves des repères . Ceux ci peuvent prendre la forme d’objectifs énoncés mais cela peut être aussi un ensemble de rituels qui structurent l’entrée en cours et son déroulement.
Métier professeur…
Pour ceux qui débutent tôt dans l’enseignement, il est quelquefois difficile de se penser non plus comme un étudiant, mais comme un professeur. Mais pour les élèves, vous êtes d’entrée un professeur – certes plus jeune que d’autres collègues – comme les autres. Qu’attendent-ils ?
Pour alimenter ma réflexion, je m’étais livré il y a deux ans à une petite enquête au sein de mon gros lycée de banlieue. Avec l’aide de mes collègues, j’avais demandé aux élèves de 2nde de répondre sur papier libre à une seule question “Qu’est-ce qu’un bon prof ?”. Je dispose ainsi de près de 500 textes avec très peu de réponses farfelues. Les positions sont d’ailleurs assez convergentes. Mais elles montrent aussi toute la difficulté de ce métier par les contradictions qu’elles révèlent. Ils réclament en effet de la ”prévisibilité” mais aussi la capacité à s’adapter, de la justice passant par l’égalité de traitement mais aussi l’attention aux situation particulières de chacun. Etre sévère mais sympa, de l’humour mais pas d’ironie, de l’exigence mais aussi se mettre au niveau des élèves…
Encore une fois, on retrouve la nécessité de “raisonner en tension” et le pilotage fin évoqué plus haut. On peut les résumer en quelques valeurs et principes d’action.
Enseigner est d’abord une relation : ce n’est évidemment pas que cela, mais si on ne crée pas d’abord le contact il ne peut pas y avoir transmission des connaissances… Il y a donc une dimension interpersonnelle essentielle dans l’acte d’enseignement qu’il faut assumer mais sans tomber dans sa perversion que serait une pédagogie basée sur la séduction ou l’affectivité
L’expert ne doit jamais oublier qu’il est un ”ex-pair” : l’enseignant a un devoir d’empathie et doit être capable, pour comprendre les erreurs (et pas les “fautes”…) de ses élèves de comprendre ce qui peut les provoquer. Rien de pire qu’un enseignant « qui ne peut pas comprendre qu’on ne peut pas comprendre ». (Bachelard). Mais cela ne doit pas conduire pour autant à une baisse des exigences. Il faut partir de là où est l’élève mais pour le mener plus haut…
Attention à la logique de l’honneur. On ne gagne jamais à ce jeu là avec des adolescents qui sont très sensibles à cette logique et veulent avoir le “dernier mot”. Plutôt que de rentrer dans un engrenage et une surenchère verbale qui peut vite déboucher sur une situation bloquée et potentiellement violente, il vaut mieux dégonfler la situation et jouer sur un autre registre. Celui de l’humour par exemple mais en se gardant de l’ironie qui est souvent blessante.
Permettre que l’individu profite du groupe et que chaque individu trouve sa place dans le groupe : Même si la classe existe en tant que telle, elle ne doit pas faire oublier les individus qui la composent. Il faut trouver des dispositifs qui permettent à chacun d’évoluer à son rythme et de trouver sa place. Il faut aussi savoir quelquefois ajuster son action aux situations particulières propres à chaque élève. Au risque de ne pas appliquer un traitement égal à tous.
Ne pas culpabiliser. Dans beaucoup de cas, quand il y a conflit ou violence, ce n’est pas après vous que l’élève en a directement mais au représentant de l’institution scolaire porteuse d’une certaine “violence symbolique ». Ne pas oublier non plus que vous n’êtes pas seul et ne pas hésiter à en parler aux collègues de la même classe ou de l’école.
Pour finir, je voudrais en effet rappeler que comme dans tous les métiers basés sur la relation, il importe de savoir prendre de la distance sur ce que l’on vit. Enseigner est un métier très prenant où l’on peut passer beaucoup de temps, y penser sans cesse... Le risque est celui du sur-investissement et de la culpabilisation. On ne peut pas assumer seul “toute la misère du monde”et nous avons tous nos limites. C’est bien pourquoi il vaut mieux vivre l’enseignement comme un métier plutôt que comme une “vocation”…
1 commentaire:
Même si professeur..des écoles et non pas du secondaire, j'adhère totalement à votre analyse. A part peut-être la "logique de l'honneur" qui se joue différemment , d'autant plus que les élèves sont jeunes. Pour ce qui est de la culpabilisation , tout à fait d'accord. Dommage que la hiérarchie ne soit pas au diapason de cette vision. Ainsi, un collègue(le genre pourtant que j'aurais souhaité à mes enfants d'avoir eu) qui se défend en inspection sur je ne sais plus quoi en disant "je suis désolé, mais ça je n'ai pas eu le temps" et à qui l'inspecteur a répondu "je ne veux pas entendre cette phrase dans la bouche d'un enseignant. On doit toujours se donner le temps...". Ca aussi c'est de la violence symbolique qui donne parfois envie de sortir les bonbonnes de gaz...
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